Chapitre 49

Madeleine revient dans le salon avec trois bols de crème glacée, posant délicatement les desserts sur la table basse devant elles. Le bruit léger des cuillères cliquetant contre les bols semble apaiser l'atmosphère tendue.

— Il n'était pas très aimé des autres, se rappelle Madeleine en fixant sa sœur avec un regard tendre. Ils se moquaient de lui, mais toi...

Elle laissa sa phrase en suspens, comme si elle savait que Nelly n'avait pas besoin d'entendre la suite. Le visage de Nelly se détend légèrement, un soupçon de sourire nostalgique effleurant ses lèvres, mais son regard reste plongé dans le passé. Ce souvenir de Jonathan, cette époque qui semble si lointaine mais toujours aussi présente dans son cœur. Leticia, perplexe, hausse les sourcils et brise le silence :

— Mais pourquoi ? demanda-t-elle, visiblement surprise. Pourquoi les autres ne l'aimaient pas ?

Nelly ouvrit enfin les yeux, son sourire doux mais teinté de tristesse.

— Jonathan est arrivé en cours d'année, explique-t-elle, sa voix empreinte d'une délicatesse qui laisse transparaître toute l'affection qu'elle ressent encore pour lui. Il était discret... réservé. Et il n'était pas le plus beau garçon de l'école.

— Ah bon ? s'étonne Leticia, ses yeux s'écarquillant. Pas le plus beau ?

Elle avait du mal à associer l'image actuelle du séduisant Jonas avec cette description. Nelly sourit, amusée de la réaction de son amie.

— Eh oui, acquiesce-t-elle, un brin taquine. Il était un peu rond... pas du tout comme il est aujourd'hui. Mais malgré ça, il y avait quelque chose chez lui qui m'attirait profondément. Il était...

Elle chercha ses mots, avant de murmurer, presque pour elle-même,

— Différent... Unique.

Elle marque une pause, laissant ses souvenirs prendre le dessus. Sa voix se fait plus rêveuse à mesure qu'elle se remémore leur histoire.

— Notre relation a débuté après que je l'ai rencontré au CDI, continue-t-elle, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Nous nous voyions en secret pendant des mois. Personne ne le savait. Nelly passe une main dans ses cheveux, comme pour chasser la nostalgie. C'était innocent, mais tellement intense à l'époque. Puis, au lycée, tout s'est effondré. Ses parents sont décédés dans un accident de voiture, et il a dû partir précipitamment...

Leticia reste silencieuse, absorbée par le récit. C'est la première fois qu'elle entend cette partie de l'histoire de son amie. Elle n'a jamais su à quel point le passé de Nelly était douloureux. Madeleine, en revanche, ne put contenir sa frustration. Elle a été témoin de la descente aux enfers de sa sœur.

— Et tu l'as attendu ! renchérit Madeleine, avec une pointe de colère dans la voix. Tellement longtemps, Nel ! Je me souviens encore de chaque matin où tu courais à la boîte aux lettres... chaque fois, c'était la même déception, jusqu'à ce que tu arrêtes de manger, que tu ne sois plus que l'ombre de toi-même. Maman a dû t'envoyer en centre pour anorexiques. Tu étais si mal...

Les mots de Maddy résonnent dans le silence. Leticia écarquille les yeux, surprise par cette révélation. Comment a-t-elle pu ne rien savoir de tout cela ? Comment Nelly a-t-elle pu garder ce chapitre de sa vie aussi secret ? Elle se sent presque coupable de n'avoir jamais deviné à quel point son amie avait souffert. Nelly, la gorge serrée, murmure presque pour elle-même :

— Si on avait eu internet à cette époque... ça aurait été plus facile.

Elle laisse échapper un petit rire amer. Elle soupire profondément, avant d'enfouir sa tête entre ses bras, accablée par le poids des souvenirs. Le silence retombe dans la pièce, jusqu'à ce que Leticia, toujours prompte à alléger l'atmosphère, reprenne la parole avec un sourire malicieux.

— Comment vas-tu faire pour le supporter maintenant qu'il est revenu ?

