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C'est la toute première fois que je trouve une personnalité qui colle parfaitement à l'idée que je me fais de mes personnages! Donc, Gabriella Wilde en média incarne Ava Brown! Comment la trouvez-vous? :)
Les paroles en italique sont en langue des signes (LSF)
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— Ava, où te rends-tu comme ça ? s'informe mon père, Antoine.
Je suis dans l'entrée, emmitouflée dans mon manteau et ma grosse écharpe. Un gant enfilé, l'autre prêt à l'être, je relève la tête pour observer mon paternel. Les bras croisés, la mine sévère, il attend une réponse de ma part.
— Aujourd'hui, je dois rencontrer la personne qui va m'aider pour mon stage, réponds-je d'une petite voix.
Il me jauge du regard quelques secondes, puis hoche la tête. Mes parents ont toujours été très stricts avec mon grand frère, Tyler, et moi. Seulement, cette autorité va jusqu'à nous interdire de sortir, nous donner un couvre-feu trop précipité, vérifier que nous rentrions bien à l'heure prévue et que nous effectuions nos tâches ménagères attitrées. Ils nous ont coupés de toute vie sociale ainsi que d'une quelconque possibilité de sympathiser avec d'autres personnes. Lorsque mon aîné vivait encore sous ce toit, nous tentions de nous rebeller un minimum. Des sanctions tombaient constamment sauf que nous étions deux, plus forts. Aujourd'hui, la donne a changé. Je me retrouve continuellement seule. Je n'ai pas la force suffisante pour m'opposer aux décisions de mes parents. Conclusion ? Je vis cloîtrée chez moi, comme un ermite.
Tyler a pu quitter la maison au moment où il a obtenu son diplôme. Ma famille juge qu'une fois ce cap passé, il leur a montré son autonomie. J'ai si hâte d'avoir terminé ma licence : je pourrai enfin voler de mes propres ailes.
— Pour quelle heure seras-tu de retour ?
Je jette un coup d'œil à ma montre et tente de calculer mentalement le temps nécessaire. Les aiguilles m'annoncent 14 heures.
— 18 heures 30, affirmé-je, sûre de moi.
— Très bien, ne sois pas en retard, me prévient-il en repartant dans le salon.
Je lâche un petit soupir las, puis pousse la porte et effectue quelques pas dehors. Le froid m'envahit de toutes parts, je cache mon nez dans mon écharpe. Une des raisons pour lesquelles j'apprécie l'hiver, c'est bien de pouvoir porter ces gros châles ô combien confortables. Les mains enfoncées à l'intérieur des poches de mon manteau gris, je me fraye un chemin dans les rues quasiment vides.
Je possède mon permis, mais pas de voiture, et encore moins l'autorisation d'emprunter celle de mes parents. D'où mon utilisation massive des transports en commun. Ankylosée sous l'abri, mon regard est fixé sur l'horizon, pile à l'endroit où devrait apparaître le bus. Mille questions tournent en boucle dans ma tête. Elles me ramènent à aujourd'hui, à ce qui m'attend. Je suis aussi stressée qu'impatiente.
Qui vais-je rencontrer ? Un homme ? Une femme ? Un enfant ? Un adulte ? Une personne âgée ? Avec qui m'apprêté-je à passer plusieurs mois ? Allons-nous bien nous entendre ? Son aide va-t-elle se montrer aussi bénéfique que ce que j'espère ?
Je veux ce diplôme. Autant pour obtenir ma liberté que pour exercer ce métier qui me plaît tant. Évoluer avec des personnes qui vivent cette différence sans problèmes, qui ont leur propre communauté. Je les jalouserais presque.
Je sors de mes pensées lorsque j'aperçois mon autocar. Une fois arrêté, je monte à l'intérieur, et, heureusement, trouve une place vide. Je m'y assois, puis patiente durant les quatre arrêts qui me séparent du centre-ville. Finissant par l'atteindre, je descends en petites foulées.
