Chapitre 49 - Maeve

19 novembre, 11:42 p.m.


Se retournant encore et encore jusqu'à entortiller les draps autour de son corps, Maeve ne parvenait pas à trouver le sommeil. Un étrange sentiment l'habitait depuis la seconde où elle avait rencontré Mme Embershadow.

Une impression de déjà-vu.

Seulement, c'était impossible. Elle ne pouvait pas l'avoir rencontrée auparavant – Hailey lui avait dit, alors qu'elle l'amenait à son tout premier cours, qu'elle avait été envoyée dans ce monde à seulement quatre ans, soit un an avant sa naissance.

Au fond, qu'était-elle sûre de savoir ? Pas grand-chose. Si elle avait pu se fier à son instinct, elle se serait endormie à poings fermés, car ce n'était pas un mauvais pressentiment qu'elle ressentait à l'égard de Mme Embershadow, mais une confiance aberrante, une étrange sensation de sécurité. Cependant, elle avait appris que croire en son opinion était un cruel manque de jugement et elle en était réduite à se demander dans quelle mesure elle pouvait se faire confiance.

Elle allait se résoudre à régler l'affaire le lendemain et à s'accorder les quelques heures de sommeil que son corps réclamait à grands coups de paupières mi-closes et de maux de tête lancinants lorsqu'un son sec la fit se redresser brusquement. Bien qu'elle n'eut élu résidence à Westwood que depuis quelques jours, elle reconnut le bruit instantanément et son rythme cardiaque s'emballa.

C'était le son d'une poignée de porte que l'on abaissait. Elle ouvrit grand les yeux, ignorant les tâches noires qui dansaient dans son champ de vision, et fixa la porte de sa chambre, dont la poignée métallique captait la lumière de la Lune à travers les volets tirés. Lorsque le morceau de fer s'inclina lentement, elle fut prise de la peur panique qu'elle avait ressenti tant de fois dans une autre chambre, lorsqu'une autre porte s'ouvrait. Qui que soit le visiteur, ses intentions seraient probablement les mêmes que celles de Luck ; blesser, brûler, briser.

Maeve se jeta sous ses couvertures, tremblante, tentant en vain d'avoir l'air de quelqu'un qui dormait paisiblement alors qu'elle parvenait à peine à respirer. Les doigts crispés sur son édredon, le visage enfoui dans son oreiller et un cri coincé dans la gorge, elle attendit patiemment sa sentence.

— Bonsoir, Maeve, murmura une voix qui coupa sa respiration

Il s'agissait, sans le moindre doute possible, de la voix de Claire. Certes, avec des intonations plus sérieuses et peut-être une pointe d'amusement frelaté, mais il n'y avait aucune autre possibilité.

— Donc tu vas me tuer, déclara l'adolescente, placide, en s'asseyant sur son matelas

Claire haussa les sourcils, visiblement surprise de la voir réveillée. Cependant, son étonnement laissa vite place à une satisfaction non dissimulée, et elle s'approcha jusqu'à ce que ses genoux touchent le bord du lit de Maeve, qui se tassa dans le coin de celui-ci. L'intruse, apparemment ravie de la situation, fit scintiller un objet dans le clair de Lune.

Non, refusa Maeve, incapable de comprendre comment ou même pourquoi elle avait l'artefact en sa possession.

Claire lâcha un petit rire dénué de joie et fit tournoyer le poignard entre ses doigts avant de le pointer sur l'adolescente, qui fixa le tranchant de l'arme avec un mélange de peur et de dégoût. Elle avait promis à Helena, Mme Embershadow et Hailey de renoncer à tout autre tentative de suicide. Or, c'était précisément avec cette dague qu'elle avait, sans grand succès, essayé de mettre fin à ses jours. Cela comptait-il comme un manquement à sa promesse de laisser quelqu'un d'autre la tuer ? Probablement pas. Après tout, elle ne faisait que rendre sa mort plus rapide. Un combat serait inutile ; Claire était bien plus forte qu'elle physiquement parlant, et contrôlait parfaitement ses pouvoirs. Elle ne parviendrait qu'à attiser sa colère et ajouter de nouvelles cicatrices à son palmarès.

— Ne bouges pas, murmura la jeune fille en passant le fil de la lame sur son pouce

Elle arma son bras, un sourire extasié aux lèvres, et Maeve ferma les yeux en espérant qu'elle savait viser, pour qu'au moins sa mort ne soit pas une lente agonie.

Bouge ! ordonna une voix dans sa tête qui n'était ni la sienne ni celle de quelqu'un d'autre alors que la lame n'était plus qu'à une vingtaine de centimètre de ses côtes

Son corps réagit avant qu'elle ait pu le décider et elle bondit de son lit pour se glisser derrière Claire et s'emparer du poignard, qu'elle tendit à bout de bras pour tenir l'adolescente loin d'elle. Cette dernière, stupéfaite, fixait tout à tour son oreiller à présent esseulé et sa lame qui, pour une fois, la protégeait au lieu de couper sa peau.

