Bonus #1 - D'une Grande Prêtresse et d'escalators

          Exaspérée, la souveraine poussa un soupir.

— Haeleg, appela-t-elle son conseiller, livrez-moi la liste des malades.

Un homme de grande taille, yeux gris et cheveux corbeaux se précipita devant Soleil Levant. Il prononça la formule qui lui permettait de se transformer tout en exécutant une révérence puis tendit sa main à la Grande Prêtresse qui s'en saisit avec réticence, peu encline de découvrir ce que contenait le passage de savoir que le conseiller lui partageait.

« Chaque jour le nombre de victimes déclarées double par rapport à la veille. Le palais se liquide à une vitesse vertigineuse. Sur le millier de sujets du C.I.S.I, seule la moitié subsiste sans symptôme. Pour l'instant. Le Néant a emporté trop de nos braves sorciers. Le Mal ravage famille après famille. Néanmoins, une corrélation a pu être établie entre les sujets infectés par la Mal et l'astre auquel ils sont rattachés. Il s'avèrerait que plus le sorcier a un score élevé, plus il y succomberait rapidement. Nous n'avons pas encore pu déterminer la cause de ce phénomène mais toutes nos équipes de Jupiter et d'Uranus travaillent dessus sans relâche. Dans l'attente de la prochaine concertation du Conseil qui aura lieu au mi-Her et des ordres divins, Trifoïs ablas catrum,

Brax, Grand Garde du Palais ; Haeleg II et Fergal VIII du Conseil intérieur du C.I.S.I. »

Après la lettre du Conseil, une liste défila derrière les paupières closes de la souveraine.

« Saundra Avelis,

Kyou Ty,

Leeah Ram,

Thay Frell,

Karl Lepetit,

Cailt Brim,

Idyll Aemos,

Felix Dubois,

Heth Fabrum,

Ada Elis Ram,

Jules Michellet.

1000

10

990

20

970

40

930

80

860

160

600

320

280

... »

La communication avait cessé. Le passage de savoir s'était refermé, non, plutôt, interrompu. Haeleg respirait difficilement, de la sueur perlait sur son front, sa main tremblait.

— Ressaisissez-vous, Conseiller, lui ordonna la Grande Prêtresse d'une voix sèche.

Le sorcier ouvrit les paupières, calma sa respiration et posa un regard sombre sur la souveraine.

— Savez-vous qui était Ada Elis Ram ? lui demanda-t-il.

Un faible sourire se dessina sur le visage de Soleil Levant.

— Votre nièce. La fille de votre sœur. La cousine de vos enfants. La pauvre petite a été l'une des premières orphelines de l'épidémie.

— Exact. La cousine de mes enfants, que j'ai également perdus.

La souveraine secoua la tête.

— Vous vous méprenez, Haeleg. Zed et Lumia Sol se portent à merveille. Loin du Mal, proches des dieux.

Troublé, l'homme au teint aussi pâle que pouvait l'être celui d'un sorcier ayant vécu cinquante-sept années dans de sombres souterrains fronça les sourcils, se courba en une nouvelle révérence, reprit son apparence habituelle et s'en fut sans un mot de plus.

L'air songeur de la Grande Prêtresse laissa soudain place à un sourire flamboyant. Elle décroisa ses jambes, se redressa, prit appui sur ses accoudoirs et se leva de son trône pour se diriger à grandes enjambées vers la porte qui donnait sur le reste de ses appartements personnels. Le sol était couvert de tapis, ses pas silencieux. Entourée de voiles et de tissus aériens, son allure irréelle captivait tous ceux qui croisaient son chemin avec inadvertance.

          Sept gardes se trouvaient dans la salle de réception des appartements personnels de la Grande Prêtresse, la même salle où deux mois plus tôt, elle avait accueilli quatre jeunes sorciers pour les envoyer dans une mission qui, malgré eux, avait échouée. D'un signe de la main, elle demanda leur présence à ses côtés et les sept hommes emboîtèrent le pas régalien de Soleil Levant, deux d'entre eux se précipitant devant la souveraine pour lui ouvrir les portes menant sur ce qui était communément appelé « couloir impérial » ou encore « couloir divin », l'espace qui desservait toutes les autres pièces des appartements personnels.

Des domestiques et des gardes grouillants en tous sens, le couloir était bien plus bruyant que la salle de réception mais la Grande Prêtresse n'avait pas besoin d'hausser la voix pour se faire entendre. D'une inflexion du poignet, elle entra en contact avec les sept gardes rapprochés qui la suivaient ainsi qu'avec le réseau des vingt-et-un gardes de ses appartements.

— Escalator ! ordonna-t-elle par la pensée. Les dieux requièrent vos services. Rendez-vous au Conseil de toute urgence et informez-les qu'une séance exceptionnelle se tiendra ce soir au couchant dans la Forêt Dorée. Il y sera question de l'avenir du peuple, la présence de chacun est impérative. Entendu ?