Par chance, l'unique association se trouvant en plein centre-ville m'a répondu. Il s'agit de celle que je voulais vraiment intégrer.
À peine ai-je poussé la porte qu'une bouffée de chaleur m'emplit le corps et le cœur. Pas simplement parce que la température s'avère plus élevée qu'à l'extérieur. Non, ça va au-delà. Les personnes présentes dégagent quelque chose de particulièrement accueillant. Ils sourient, ils rient, ils partagent. Ils semblent heureux, tout simplement, et je n'ai jamais ressenti cela dans mon propre foyer.
Je reste figée comme une idiote, subjuguée par cette ambiance. Une femme finit par s'avancer vers moi, un sourire aux lèvres. Sourire que je ne tarde pas à lui rendre. Elle me salue en signant avec ses mains. Je lui réponds de la même manière. Je sais parler la langue des signes, même si j'avoue me montrer encore un peu maladroite parfois. Je lui explique la raison de ma présence et elle me répond, en parlant :
— Vous êtes Ava Delaunay ?
J'acquiesce, surprise de percevoir qu'elle s'exprime si clairement. Elle rit doucement, loin d'être vexée.
— Je ne suis ni sourde ni malentendante, juste bénévole, m'explique-t-elle. Suivez-moi.
Elle m'entraîne dans un couloir. Une porte est grande ouverte et je peux y découvrir des enfants qui jouent. Cela peut paraître étrange de les voir interagir socialement dans un tel silence.
Je secoue la tête et rejoins la femme qui m'attend patiemment. Elle me permet d'entrer dans un bureau où se trouve un homme, penché sur de nombreux papiers. Rapidement, me voilà annoncée.
L'individu relève la tête et range un tant soit peu ses affaires avant de s'avancer vers moi, puis de me serrer fermement la main.
— Enchanté, je suis le directeur de cet endroit. Bien que ce ne soit qu'un titre, il n'y a pas vraiment de hiérarchie, ici. Je m'appelle Terry.
— Ravie de vous rencontrer.
— Asseyez-vous.
Je retire ma veste et m'installe face à son bureau. Ce Terry doit avoir une trentaine d'années, guère plus. Son style paraît plutôt décontracté pour un dirigeant. Cependant, l'endroit ne semble pas strict pour un sou.
— Nous allons commencer l'entretien, ensuite nous effectuerons une visite des lieux. Avant tout, j'aimerais avoir plus d'informations sur votre projet.
— Bien sûr. Je désire consacrer ma vie aux personnes malentendantes et sourdes. Pour cela, je suis en train de passer le diplôme correspondant. J'ai validé les écrits. Il me manque seulement l'épreuve orale pour laquelle j'aimerais être la plus précise possible. C'est pour cette raison que je souhaiterais passer du temps avec une personne possédant ce handicap.
— Il s'agit d'une sorte de rapport de stage ? s'enquiert-il, sa main traversant ses cheveux bruns.
— Non, pas du tout. Je n'ai aucune obligation quant à ma présence ici. C'est entièrement volontaire. Je dois présenter un projet qui dépeint leur vie quotidienne et de quelles manières nous pourrions l'améliorer au mieux. Du moins, voilà le sujet que j'ai choisi. Ainsi, j'aurais donc besoin de côtoyer une personne malentendante ou sourde. Votre aide me serait précieuse, expliqué-je en espérant être claire.
Je l'avoue, je perds un peu mes moyens. Comme je n'ai aucune expérience avec ce genre d'entretien, j'ai peur de dire ce qu'il ne faut pas. Par conséquent, je reste prudente, pesant mes mots avec attention.
— Quel métier voulez-vous exercer ? Précisément ?
— Auxiliaire de vie pour les enfants, dans les écoles.
— Pourquoi ne pas passer votre CAPE ? Il existe justement des classes spécialisées dans certaines écoles.
J'adorerais... Seulement, les études sont plus longues et je refuse de rester chez mes parents plus longtemps. Après tout, mon but principal est de travailler dans ce milieu. La manière de le faire m'importe peu.