— Toi, ne bouges pas, répliqua-t-elle avant d'écarquiller les yeux, se sachant inapte à proférer de telles piques

Son interlocutrice serra les poings et envoya un coup dans l'épaule de Maeve, qui lâcha son arme sous le coup de la douleur. Le métal tinta contre le sol et Claire le ramassa prestement avant de l'élever au-dessus de sa tête et de l'abattre violemment sur le bras de sa victime, qui étouffa un cri d'une main, s'aidant de l'autre pour se redresser.

— Tu vas mourir, oui ?! vociféra Claire en levant à nouveau le poignard

— Ça suffit, ordonna une voix depuis la porte, dont l'écho surnaturel se réfracta contre toutes les surfaces disponibles

Claire s'immobilisa puis, une expression horrifiée sur les traits, desserra son emprise sur la dague, que Maeve rattrapa au vol, et approcha ses mains de sa gorge avant d'y appliquer une pression suffisante pour que son visage prenne une teinte rouge quelques secondes plus tard.

Un claquement de chaussures contre le parquet résonna dans la pièce et Maeve plissa les yeux pour tenter d'identifier son sauveur – qui ne tarderait pas à devenir un assassin s'il ne relâchait pas son emprise psychique sur Claire. La jeune femme qui l'avait abordée dans un couloir pénétra dans le rai de lumière projeté par la Lune, les iris débordants de magie. Sans un regard pour l'adolescente, elle se planta devant Claire, dont le visage tournait au violacé.

— Tu vas quitter Westwood, et ne plus jamais y revenir, déclara calmement la nouvelle venue. Si tu remplis cette condition, j'accepterais de te libérer.

L'intéressée hocha rapidement la tête, les yeux exorbités, et tomba à genoux en avalant de grandes goulées d'air qui la firent tousser lorsque l'inconnue relâcha sa capacité hypnotique. Cette dernière tendit la main vers Maeve sans la regarder, et l'adolescente y déposa le poignard sans savoir si c'était ce qu'elle attendait. Apparemment oui, car elle s'accroupit devant Claire, la pointe de la lame dirigée vers son cou, qui arborait à présent des marques de doigts rougeâtres.

— Je te laisse une demi-heure, après quoi je considèrerais notre accord caduc. Compris ?

— Une demi-heure ?! s'étrangla la concernée d'une voix déformée par son étranglement. Mais il fait nuit noire !

— Parfait pour quelqu'un qui veut disparaître à jamais, rétorqua la jeune femme d'un ton sans appel. Tu devrais te dépêcher de faire tes affaires.

Claire soutint son regard quelques instants puis baissa les yeux et sortit de la chambre à grands pas. Maeve, soufflée par l'immense quantité de magie qu'avait dégagé sa sauveuse, se tourna vers elle en espérant qu'elle la remarque enfin.

— Oh, je t'ai vue, lui assura l'étudiante sans pour autant daigner lui faire face. Simplement, tu m'aurais déconcentrée. Ou plutôt, je me serais déconcentrée du fait de ta présence. J'ai des questions à te poser ; sois tu y réponds, sois j'irais chercher la réponse dans ton esprit. Edaline m'en a donné l'autorisation. En ce moment même, je vérifie simplement que tu n'as aucune intention néfaste. Mais cela ne semble pas être le cas alors...

Elle se tourna enfin vers elle, un sourire poli aux lèvres.

— Aerin Claws, se présenta-t-elle en lui tendant la main

— Maeve Erin, répondit cette dernière en acceptant la poignée de main. Comment fais-tu pour user de tant de magie à la fois ?

— C'est moi qui pose les questions.

— Mais tu es dans ma chambre. Il me semble que tu me dois un minimum d'explications concernant ta présence ici, pourquoi tu m'as sauvée et... qui tu es, argumenta Maeve avant de rougir – apparemment, l'audace ne durait qu'un temps

Aerin inclina la tête puis les coins de ses lèvres s'ourlèrent imperceptiblement. Elle lança le poignard de Maeve dans les airs, le rattrapa du bout de l'index, d'où une goutte de sang perla, et le tendit à l'adolescente.

— Ceci t'appartient, si je ne m'abuse.

— Gardes-le. S'il-te-plaît.

Devant l'air circonspect de la jeune femme, Maeve ajouta :

— J'ai beau faire au mieux pour respecter mes engagements, je ne me fait pas assez confiance pour posséder une arme. Surtout celle-ci.

— Mais tu ne me connais pas. Je pourrais venir la nuit prochaine et te trancher la gorge. Donnes-le à quelqu'un en qui tu as confiance, petite fille.

Maeve ne releva pas le surnom, ne sachant trop s'il s'agissait d'une pique ou d'un simple fait. Quoiqu'elle ne soit plus une enfant depuis bien longtemps.

Comme pour lui donner tort, Aerin lui ébouriffa les cheveux et posa la dague sur son bureau.

— Après réflexion, tu as raison. Je te dois peut-être quelques éclaircissements. Mais il serait impoli de te laisser comme ça.

— Comme ça comment ? s'enquit la jeune fille en fronçant les sourcils

Son interlocutrice la désigna d'un geste provocateur et Maeve baissa les yeux sur son corps tremblant. Ses mains, dont les doigts s'étaient emmêlés sans qu'elle s'en rende compte, étaient parcourues de spasmes si forts qu'ils se répercutaient dans son échine.