Nelly relève légèrement la tête, incapable de trouver une réponse à cette question qui la hantait elle-même depuis des jours.

— Très simple, commença Leticia, un sourire narquois aux lèvres. Soit Jonas devient ton pire ennemi, soit il est l'homme de ta vie. Y'a pas de juste milieu.

— Il ne peut pas être l'homme de ma vie... objecta Nelly, la voix incertaine.

Madeleine, toujours plus pragmatique, s'approche de sa sœur et pose une main réconfortante sur son épaule.

— Cela détruirait tout ce que tu as construit, tout ce que tu as maintenant, murmure-t-elle avec compassion.

Nelly hoche la tête, mais l'expression sur son visage trahissait son tourment. Elle sait que Madeleine a raison, mais son cœur continue de la trahir. Les émotions sont encore là, enfouies mais bien présentes, prêtes à éclater à tout moment.

— Oui, finit-elle par répondre, presque inaudible.

— N'empêche... il est super canon et super riche, lance Leticia, un éclat de malice dans les yeux.

Nelly se redresse brusquement, embarrassée.

— Je m'en fous de ça ! se défend-t-elle vivement, ses joues s'empourprant. Et Bertrand aussi est beau, ajouta-t-elle, comme pour rappeler qu'elle a déjà quelqu'un.

Mais Leticia, fidèle à elle-même, ne se laisse pas démonter.

— Oui mais Bertrand se comporte comme un vrai con en ce moment et puis... tu connais mon amour pour lui, réplique-t-elle sans filtre. Depuis quand il ne t'a pas touchée ?Et j'entends pas là, donné un putain d'orgasme !

Le visage de Nelly vire au rouge cramoisi. Elle baisse les yeux, incapable de répondre, et sent la gêne s'emparer d'elle. Leticia, quant à elle, continue de la fixer avec un air taquin, mais Maddy fronce les sourcils, agacée par le manque de délicatesse de son amie.

— Leticia ! gronde-t-elle, visiblement irritée par son manque de tact.

Leti hausse les épaules, l'air faussement innocent, mais sait que le sujet est trop sensible pour continuer à plaisanter. Elle s'assoit finalement en tailleur, plus sérieuse.

Nelly, de son côté, ressent une vague d'émotion submerger son cœur. Bertrand, Jonathan... Deux hommes si différents, et pourtant elle se retrouve là, à hésiter, à douter de tout.

— Ah, tu vois ! se réjouit-elle en la montrant du doigt. Ça veut tout dire !

— Oh, je suis complètement paumée ! C'est horrible ! Pourquoi il fallait que ça m'arrive à moi ?

Voyant que Nelly semble sur le point de craquer, elle lui touche la main et fait une blague débile, dont elle seule a le secret.

— T'es bête !

— Pour ça que tu m'aimes !

— Évidemment, pour quoi d'autre ?

— Tsss ! T'es nulle !

Sa sœur la serre dans ses bras longtemps, avant de la quitter. Manu et les enfants l'attendent, et elle ne peut pas rester davantage.

— Merci d'avoir été là, les filles.

— Pas de souci ! lance sa meilleure amie en souriant. À très vite, pour de nouvelles aventures !

Nelly secoue la tête en levant les yeux au ciel. Leticia est irrécupérable.

Une fois les filles parties, la maison plonge dans un silence apaisant, mais lourd de solitude. Nelly se dirige lentement vers sa chambre, son esprit encore embrouillé par les confidences de la soirée. Chaque pas résonne dans le couloir, et elle se sent soudain plus seule que jamais. La conversation avec ses amies a soulevé plus de questions qu'elle n'en a résolu.

Elle jette un coup d'œil à son téléphone, posé sur la table de chevet, espérant toujours un signe de Bertrand. Mais rien, pas le moindre message. Encore une soirée sans un mot, sans une réponse à ses appels, comme si son existence passait au second plan dans la vie de son compagnon. Elle soupire et se laisse tomber dans son lit, le regard perdu dans le plafond, essayant de ne pas laisser les larmes monter. Elle sait que le travail lui demande du temps mais... ne peut-il pas penser à sa famille ? Il ne passe jamais de moment avec Louis, même lorsqu'il rentre à la maison et cela brise le cœur de Nelly.

