Chapitre 7 : Mésaventures nocturnes
[Un dessin aux faber castell bourré de petits défauts. En espérant que la bouille de Calysta enfant rattrape ces soucis.]
À Diolyde, la vie poursuivait son cours. Dire que l'ambiance de l'école n'en avait pas été affectée serait revenu à nier la vérité et si la pratique était courante, ici comme ailleurs, personne ne pouvait détourner le regard devant la plaie béante. La disparition de Calysta ne quittait que rarement les esprits et ses camarades s'interrogeaient. Comment se portait-elle ? Etait-elle seulement encore en vie à l'heure où ils étudiaient, plongés dans une léthargie presque offensante ?
Andrew passait des heures en compagnie de Delkateï, tentant de comprendre l'essence démoniaque qui l'avait affaibli à ce point. Sa présence servait de bouclier afin que le corps de l'Italien retrouve sa vitalité sans faire face à d'autres menaces. Les dirigeants plaçaient en lui une part majeure de leurs espoirs, il était chargé de désigner le coupable des maux de l'adolescent et, surtout, d'en trouver le remède. Une entreprise dans laquelle Jyn le secondait, ombre silencieuse, mais efficace. Il démêlait les liens de l'avenir pour en trouver la solution. L'infirmière, Sylvie, se trouvait bien inutile, déplorant son impuissance avec la même peine que les adultes dans ce monde d'enfants. À eux deux, sorcier et maître des esprits, ils devaient être à la hauteur du défi titanesque qui leur avait été désigné.
Eole se sentait coupable. Il ne saurait mettre le doigt sur l'origine exacte de ce malaise, mais il ne le quittait plus. Lorsque la culpabilité et la honte, deux émotions inexplicables, mais coriaces, atteignaient un seuil intolérable, il passait des heures entièrement sur le terrain de football. Parfois, seul son sérieux le retenait assis sur sa chaise durant les interminables heures de cours. Les moqueries incessantes de Kristal le poussaient à désobéir, à s'affranchir des règles et à agir selon son propre chef.
Sans avoir pris le temps de consulter sa montre, Eole savait que l'heure était bien trop tardive. Ses amis avaient depuis bien longtemps déserté la pelouse du stade. Lui ne pouvait se résoudre à regagner la quiétude de sa chambre, là où la voix du démon se faisait assourdissante. Ici, l'écho de sa respiration difficile et son épuisement le rendaient presque sourd aux viles paroles de la créature.
Pendant près de quatre heures, Eole avait enchaîné les exercices sans même réaliser l'endurance phénoménale dont il faisait preuve. Il courrait et ne s'épuisait jamais. Il lui suffisait de s'arrêter quelques minutes, d'avaler quelques gorgées d'eau, et il repartait avec la même énergie. La source ne tarissait pas et l'adolescent se perfectionnait durant ces insomnies de plus en plus régulières. Il ignorait que si Delkateï ne se trouvait pas prisonnier d'un état proche de la mort, il serait venu le tenir compagnie, peut-être même plaisanter sur l'incapacité des élèves à trouver le sommeil entre ces murs.
Eole... Qu'est-ce que tu crois faire ? T'épuiser ? M'épuiser ?
Le garçon n'aspirait qu'à oublier ces voix maudites et la puissance démoniaque qui sommeillait en lui. Kristal et lui ne mélangeaient pas leurs essences et demeuraient deux êtres strictement indépendants.
C'est idiot, Eole, jamais tu n'y arriveras ! Ce n'est pas courir des heures entières qui y changera quelque chose !
Eole ferma les yeux. Il refusait de croire que cette situation était irrémédiable. Lui qui avait vécu avec la présence dévorante de cette entité à la force colossale avait fini par s'habituer à elle, à cohabiter et à entretenir une certaine harmonie. Kristal avait été la source de courage qu'il lui manquait, l'énergie de se dresser face aux tracas de l'existence. Peut-être que sans elle, l'esprit de l'adolescent se serait racorni jusqu'à forcer le corps à disparaître à son tour, à le précipiter dans la mort. Mais depuis leur arrivée à Diolyde, l'équilibre avait volé en éclats.
Eole se remit en marche. Ses pas, d'abord lents pour permettre aux muscles de ne pas trop souffrir de cette sollicitation extrême, ne tardèrent pas à prendre de l'ampleur. Bientôt, il se lança à perdre haleine sur la pelouse du stade. Balle aux pieds, il se mouvait avec l'aisance des génies de ce sport et avec une vitesse qui défiait le réel. Mais, lorsqu'après de longues minutes d'effort, il s'arrêta, une voix entêtante s'éleva à nouveau.
Qu'est-ce que tu essaies de fuir, Eole ? Moi, ou autre chose ? Moi, ou ce que je révèle de toi ?