Aerin la prit par les épaules, la guida jusqu'à son lit en la portant à moitié – ses jambes refusaient de coopérer – et l'enveloppa dans sa couverture.

— Mieux ? demanda doucement l'étudiante en frictionnant les bras de l'adolescente pour en chasser les frissons

— Oui, marmonna Maeve, qui se rendait compte à quel point elle était incapable de s'occuper d'elle-même

— C'est normal d'avoir peur, la réconforta Aerin en lissant la housse d'un oreiller. Quelqu'un a essayé de te tuer en pleine nuit. Tu devrais verrouiller ta porte. La plupart des élèves ne te feront aucun mal mais quelques plaisantins pourraient s'amuser à te réveiller aux alentours de deux heures du matin.

L'adolescente hocha la tête, bien qu'elle ne sut pas tout à fait comment faire. Elle demanderait à Hailey le lendemain. Après tout, la bonté d'Aerin avait sans doute ses limites – qui se situaient probablement avant le stade d'aider une idiote à fermer une porte.

— Tu es bien cruelle envers toi-même, petite fille. Quoi qu'il en soit... recréé tes barrières mentales. Elles ont dû tomber pendant ton... meurtre.

Maeve ferma aussitôt les yeux, tentant de visualiser l'étrange bulle protectrice qu'elle avait étendue autour de son esprit. Elle posa la paume de sa main sur la surface tiède et une matière aussi solide que du verre trempé recouvrit son esprit. Après une profonde inspiration et un léger sourire en constatant que l'exercice devenait familier, elle bascula dans le monde physique pour se retrouver face à une Aerin au rictus amusé.

— Bien. Maintenant... je suis ici car je pensais pouvoir t'examiner pendant ton sommeil. Cela dit, je serais venue quand même parce que j'ai croisé la demoiselle qui voulait te tuer dans un couloir et, bien que ce soit techniquement interdit par le règlement, je me suis introduite dans ses pensées. Comme elle semblait vouloir mettre fin à tes jours, je me suis dit qu'il vaudrait mieux passer faire un tour ici. Et... je suis une élève de Westwood, comme toutes les probabilités l'indiquaient. Je fais partie de l'Élite et de l'équipe de recherches démoniaques. Hum... je suis la cheffe des deux. Et... en dernière année. Mais toi, petite fille, qui es tu ? À part la fameuse "je-Maeve-quinze-je-crois" dont on parle tant.

La concernée sentit le rouge lui monter aux joues et elle serra la couverture autour d'elle.

— Je suis Maeve, répondit-elle simplement

— Mais encore ? Pars du principe que je ne sais presque rien de toi à part tes pouvoirs, ton étrange facilité à manier les capacités et ton dérapage lors de ta présentation.

— Alors tu sais tout, grommela l'adolescente en enfouissant son visage sous l'édredon

Aerin haussa un sourcil puis rejeta brusquement la couverture, saisit le bras de Maeve et tira violemment son poignet pour forcer la jeune fille à quitter son cocon. Redevenant parfaitement calme en une fraction de secondes, elle suivit de l'index le tracé des cicatrices rosâtres qui cisaillaient sa peau.

— Ça, c'est ton frère... murmura-t-elle en longeant les amas de lignes désordonnées de son avant-bras. Et ça, c'est toi, ajouta-t-elle en désignant les treize lignes parfaitement droites sous son coude. À quel point ça te fait mal, quand tu te coupes ?

Maeve ne répondit pas, s'étant transformée en statue gelée. L'étudiante la secoua par l'épaule et, comme réveillée d'un cauchemar, l'adolescente bondit en arrière en serrant son bras contre sa poitrine. Son dos heurta le mur et sa tête cogna le rebord du lit alors qu'elle retombait, la faisant grimacer de douleur. Le crâne parcouru de douleurs se répercutant contre elles-mêmes, elle se recroquevilla sur son matelas et laissa les larmes couler sur ses joues, se refusant à les montrer à Aerin. Cette dernière, semblant bien peu sensible à sa violente chute, la redressa de force et plaqua ses épaules contre le mur pour l'empêcher de se cacher de nouveau.

— Laisse-moi, protesta Maeve en se débattant faiblement

— Arrête de bouger, ordonna son interlocutrice d'une voix chargée de magie

L'adolescente serra les dents, sentant l'esprit d'Aerin tenter de recouvrir le sien. Sa magie arrivait par vagues de fumée, toutes plus puissantes les unes que les autres, et les défenses de Maeve ne purent rejeter que les premières salves avant d'être submergées. Elle sentit son esprit s'éloigner de son corps malgré ses débattements puis la magie d'Aerin disparut aussi vite qu'elle était apparue, laissant l'adolescente regagner son libre-arbitre avec un brutal choc mental qui lui coupa momentanément la respiration. Certaine d'être à présent libre, elle rejoignit le monde réel mais, contrairement à ce qu'elle avait cru, l'étrange démarche de la cheffe de l'Élite ne semblait pas se limiter au monde psychique ; dès son retour dans le réel, Aerin plaça la lame du poignard contre la gorge de la jeune fille, qui ne put que soutenir le regard luisant de pouvoir de l'étudiante.

