Chapitre 33 : On agit (Partie 2)

- Christian ! Christian nom de Dieu ! Christian !

Le jeune homme apparut dans l'embrasure de la porte, nullement inquiet de ce ton furieux.

- Ah ! Christian ! Écoute, on vient de me dire que mes ordres n'ont pas été exécutés et que Bastien n'a pas tué les paysans comme je l'ai ordonné. Et qu'une fois de plus, l'Inconnu a défié mon autorité. Est-ce exact ?

- Tout à fait. Il n'y a eu qu'un mort : le père Jérôme.

- Très bien. Ce soir, il faut que Bastien soit mort. Tu peux disposé.

Christian avait légèrement sursauté. Bastien restait son ami et il savait qu'il ne se sentait pas la force de mettre fin à ses jours. Il déglutit : comment s'en sortir ?

- Non.

- Non ?

Thierry aussi avait sursauté. Cette fermeté soudaine lui déplaisait fortement.

- Non ? Répéta-t-il surpris.

- Non.

- Eh bien, mon ami, il est temps maintenant de faire un choix entre l'amitié et l'honneur.

- Quel honneur, répliqua tristement Christian ? Je n'en ai point.

- Mais le prix à payer pour les soldats qui désobéissent est la fusillade. Si vous tenez à rester en vie, obéissez-moi !

- Qui suivra ces ordres ? Est-ce que vous, vous vous mouillerez ? Car je ne veux pas tuer Bastien.

- Alors je te ferais fusiller.

- Mais aucun de vos soldats n'obéira à cet ordre. Serais-tu prêt à tuer ? Tu n'es pas de cette trempe-là, Thierry. Toi, tu manipules...

Furieux, le jeune homme sortit furieusement un pistolet et le braqua sur Christian. Ses traits tordus et ironiques faisaient peur à voir...

- Ah oui je ne tuerai pas ?

- Ne tires pas, Thierry. Notre Inconnu est devenu fou parce qu'il avait tué le père Jérôme.

Surpris, Thierry baissa son arme...

- Fou ?

- Je refuse de tuer Bastien, Thierry. Mais crois-moi, je l'obligerai à prendre la fuite !

***

L'ombre glissa furtivement entre les passants curieux amassés devant le château. Bien qu'elle ait rabattu un capuchon sur ses traits, de nombreux villageois la reconnurent et la laissèrent passer respectueusement. Mais en réalité, peu la virent...

Elle ouvrit la grille d'une main ferme et posée et pénétra dans l'enceinte du domaine. Ce n'est qu'une fois qu'elle fut tout à fait hors de vue des curieux qu'Élisabeth abaissa son capuchon.

Sans l'ombre d'une hésitation, elle monta à l'étage et frappa au bureau de Thierry. Un grognement lui répondit. Elle sourit.

- Ainsi je vois ici un ours et non un beau jeune homme ? Rit-elle gaiement en entrant.

Surpris par cette divine apparition, le révolutionnaire se leva pour l'accueillir.

- C'est que je ne m'attendais pas à voir arriver une princesse !

- Une princesse ? Et ton âme d'anarchiste, qu'en fais-tu ?

- Laisse donc cela... Je n'aime pas parler politique avec toi.

Elle reprit un air grave pour lui dire :

- Et pourtant, c'est ce que je suis venu faire.

- Comment cela ?

- Je viens t'aider. Je veux retrouver l'Inconnu.

- Et tu me l'ameneras ?

Elle prit un air songeur, fine et intelligente...

- Je te l'amenerai. Mais je veux être accompagné par Bastien ou Christian.

- Christian ! S'exclama un peu trop vite Thierry.

- Christian ? Soit ! Maintenant, j'ai à faire. Adieu, Thierry...

Elle lui adressa un charmant signe de la main avant de quitter la pièce. Elle s'assura que nul ne la surveillait avant de grimper à l'étage pour rejoindre le grenier et plus précisément la cachette....

- Elisabeth ? Sursauta Gaston en la voyant entrer. Comment avez-vous découvert...?

- Je sais tout, éluda-t-elle en esquissant un geste vague.

Elle s'approcha du blessé et s'agenouilla...

- Théophile.

- Élisabeth...

- Monsieur ? Accepteriez-vous de nous laisser seuls un instant ? C'est assez important...

Troublé par l'allure digne et fière de la jeune femme, le châtelain obéit.

- Théophile, dites-moi où ils sont ?

Le jeune prêtre avait dardé ses yeux sur la jeune femme et ne parvenait pas à s'en détacher. Il ne comprenait pas comment tant de grâce et tant de finesse pouvaient être alliées en une même personne. Il s'était promi avec une obstination enfantine qu'il ne divulguerait pas ce secret. Mais le cœur des hommes est faible...

- À la grotte de Thymettes.

Élisabeth eut un doux sourire victorieux...

***

- Louise... Louise ! Vous êtes une Saint Udaut, fille de Gaston et Anne de Saint Udaut, petite fille de Gérard de Saint Udaut et sœur de Thierry de Saint Uaut...

- Mais je suis Louise ! Et juste Louise !

- Je vous ferai crier et vous me supplierez d'arrêter... Par vengeance contre votre famille !

- Je vous en supplie... Je vous en supplie ! Ne faites rien ! Je n'ai rien fait ! Je n'ai jamais rien fait !

