Chapitre 43 : Controverses
Un moment de flottement s'imposa avant que Delkateï n'entende un soupir suivi d'une exclamation et d'une voix féminine aux intonations aisément reconnaissables :
—Delkateï, dis-moi que tu vas bien ?
—Je vais bien maman, pourquoi ça irait pas ?
L'Italien éloigna ainsi l'envie qui le prit de se confier à sa mère, de lui faire part de tout ce qu'il avait vécu depuis son arrivée. Cela ne le rendrait que plus vulnérable et l'alerterait inutilement, déjà suffisamment inquiète. Le dos plaqué contre le mur, il oublia rapidement cette idée. À quoi bon ? Que pourrait-elle y faire ? À quoi cela servirait-il ? Joy n'avait en aucun cas besoin de nouvelles aussi mauvaises et des plaintes de son fils. Pourtant, ce dernier aurait souhaité lui poser toutes les interrogations qui peuplaient son esprit.
—Tu ne m'as pas appelée depuis plus deux semaines.
—Pas deux, une et demi, répliqua sensiblement Delkateï, d'une voix à l'étrange suavité.
—Exactement dix jours ! Dix jours sans nouvelles, Delkateï ! Pas d'appels, rien § Je me suis fait du sang d'encre pendant tout ce temps !
Devant la précision de sa génitrice, l'adolescent se tut. Il évitait volontairement les appels de sa mère, de peur de craquer à l'entente de sa voix et de tout lui avouer. Il serra les dents une nouvelle fois, son corps brûlant en appui contre le mur glacé.
—Pourquoi tu n'as pas répondu à mes appels ?
—Désolé maman, je vais essayer de te rappeler plus souvent, esquiva judicieusement le jeune homme Je te le promets.
Il y eut un nouveau soupir, empreint d'une lassitude proche de désespoir. Le plus jeune imagina sans peine ces émotions s'insinuer sur son beau visage jusqu'à en détruire toute la vitalité. Il ferma les yeux et encaissa, le cœur battant durement dans sa poitrine. Ses prunelles claires comme de l'eau s'ouvrirent à nouveau alors que Joy annonçait :
—Ton père m'a appelée.
—Quoi ? glapit Delkateï, incapable d'une réponse plus construite que celle-ci.
—Ton père m'a appelée ce matin.
Cette fois, ce fut à l'étudiant de s'octroyer un court moment de réflexion, de se murer dans le silence. Le temps coula entre ses doigts pour ultime tromperie alors que la compréhension s'imposait soudainement à l'élève. Il s'enquit, espérant encore le meilleur tandis que le pire se dessinait face à lui :
—Et il te voulait quoi exactement ?
L'adolescent ne put empêcher le mépris de s'inviter dans ses mots bien qu'il les aurait souhaités bien plus neutres. Joy, à des milliers de kilomètres de là, tremblait en serrant le téléphone miteux entre ses doigts fins. Ses grands yeux bleus semblaient sur le point de laisser couler les larmes trop longtemps contenues. Elle réajusta une mèche argentée derrière son oreille, luttant contre les pleurs qui inondaient son regard. C'était définitivement trop pour elle. Ses lèvres tremblèrent avant qu'elle ne parvienne à articuler :
—Il m'a tout raconté, Delkateï, tout ce qu'il s'est passé depuis ton arrivée à Diolyde. Je sais tout, mon chéri.
Le susnommé inspira une profonde goulée d'air, ses poumons cherchant désespérément l'oxygène que le choc raréfiait. Le mur soutenait à présent entièrement son corps démuni alors qu'il refusait d'accepter chaque possibilité et chaque conséquence. Sa main manqua de laisser tomber l'appareil et lui faillit le jeter sur le sol ou sur la statue juste en face. Il se maudit pour avoir osé lui mentir de la sorte, et pour avoir cru pouvoir le faire impunément.
—Je suis désolée de ne t'avoir rien dit pendant tout ce temps. Je voulais te protéger et je pensais pouvoir y arriver, échapper à une réalité qui m'effraie. Je pensais que l'on pourrait y échapper tous les deux, que tout pourrait bien se passer pour nous, et puis s'en tirer à bon compte. Quand Laurian est arrivé, je n'ai pas su comment réagir, mais j'ai surtout su que je m'étais trompée. Je ne pouvais pas t'empêcher de partir, et même si j'avais eu le choix, ça aurait été tellement égoïste... Je pensais te préserver de tout ça, mais tu en souffres tellement plus par ma faute. Si seulement j'avais su que je me trompais... Delkateï, si tu savais à quel point je suis désolée !
L'intéressé ne trouva rien à y répondre, la bouche sèche et la gorge nouée. Il ravala des larmes qui piquèrent ses yeux, détruisant ce signe trop évident de faiblesse. Tout se mélangeait dans son esprit. Tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'on lui avait appris et tout ce que l'on attendait encore de lui. Pouvait-on seulement en demander autant à un être humain ? N'était-ce pas trop injuste ?
Les paroles de Joy résonnaient dans le silence insupportable du couloir et l'attention de l'adolescent était entièrement consacrée à cette conversation téléphonique. Il avait complètement oublié la présence de Jo à quelques pas. Ce dernier apparut à l'angle et son regard se posa sur la silhouette de Delkateï.