— Défends- toi, siffla-t-elle en faisant glisser le fil de la lame sur le cou de l'adolescente jusqu'à ce qu'un filet de sang tâche sa peau pâle

Oh. Donc c'est un exercice, comprit Maeve sans esquisser le moindre geste. Elle veut probablement tester mes limites pour... quoi, au juste ? Quoi que ça n'ait pas beaucoup d'importance présentement...

Le poignard, dont le métal froid se réchauffait peu à peu au contact de son sang, coulissa de nouveau sur sa peau, approfondissant l'entaille qu'il avait causée quelques secondes auparavant. Aerin, la main stable et les yeux placides, ne semblait pas inquiétée le moins du monde par la perspective de tuer l'adolescente, et appuya encore son arme contre la gorge de cette dernière.

La jeune fille réagit enfin, agrippant vaguement le poignet de l'étudiante en essayant de l'éloigner d'elle alors qu'elle dépliait imperceptiblement ses jambes dans une tentative de fuite qui pourrait, avec un peu de chance, la mener vers une situation plus favorable à sa victoire – quoiqu'Aerin souhaitât probablement plus l'évaluer que gagner le combat. Celle-ci plongea son regard luisant dans les yeux lilas de Maeve, inclinant sa lame pour assurer sa prise sur le manche de ce dernier.

— J'ai dit : défends-toi, grinça la cheffe de l'Élite en se servant de sa main libre pour décrocher celle de Maeve de son bras

Considérant le geste comme un signal, l'adolescente prit appui sur le mur pour se projeter sur le tapis de sa chambre, qui eut le mérite d'amortir sa chute et l'inconvénient d'absorber le sang qui coulait de son cou et qui serait, selon son expérience, presque impossible à laver.

Sans laisser plus de place dans ses pensées à la lessive, elle se releva précipitamment en veillant à rester loin des coins de la pièce, où Aerin aurait un avantage considérable. Cette dernière se releva tranquillement, essuya la lame du poignard contre sa chemise, qui se couvrit de rouge, puis reporta son attention sur Maeve, qui déglutit difficilement.

— Tu as peur de moi ? demanda la jeune femme dans un souffle

Sans laisser le temps à l'intéressée de répondre, elle se jeta sur elle, son poignard tourné vers ses côtes. L'adolescente esquiva de justesse, sans parvenir à éviter la dague complètement, dont la garde percuta sa tempe. Des tâches noires devant les yeux, elle recula maladroitement, ses mains levées devant elle rempart éphémère, entendant Aerin se rapprocher, faute de la voir.

— Arrête, haleta-t-elle, considérant enfin la quantité de sang qui coulait de son cou. S'il-te-plaît, ajouta-t-elle après réflexion

L'étudiante, ne semblant pas l'entendre, se rapprocha encore, jusqu'à ce que Maeve sente physiquement sa présence. Un long silence passa, durant lequel l'adolescente tenta vainement d'endiguer le flot de sang, dont la perte étrécissait son champ de vision. Alors qu'elle sentait ses yeux se révulser malgré elle et le monde tanguer dangereusement, les bras d'Aerin étreignirent son être, s'enroulant autour de ses épaules aussi doucement qu'une couverture de soie. Maeve resta un instant dans l'ignorance, son évanouissement imminent rendant peut-être sa réflexion moins aiguisée, puis elle remarqua la pointe du poignard dans son dos, contre son cœur. Elle avait beau n'être que posée, à peine appuyée contre sa peau, les larmes perlèrent à ses yeux.

Les ténèbres envahirent ses pensées alors qu'elle sombrait dans un sommeil lourd, épargné par les cauchemars qui la hantaient habituellement.

La dernière chose qu'elle sentit avant de succomber à la noirceur fut le retrait de la lame contre son dos et les battements réguliers du cœur d'Aerin contre le sien.

≈ ᚖ ᚖ ᚖ ≈

Alors qu'elle ouvrait les yeux, Maeve eut l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. L'odeur de désinfectant et de cannelle qu'elle avait sentie quelques jours plus tôt envahissait ses poumons. Elle porta aussitôt la main à ses côtes, où elle sentit comme elle s'y attendait les bandages que Helena lui avait apposé. Mais après tout, elle les portait aussi lorsqu'Aerin était entrée dans sa chambre, puisque l'infirmière les avait changés deux jours auparavant.

Quoi que non, trois, se corrigea l'adolescente en se rappelant qu'elle était le lendemain. Enfin, non. Elle était le lendemain de la veille. Sauf, bien sûr, si elle avait vraiment voyagé dans le temps et qu'elle n'avait pas encore commencé les cours.

La perspective de pouvoir recommencer les quelques jours qu'elle avait passé à Westwood la frappa de plein fouet et elle écarquilla les yeux devant la multitude de possibilités qui s'offraient à elle. Elle pouvait...

Quoi ? Modifier la discussion qu'elle avait eue avec Mme Embershadow ? Certainement pas. C'était lors de ce moment qu'elle s'était enfin mise à vivre, ne se contentant plus d'exister. Effacer le pari qu'elle avait gagné face à la directrice ? Non plus. Bien que les choses eurent pris un tournant incendiaire, elle avait enfin réussi à relâcher un peu de la tension qu'elle accumulait habituellement et, bien entendu, à trouver le moyen de bloquer ses pensées. Changer la catastrophique première impression qu'elle avait faite à sa classe ? Peut-être. Oui, si elle avait effectivement remonté le temps, elle ferait en sorte de ne pas se voir affubler d'un surnom ridicule.