Elle pleurait, les mains jointes, piteuse... Dégoûté par cette attitude, Charles la repoussa à terre et se mit à la frapper démesurément. Elle pleurait, il frappait... Elle s'était mise à hoqueter de douleur et tentait désespérement de fuir en rampant au sol, en vain !

- Oui ! Vous comprenez maintenant ce que j'ai enduré ! Vous comprenez et cela vous terrifie... Vous répugne ! J'y ai goûté. Thierry y a goûté. C'est votre tour, maintenant...

- Mais qui êtes-vous donc ? S'écria-t-elle en larme. Vous cherchez à me faire subir ce que l'on vous a fait. Mais j'ai déjà ma croix, pourquoi devrais-je porter la vôtre ?

- Dans un monde utopique, nous serions tous égaux.

- Je porte d'autres fardeaux ! Ne me surchargez pas... Ce ne sont pas les vôtres. Ils sont différents. Mais je porte déjà une croix...

- Vous ne comprenez pas ! Vous ne pouvez pas comprendre... Non vous ne pouvez pas ! Moi c'est autre chose, autre chose ! Je suis un homme maudit, balancé par le hasard. Taisez-vous ! Taisez-vous !

Et il la frappa de plus belle. Elle avait arrêté de se débattre et perdait peu à peu connaissance. Lorsqu'elle fut tout à fait inerte et plus pâle que jamais, l'Inconnu cessa ses coups. Il s'assied lourdement sur une pierre pour révâsser.

Du côté de la grotte, les branchages s'agitaient...

***

"Il n'y a plus de cris... Je n'entends plus un bruit ? Mais qu'as-tu fais, pauvre idiote ! Tu as abandonné ton amie ? Lâche ! Cruelle ! Méchante... Eh bien cette fois-ci j'y vais ! Et vite avant que je ne change d'avis. Je sors de cette maudite grotte, à tout prix ! Et une fois dehors, j'avise."

Cette décision enfin prise, Marie-Lys se glissa entre deux ronces pour traverser cette barrière végétale. Des épines déchirèrent sa robe et lui égratinèrent sa peau. Elle continuait tout de même.

En sortant, elle avait une large estafilade qui lui traversait tout le visage, et elle saignait d'un peu partout. Mais la chance était avec elle : elle apperçut l'Inconnu si perdu dans ses pensées qu'il ne l'avait pas vue !

Elle tourna son regard vers Louise et la vit gémir, comme sortant d'une longue torpeur. Elle se tournait dans tous les sens et ses yeux clignaient pour s'habituer à la lumière du jour. Marie-Lys décida d'attendre un peu son réveil pour ensuite attaquer de concert l'Inconnu. Mais très vite, Louise fut réveillée et, à la vue de son amie, se tint prête à bondir.

***

- Vous connaissez cette grotte ?

- Oui.

- Et... Qu'est-ce que vous comptez faire là-bas ?

- Vous, vous resterez caché avec cette corde. J'amène Charles à vous, et vous vous débrouillez.

- Pourquoi faites-vous cela, Élisabeth ?

- Parce qu'il a tué mon père.

Le ton de la jeune femme était particulièrement dur. On la sentait animée d'un feu intérieur assez dévastateur.

- On dit au village que vous l'aimiez...

Elle ne répondit rien. Elle pensait Christian plus secret et cette avalanche de question l'étonnait.

Ils avançaient vite. Ils venaient de traverser la grand'route et s'enfonçaient toujours plus dans le Causse. Élisabeth connaissait cette région par cœur. Ainsi, ce fut sans l'ombre d'une hésitation qu'elle quitta le chemin pour entrer dans un champ. Ils arrivaient.

***

Marie-Lys se jeta sur l'Inconnu et dans son élan le fit tomber. Il allait répliquer et mettre la jeune fille à terre quand Louise intervint pour s'asseoir sans façon sur son dos. Sous le choc, sa respiration fut coupée... Il se mit à respierer bruyamment :

- Mais qu'est-ce que vous faites ?

Louise, d'une voix faible mais décidée, répliqua :

- On agit.

- Laissez-moi m'asseoir de manière plus convenable...

- Non.

Les deux filles ne le montraient pas mais elles tremblaient de peur. Si la tendance s'inversait, elles se retrouveraient en très mauvaise posture. Mais cette fois-ci, elles étaient déterminées à ne rien lâcher et à obtenir un nom.

- Charles ! Donnez-nous votre nom et nous vous relâcherons !

- Yves.

- Ce n'est pas cela ! S'écria Louise toute en colère.

- Bien, je vais vous le dire... Jean-François.

- Non plus !

Elles avaient peur et il le voyait. Elles ne cessaient de jeter des coups d'œil autour d'elles et leur ton était pressant.

- Vite !

- Louise !

La jeune fille se tourna vers Marie-Lys et apperçut son visage blême.

- Louise, Saint Udaut brûle !

De hautes flammes s'élevaient vers la voûte du ciel. La jeune fille eut un hoquet de surprise mais répéta d'une voix plus ferme encore :

- Ton nom !

Des fourrées, Élisabeth jaillit alors mais nul ne la virent. Charles était devenu très pâle, plus pâle même qu'un mort. Il lâcha d'une voix étranglée par la douleur et l'angoisse :

- Octave.

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