Ledit Escalator hocha la tête et répondit d'une voix forte : « Trifoïs ablas catrum, Votre Grandeur ! », puis il se détacha de la ligne de gardes et partit accomplir sa mission.

Satisfaite, la souveraine s'autorisa un léger sourire, bifurqua dans un couloir à sa droite et poursuivit la distribution d'ordres.

— Vinyl et Tourne-disque ! ordonna-t-elle à nouveau. Les dieux requièrent vos services. Portez ce message aux cuisiniers aussi vite qu'il vous sera donné de le faire : qu'ils coupent les quantités de nourriture par deux pour les prochains repas à venir. Avertissez aussi le Chef des cuisines qu'un comité spécial d'experts porteurs de Saturne, d'Uranus et de Jupiter va venir inspecter les réserves et les cuisines pour éradiquer toute forme de propagation du Mal par la nourriture. Est-ce compris ?

« Clair comme de l'eau de roche ! », répondirent Vinyl et Tourne-disque à l'unisson, avant d'ajouter : « Trifoïs ablas catrum, Votre Grandeur ! » et de disparaître.

          Cette fois, le visage de Soleil Levant resta de marbre. Devant elle, une porte chargée des mêmes ornements dorés qui décoraient tous les lieux sacrés des souterrains divins apparut. D'un mouvement de la tête, elle exprima son souhait et l'un des quatre gardes restants s'empressa d'ouvrir ladite porte. À l'intérieur, une salle aussi richement parée que la salle de réception s'offrit à sa vue, couverte de tentures et de meubles en bois rares qu'une dizaine de gardes plus ou moins jeunes occupaient en vaquant à leurs occupations pendant que de petites insectes luminescents passaient d'un mur à l'autre, voletaient d'un meuble à l'autre et semblaient dépoussiérer les objets exposés dans la pièces tout en servant d'éclairage.

— Gardes ! ordonna de sa voix limpide la Grande Prêtresse lorsqu'elle fut entrée à l'intérieur et campée sur ses talons, les voiles de sa robe dansant autour d'elle.

Comme un seul homme, les gardes quittèrent ce à quoi ils s'affairaient pour venir se placer en un tas plutôt ordonné de fervents serviteurs au pouvoir divin.

— Les dieux requièrent vos services. Pendule et Montre à gousset, appella la souveraine.

Deux gardes se détachèrent du groupe et s'avancèrent tout en effectuant une révérence.

— Notre peuple a besoin que pour lui, vous vous rendiez à la surface et armés de tout votre courage, vous partiez à la recherche des messagers de l'eau dont nous sommes sans nouvelles depuis bien trop longtemps. Vous aurez à votre disposition tout ce dont vous pourriez avoir besoin pour votre expédition.

Si l'ordre terrorisait les gardes concernés ils n'en laissèrent rien paraître, se contentant d'hocher la tête et d'exécuter une deuxième révérence avant de se fondre derrière leurs camarades pour rassembler le matériel qu'ils emporteraient, tout en murmurant un « trifoïs ablas catrum » désemparé.

Pendant qu'ils se préparaient, Soleil Levant scruta ses hommes, son regard de rapace se posant sur ceux qui lui seraient fidèle le plus longtemps et seraient prêts, contre un peu de chantage, à donner leur vie pour elle.

          Après quelques minutes de flottement, Pendule et Montre à gousset réapparurent, leurs maigres possessions pesant dans des besaces qu'ils avaient passées par-dessus de gros manteaux de fourrure censés les protéger du froid piquant d'un monde sans soleil.

— À partir de maintenant, Pendule, Montre à gousset, vous êtes les messagers du palais, envoyés par ordre divin pour rapporter au peuple des nouvelles sur le corps expéditionnaire parti quérir de l'eau dans les sources du nord. Votre mission est-elle entendue ?

— Notre mission est entendue, Votre Grandeur, puissent les dieux nous entendre, répliquèrent en cœur les deux gardes.

— Ils vous entendront. Dyha ! leur assura la souveraine.

« Dyha ! » clama le groupe restant de gardes. Et Pendule et Montre à gousset s'en furent.

— Vous autres, déclara alors la Grande Prêtresse qui n'en avait pas fini avec sa distribution d'ordres, les dieux requièrent vos services. Chacun d'entre vous, excepté Bibelot, Tire-Bouchon et Pshit-Pshit, êtes sommés de vous rendre dans chacun des quartiers souterrains et donner l'ordre à la population de se rendre au Grand Conseil Solaire qui se tiendra dans la salle de Rassemblement demain à l'aube. Une piste de remède a été trouvée, le Conseil et moi-même leur apporteront tous les renseignements dont nous disposons à ce moment-là. Ce sera également le moment pour moi de leur faire part de la parole et du soutien des dieux et pour eux de se remettre des lourdes pertes que nous subissons en ces temps sombres.