— Oh, tu es réveillée ! lança doucement la voix de Helena, qui clôt la porte de son bureau derrière elle. Aerin vient de partir, je pense qu'elle est partie chercher Edaline. Elles seront là dans une minute.

Aerin ? Alors elle se trouvait bien dans le présent. Elle cligna des yeux plusieurs fois pour accoutumer ses yeux à la nonchalance qui l'habitat lorsqu'elle en prit conscience. L'étrange absence de larmes sur ses joues, qui lui prouvaient que ce n'était pas grave, lui procurèrent une délectable sensation de calme, un manquement évident et pourtant jouissif à l'habituel pincement au cœur lorsqu'elle remarquait que sa vie était réelle et que, non, elle ne se réveillerait pas à ses quatre ans, n'entendrait pas la voix de son père qui souhaitait une bonne journée à Luck alors qu'il se rendait à l'école.

La vérité était qu'elle n'avait pas envie que ces derniers jours partent en fumée. Elle se serait bien passée des rumeurs qui circulaient à son sujet, et du quasi meurtre qui avait eu lieu la veille, mais elle était véritablement soulagée de savoir qu'Aerin allait venir la voir bientôt et, si elle avait de la chance, qu'elle lui fournirait un minimum d'explications.

Comme si Maeve l'avait invoquée, la jeune femme passa la porte de l'infirmerie, accompagnée de la directrice de Westwood. Elles semblaient se disputer, bien que cordialement, mais s'interrompirent dès qu'elles constatèrent que la jeune fille les regardait.

— Pardon, s'excusa celle-ci en détournant le regard

— Ce n'est rien, lui assura Mme Embershadow en se pinçant l'arête du nez. Mais je persiste à croire que tu y es allée trop fort, lança-t-elle à Aerin avant de rejoindre le chevet de l'adolescente. Comment tu te sens ?

Maeve haussa les épaules et palpa son cou, entouré d'une bande de gaze protectrice.

— En vie, répondit-elle en jetant un regard étonné à Aerin

— Quoi ? Tu pensais sincèrement que j'allais te tuer ? railla la concernée en levant les yeux en ciel

Elle fit le tour du lit de camp pour se poster en face de Mme Embershadow en déposa quelque chose sur la table de chevet de la jeune fille alitée – quelque chose qui se trouva être un poignard au manche incrusté de pierres noires scintillantes.

— Je sais que tu ne veux pas le garder, mais je ne savais pas à qui le donner, alors je t'en laisse la responsabilité.

— Aerin ! la réprimanda Mme Embershadow en glissant le poignard dans sa poche. Comment te l'es-tu procuré ? Je l'avais donné à Hailey. Ça m'étonnerait qu'elle te l'ait cédé.

— C'est la gamine qui voulait tuer celle-ci qui l'avait. C'est tout.

— Attends... quelle gamine ? Comment ça, tuer Maeve ? releva la directrice en fixant tour à tour l'adolescente et Aerin, qui leva les yeux au ciel

— Si tu m'avais laissé t'expliquer... maugréa-t-elle en s'appuyant contre le mur

— Oui, eh bien, tu n'aurais pas dû commencer par : « Tu sais, la petite dont tu voulais que je m'occupe, je viens de l'emmener à l'infirmerie. »

Les deux jeunes femmes s'affrontèrent du regard quelques instants puis Maeve, sentant la tension empoisonner l'air, coupa court au silence :

— Claire. Elle a probablement pris le poignard dans la chambre de Hailey. Elle m'en veut pour je ne sais trop quelle raison et la nuit dernière, elle est venue pour essayer de me tuer. Aerin est intervenue, s'est servie de l'hypnose pour l'arrêter, lui a dit qu'elle avait une demi-heure pour faire ses affaires et s'en aller, puis... enfin. Vous savez.

Mme Embershadow, les lèvres pincées, fixait un point sur le mur, apparemment en proie à un tumulte de pensées. Aerin hocha la tête vaguement, confirmant les faits décrits par Maeve, et cette dernière se renfonça sous les couvertures, soucieuse de la réaction que pourrait avoir la directrice.

— Je vois, lâcha finalement celle-ci en se redressant lentement. Aerin, il me semble que je te dois des excuses. J'ai jugé la situation un peu vite. Mais tu aurais quand même dû...

— Je sais, soupira la concernée. Je ferais plus attention.

— Merci. Quant à toi, Maeve, fais bien attention à verrouiller ta porte la nuit, d'accord ? C'est plus prudent. Le point positif, c'est que le cas de Claire est réglé... quoique je ne sache pas exactement ce qu'il adviendra d'elle. Peut-être qu'il faudrait tout de même envoyer quelqu'un la chercher pour...

Elle s'interrompit brusquement et fixa Aerin, dont les yeux débordaient de magie. Maeve, silencieuse, observa tour à tour la directrice et la cheffe de l'Élite alors que les iris bleus de Mme Embershadow s'illuminaient à leur tour.

