13. Tout simplement (#66)
Point De Vue Keefe:
Comme les soixante-cinq premières fois après l'émeute, notre groupe, qui partait en direction d'Eternelia, tomba dans le piège des Invisibles.
Ils s'étaient déployés tout le long du sentier, le seul praticable, et bouchaient l'unique sortie envisageable. Nous ne pouvions même pas tenter de sortir en force, nous étions si nombreux que, si nous tentions la moindre échappée, nous tomberions comme des mouches.
Comme à chaque fois, nous étions obligés de faire face, de résister jusqu'à ce que tous puissent s'échapper.
Autour de moi, les manifestants avaient perdu leur fougue, et couraient dans tous les sens, sans pour autant s'échapper.
Ils n'écoutaient pas et la peur leur faisait perdre tous leurs moyens, mais ma Sophie fut encore une fois, tout simplement parfaite. Elle s'était plantée juste à côté de Maruca, qui avait protégé le Conseiller Emery, désormais bien vivant, et avait transmis son message, que je connaissais désormais par cœur.
Je répétai en même temps qu'elle, à mi-voix, ses instructions:
- Calmez-vous. Ici Sophie Foster, avec le Conseiller Bronte. Nous avons des instructions importantes à vous faire parvenir. Ecoutez-nous et vous serez sauvé.
Je marquai une pause, tout comme elle, puis repris.
- Tous ceux qui disposent d'un cristal de saut vont sauter avec les personnes autour d'eux qui n'en possèdent pas. Ne soyez pas égoïstes et aidez vos voisins. En attendant que tous les sauts s'effectuent, ceux qui disposent d'un pouvoir utile dans cette situation et qui souhaitent s'en servir pour nous aider, venez me rejoindre en première ligne. Faites des rangs ordonnés pour que les passages soient facilités. Merci de votre attention et bonne chance!
Quand elle eut terminé, je me dépêchai de prendre place près d'elle, protégeant ses arrières en me retenant de la toucher, d'exprimer mon amour.
Tout en contrant les attaques intrusives de nos ennemis, je gardais un œil sur Maruca. Pourquoi n'avais-je pas pensé à elle avant ? Elle était tout sauf inutile sur le champ de bataille ! En témoignaient nos alliés, pourvus d'un regain de force en voyant les exploits de cette jeune elfe.
Elle avait déjà sauvé Fitz, déviant le coup de dague mortelle qu'il s'était pris lors du trente-quatrième retour; aidé Wylie pour tenter une percée dans les rangs adverses; mis hors-jeu une dizaine d'Invisibles...
Elle était tout simplement incroyable, et je n'étais pas peu fier d'avoir eu - ok, d'avoir récupéré l'idée de Fitz - la présence d'esprit de lui demander de venir ici.
J'étais d'ailleurs si content, si soulagé du poids que Maruca retirait de mes épaules - elle était d'ailleurs en train de sauver Linh, cette fois-ci -, que je me rappelai trop tard de la raison qui m'avait fait revenir dans le passé soixante-six fois.
J'avais oublié le sabre qui avait tranché le fil de la vie de Sophie un nombre incalculable de fois.
Je me retournai lentement, ne voulant pas y croire.
Et pourtant, en face de moi se tenait un géant, tout en muscles saillants, qui brandissait un sabre courbé, déjà sali de sang.
Ignorant la peur qui me tordait les entrailles, me plantai fermement face à lui, levai le bras, et me préparai à encaisser le coup. Je ne faiblirais pas. Je me casserais le bras, mais ne faiblirais pas. Je saignerais, j'aurais le membre coupé, mais je ne faiblirais pas.
Je ne faiblirais pas, je ne faiblirais pas.
- Mais qu'est-ce que tu fais, Keefe ! Non...!
L'homme leva le sabre et je sortis une étoile gobeline, ridicule face à l'arme sanglante, qui détenait mille fois plus de prestance.
J'étais prêt.
- Keefe ! Tu ne peux pas.
On m'attrapa par le bas de la chemise et me tira en arrière. Le géant avança seulement d'un pas, et passa la langue sur ses lèvres, faisant rouler ses muscles.
J'étais piégé. Derrière moi, les pics acérés de la falaise. Devant, un ennemi.
La main, qui tenait toujours mon habit, le lâcha soudainement, et on me passa devant.
Les cheveux blonds de Sophie reflétaient la lumière chaude de la fin d'après-midi, lorsqu'elle se tourna vers moi.
- Merci pour tout, Keefe.
Elle m'enlaça et...
Le sabre s'abattit sur sa nuque.
Mes genoux se dérobèrent, ne pouvant plus supporter le poids de la culpabilité. Sophie elle aussi tomba, au ralenti. Automatiquement, grâce à la pratique acquise lors de ces trop nombreux sauvetages ratés, je la rattrapai sans même m'en rendre compte.
Comme dans un rêve. Comme dans un très mauvais rêve.
Je ne fis pas attention à Biana, qui était apparue derrière l'immense tas de muscles, et l'avait maîtrisé. Je ne faisais pas attention à ce qui se passait autour, tout était brouillé et indistinct.
Je m'en voulais encore plus que les fois précédentes. Tout était seulement de ma faute ! Maruca ne pouvait pas agir, elle était déjà en train de s'occuper de quelqu'un d'autre... Pourquoi n'avais-je pas poussé Sophie quand je l'avais vue ? Pourquoi m'étais-je encore mis dos à elle ?
Je savais depuis le début ce qui allait se passer, mais j'avais fait autre chose.
J'allais encore devoir recommencer, la faire patienter.
Pardonne-moi, Sophie...
Je me levai machinalement, suivant Biana qui était protégée par Maruca et avait ouvert le sentier lumineux qui menait à Havenfield. Les larmes dévalaient mes joues.
- Pardon Sophie... Pardon...
Je ne pouvais essuyer mes larmes, mes mains étant prises, et l'une d'elles lui tomba dessus.
Je réalisai en voyant la perle salée rouler le long de sa joue, que, malgré tous mes efforts, ce n'était pas assez.
Qu'est-ce que je n'avais jamais essayé et qui marchera à coup sûr?
Je n'avais pas eu ce pouvoir à ce moment-là pour que Sophie meurt ! Qu'est-ce que je pouvais faire ?
Qu'est-ce que je pouvais faire ?
Qu'est-ce que je pouvais faire !!!!?
Dans mes bras, Sophie gémit de douleur et je réfléchis d'autant plus, poussé par l'urgence.
La solution me frappa d'un coup, faisant naître un sourire hésitant mais sincère sur mon visage.
- Mais bien sûr ! Je peux revenir dans le passé, alors pourquoi je ne pourrais pas envoyer une autre personne, et seulement son enveloppe corporelle ?!
Énoncé à voix haute, cela semblait encore moins réalisable mais je devais essayer.
Pour Sophie.
Lors de mes précédents voyages dans le temps, j'imaginais un endroit et un moment donné pour y aller. Ce que j'allais faire, cette fois-ci, c'était imaginer le corps de Sophie sans sa blessure, comme il y a dix minutes, toujours dans le sentier lumineux et son esprit toujours dans le moment présent.
Trop tard, je me demandais si le fait de réunir l'essentiel de ma concentration dans le processus de "guérison" entraînerait une évaporation.
Espérons que non...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top