Chapitre 19 : « Laissez-moi être égoïste »

Gulf

« Je sais seulement que c'est de l'amour. »

« Je suis tellement chanceux de t'avoir ici. »

Ces paroles lourdes de sens tournent en boucle dans ma tête. Je fais les cent pas dans la loge, agité. Quand le présentateur a demandé à qui était destinée cette balade au piano, Mew a mentionné les fans, mais son regard appuyé sur moi ne laissait aucune place à l'interprétation.

Pudique, taciturne et introverti, me voilà pourtant en couple avec un homme sûr de lui et ouvert sur ses sentiments comme personne. Dans ma famille, on ne se dit jamais je t'aime, c'est une sorte de règle tacite. La pudeur comme héritage. Notre amour, on le montre par des taquineries, ou des gestes subtiles, jamais à travers de grandes déclarations.

Mew, lui, a besoin d'exprimer ses sentiments à travers des chansons, des discours, de touchantes attentions. C'est un véritable artiste sensible à la poésie, doué avec les mots et amoureux de l'amour... Je me sens comme un gosse naïf et irréfléchi à côté de lui, immature affectivement et seulement capable d'exprimer mon amour par ma sensualité. J'ai encore du chemin à faire.

Sa déclaration, car je le connais assez pour savoir que c'en était une, m'a complètement désarçonné.

J'entends une clameur intense s'élever dans la salle, tel un bouquet final. L'évènement doit être terminé. J'hésite entre me cacher dans le dressing ou fuir, incapable d'affronter le regard de Mew. May est occupée à pianoter sur son téléphone dans un coin de la pièce, jetant régulièrement des regards perplexes dans ma direction.

— Tu vas rester en place, à la fin. Pourquoi tu es si nerveux ?

— Pour rien.

Je décide de m'asseoir et de respirer profondément pour retrouver un semblant de contrôle sur moi-même. Ma jambe tressaute malgré moi, signe d'un état de nervosité élevé.

— C'est Mew qui te met dans tous tes états ? lance May, impertinente.

— P'May ! Je t'en pose des questions ?

— Eh bien tu devrais, mon cher. J'aurais peut-être quelques conseils pour toi.

Je plisse les yeux, ma curiosité piquée.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Elle soupire et se lève pour me rejoindre, posant une main maternelle sur ma joue. Depuis toujours, May a été présente pour moi. Elle était là, à chaque étape de ma vie. Pour Mew, je ne lui ai encore rien dit. Il est trop tôt. Mais P'May est trop maline pour se laisser mener en bateau, et ses allusions multiples ne font plus de doute.

— Tu sais, quand Best m'a fait sa déclaration, j'ai fui.

— Je ne savais pas...

— J'avais des problèmes de confiance, à l'époque. Par le passé, j'avais vécu des histoires douloureuses, qui m'avaient fait perdre foi en l'amour.

— Comment tu as dépassé ça, alors ?

May sourit, amusée par mon soudain intérêt pour sa vie sentimentale.

— Je n'ai pas pu rendre ses sentiments à Best.

— Quoi ?

— Pas tout de suite, je veux dire. C'était trop tôt pour moi. Je ne pouvais pas m'engager. Best a été compréhensif, mais il a continué à me courtiser et surtout à être là pour moi. Il a entendu mes réserves, patient. Il n'a jamais cessé de me montrer son amour, et moi je lui donnais des signes à mon rythme. On a tout simplement respecté nos sentiments, sans se mettre de pression, et les choses se sont résolues d'elles-mêmes avec le temps. Aujourd'hui, on est le couple le plus heureux de la terre.

— Aussi simplement que ça ?

— Aussi simplement que ça.

— Pourquoi tu me racontes ça, de toute façon ? me reprends-je, faisant mine de ne pas saisir le parallèle avec ma propre relation.

— Pour rien. Pour rien. C'est juste une anecdote sur l'amour. Personne n'est obligé d'avancer au même rythme, tu sais.

Je détourne le regard, méditant ses sages paroles. May se met à fredonner « I Just Know It's Love », avec un sourire en coin. Je lui lance un regard noir, ne parvenant qu'à provoquer son hilarité.

Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvre sur Mew dans son magnifique costume de scène. Ma manager me fait un clin d'œil, avant de quitter la pièce, non sans avoir félicité Mew au passage pour sa belle prestation.

Ses yeux brillent d'un éclat surnaturel en se posant sur moi. Des mots semblent perler au bord de ses lèvres. Des mots que je peux presque voir se dessiner dans l'air. Des mots qu'il retient pourtant en voyant ma posture nerveuse, mon agitation maladroite. Il semble gêné, presque coupable. Je me lève, tremblant, et l'enlace comme s'il était un enfant ayant besoin de réconfort.

— Tua eng, je...

— Non, ne dis rien. Je sais.

Je pose un doigt sur ses lèvres, avant de l'embrasser tendrement, transmettant ma compréhension à travers ce baiser, mais aussi mon besoin de mutisme. Parfois, les actions parlent plus fort que les mots.

Je le veux pour toujours à mes côtés. Plus que tout. Mais il me faut encore un peu de temps pour mettre des mots sur cette passion inédite et dévorante, presque aliénante. C'est trop fort, trop vite, trop tôt. J'ai besoin de garder le contrôle, au risque de me laisser engloutir dans l'océan profond de mes émotions, sans jamais pouvoir revenir à la surface. Je me protège...

— Merci à toi aussi d'être là pour moi, déclaré-je après le baiser, en lui caressant la joue.

~~

Fanmeeting Tharntype, 9 février 2020

Je suis tellement content de retrouver toute la bande ! On travaille d'arrache-pied depuis l'aube, mais cette répétition est aussi une grande récréation, me ramenant des mois en arrière, au temps du tournage. Comme si rien n'avait changé. Mild et Kaownah font toujours les clowns, ne manquant pas de nous taquiner comme au premier jour. Ils ne se lassent jamais, sérieusement ?

À chaque pause, Mew et moi nous effondrons dans le canapé en plein milieu de la scène vide, emmêlés ensemble. Le regard de nos amis ne nous a jamais arrêté, de toute façon. Quand la fatigue se fait ressentir, je m'accroche à Mew, tel un koala agrippé à sa branche. Je suis devenu assez câlin maintenant, je dois dire. L'appel de la peau de Mew. Les balbutiements de notre intimité physique m'ont transformé en boule de tendresse.

Après le dernier filage, nous nous retrouvons en salle de pause pour nous détendre. Mew et moi avons revêtu, pour les essayages, une des nombreuses tenues préparées pour le show : pantalon bleu cintré à la taille retenu par un cordon et chemise en coton de la même couleur. Un subtil mariage entre élégance et décontraction. Il m'aide à ajuster la ceinture de mon pantalon, puis me tire sur ses genoux sans ménagement en entourant ma taille fine de ses bras musclés. Aguicheur, il fait tressauter sa cuisse entre mes jambes. Malgré moi, une lave commence à se déverser dans mes entrailles, embrasant déjà mon bas-ventre. Je me lève précipitamment pour fuir cette proximité trop dangereuse, sous l'œil déçu de mon petit ami collant. Je rejoins Mild, occupé à faire un live Instagram.

— Gulf, tu arrives au bon moment. Quelqu'un demande si ton cœur est libre ?

Pris de cours, je ne sais quoi répondre, mais j'ai comme l'envie d'attiser Mew. Une juste revanche.

— Phi, est-ce que je suis libre ?

Mild tourne la caméra vers lui, goguenard. Mew reste interdit quelques secondes, avisant mes yeux provocateurs.

— Certainement pas ! répond-il avec élan.

On joue un jeu dangereux, on le sait pertinemment, mais on ne peut s'empêcher de flirter tout le temps, même devant les fans. Mew prend parfois un malin plaisir à me revendiquer comme sien, oubliant ses beaux discours sur la discrétion. Le public nous croit déjà ensemble depuis un moment de toute façon, alors un peu plus, un peu moins... Ce n'est qu'un jeu. On peut bien joindre l'utile à l'agréable, de temps en temps, tant que cela reste inoffensif.