— Tu tiens vraiment à aller chercher une gamine qui veut tuer tes élèves ?

La voix d'Aerin résonna dans le crâne de Maeve, qui porta ses mains à ses oreilles dans une vaine tentative d'étouffer le son.

— Je ne compte pas lui faire intégrer le cursus scolaire, et elle ne saura rien des informations que nous avons. Mais nous ne pouvons décemment pas laisser une enfant mourir on ne sait trop où et comment.

— C'est stupide.

— Aerin...

— Non. C'est stupide, point. Si tu tiens à décimer tes élèves, c'est le meilleur moyen.

Mme Embershadow, l'air grave, soupira et ferma les yeux, qui reprirent leur aspect originel lorsqu'elle les ouvrit à nouveau. Aerin serra les dents et détourna le regard, consciente d'être allée trop loin mais bien trop certaine de ce qu'elle avançait pour faire marche arrière. Maeve observait fixement l'horloge accrochée au mur, certaine que la trotteuse laissait passer un siècle avant d'avancer d'un cran rien que pour l'enfoncer dans le lourd silence qu'avait installé la discussion muette des deux jeunes femmes.

— C'était de la télépathie, n'est-ce pas ? murmura l'adolescente en tentant de détendre l'atmosphère et, si possible, de glaner quelques informations sur les capacités

Personne ne lui répondit pendant une longue minute, puis Mme Embershadow laissa échapper une exclamation surprise et se redressa brusquement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Aerin

Sans répondre, la directrice empoigna les épaules de Maeve et la regarda droit dans les yeux.

— Oui. C'était de la télépathie, souffla-t-elle, les yeux écarquillés. Et tu as entendu notre conversation.

L'adolescente se rendit soudain compte qu'il s'agissait sans aucun doute d'une violation du règlement intérieur de Westwood ainsi que de la vie privée des interlocutrices qu'elle avait épié. Rougissant et tentant maladroitement de se cacher sous les draps immaculés du lit de camp où elle était étendue, elle se répandit en excuses marmonnées, que Mme Embershadow balaya d'un revers de main.

— Aerin, lança cette dernière sans quitter Maeve des yeux. Tu as fait attention à la sécurité du lien, n'est-ce pas ?

— Évidemment.

— Alors explique-moi comment elle a pu entendre notre conversation.

— Tu le saurais si tu m'avais un tant soit peu écoutée, Edaline. Et puis, je n'ai pas encore fini de la lire. Mais si tu me laisses cinq minutes avec elle...

La directrice sembla hésiter un moment puis relâcha son élève, s'éloigna d'un pas et invita Aerin à faire... ce qu'elle allait faire, quoi que ce fut.

Seule avec elle. Tu sais aussi bien que moi que l'état mental des gens est bien moins stable si quelqu'un les observe.

— Très bien... à condition de ne pas voir un cadavre à mon retour.

La cheffe de l'Élite se fendit d'un rictus peu rassurant dont Mme Embershadow sembla malgré tout se satisfaire, affichant un sourire amusé qui se refléta dans ses yeux. Elle fit un signe de la main aux deux élèves puis s'éloigna.

— Je m'excuse, lança Aerin avant que la directrice ne franchisse la porte. De t'avoir parlé comme je l'ai fait.

Le sourire de la concernée s'attendrit, et elle inclina la tête dans un geste qui sembla être un signal pour l'étudiante, qui traversa la pièce à grands pas pour enlacer sa professeure. Helena sortit de son bureau à ce moment et, après un regard doux à l'attention des deux jeunes femmes, tendit trois fioles à Maeve. Cette dernière, qui commençait, malgré ses réticences, à y être habituée, avala les élixirs colorés que lui avait prescrits l'infirmière. L'un deux, un liquide bleu tourbillonnant, brouilla sa vue et son ouïe, tant et si bien qu'elle se redressa d'un bond, certaine qu'elle venait de prendre un sédatif à son insu.

Helena l'empêcha de se lever d'une poigne douce mais ferme et la repoussa contre les oreillers.

— Mais c'est... commença l'adolescente, les mains tremblantes

— Ce n'est pas un sédatif, juste un calmant. Ne t'en fais pas.

Maeve, rassurée, reprit son souffle et ferma les yeux quelques instants pour permettre à son organisme de s'habituer à la mixture. Une chiquenaude portée à son front lui indiqua qu'Aerin avait laissé Mme Embershadow retourner à ses occupations et qu'elle souhaitait la lire – quoi que cela puisse vouloir dire. L'adolescente rouvrit donc ses paupières et accoutuma sa vue à la lumière désormais trop faible pour percer l'agréable brouillard mental que lui procurait l'élixir de Helena.

— Bon. Maintenant, on va discuter. Hier, je t'ai demandé qui tu étais, et tu ne m'as pas répondu.

— Si, se défendit la jeune fille en se remémorant la scène. J'ai dit que j'étais Maeve. Et tu sais déjà beaucoup de choses à mon sujet, pas besoin de m'épancher sur ma vie.

