La cape noire flottait au vent, frôlant le svelte corps de la Nanadaime. Le chapeau rouge couvrait les longs cheveux roses tressés sur lesquels une pluie crachinait. Ce n'était pas jour de fête comme l'inauguration d'un nouveau chef de village aurait dû l'être. Aucun applaudissement ne pouvait être entendu, seulement la respiration de Sakura. Personne ne courait les rues ou ne se bousculait pour avoir un aperçu de la médecin. C'était à peine s'il restait une quelconque chose ressemblant à des rues. Des bâtiments étaient effondrés çà et là, des tombes que personne n'avait creusées. Des vestes vertes décoraient certaines fois ces fosses. Une couleur détonante au milieu du sang brun s'écaillant. Un fluide que ses amis avaient déversé dans le vain espoir que la médic-nin les sorte de cette situation. Oh, comment ils avaient eu tort. Elle n'avait réussi qu'à rendre leur sacrifice inutile et à hanter ses futures nuits de cauchemar. Pourtant, malgré la culpabilité qui la rongeait tout entière, pas une seule larme ne bordait sa joue. Ses pleurs s'étaient taris en même temps que le village l'avait fait et aujourd'hui, elle lui tournerait le dos pour l'ultime fois. Sakura tournerait le dos à sa famille, à ses camarades, à ses collègues, à ses citoyens avec ce chapeau qui constituait la dernière preuve de sa faiblesse. Inspirant la brise cinglante, elle adressa une prière silencieuse à Lucifer, le priant de la laisser languir sa souffrance. Une œillade finale à ce que ces ruines constituaient était tout ce qu'elle semblait pouvoir fournir sur l'instant. Toutefois, quand son nom fut murmuré par la seule voix qui lui permettait de rester saine d'esprit, l'Hokage eut la force d'adresser un sourire à son village avant de se retourner vers sa sauveuse. Des mains qu'elle avait embrassées à maintes occasions vinrent saisir le vêtement sur sa tête. Doucement, Hinata déposa le couvre-chef par terre, une ultime offense à ces gens que le duo avait promis de protéger. Une résignation qui les hanterait jusqu'à ce qu'elles se retrouvent six pieds sous terre. Un jour qu'elles attendaient avec impatience.

Un groupe de cent personnes faisait face à la médecin. La plupart ne la regardait pas, trop perdus dans une utopie où il ne restait pas que du monde shinobi des ruines, mais une seule paire d'yeux importait à la femme. Celle qui l'avait convaincue de se tenir devant ces gens désespérés. Ne quittant jamais du regard ces prunelles, elle laissa sa voix porter des mots vides de sens dans cet univers dévasté. Toutefois, Sakura eut rapidement l'attention des quelques humains supportant encore de voir la réalité. Elle ne promettait rien. Elle ne leur assurait pas que la vie deviendrait plus belle. Non, elle ne faisait qu'un résumé de ce qui les attendait. L'ancienne Hokage ne mâchait pas ses mots, crachant la vérité brûlante hors de sa gorge et leur proposant cette voie de sortie considérée comme le plus grand péché. Les quelques-uns l'écoutant la fixèrent avec respect. La ninja ne prétendait pas pouvoir les aider à grimper hors de ce trou sans fond dans lequel ils étaient tous tombés. Comment le pourrait-elle quand elle avait sombré aussi profondément ? Ils la respectaient pour ça, parce qu'elle ne cachait pas sa propre douleur, parce qu'elle ne cherchait pas à leur mentir. Elle était humaine comme eux et sur le moment, c'était tout ce qui comptait.

Sakura les assista tous. Elle écouta chaque cœur s'arrêter sous son toucher, les yeux peinés se fermer et les lèvres asséchées par les pleurs murmurer un merci. Aucune formation médicale ne l'avait préparée à porter sur ses épaules le poids de tous ces suicides assistés. Pourtant, lorsque la médecin se releva après avoir libéré la dernière qui avait eu le souhait d'échapper à sa vie, les lueurs d'estime dans les yeux de ceux restants allégèrent ce fardeau. Elle avait fait cesser les battements cardiaques, mais ils portaient également la mort de leurs camarades sur leurs épaules. La kunoichi avait beau avoir pris les rênes, elle n'était pas différente du groupe. Elle cherchait aussi la signification de son existence la nuit dans les bras d'Hinata.

Ils parcouraient des kilomètres à la recherche de survivants, de terres, d'espoir. Les jambes se fatiguaient à atteindre un objectif inexistant. Pourtant, la troupe ne s'arrêtait jamais, car alors, cela aurait signifié qu'il n'y avait plus rien à découvrir.

Le temps s'échappa à partir d'un moment. Peut-être que des années s'étaient écoulées depuis que Sakura avait dit adieu à Konoha. Peut-être qu'une décennie avait passé depuis que les doigts d'Hinata avait goûté pour la première fois sa peau. Elle ne savait pas et ça l'importait peu. Le temps filait et les lèvres de la Hyuuga continuaient d'hanter ses nuits. Elle n'aurait osé demander plus, pas quand le monde avait pris fin. Sakura savourait chaque toucher de la femme, consciente qu'elles ne verraient pas forcément le lendemain.

Éventuellement, les survivants cessèrent de chercher. Ils avaient ratissé chaque once de la terre des nations ninja. Plus rien ne restait pour eux. Enfin, c'était ce que la majorité pensait. Sakura savait que tant que les mains d'Hinata resteraient campées sur sa taille, elle continuerait d'aspirer cet air cendreux.

Tout changea quand le soleil atteignit son zénith. Sakura fut aveuglée quelques secondes. Durant cet infime lapse de temps, la pression constante sur le bas de son dos disparut. Des cris déchirèrent le silence habituel. Des hurlements que son subconscient repassait dans son esprit le soir. Les cris s'éteignirent rapidement, ne laissant que des corps sanglants. Au-dessus, une enfant rousse. Des cheveux que la femme avait caressé avant qu'ils soient tachés de sang. Une folie habitait les yeux verts de la gamine. Ce n'était pas celle des tueurs en série, c'était celle d'un combattant revenant de la guerre. Une folie causée par la douleur. Un éclair de lucidité passa dans le regard enfantin. Avant que le sang ne gicla, Sakura avait su que le kunaï trancherait cette petite trachée. L'enfant s'effondra sur ses victimes, les éclaboussant. Le visage pâle d'Hinata était constellé de rouge. Le liquide carmin s'égouttait dans son cou, là où une plaie fatale laissait son fluide cascader. La médecin savait qu'il n'y avait rien à faire, autant pour la kunoichi que pour le reste du groupe gisant au sol. Un rire cassé échappa à la femme. Tout ce qu'ils avaient fait n'avait servi strictement à rien.

-Oh wow, rigola-t-elle.

Son esclaffement se transforma peu à peu en plainte. Une plainte adressée à ce Dieu qui les avait laissés croire que continuer servirait à quelque chose. La colère bouillonna. Elle en avait marre. Que Dieu aille se faire foutre avec sa vie de merde. Elle ne valait rien. Il aurait mieux valu qu'ils meurent tous durant les affrontements. Une haine tapie en Sakura surgit. Elle détestait la vie et elle passerait le reste de la sienne à s'assurer que plus jamais elle ne ferait d'autres victimes. Ses mains étaient déjà débordantes de sang, qu'était-ce de continuer à les tacher ?