Il est temps d'aller faire une sieste. J'emprunte l'escalier menant aux étages où se trouvent les loges, tout en ignorant Mew. Il m'attrape le bras avec force pour me retenir, l'air à moitié fâché, à moitié affamé. Je lui lance un regard brûlant avant de me dégager de sa poigne et de quitter la pièce.

https://youtu.be/DoA7y0mu1kw

Une fatigue écrasante s'abat sur moi. Je dois absolument piquer un somme si je veux être en forme pour ce soir. Je m'enfonce dans le matelas après avoir changé de tenue, rabattant sur moi la couverture, frileux. Je commence à m'assoupir, tout somnolant, lorsque je sens un corps chaud se coller contre mon dos.

— Yai nong... Tu dors ? me souffle Mew dans la nuque.

— Hum...

— Ton cœur n'est absolument pas libre, gronde-t-il gentiment.

Je gémis sensuellement, partagé entre mon besoin de sommeil et l'appel de ses caresses.

— J'ai tellement envie de toi, me lance-t-il sans ambages.

— P'Mew...

Il se serre contre moi, passe un bras chaud sur mon ventre, sous mon tee-shirt, caresse mes flancs puis mes tétons qu'il taquine doucement. Je suis à moitié endormi, mais j'apprécie le contact de ses doigts sur cette zone de mon corps encore inexplorée, me cambrant instinctivement. Nous partageons un câlin doux et chaud, à demi ensommeillés.

— Toi, tu ne perds rien pour attendre... me menace-t-il tout en frottant son pouce contre l'un de mes tétons sensibles, me faisant frémir d'anticipation.

Je ressens à quel point il a envie de moi, et à quel point il se contrôle.

— Ça me va... bredouillé-je avant de sombrer dans un sommeil léger mais tellement réconfortant.

Je sens le corps de Mew tout contre moi, ainsi que son sexe logé entre mes fesses, comme si ça avait toujours été sa place. Sa bouche suçote langoureusement ma nuque et sa main trace de petits cercles réguliers sur mon ventre, me berçant de caresses aussi apaisantes que sensuelles.

Je suis tiré de ma sieste par un bruit de pas feutrés sur le parquet. Ce n'est pas dans mes habitudes de me réveiller pour si peu, mais je ne dormais pas profondément, beaucoup trop sensible à la présence de Mew et presque prêt à céder à l'appel de la chair dans ce lieu interdit.

J'entrouvre un œil. Mild, muni de son téléphone, capture notre câlin. Je fais mine de dormir, pas vraiment d'humeur à poser pour la photo. Surexcité par la scène qui s'offre à lui, Mild nous bombarde en gloussant. J'entends mon petit ami grogner, repoussant l'appareil de notre première fangirl. S'il savait pour nous deux, il ne se permettrait peut-être pas cette intrusion ludique. Il chuchote en s'adressant à Mew, espiègle.

https://youtu.be/hXlSLXtUbwE

— Alors alors ? Comment avance la parade nuptiale avec notre yai nong ?

Je m'oblige à rester impassible, surpris de cette remarque mais surtout curieux de connaître la suite, en auditeur planqué.

— Mild ! le gronde Mew, l'incitant à la discrétion.

— Bah quoi ? Tu ne me racontes jamais rien, se plaint-il. Pourquoi vous êtes toujours aussi secrets tous les deux ? Je vous aime tellement les gars, mais vous ne partagez rien avec moi.

Je sens le matelas s'affaisser. Mild s'assoit au bord du lit. J'imagine son adorable visage grognon d'ici.

— Mild... Je suis désolé. Ce n'est pas que nous voulons t'exclure, mais...

— « Nous » ? Alors il y a un nous ? reprend-il de plus belle avec excitation.

Ce Mild, une véritable girouette émotionnelle. Il papillonne probablement des yeux à présent, la bouche en cœur, en quête de potins.

— Comment dire... eh bien...

La main de Mew masse mes cheveux avec tendresse.

— Non ? Ne me dis pas que... ?

Encore une fois, une image de Mild la main sur la bouche et les yeux écarquillés, tel un mime expressif, s'impose à moi. J'adore ce garçon, je n'en voudrais pas à Mew de lui parler de nous deux. Mild est plus que digne de notre confiance et de notre amitié. Il est notre best boy.

— Mild, écoute, promets-moi de tenir ta langue.

— Motus et bouche cousu. Croix de bois, croix de fer...