Aerin croisa les bras, s'appuya sur le mur le plus proche et toisa l'élève avec un regard tranchant qui la fit se sentir coupable sans qu'elle sache pourquoi exactement.

— Je n'ai pas toute la semaine, petite fille. Je vais te poser des questions et tu vas y répondre, vu ?

Maeve hocha la tête rapidement, déglutit et se redressa pour se donner une contenance. Il était fort probable que la cheffe de l'Élite n'ait pas besoin de sa capacité hypnotique pour faire parler les gens.

— Très bien. Alors dis-moi... quel effet ça te fait, quand il te frappe ?

L'emploi du présent, ou peut-être le ton qu'avais pris Aerin, fit trembler l'adolescente. Elle bredouilla quelques mots dénués de sens puis, les yeux dans le vague, chercha une réponse qui puisse satisfaire la jeune femme.

— C'est... ça fait mal, commença-t-elle, les doigts douloureusement noués. Et... et peur.

L'étudiante hocha la tête, pensive, et tira une chaise près du lit de camp de Maeve pour se laisser tomber dessus. La jeune fille, considérant que la distance qui les séparait devenait un peu trop courte, se racla la gorge pour ne pas avoir à parler et fit un ourlet avec sa couverture, lissant le tissu comme si le moindre pli pouvait lui être fatal.

— Pas de colère ? demanda Aerin, les yeux emplis d'un étonnement savamment exposé

— Non. Pourquoi ? s'enquit Maeve, ressassant ses souvenirs pour chercher la moindre trace d'énervement. Enfin, je ne crois pas, mais...

— Ce n'est pas un mal, l'interrompit la cheffe de l'Élite, visiblement amusée. C'est simplement que, dans ta situation, nombre de gens auraient fini par éclater et tuer leur bourreau. Mais j'ai cru comprendre qu'il était toujours en vie et que le meurtre pour lequel tu as été accusée n'est pas le sien mais celui de tes parents. Nouvelle question : comment tu te sens par rapport à ce meurtre, justement ?

L'adolescente soupira, les yeux clos, haussa les épaules et rejeta sa tête en arrière. Elle n'y avait jamais vraiment pensé. Lorsque son esprit avait émergé, que les démons avaient reflué, Luck l'avait éloignée de la scène de crime. Tous les invités étaient partis et il ne restait de vivant dans la maison des Erin que leurs descendants, tous deux devenus des criminels – seulement, l'une avait été dénoncée et l'autre courait encore, respecté par tous. Qu'était-elle censée ressentir ? Lorsqu'elle s'était réveillée, elle s'était retrouvée dans sa chambre, le corps criblé de morceaux de verre, du sang à moitié séché collant ses vêtements à sa peau. Elle était restée allongée là, pas tout à fait consciente, tentant en vain de comprendre pourquoi des dizaines d'éclats tranchants la transperçaient. Des heures plus tard, alors qu'elle songeait enfin à laisser partir le sang et le verre sous dans l'eau de la douche, Luck était entré en trombe, l'avait relevée de force et l'avait traînée jusqu'aux cadavres de leurs parents en lui criant de réparer ce qu'elle avait fait. Puis elle avait perdu connaissance, son corps et son esprit étant trop choqués et meurtris pour la garder éveillée.

Mais maintenant, après des années de détention durant lesquelles elles n'avait fait que lire et réfléchir ? Que pouvait-on ressentir devant le meurtre de nos propres parents, un meurtre que l'on nous accusait d'avoir commis mais dont nous ne gardons pas le moindre souvenir ?

— Je ne sais pas, répondit finalement Maeve dans un souffle. Je ne m'en souviens pas. J'étais déjà morte pour eux, d'une certaine façon – si tant est que j'aie existé à leurs yeux. J'ai... inversé la tendance.

Un silence qui ne trahissait nullement les émotions qu'Aerin éprouvait probablement face à de tels aveux – dégoût, colère, agacement – suivit ses paroles. Enfin, la jeune femme posa une main sur la joue de Maeve et en chassa une larme que sa détentrice n'avait pas senti couler.

— D'accord, murmura l'étudiante en recueillant une deuxième larme. C'est normal. Je comptais... je comptais t'embêter davantage avec les vieux souvenirs mais il semble... enfin, c'est suffisant pour le moment. En revanche, je suis obligée de te lire, que tu le veuilles ou non. Ou plutôt, tu as le droit de refuser, mais ça te rendrais très suspecte.

Maeve haussa les épaules, peu soucieuse du regard que les autres pouvaient porter sur elle – après tout, elle était déjà la risée du campus grâce à son entrée en matière pour le moins surprenante.

— Fais ce que tu veux, grommela-t-elle en essuyant ses joues maculées de larmes.

Aerin hocha la tête et se redressa sur sa chaise avant de prendre une grande inspiration et de tendre les mains au-dessus de Maeve, ses paupières entrouvertes laissant paraître la lueur de ses iris dorés.

L'adolescente, ne sachant pas exactement ce qu'elle était censée faire, ferma les yeux et glissa dans le monde mental, espérant y trouver plus d'explications. Une fois dans sa bulle protectrice, dont elle testa la solidité au passage, elle observa les allées et venues de l'esprit d'Aerin autour du sien. Étrangement, elle ne semblait pas chercher à franchir ses barrières et se contentait de les effleurer, de les observer sous toutes les coutures comme pour en percer les secrets.