—Ton père est quelqu'un de bien, crois-moi. S'il est fautif, je le suis au moins autant que lui. Il n'a pas eu d'autre choix, il a fait ce que l'on attendait de lui. Je sais que c'est dur ces dernières semaines, j'espère que tout va rentrer dans l'ordre. Je pense à toi tous les jours.
—Moi aussi, ajouta rapidement son fils, dans un murmure.
—Tu ne dois pas trop en vouloir à ton père. Il n'a pas eu le choix contrairement à moi. Promets-moi juste de...
—Maman, faut que je raccroche. Je te rappelle, prononça le jeune homme d'une voix blanche.
Et il mit à exécution le fruit de ses préventions. Sa mère n'eut pas le temps de rappliquer que la communication fut coupée. Delkateï se redressa et enfonça le portable dans la poche de son pantalon, provoquant son homologue de cette simple œillade. Il ne semblait pas avoir entendu l'objet de cette conversation téléphonique, une lueur curieuse et amusée au fond du regard.
—Drôle d'endroit pour appeler quelqu'un. Le ténébreux Del aurait-il une petite amie secrète ?
L'Italien retint de toutes ses forces l'envie presque vitale d'envoyer son poing dans la figure. Il s'imposa la volonté de ne pas céder à la violence.
—Ou un petit ami peut-être ? Je suis le dernier qui irait te juger, crois-moi !
Jo s'acharnait à tirer les vers du nez à son camarade, avide d'une parole abandonnée ou d'une anecdote joliment racontée.
—Pas la peine de mentir, je le sens quand y'a de l'amour dans l'air, ajouta encore Jo, sans réaliser qu'il franchissait une ligne devenue interdite. J'ai le flair pour ça !
La mâchoire serrée, Delkateï réfléchit longuement avant de répondre, avec tout le calme qu'il put rassembler :
—J'voulais du calme et j'appelais juste un pote. Pas la peine de se faire des idées.
—Un pote ou une pote ?
Le nouvel arrivant ne répondit pas, mu d'une résolution bien fragile, celle de ne pas réagir au courroux qui l'envahissait. Le visage parfaitement impassible, la rage l'enflammait sans pour autant se faire visible. La conversation avec sa mère lui restait collée à la peau et demeurer calme lui semblait impossible. Après tout, Jo tentait simplement d'apparaître comme sympathique, s'intéressant avec naturel aux histoires amoureuses d'une connaissance de classe. Cela n'aurait pas dû énerver le concerné qui n'avait d'ailleurs aucune raison de s'emporter de la sorte.
—Allez ! Tu peux me le dire à moi !
—Y'a rien à dire.
—T'es pas fun ! Pas la peine d'être aussi pudique, je dirai rien à personne, tu as ma parole !
—Et toi, qu'est-ce que tu fous là ? Calysta aime les endroits glauques ou tu t'en tapes une autre ?
Pour la première fois depuis leur rencontre, le sourire de Jo fana entièrement. Son regard se durcit également comme pour démontrer à leurs tours le sérieux et la colère qui caractérisaient l'élève. Dans son cas, la limite venait tout juste d'être franchie et cela ne resterait pas sans conséquences.
—Fais gaffe à ce que tu dis ! J'me tape personne d'autre et je t'interdis de parler de Caly' comme ça !
—Désolé, ça m'a échappé, railla Delkateï, conscient de jouer avec le feu. C'est pas toi qui m'avais conseillé d'éviter de rester seul ? Parce que là, ce serait plutôt à toi de faire gaffe !
Toute sa rage semblait se déverser sur Jo, sans souffrir la moindre barrière ou le moindre obstacle. C'était injuste, oui, particulièrement injuste envers un garçon qui ne s'était pas attendu à une telle offensive. Cela paraissait presque déloyal ! Le cœur battant jusque dans ses tempes, ses yeux clairs s'ancrèrent dans ceux, bien plus sombres, de son vis-à-vis. Les deux semblèrent se jauger, cherchant en toute objectivité qui serait le perdant de cette joute verbale où les coups penchaient à s'inviter.
—Ne joue pas à ce jeu, Delkateï, t'as rien à y gagner. T'as pas autre chose à faire que me chercher des emmerdes ?
—Mes préoccupations ne regardent que moi, siffla le Napolitain. Mêle-toi un peu de ton cul et on en reparle !
—Et dire que tout Diolyde compte sur toi !
Ce fut les paroles de trop. Celles qui arrachèrent entièrement le jeune homme à sa volonté. Il sortit de ses gonds, détruisant toute forme de résistance alors que la rage l'emporta avec elle. L'Italien réagit au quart de tour sans laisser la chance à son interlocuteur de lui échapper. Son poing rencontra l'estomac de Jo dans un accès de violence inédite. La douleur et la force du coup porté courbèrent le corps du garçon qui s'écroula à genoux.
—Je joue aux plus forts quand je sais que je peux gagner, gronda-t-il, sourdement.
Et sur ces quelques mots, sans laisser l'occasion à son adversaire de riposter si l'envie lui en prenait, Delkateï tourna les talons et rejoignit le réfectoire.
Une courte conversation entre Joy et son fils adoré ! Ce n'est pas le grand amour entre Jo et Del et on peut remercier le caractère bien trempé de notre Italien (aucune patience même envers quelqu'un qui ne chercherait que la conversation).
Le prochain chapitre "Unique allégeance" sera plus calme (pas d'écarts de conduite cette fois-ci XD). Del se voit un peu forcé de raconter cette mauvaise rencontre à ses camarades :3
Finissez bien la semaine ~
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