> chapitre 4 <
Une lumière blanchâtre crève la barrière de mes paupières et je gémis bruyamment. Je tire la couette sur mes yeux et m'enfouis sous les draps à la fragrance chimique. Mon visage me tiraille douloureusement, j'ai l'impression que l'on s'amuse à brûler ma peau à la flamme d'un briquet. Je soupire avant d'émerger de nouveau hors de la couette. Une fois encore, la lumière blanche abîme ma rétine mais je m'y fais rapidement et le corps encore las, la bouche pâteuse, les cheveux en bataille, je constate qu'il est parti.
Le côté de lit où il reposait est aussi froid qu'une nuit d'hiver, la forme de sa silhouette se découpe encore sur le matelas, mais son odeur et sa chaleur se sont effacées depuis bien longtemps.
« - Taehyung ? »
Et lorsque ma voix rauque fait écho dans la petite chambre, les larmes me montent aux yeux.
Il est parti ?
Il s'est fait arrêter ?
Peut-être est-il seulement sorti faire les courses.
Les liens qui écrasent mon cœur se desserrent un peu.
Peut-être va-t-il revenir.
Puis, quand un grattement métallique résonne dans le corridor, je m'empresse de bondir bord du lit, une violente douleur fusant dans tout mon corps. Je m'écrase jusqu'à la porte au judas inutile, et l'ouvre à la volée. Je gémis presque quand mon cœur est enfin libéré de ses liens, et que le visage surpris de mon patron s'étonne devant moi.
Ses joues sont rosées, ses lèvres un peu trop sèches et son regard larmoyant. Je devine qu'il était bel et bien à l'extérieur, maltraité par le vent glacial sans répit, fouetté par ces bourrasques tétanisantes.
« - J'ai cru que vous étiez parti..., je murmure. »
Son regard s'attriste.
Puis durcit.
Jusqu'à n'être que cette vulgaire facette qu'il s'empresse de revêtir depuis tout ça.
« - J'étais sorti chercher à manger. »
C'est n'est qu'à ce moment-là que je remarque la petite poche au logo célèbre, scier la pulpe de ses longs doigts.
Je me pousse aussitôt de l'entrée, le laissant pénétrer dans la chambre à l'odeur de renfermé.
Il dépose le sac sur le lit défait puis quitte son long manteau noir qu'un peu de sang sec orne les coutures.
Il souffle sur ses mains pétrifiées par le froid et vient les poser sur le radiateur, au coin de la chambre.
Le silence me gêne.
J'ai tellement de choses à dire.
J'ai tellement d'excuses à faire.
Que j'en deviens muet.
« - Tu peux manger tant que c'est à peu près encore chaud.
- Non, je vous attends. »
Il délaisse aussitôt l'objet résurecteur de ses mains, et s'assit en tailleur sur le lit. Il tire le sac jusqu'à lui et en sort plusieurs boîtes en carton. Je m'assois à ses côtés et il me tend un géant gobelet encore fumant.
« - Je t'ai pris un chocolat chaud, je ne sais pas si tu aimes...
- Je ne bois que ça, merci. »
Pendant une seconde il semble soulagé.
Il ouvre ensuite les boîtes de carton regorgeant de viennoiseries séduisantes.
« - Est-ce que tu peux manger tout seul ? »
J'amène le gobelet jusqu'à mes lèvres, et malgré ma légère douleur et mon envie de me faire de nouveau chouchouter, j'hoche la tête.
Alors de ses longs doigts que j'imagine encore froids, il attrape un donut au nappage joliment décoré. Je suis du regard le chemin qu'il empreinte, du vulgaire bout de carton, à ses lèvres fines et abîmées. Quand il mord dans le bout de pâte alvéolé, j'observe sa mâchoire si bien dessinée se mouver, dans des mouvements un peu secs et silencieux. Il répète ces gestes de nombreuses fois, jusqu'à ce qu'il ne reste entre ses doigts qu'un peu de sucre. Il vient sucer le bout de son index, puis pose ses lippes sur les autres, emplissant la pièce de bruits de succion délicieusement perturbants.
« - Tu ne manges pas ? »
Je retiens un sursaut.
« - Si . »
Alors je l'imite.
Et dix minutes après, on peut voir le fond de la boîte aux tâches de gras. J'avale la dernière goulée de ma boisson maintenant tiède et observe Taehyung faire de même, me délectant de sa pomme d'Adam qui monte et redescend.
Le silence.
Toujours ce silence.
Il écrase le gobelet dans sa main, comme la vieille avec la boîte de nouille et je me demande si ce n'est pas un de ses tics. Habile, il le lance dans le sac poubelle qui repose éternellement près de l'entrée. Sans même vérifier qu'il ne s'est pas loupé - et il ne l'a pas fait - il reporte son regard en face de lui, autrement dit, sur ma misérable existence.
Ses orbes meurtris saignent quand il retrace les courbes que dessinent mes blessures.
« - Pourquoi Jungkook ? »
Mon cœur se fissure un peu car son ton qu'il souhaitait sûrement bien plus neutre qu'il ne l'était a trahi sa facette indifférente.
« - Pourquoi tu y es allé ?
- Je ne sais pas..., dis-je en baissant le regard. »
En fait, si, je savais très bien pourquoi.
Pour lui plaire.
Pour qu'il soit fier.
Pour qu'il passe sa main dans mes cheveux et me remercie.