— C'est bon, c'est bon. J'ai saisi. Eh bien... Yai nong et moi, on s'est rapproché.

— Sainte mère de dieu, je le savais !

— Et c'est même un peu grâce à toi, d'ailleurs. Je lui ai fait ma déclaration à cette soirée au bar, après notre discussion.

— Et tu ne me le dis que maintenant ?!

— Parle plus bas... Il a encore besoin de dormir, murmure Mew en me veillant amoureusement.

— Toi, tu es fondu, hein.

Mew ne répond pas, mais je l'entends soupirer avec émotion.

— Donc... vous êtes ensemble ?

— Oui, on est ensemble.

— Ah !!!

Le lit est secoué sous les gigotements chaotiques de Mild, qui peine à contenir sa réaction euphorique.

— Mild... gronde Mew sur un ton menaçant.

— Pardon... reprend-il à voix basse. Même si tu sais autant que moi que le passage d'un tank ne le réveillerait pas. Je suis surexcité ! Je vous soutiendrai toujours les gars, vous avez ma parole. Je vous aime tellement.

— Nous aussi, Mild, nous aussi.

~~

Le fanmeeting pour célébrer la fin de Tharntype est l'évènement le plus impressionnant que l'on ait présenté. Un divertissement démesuré et extravagant, à la hauteur du succès de la série : un spectacle total. Costumes à paillettes, chorégraphies, jeux en direct, animations... Les heures s'écoulent et l'équipe donne son meilleur pour faire vibrer l'assistance.

L'émotion, parmi nous, est également à son paroxysme. Au delà de l'euphorie, une certaine nostalgie couve, troublant mélange de joie et de tristesse. C'est la fin de toute une époque, un adieu.

Trois heures de spectacle plus tard, la soirée touche à sa fin. C'est le moment des beaux discours. Mew, vivement ému, a déjà les yeux humides. Son émotion me contamine. Il s'empare du micro et commence à se livrer, balaye du regard le public puis mon visage, sur lequel il revient continuellement ; un marin accroché à la lumière d'un phare dans la nuit.

Je ressens tellement... je ne sais pas exactement, mais je sais seulement que c'est de l'amour. Il m'a pris sous son aile, guidé, protégé, compris, séduit, aimé... Le parfait partenaire de travail, le parfait partenaire en amour. L'amant que je n'attendais pas, mais dont j'avais besoin sans le savoir. En l'écoutant, mes yeux se remplissent de larmes.

— Merci à toute l'équipe, merci à P'Mame. Pour être honnête, je me sens un peu vide ce soir, car c'est censé être le dernier projet pour Tharntype. L'expérience qu'on a vécu tous ensemble était tellement géniale et significative...

Mew s'interrompt, trop ému pour poursuivre. Il hésite longuement avant de reprendre.

— Laissez-moi être égoïste pour une fois...

Dans sa voix, des sanglots. Il se tourne vers moi.

— Merci pour notre rencontre. Phi aime Nong.

Il me prend dans ses bras, devant la foule stupéfaite. « Laissez moi être égoïste pour une fois. » Je comprends tant de choses à travers cette phrase mystérieuse.

Égoïste car il ne pense pas à la bienséance, à ce qui conviendrait, à ce qu'on attend de lui. Égoïste de ne plus cacher ses sentiments amoureux plus longtemps, au risque de heurter certaines personnes, et y compris moi. Égoïste d'exprimer son amour, dans un monde de chaos qui le mépriserait, le jugerait, même. Une anomalie, brisant la chaîne de l'ordre établi. Une voix haute et forte dans un monde qui refuse d'entendre.

Y a-t-il une plus belle façon d'être égoïste ?

Je réponds à son étreinte, lève machinalement mon micro pour lui répondre, avant de suspendre mon geste au dernier moment. Le public n'a pas besoin de savoir.

— Moi aussi... soufflé-je pudiquement dans son oreille, pour lui seul.

Son amour, en réalité, je l'ai déjà accepté depuis longtemps.

~~

Un chapitre un peu court, car ce n'est qu'une première partie en réalité. Désolée ! Promis, je ne vais pas vous faire mariner trop longtemps, car la suite est déjà prête ! Je la poste dans quelques petits jours, si vous êtes sages 😝

Bon week-end !

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