Les jambes de l'élève tremblaient et la fatigue n'y était pour rien. Seul l'esprit vulnérable ployait sous les offensives cruelles de Kristal. Le démon ne reculait devant rien.
Les choses ne vont pas tarder à s'envenimer encore. Et tu sais quoi ? Il va te falloir me laisser les rênes encore une fois. Enfin, sauf si tu es d'attaque pour assumer les conséquences !
Face au but, Eole tira de toutes ses forces et avec l'énergie perverse du désespoir. Les cages vibrèrent presque lorsque le ballon atteignit les filets. Si l'adolescent occupait la place de défenseur, cela ne l'empêchait pas d'exceller à tous les postes. Le capitaine de l'équipe SuperNova prouvait une fois de plus sa valeur, tandis qu'un tout autre spectacle se jouait derrière son visage de marbre.
Alors, Eole, qu'est-ce que tu penses de mon idée ? N'est-elle pas excellente ? Ils n'y verront que du feu, je t'assure ?
— Je t'en prie, tais-toi !
Kristal se jouait de lui comme d'une marionnette. Il pouvait sentir le démon se presser jusqu'aux portes de la conscience afin d'y réclamer son dû. Une migraine violente le cloua au sol et il tomba à genoux dans l'herbe tendre. Un gémissement plaintif franchit le seuil de ses lèvres.
— Arrête ! Arrête immédiatement ! Laisse-moi seul !
Seul ? Seul, Eole ?
Jamais il ne serait seul, jamais ! Le Russe avait abandonné cette seule idée le jour où la créature avait choisi son corps comme réceptacle. Mais ce qui avait permis au garçon d'autrefois de survivre à la puissance grandiose de Kristal lui donnait aussi les outils nécessaires à lutter contre lui. Et cette capacité à le rejeter jusqu'aux confins de son cerveau, l'être refusait de l'accepter plus longtemps !
— Pitié, Kristal !
Il avait la sensation que l'autre dévorait une part de lui quelque part, une part de sa conscience. Un travail de fourmi qui, un jour, paierait. Eole craignait plus que tout le jour où le démon l'effacerait entièrement et prendrait le contrôle de ce corps, alors vide de propriétaire, parfaite petite marionnette docile à son bon vouloir. Ce jour viendrait et rien ne saurait endiguer ce sordide processus.
Péniblement, et alors que le trouble perdait du terrain, renonçait pour cette fois à son dû, l'élève se releva avec précaution. La peur refluait aussi, comme une vague dévastatrice après la marée. Les habitants n'avaient plus qu'à réparer les dégâts, panser les plaies, et prier pour qu'une telle catastrophe ne se reproduise plus. La métaphore paraissait amusante, légèrement décalée vis-à-vis de l'instable réalité, mais elle s'approchait de ce qu'Eole endurait. Un événement pénible qui se reproduisait au point d'appartenir à une routine, un quotidien criblé de cris étouffés et de plaines silencieuses.
— Il faut que ça s'arrête... Il le faut. Je ne le supporte plus.
Mais, déjà, Kristal s'était tu et conservait un mutisme triomphal. Cette fois encore, elle venait de prouver à quel point elle pouvait manipuler l'humain qui lui servait de réceptacle.
— Eole ?
D'un mouvement vif, l'intéressé se retourna pour découvrir, à quelques mètres de lui et au beau milieu du terrain, la silhouette familière d'Eléonore. Celle-ci souriait tristement, comme si elle pressentait le mal qui rongeait l'être de l'adolescent. Ou peut-être l'avait-elle entendu murmurer ?
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, plus par politesse que par réel intérêt pour cette question d'usage.
— Oui, répondit Eole, par simple automatisme. Enfin... Disons que ça pourrait aller mieux.
Il s'était repris au dernier moment, sous l'ombre d'un sourire gêné et maladroit. Eléonore ignorait l'effet qu'elle avait sur lui et n'en jouait pas. Sa douce innocence, presque candide, lui allait à ravir, même dans la pénombre du stade de football. Sans le réaliser vraiment, les muscles soumis à une pression immense se détendirent enfin. La jeune femme le couvait d'un regard plus fort que toutes les paroles. Il n'y avait pas de pitié dans ses orbes gris, seulement une infinie compassion qui valait bien plus que tout le reste. Elle s'approchait lentement, avec précaution, comme si elle craignait quelque chose.
— Eléonore, intervint Eole, d'une voix mesurée. Tu n'aurais pas peur de moi, n'est-ce pas ?
— N-Non, bien sûr que non. Ce que je crains, c'est... l'autre.
— Oh... souffla le Russe en se rembrunissant légèrement.