Les pensées tourbillonnent dans sa tête, des questions sans réponse, des doutes qu'elle ne parvient pas à dissiper. Jonathan est revenu dans sa vie, réveillant des sentiments qu'elle croyait avoir enfouis depuis longtemps. Elle se sent coupable, écartelée entre deux mondes : celui de son passé avec Jonathan, ce premier amour intense et celui de son présent avec Bertrand, qui vacille jour après jour.

Alors qu'elle commence à sombrer dans une mélancolie silencieuse, la sonnerie de son téléphone brise la tranquillité de la pièce. Elle sursaute légèrement, son cœur battant un peu plus vite à l'idée que cela puisse enfin être Bertrand. Elle se redresse rapidement et attrape son téléphone. Mais ce n'est pas lui.

23:54 – Leti : S'il se passe un truc, promets-moi de me raconter TOUS les détails, surtout les plus croustillants !

Un sourire amusé naît malgré elle sur les lèvres de Nelly. Leticia, toujours là pour la faire sourire, même dans les moments où elle se sent perdue.

23:55 – Nelly : T'es bête. Dors !

Elle laisse échapper un petit rire avant de poser son téléphone sur son ventre, le regard fixé sur l'écran quelques instants de plus. Puis, son sourire s'estompe. Les messages qu'elle a envoyés à Bertrand plus tôt restent sans réponse, et elle sent un nœud se former dans son estomac. Chaque minute qui passe sans un mot de lui amplifie son sentiment d'abandon. Il y a eu un temps où elle n'aurait jamais douté de l'amour de Bertrand, mais ce temps semble bien loin.

Capuchon, sensible à son agitation, se rapproche et pose sa tête sur sa jambe, ses yeux mi-clos. Nelly caresse distraitement le pelage doux du chat, sentant son ronronnement vibrer contre sa peau. Le geste l'apaise temporairement, mais n'efface pas le poids dans sa poitrine.

Elle repense à la soirée, aux mots de Leticia et de Madeleine, aux rires qui masquaient mal leurs préoccupations. Elles savent, elles voient bien ce qu'elle refuse d'admettre pleinement. Bertrand ne fait plus d'effort. Jonathan, lui, revient comme une tempête après des années d'absence, chamboulant tout sur son passage. Et elle, au milieu de ce chaos, ne sait plus quoi penser ni ressentir.

Le visage de Jonathan revient sans cesse dans ses pensées, ce même regard intense, ce bleu qui l'a toujours fascinée. Comment pouvait-elle imaginer qu'il réapparaîtrait dans sa vie de cette manière ? Le revoir a ravivé tant de choses... Et pourtant, elle sait que replonger dans cette histoire serait jouer avec le feu. Jonathan est un homme qu'elle a aimé profondément, avec la passion des premiers amours, mais qui l'a aussi brisée quand il est parti.

Bertrand, lui, représente la stabilité qu'elle a construite, une relation qui dure et sur laquelle elle compte, jusqu'à récemment. Mais que reste-t-il de leur amour si Bertrand la laisse seule, soir après soir, sans un mot ? Son comportement lui aussi à évoluer et pas dans le bon sens du terme... doit-elle encore subir ses sautes d'humeur ? Ses caprices ? Ses brimades ? Nelly se mord la lèvre, essayant de refouler la vague d'incertitude qui menace de la submerger.

Elle attrape son téléphone à nouveau, son pouce hésitant au-dessus du nom de Bertrand dans ses contacts. Doit-elle l'appeler une dernière fois avant de s'endormir ? Ou est-ce qu'elle devrait laisser tomber, comme lui semble le faire de plus en plus souvent ? Avant qu'elle ne prenne une décision, l'écran s'éteint, laissant l'obscurité de la chambre reprendre le dessus. Capuchon ronronne toujours à ses pieds, et Nelly finit par s'allonger complètement, cherchant désespérément le sommeil. Mais elle sait déjà que cette nuit, ses pensées seront peuplées de visages, de souvenirs, et de dilemmes auxquels elle ne peut échapper.

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