— Je préfère voir ce que cela donne avec la profession d'auxiliaire, j'aviserai par la suite, je mens. J'ai toute la vie devant moi.
Ce sera vrai lorsque je serai partie de ma prison. À partir de là, j'agirai enfin comme je l'entendrai, sans aucune barrière.
— Bien, j'ai les informations essentielles. Je vais vous faire visiter l'endroit, puis je vous présenterai le volontaire. Vous pouvez laisser vos affaires ici.
Je fais ce qu'il me dit et le suis. Terry me montre de nombreuses pièces : un réfectoire, une bibliothèque, la salle de jeux des enfants que j'avais entrevue tout à l'heure, des dortoirs... Ce pourrait presque être un lieu de vie, ici. En fin de compte, les personnes y viennent lorsqu'elles ont besoin d'aide, de renseignements, de soutien et de compagnie. Voilà le mot qui résume le mieux cet endroit : famille. Vraiment, nous avons parcouru les couloirs pendant peut-être une quarantaine de minutes et je n'ai aperçu aucune animosité entre tous ces gens. Il s'agit d'une véritable communauté.
D'après ce que m'explique Terry, les enfants passent la majeure partie de leur temps ici. Ils se retrouvent entre eux et se comprennent. Des adultes viennent aussi, bien sûr, pour pouvoir échanger sur leurs vies quotidiennes respectives.
Je croise des personnes de tous âges qui ne font pas forcément attention à moi, et c'est tant mieux. Je n'aime pas me retrouver au centre de l'attention. Tout le monde sourit, je me surprends à penser que j'aimerais venir ici plus souvent. Après l'obtention de mon diplôme, je le ferai probablement : offrir mon temps. Si j'en avais eu la possibilité avant, cela représenterait déjà une habitude. Simplement, ces horaires dignes de ceux de l'armée m'en ont empêchée. Mon sourire se fane progressivement à cette seule pensée. Devoir retourner dans cette prison dès ce soir mine mon enthousiasme. Vivre entre quatre murs avec la solitude comme seule compagnie me pèse chaque jour davantage. Je tente de reprendre le dessus. La chance offerte par cette association est unique. Je refuse de la laisser passer.
Nous finissons par retrouver son bureau.
— La personne que je vais vous présenter est un de mes amis, m'explique-t-il. Il a immédiatement accroché à votre projet et se trouve ravi de vous épauler.
Il quitte la pièce, me laissant seule. Un de ses proches ? Donc, il s'agit d'un homme. Il doit également avoir la trentaine, comme lui, je suppose. Je me sens soudainement mal à l'aise. L'éventualité de partager plusieurs mois avec un inconnu m'effraie quelque peu.
Cependant, je ne vais pas faire la fine bouche. Cette communauté m'offre son aide, et je me vois mal la refuser.
Je me mets à stresser sans raison valable. J'ai principalement peur que nous ne nous entendions pas et que mon projet tombe à l'eau. Tout comme mon diplôme ainsi que mon espoir de partir de chez mes parents.
Cela fait un petit moment que Terry est parti. Une bonne dizaine de minutes, facilement. Que trafique-t-il ? Je me mets à me ronger les ongles, mauvaise habitude qu'il faut absolument que je cesse. Mes doigts ne ressemblent plus à rien. La porte s'ouvre, et avant que je puisse me retourner, j'entends le directeur m'annoncer :
— Voici la personne qu'il vous faut !
Je pivote et me trouve face à un homme, plus âgé que moi, mais plus juvénile que Terry. Le jeune croise les bras, plus que remonté. Un peu perdue, j'attends que le gérant de l'établissement me donne une explication.
Il pousse gentiment le «volontaire» pour qu'il s'assoie dans le fauteuil avoisinant le mien. Ses cheveux un peu trop longs lui tombent sur les yeux. Il baisse la tête, visiblement contrarié de se trouver ici, m'empêchant ainsi de découvrir la couleur de ses yeux.