          La Grande Prêtresse ordonna à ses hommes de s'exécuter et une fois ceux-ci hors de vue, prononça pour les trois qu'il restait : « La lumière du Soleil se rallumera ».

— Bibelot, poursuivit-elle, tu seras mon secrétaire à la sécurité interne, mon surintendant. Je pense suffisamment pouvoir t'accorder ma confiance pour que tu accomplisses cette tâche avec précision. Tu veilleras au bon respect de la gestion du matériel pour les trois prochaines semaines. Je compte sur toi pour superviser les intendants et techniciens aux inventaires. Est-ce entendu ?

— Ma mission est entendue, puisse les dieux m'entendre. Trifoïs ablas catrum, Votre Grandeur.

Soleil Levant hocha la tête et son garde spécial quitta la pièce le regard animé d'une détermination et d'une fierté que même le Mal ne parviendrait à ébranler.

— Tire-bouchon, je te nomme secrétaire à la sécurité externe. Je veux que tu interceptes toutes les communications des Gardes du Palais et que tu me les rapportes toutes. Compris ?

— À vos ordres ! s'écria Tire-Bouchon avant de se reprendre, ma mission est entendue, puisse les dieux vous, hum, m'entendre. Trifoïs ablas catrum ! Votre Grandeur !

Le visage cramoisi, Tire-Bouchon s'empressa de ramasser un drôle d'objet cylindrique posé sur l'un des meubles de la pièce puis s'en fut le dos courbé, les sourcils froncés, sûrement déjà en grande réflexion sur le meilleur moyen d'exécuter les ordres divins de sa souveraine.

Soleil Levant l'observa s'en aller l'air amusé. Un fin sourire s'étira sur ses lèvres gercées et de petites ridules apparurent aux coins de ses yeux, masquant l'espace d'une seconde les cernes bleutés qui soulignaient ses yeux.

          — À nous maintenant ! se reprit-elle en frappant dans ses mains. Décidément, ce jeune Tire-Bouchon ne cessera de m'étonner. Il trouve toujours un moyen d'arriver à ses fins, d'ouvrir des portes fermées, d'avoir accès au confidentiel... Un précieux outil, en somme. Pshit-Pshit ? J'ai une mission un peu spéciale pour toi.

À ces mots, le garde gringalet se tendit, ses mains tordues dans tous les sens. Si la Grande Prêtresse ne savait pas ses capacités au moins aussi grandes que celles de Tire-Bouchon, elle le plaindrait. Mais consciente des dons de son garde, elle s'amusa simplement de sa crainte. Elle se fit d'ailleurs la réflexion que le monde serait peut-être différent si chacun savait s'apprécier à sa juste valeur.

— Je veux que tu prennes mon apparence et te rende à la session exceptionnelle du Conseil à ma place. Voyons, ne me regarde pas ainsi, tu sais très bien pourquoi je t'adresse cette mission. Ne crois pas que tes petits changements d'apparence sont restés inaperçus. Comment les appelles-tu déjà ? Ah, oui, des « emprunts ». Eh bien, mon cher Pshit-Phit, considère que tu vas pouvoir procéder à un emprunt plutôt hors du commun... le temps d'une réunion. Ai-je été suffisamment claire ?

          — Très clair ! s'étrangla le pauvre garde.

Il ne savait pas s'il devait se réjouir ou désespérer de la découverte de la Grande Prêtresse de ses activités illicites. Mais quoi, c'est bien pratique de prendre la forme d'un cuisinier lorsqu'on a un petit creux ou celle d'un Garde du Palais pour avaler quelques goulées d'air frais lorsqu'on est un garde confiné dans les mêmes souterrains depuis dix ans.

— Alors ? demanda la Grande Prêtresse en arquant un sourcil. Seras-tu capable de créer ce nouvel « emprunt » ?

Elle le mettait au défi et il ne comptait pas se laisser intimider. Rassemblant son courage et sa fierté, il releva la tête et redressa son buste avant de répliquer :

— Bien sûr que je saurai réaliser cette mission. J'ai une simple requête... Malgré toutes mes capacités épatantes que vous avez-vous-même reconnues, je ne crois pas être capable de pouvoir reproduire le saphir que vous portez à votre doigt... Serait-il possible que je vous l'emprunte ?

Pshit-Pshit accompagna sa demande d'un regard à attendrir la Gardienne du Néant. Malheureusement pour lui, cela ne marchait pas avec la Grande Prêtresse qui laissa échapper un éclat de rire dont peu avaient connaissance.