La représentation mentale d'Aerin se forma peu à peu à l'extérieure de la bulle de Maeve, faite de fumée bleue et or. Elle posa la main sur la surface tiède qui constituait les défenses de l'adolescente, et fit un signe de tête à la jeune fille, l'invitant à la rejoindre.

— Tu dois m'autoriser à entrer, dit la cheffe de l'Élite d'une voix troublée par la matière qui la séparait de son interlocutrice. Pose ta main en face de la mienne.

L'élève s'exécuta et une force invisible maintint sa main contre la paroi de la bulle, qui se réchauffa à son contact. Un rectangle se découpa lentement dans la barrière mentale, permettant à Aerin de pénétrer dans l'esprit de l'adolescente. Dès qu'elle fut entrée, l'ouverture se referma, sans aucune trace de son existence passée.

— Bien. À présent, un canal télépathique lie nos esprits. Tu n'as jamais usé de la télépathie, je me trompe ? interrogea la jeune femme en tournant autour de Maeve, apparemment intriguée par son apparence, trop humaine pour ce lieu empli de magie

— Non, jamais, répondit la jeune fille en tâchant d'ignorer le regard curieux que posait l'étudiante sur elle

— Bon. Il te suffit de... d'imaginer ton interlocuteur devant toi, et de lui transmettre ton message. Au départ, il ter faudra beaucoup de concentration et ce sera probablement fatiguant, surtout si tu communiques avec quelqu'un qui, comme toi, à peu d'expérience, mais cela deviendra plus facile avec le temps. Nous essaierons plus tard, lorsque je ne serais plus dans ton esprit, d'accord ? Nous avons d'autres choses à faire pour le moment. Tu n'es pas obligée de venir, tu peux même retourner dans le monde physique, ça ne changera rien pour moi. Il faut simplement que je me rende à ton noyau émotionnel. Oh, ce n'est pas grâce aux capacités que je peux le faire, c'est avec mes pouvoirs. Tout le monde ne pourra pas y accéder, ne t'en fais pas.

— Pourquoi devrais-je m'en faire ? s'enquit Maeve en tournant pour elle-même pour chercher ledit noyau. Qu'est-ce qu'il s'y trouve ?

Aerin la prit par les épaules pour qu'elle cesse de tournoyer, un sourire amusé ourlant ses lèvres.

— Tu n'as pas à t'inquiéter si tu n'as rien à cacher. Rien de néfaste, j'entends. Ton noyau émotionnel est le lieu le plus pur de ton esprit. Les pensées, comme les sentiments, peuvent être corrompus par divers facteurs. Pour une représentation plus simple, on peut dire qu'un noyau émotionnel est comme un cœur. C'est là que se trouvent tes émotions dans leur état le plus naturel, ainsi que tes principes majeurs. Là, on peut apprendre jusqu'où tu serais prête à aller pour obtenir ce que tu veux, et les limites que tu tiens à ne pas franchir. Les exceptions à ces limites, qui sont souvent des personnes aimées pour qui on serait prêt à donner notre vie – et à en prendre d'autres. En bref, le noyau émotionnel est ce qui définit ta nature profonde.

L'adolescente, restée coite pour absorber toutes les informations que lui avait fournies la jeune femme, retenant même son souffle pour ne pas perturber l'ordre des choses, s'autorisa enfin à souffler.

— Est-ce que ça révéleras aussi si je suis faible ou non ? De nature, je veux dire, précisa la jeune fille en espérant à la fois que l'expérience lui permettrait de savoir ce qu'il adviendrait d'elle et qu'il soit impossible de le découvrir

— Non, petite fille, la faiblesse est un état d'esprit et il n'est donc pas fondamental. C'est une des nombreuses choses qui changent au cours de ta vie, souvent assez brutalement. Mais ce n'est pas le sujet ; suis-moi. Si tu en es capable, ajouta Aerin avec un sourire railleur

Elle s'élança dans les airs, traversant le tiers de l'espace que protégeait la bulle en un unique saut. Maeve, sachant qu'il était possible de tout contrôler dans son esprit mais pas comment faire, se contenta de courir à la poursuite de la cheffe de l'Élite – une tâche difficile, car cette dernière se mouvait si vite qu'elle en devenait floue aux yeux de l'adolescente.

—Attends... moi ! lança-t-elle en espérant qu'Aerin l'entende, au moins

Ce ne fut pas le cas – ou alors la jeune femme n'avait simplement pas envie d'attendre – et Maeve dut puiser dans ses réserves pour ne pas s'écrouler. Elle courait vite, oui, mais l'endurance n'avait jamais été son fort, aussi ne rattrapa-t-elle l'étudiante que lorsque celle-ci se fut arrêtée tout en bas de la bulle, sous les traînées fumeuses mauves et blanches qui composaient son esprit.

— Prête ? demanda Aerin

Sans attendre la réponse de Maeve – qui ne serait jamais venue de toute manière – elle appuya sa paume contre le sol de la bulle, et une nouvelle ouverture se créa dans la sphère, les entraînant dans un flot de ténèbres et de néant.

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