— Ava, je vous présente Evan. Evan, voici Ava. Mon ami est sourd depuis la naissance, m'apprend Terry. Il sait lire sur les lèvres. Pourtant, il n'utilise jamais la parole. Malgré tout, pour l'avoir déjà entendu, il se débrouille. N'est-ce pas, mon vieux ?
Car, oui, un sourd peut parler ! Le concept des sourds-muets est à jeter aux oubliettes...
Si un regard pouvait tuer, le directeur serait foudroyé sur place. Mon futur binôme a visiblement tout sauf envie de m'aider. Génial. Pourtant, Terry poursuit comme si de rien n'était :
— Comme vous parlez la langue des signes, à mon avis, vous ne serez pas amenée à percevoir le son de sa voix. Cependant, là ne se trouve pas vraiment notre principal problème. Evan aime bien cultiver son côté mystérieux, voyez-vous. Il se montre un peu dur de caractère sauf que je suis certain que vous finirez par trouver un terrain d'entente, tous les deux.
Plus la discussion avance, plus je me sens mal à l'aise pour ce fameux Evan. Je trouve que le maître des lieux y va un peu fort avec lui.
Pour quelle raison semble-t-il catégoriquement refuser de prendre la parole s'il a pourtant appris à le faire ? Je fronce les sourcils sans rien ajouter là-dessus. Bien que cela m'intrigue grandement, je ne pense pas qu'il me répondrait si je lui posais la question.
— Sans vouloir vous offenser, il n'a pas l'air vraiment d'accord, dis-je doucement.
— Je ne lui laisse pas le choix.
— Je ne souhaite forcer personne... S'il ne veut pas, ce n'est pas grave, je me débrouillerai, m'exclamé-je, surprise.
— Ne vous inquiétez pas. Il s'y fera.
Je fronce les sourcils et tapote l'épaule d'Evan qui a toujours la tête baissée, histoire de ne pas suivre la discussion. Il se redresse vivement vers moi, m'amenant à sursauter.
— Si tu ne souhaites pas m'aider, tu n'y es pas obligé, lui murmuré-je en signant afin qu'il soit en possibilité de me comprendre.
J'aperçois enfin ses yeux, si foncés qu'ils paraissent presque noirs. Ils sont d'un bleu marine que je n'avais jamais vu auparavant. Captivée par cette couleur singulière, je ne réagis pas pendant quelques secondes. Ses traits sont tirés ; sa mâchoire, serrée. Clairement, il n'a aucune envie de se trouver ici. Je ne désire vraiment pas le contraindre à devenir mon binôme. Il tourne la tête vers Terry et lui signe :
— Je t'ai dit que je ne voulais pas. Même elle l'affirme, alors ne me force pas.
— Nous avons un marché, Evan, tu t'en souviens ? rétorque-t-il.
Mon binôme s'enfonce dans son fauteuil tout en croisant les bras.
— Très bien, je vais vous laisser la petite salle pour que vous puissiez faire connaissance tranquillement.
Il nous y emmène et nous le suivons. Moi, peu assurée, et lui, en traînant des pieds. Cela promet d'être captivant.
— Evan, fais un effort, tu veux ? lui demande Terry en croisant les bras.
Le principal intéressé hoche très légèrement la tête. Le gérant de l'association sait comme moi qu'il n'y mettra pas du sien. Il me donne un petit sourire d'encouragement avant de fermer la porte derrière nous.
Mon collègue va s'asseoir sur une chaise et sort son téléphone, pianotant dessus. Je soupire légèrement : cela se montre bien plus compliqué que ce que j'imaginais. Je m'installe à côté de lui tout en décidant de ne pas prendre de notes : il risquerait de se braquer, empirant encore plus les choses.
Le silence présent me donne matière à réfléchir. Mon binôme semble être tout sauf volontaire. Si bien que je me questionne quant au marché qu'ils ont bien pu passer. Quelle est la contrepartie si importante ? Qui le convainc de m'assister ?