         — Oh mon petit, que tu es naïf. Je ne peux me séparer de cette bague. Même si j'étais suffisamment inconsciente pour te faire confiance et souhaiter te la prêter, je ne parviendrais pas à la retirer. Cette bague, Pshitou, c'est la marque des dieux, le sceaux de mon règne. Mon énergie et ce saphir sont indissociables. Tu devras trouver un moyen de la reproduire. Avec exactitude. Mais ne t'en fais pas, je sais que tu y parviendras. On a tous en nous plus de ressources que ce que l'on croit, mon petit... Tâche de t'en souvenir et file, une séance exceptionnelle t'attend.

Pshit-Pshit hocha la tête. Les sourcils froncés, l'ampleur de sa mission faisait peser le poids du soleil sur ses épaules et alourdissait son pas. Il quitta la salle en adressant un signe de tête à sa supérieure, enregistrant une dernière fois la taille de son cou, la courbe de sa mâchoire, la finesse de ses lèvres, la profondeur de son regard bleu nuit et les marques de fatigue qui vieillissaient ce visage éthéré.

Enfin seule, la souveraine laissa échapper un soupir de contentement. De son pas léger, elle laissa derrière elle la salle de vie des gardes, traversa à nouveau de multiples couloirs, croisa des serviteurs qui s'inclinèrent sur son passage, poussa une porte qu'elle était la seule capable de faire fonctionner et s'écroula sur son divan couvert de tissus tous plus doux les uns que les autres.

Là, elle laissa enfin l'envahir le poids de ses responsabilités et fondit en larmes. Elle en avait tant. Le trop-plein d'émotions, de sensations et de vie qu'elle avait croisées, dirigées et maniées et ses énergies usagées se déversaient en un torrent salé que personne ne pouvait ni voir, ni entendre, ni ressentir. Vidée, épuisée et oubliée de tous, elle se redressa, sécha ses larmes et s'allongea à nouveau, en douceur cette fois.

          Repose-toi mon ange, lui souffla une voix diaphane. Celle de sa sœur aînée. De son fantôme, pour être exact. Parti trop tôt, l'esprit était tapi dans un coin de la pièce, à l'abri de la lumière. À ces mots, Soleil Levant sourit. Sa sœur était la seule à la comprendre maintenant que Fergal avait lui aussi quitté ce monde. La seule à la soutenir. Et elle était pour beaucoup dans la persévérance de sa cadette à l'exercice du pouvoir.

La souveraine respira profondément et laissa son esprit s'élargir, s'ouvrir et rejoindre un espace supérieur, un lieu de silence et de bienveillance, de planète et de dieux. Voyager ainsi contribuait toujours à l'apaiser. Elle se battait et elle se battrait jusqu'au bout pour offrir à ses sujets toute la dignité qu'ils méritaient. Parce que c'était ce que méritaient des sorciers et plus encore ses sujets, ses sujets qu'elle aimait tant. Du moment qu'elle continuait de se battre, ils survivraient.

Les minutes passèrent, dans son ventre, son énergie destructrice sembla s'apaiser et elle autorisa la venue d'un profond sommeil que seules connaissaient les femmes courageuses qui donnent des ordres à longueur de journée.

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Dyha ! Alors ? Qu'en avez-vous pensé ? Il faut que je vous avoue que je n'ai sûrement jamais autant ri en écrivant un chapitre... au concept pour le moins singulier. XD

En fait j'avais fait un sondage sur Instagram pour choisir les prénoms que j'utiliserais dans ce bonus... et c'était plutôt amusant.

Donc oui, ce texte, c'est un grand délire. Mais avec un peu de chance vous êtes aussi tarés que moi et avez aussi su l'apprécier. XD

Sinon, n'ayez pas peur, ma santé mentale est au beau fixe.

Je profite aussi de cette esquisse dans les coulisses du pouvoir pour adresser un message à toutes les femmes qui passeront par là, à toutes celles qui se battent chaque jour pour aller de l'avant, se comprendre, s'aimer et rêver. Hier, le 8 mars, c'était la journée internationale des droits de la femme (et l'anniversaire de ma Maman 😁) et ce texte est un peu ma contribution. Un jour, l'égalité homme-femme ça existera. En attendant, que vous soyez homme, femme, non-binaire, découvrez-vous, soyez vous, et ne laissez pas la socialisation différenciée ou les attentes de la société vous empêcher d'y arriver. Parce qu'elle n'en deviendra que plus saine si les individus qui la composent sont heureux et bien dans leur peau. Voilà. C'est genre, le message de tout mon livre. XD
#womenpower
#girlpower
#witchpower
#IcanhugtreesifIwant

Allez, on se retrouve bientôt pour le deuxième bonus qui sera sûrement plus... poétique. 😉

Legacy, la sorcière qui vous aime 🧙🏻‍♀️✨ (on dirait un slogan de pub xD)

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