Une rougeur investit les joues de la Brésilienne. Elle l'avouait à demi-mots simplement parce qu'elle se haïssait de blesser cet homme si tendre à son cœur. Elle aimerait être un baume destiné à calmer sa douleur et non la lame qui aggraverait la blessure. Elle s'approcha encore, timide dans ses gestes et presque empotée dans ce qu'elle souhaitait transmettre. Elle ne pouvait pas entendre les paroles qui résonnaient dans l'esprit d'Eole à longueur de journées, mais l'imaginait sans peine. Cela suffisait à lui insuffler le devoir de lui ôter cette peine.
— Tu as sans doute raison d'avoir peur, avança le plus âgé.
Pauvre petite, pour un peu je la plaindrai de devoir se coltiner un geignard dans ton genre !
Eole ferma fort les paupières jusqu'à voir apparaître une myriade de paillettes colorées. Une galaxie, des étoiles par milliards qui chassèrent l'écho des méchancetés proliférées par Kristal. Avant qu'il ne les rouvre, des mains fraîches recouvrirent les siennes et il eut une sorte d'hoquet. Eléonore, malgré sa timidité maladive et son absence de confiance autant en elle qu'en ses actes, venait s'enclencher un contact physique qu'ils s'étaient toujours refusés. Dans la tiédeur de la nuit, dans la pénombre incertaine, Eole ressemblait à un mirage, à une illusion semblable à la singularité hypnotique de la lune.
— Je suis désolée, je ne te considère pas comme lui et je n'ai pas besoin que tu te confies à moi pour savoir que tu souffres de ta situation.
— Moi qui pensais être doué dans l'art de camoufler tout ceci, soupira Eole, avec une pâle sourire.
— Tu l'es ! rétorqua-t-elle, avec un aplomb certain malgré l'évidente fragilité qui était la sienne. Tu l'es, crois-moi, personne n'avait imaginé quoi que ce soit avant que Kristal n'apparaisse. Tu es surtout courageux et... fort. Je l'admire cette force, j'admire la manière dont tu encaisses sans jamais te plaindre.
Jamais autant de mots n'avaient franchi le seuil de ses lèvres pulpeuses et l'autre s'en sentait presque honoré. Jamais il ne remettrait en question la sincérité et encore moins son émouvante sensibilité.
— Merci, parvint-il à articuler, malgré ses muscles tremblants et son esprit mis à rude épreuve.
Elle s'humecta les lèvres. Elle n'osait pas lui avouer l'essentiel, que grâce à lui, elle était parvenue à surmonter le choc et tout ce qui s'était produit dans cette pièce maudite du deuxième étage. Elle ne prit pas la peine de le questionner à ce sujet, refusant d'éveiller des souvenirs pénibles où l'attraction pour le Mal atteignait son paroxysme. Surtout, les remerciements qui peuplaient ses réflexions ne sortaient pas. Le malheur de ce garçon lui avait permis de balayer le sien, de se concentrer sur une peine plus colossale et d'oublier une part de ce qui la tourmentait. Une attitude sans doute blâmable, mais à la volonté inattaquable.
— Merci à toi, dit-elle à son tour, au prix d'un grand effort.
Eole l'observait bien en face, sans chercher à détourner le regard ou à masquer l'affreuse tare qui sommeillait en lui. Non, il ne ressentait pas ce besoin viscéral au contact d'Eléonore. Elle et sa peau à la couleur gourmande du chocolat. Elle et ses boucles artistiques, son air serti d'innocence et ses yeux gris. Ils songeaient à tout cela, à tous ces détails qui le rendaient fou, lorsqu'il se pencha en sa direction pour embrasser ses lèvres. Un baiser chaste et à leur image. Une étreinte douce et pudique où Eole osa à peine envelopper le visage rond et tendre de l'étudiante.
Une vibration imperceptible se fit ressentir, tellement infime que seul les sens acérés d'un être venu d'ailleurs pourraient détecter. Une secousse qu'ils ne ressentirent pas, trop absorbés par ce baiser savoureux et aux allures inattendues des premières fois. Un besoin délectable enfin assouvi. Rien ne semblait pouvoir les tirer de cette bulle rassurante. La peau glaciale du Russe semblait se réchauffer contre l'épiderme brûlant de la jolie Brésilienne. Les doigts de celle-ci parcouraient les muscles qui tressautaient, épuisés et sensibles. Une attention qui prouvait une fois encore la sensibilité de la jeune femme.
Leurs lèvres s'effleuraient avec une maladresse certaine, mais avec spontanéité et délice. Eole se sentait revivre. Enfin.
Je ne voudrais pas avoir l'air d'interrompre quelque chose, mais il semblerait que Diolyde reçoive ce soir une invitée de marque !
J'avoue que j'aime leur couple... et leur relation ! Ils ne sont pas à croquer ? Et qui est donc cette invitée de marque ? On peut évidemment remercier Krystal pour son intervention et pour son don tout particulier pour se ramener au meilleur moment possible !
Merci aux rares qui s'intéressent encore à cette histoire <3
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