Il se cloître à nouveau en refusant de me regarder, nous empêchant ainsi d'entrer en contact. Il joue sur son écran, je me retrouve démunie. Je décide d'attendre qu'il en ait marre. Croisant les bras sur la table, je place mon menton sur mes mains entrelacées. Je peux être très patiente. Cela grâce aux interminables dîners familiaux auxquels j'ai dû assister sans pouvoir prononcer le moindre mot.
Pendant combien de temps suis-je restée muette ? Je n'en sais rien. En tout cas, Evan finit par poser son portable. Plus de batterie peut-être ? Dommage pour lui.
Il relève la tête vers moi, semblant un minimum calmé.
— Pouvons-nous échanger ensemble maintenant ? questionné-je tranquillement.
Il hésite quelques secondes, puis finit par acquiescer.
— Très bien. Préfères-tu que je parle ou que je signe ?
— Je suis certain que signer n'est pas naturel pour toi. Ça doit t'emmerder plus qu'autre chose.
Il me défie du regard, extrêmement méfiant.
— Je l'ai appris en cours. Si je te le propose, c'est que cela ne me gêne pas, expliqué-je avec mes mains.
Il ricane, se moquant ouvertement de moi. Vexée, je détourne les yeux. Ce monde silencieux représente toute ma vie. J'y travaille très dur, et que l'on puisse plaisanter de moi me blesse. La langue des signes incarne énormément à mes yeux : une échappatoire comme une passion. Décidant de prendre sur moi, je me tourne à nouveau vers lui. Il a toujours son sourire moqueur au coin des lèvres.
— Très bien, je vais te parler, dans ce cas, tranché-je durement.
Il hausse un sourcil devant mon changement d'expression, sans effacer pour autant son rictus suffisant.
— Quel âge as-tu ?
— Tu me donnes combien ?
Étonnée par sa façon de retourner les conversations, je mets une poignée de secondes avant de lui répondre. Il donne l'impression d'être plus âgé que moi, mais, en réalité, je n'en sais strictement rien.
— Vingt-deux, dis-je à tout hasard.
— Raté, vingt-cinq.
Et une information de gagnée ! Victorieuse, j'acquiesce, puis décide de lui expliquer mon projet, dans les grandes lignes. Il m'observe, totalement neutre.
— Donc, tu vas me suivre tous les jours pendant trois mois ?
— Non ! m'exclamé-je. Pas continuellement. Toutefois, j'aimerais t'accompagner pendant ta vie quotidienne.
— Ici, ça ne te suffit pas ?
— Non. Dans cet endroit, tu n'es pas confronté aux problèmes extérieurs.
— Parce que tu ne me vois seulement comme une personne qui ne sait pas se débrouiller seule ? s'énerve-t-il.
Je lâche un hoquet de surprise, ne m'attendant certainement pas à ce qu'il le prenne aussi mal. J'ai été maladroite...
— Pas du tout ! Je n'ai jamais dit ça, je m'empresse de me défendre, embarrassée.
Il reste mutique, ce qui me frustre encore plus. Ses bras à nouveau croisés me prouvent qu'il se trouve maintenant en position de défense.
— Je ne te considère pas comme quelqu'un de défaillant. Rien ne peut m'amener à penser une chose pareille.
Toujours aucune réaction. Je soupire longuement. Établir un lien ne semble facile ni pour lui ni pour moi. Je décide donc de dévier la discussion, comme il l'a fait précédemment.
— Très bien, nous commencerons par nous rencontrer ici, si tu veux. Lorsque tu l'accepteras, nous sortirons. Cela te convient mieux ainsi ? proposé-je, peu confiante.
Voyant qu'il hésite, j'ajoute :
— Je ne viendrai pas tous les jours ni même toute la journée. Tu n'as qu'à me préciser ce qui t'arrange et je m'adapterai.
Evan finit par hocher la tête, mais pas de bonté de cœur. L'air renfrogné, il ne réplique strictement rien.