Parce que quand il me remercie, j'ai enfin l'impression de servir à quelque chose.
Mais j'ai tellement merdé.
Et son calme tremblotant se brise.
« - Tu ne sais pas !? Te fous pas de moi Jungkook !, crie-t-il. »
- Je-je suis désolé Taehyung, je voulais-
- Tu fais quoi ? Une crise d'adolescence ? Tu crois que j'ai besoin de ça sur les bras ? Un gamin capricieux qui parce qu'il se fait engueuler va-... »
Il se stoppe et passe une main rageuse dans ses cheveux châtains.
« - Tu sais ce qu'il se serait passé si Jimin ne m'avait pas appelé ?
- J-je-
- Tu sais ce qu'il se serait passé si j'avais pas grillé tous les feux de la capitale Jungkook ?, me coupe-t-il.
- Taehyung...
- Tu serais mort. »
Les larmes glissent dans les creux de mes plaies.
« - Il allait te tuer Jungkook, tu le sais ça ? Peut-être même qu'il aurait baisé ton cadavre. Et tu ne sais même pas ? Tu ne sais pas pourquoi tu y es allé ? »
J'ai envie de vomir.
« - Je voulais v-vous faire plaisir..., geins-je.
- Me faire plaisir ?, il rit jaune. Tu pensais que ça me ferait plaisir de te voir partir avec ce fils de pute ? Tu te fous de moi ?
- Je v-voulais que vous soyez fier de moi. Je voulais que vous me disiez merci Taehyung..., je rétorque, les larmes m'offrant cet air pathétique qui finalement me correspond si bien.
- Mais tu as quel âge Jungkook ?!
- J-je suis désolé Taehyung, tellement désolé... »
Son mutisme assourdit la pièce et mes larmes se tarissent après de longues minutes.
« - Pardonnez-moi, je vous en supplie..., finis-je par souffler, la tête baissée.
- Je vais partir Jungkook. »
Je me redresse à m'en briser la nuque et ma laisse mourir sous son regard vide.
« - Q-quoi ?
- Je m'en vais. Loin du club. Loin d'ici.
- N-non... Pourquoi ?
- J'ai tué quelqu'un Jungkook. »
A ce moment je crois sincèrement qu'il ne reste plus rien de mon coeur.
« - Non, non, non... Vous ne pouvez pas partir..., je murmure si bas que je pense qu'il ne m'entend pas.
- J'ai un train ce soir, un ami à moi viendra te récupérer ici. »
Je bondis du lit et me jette sur lui, d'un désespoir minable. Mes bras douloureux s'élèvent et je plaque mes deux mains autour de son visage surpris.
« - Vous ne pouvez pas partir, vous ne pouvez pas me laisser.
- Je n'ai pas le choix Jungkook, il faut que je disparaisse.
- Vous êtes le seul qu'il me reste, je ne suis plus rien sans vous, vous n'avez pas le droit, vous n'avez pas le droit de m'abandonner.
- Yoongi prendra mon poste, il s'occupera de toi, ne t'inquiète pas, tu ne perds pas ton job.
- Mais j'en ai rien à foutre de mon job !, je crie et il se tend. J'en ai rien à foutre... »
Il m'observe et j'aime la façon qu'il a de me regarder, comme si j'étais précieux, comme si je comptais pour lui.
« - Laissez-moi venir avec vous. »
Il attrape mes poignets et me les arrache de son visage.
« - Pas question. »
Il s'échappe de mon emprise et commence à faire les cent pas dans la pièce. Je m'écroule sur le lit, rester debout aussi longtemps restant un effort douloureux.
« - Tout ça, c'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû t'embarquer là-dedans. Je dois en assumer les conséquences, pas toi.
- Parce que vous pensez que le fait que vous partiez me blessera moins que si vous restiez ? »
Il paraît troublé et me jette un coup d'oeil.
« - Je... De toute façon c'est non. Tu ne peux pas tout laisser et-
- Vous n'avez toujours pas compris que je n'ai plus rien à par vous ?, je le coupe. »
Sa carapace semble se fissurer à mesure que je détruis ses excuses. Je me lève de nouveau et m'approche de lui.
« - Si je suis venu demander votre aide, si j'ai finis à danser à moitié à poil au milieu d'une scène, ce n'est pas par envie. Je n'ai plus rien. Je ne vais plus à l'université car ça coûte trop cher, je fais la plonge à mi-temps dans un vieux restau' de touriste. Je n'ai plus rien, plus de famille, plus rien à quoi m'accrocher à part vous. Vous avez été le seul à prendre soin de moi, à m'offrir un repas après mes prestations, à caresser mes cheveux quand j'avais bien travaillé. »
Tout en disant ces mots, j'attrape sa main à la peau sèche et la pose sur le haut de ma tête.
« - Jimin disait que je ressemblais à pauvre clébard quand vous faisiez ça., je ris un peu. Mais c'était les meilleurs moments de mes journées. Pathétique hein ? »
Sa main finit par se mouler à mon crâne et je sens ses doigts s'entremêler à mes cheveux noirs. Je ferme les yeux quelques secondes, appréciant la douce sensation que sa proximité me procure, puis rouvre mes paupières.
« - Je n'ai plus rien à perdre. Laissez-moi venir, je vous en prie. »
Ses orbes redessinent mes traits abîmés, cavalent sur ma peau corrompue, lisent mes yeux d'idiot et j'ai soudainement envie de l'embrasser.
« - On part ce soir. »
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