— Et si aujourd'hui nous commencions par nous organiser ? Comme ça, tu auras le temps de réfléchir à ce que tu veux me dire et à ce que tu ne souhaites pas partager avec moi.
Il opine à nouveau du chef. Sur une feuille de mon bloc-notes, je trace une grille, représentant les jours de la semaine, tout en sentant son regard curieux. Perturbée, je continue mon quadrillage, les traits légèrement tordus. Une fois terminé, je fais glisser le papier vers lui.
— Inscris-moi tes dates, nous en discuterons après.
Il s'exécute, notant des lettres sur la page, laissant des blancs à certains endroits. Il finit par me rendre mon tableau. Nous nous accordons rapidement sur les créneaux qui nous satisfont le plus. Je les entoure pour m'en souvenir lorsqu'Evan passe sa main devant mon visage, pour attirer mon attention.
— J'ai une question.
Soudainement, il semble tout gêné. Je hausse un sourcil, intriguée par son changement de comportement.
— Tu peux m'écrire ton prénom ? Ou le signer : je ne l'ai pas compris. Terry l'a prononcé trop vite, tout à l'heure.
Je souris légèrement en voyant qu'il perd ses moyens. Dans un coin de ma feuille, j'inscris les trois lettres de mon nom. Il attire la fiche à lui et décrypte ce mot avant de me la rendre. Il hoche la tête en signe de reconnaissance.
Peut-être pourrons-nous trouver un terrain d'entente plus facilement que prévu...
* * *
Je passe la porte de chez moi avant l'heure programmée, fière de ma journée. Je retire mes chaussures et ma veste avant de ranger le tout dans le meuble prévu à cet effet.
— Bonsoir, dis-je en entrant dans le salon où se trouvent mes parents.
Ils me saluent d'un simple hochement de tête.
— Je vais travailler à l'étage.
— Très bien, répond la voix grave de mon père.
Je monte l'escalier, pressant le pas en direction de ma chambre. Elle s'avère on ne peut plus sobre. Il y a peu d'éléments de décoration, aucune photo, aucun vêtement qui traîne. Le lit a été fait par mes soins, ce matin. Je m'assois face à mon bureau, puis sors mes documents. Pour l'instant, Evan et moi nous verrons trois après-midis par semaine. Déjà qu'il n'est pas volontaire pour m'aider, je ne voulais pas en plus envahir son quotidien. C'est beaucoup lui demander, je saurai m'en contenter.
Je sors une feuille vierge et note tout ce dont je me souviens. Son prénom, son âge, sa façon de détourner la conversation. Le fait qu'il refuse d'utiliser la parole me semble être quelque chose de tout sauf anodin. J'inscris donc ce détail dans un coin de la page.
Nous nous sommes échangé nos numéros de téléphone, au cas où l'un de nous deux ne serait pas disponible pour nos entrevues. Du moins, de mon côté, il n'y aura pas ce genre de problème : je n'ai rien d'autre à gérer dans ma vie. Strictement rien...
Mes parents ont tout fait pour m'éloigner des autres. Même s'ils n'exercent aucune maltraitance physique à mon encontre, leurs sévices sont plutôt d'ordre psychologique. Au début, mes amies me plaignaient. Mais, à force de ne jamais pouvoir me voir, elles se sont éloignées.
Quant aux garçons, vous vous doutez bien qu'il ne s'est jamais rien passé. La pauvre introvertie, cloîtrée chez elle, ne les a jamais intéressés.
Même si je comprends ses raisons, j'en veux à mon frère de nous avoir quittés. Au moins, quand il était là, je me sentais moins seule.
Lasse, je lâche un soupir, puis range mes papiers dans leur pochette attitrée. Je suis impatiente de passer du temps avec Evan. De sortir d'ici. De rencontrer du monde. Cette association grouille de vie et il me tarde déjà d'y retourner.
Plus que quelques mois à attendre. Par la suite, la liberté s'offrira à moi.
Enfin, je l'espère...
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