CHAPITRE XXXVI
Septembre1715, Palais-Royal, Magistère...
Trois ans. Trois ans que Vitaly Sharpov avait pour ainsi dire disparu de la surface de la Terre. Il était certes coutumier du fait, mais Hector dût bien se résoudre à faire passer d'autres affaires en priorités. Markus Wolf, son homologue au sein de l'Empire Magique d'Occident, avait été retrouvé mort, ainsi qu'une dizaine de ses agents, non loin d'une rivière. Tués par un dragon d'eau semblait-il. Hector ne pleurait pas sa mort, mais son efficacité se faisait déjà remarquer par son absence, Hector lui ayant plus ou moins laissé à charge la traque de Vitaly. Il avait aussi dû se soumettre à une nouvelle tâche, qui consistait plus où moins à remplacer Markus Wolf à la tête de la Brigade Invisible dans toute l'Europe. L'efficacité, les relations et la réputation d'Hector l'avait propulsé à un poste dont il se serait bien passé. Il avait hérité de biens des problèmes. Par chance, Hector possédait un don inné de l'organisation. Il avait réformé les effectifs des Aurors dans tout l'Empire en se basant sur sa brigade de Paris, ainsi il pouvait continuer à gérer les affaires depuis son bureau au Magistère sans être obligé de se trouver à Walpurgis. Il y passait néanmoins pour retrouver Achille, toujours à jouer auprès du nouvel Empereur avec un succès qu'il devait autant à son talent qu'à sa victoire au Tournoi des Trois Sorciers, des années plus tôt. Les deux amants se voyaient régulièrement. Une fois par semaine, Hector se rendait au palais Impérial présenter un rapport à l'Empereur. Si cette journée hebdomadaire était longue, ennuyeuse et fastidieuse, elle valait la récompense le soir venu.
Le matin du 1 Septembre 1715 fût cependant très chargé pour Hector. Alors qu'il avait encore passé la nuit aux Archives du Magistère, pour faire la lumière sur un père qu'il n'espérait plus vraiment trouver, Hector fût convoqué par les Bradefer. Ces derniers lui firent part de la mort du Roy de France et de Navarre, Louis XIV.
- Le Roy est mort. Vive Le Roy.
Ce fût la seule chose que trouva Hector à en dire. Cela ne lui faisait rien de particulier que le vieillissant et malade monarque Insorcellé passe la baguette à gauche.
- Autre chose ? Demanda-t-il tandis qu'il sondait de son regard flouté et désormais cave, ses supérieurs.
- Non, ça ira. Rompez, commandant.
Hector ne se fit pas prier. Il passa à son bureau où il espérait trouver Harald avec une lettre d'Achille, mais l'oiseau n'était pas là. Il redescendit aux Archives pour continuer ses investigations. Alors qu'il cherchait, Hector sentit son ventre se tordre et se contracter. Une nausée le guettait. « Le manque de sommeil... » se dit-il en ignorant complètement une vague pensée qui lui traversa si vite l'esprit qu'il ne la vit que passer. Repoussant son trouble, il poursuivit ses recherches. Dans la fin de matinée, l'archiviste en chef, le maître Despages, trouva Hector endormi par terre. Il le réveilla et quand ce dernier ouvrit les yeux, le vieil homme eût un hoquet. La bouche ouverte, il laissait échapper des sons sans queues ni têtes.
- Et bien alors, n'avez-vous jamais vu un homme se réveiller ? Demanda Hector, exaspéré par cette attitude qu'il ne comprenait pas.
- Je... Vous... J'ignorais que... Enfin... Vous comprenez...
- Je comprends quoi ? Dit Hector excédé par cette comédie.
- Vos yeux... J'ignorais que vous étiez de cette famille, messire, bafouilla le maître Despages en s'inclinant avec respect et déférence.
- Mes yeux ? Et bien... mais Hector n'acheva pas sa phrase. Son charme de mystification s'était évaporé dans son sommeil et c'était la première fois que le vieillard archiviste voyait réellement ses deux yeux. Hector attrapa l'épaule du vieil homme et le redressa de force. De quelle famille parlez-vous ?
L'archiviste gémit sous l'effet de la poigne de l'Auror.
- Commandant, vous me faîtes mal...
Hector lui lâcha l'épaule sans pour autant cesser de le fixer avec un air à moitié fou.
- De quelle famille ? Répéta Hector. Parlez ! Tonna-t-il face aux bredouillages de l'Archiviste.
- Sa-a-a-a-lazar, messire.
- Salazar ?
Hector leva les yeux d'un demi centimètres et fouilla au fond de sa mémoire d'où il avait déjà entendu ce nom. Il l'avait lu, il en était certain, mais où. Soudain il sût : dans les Archives des Flamel. Il s'agissait d'une vieille famille, l'une des plus vieille de France. Récemment anoblie par un mariage entre un certain Alexandre et une dénommée Mélusine. Le mari était mort assassiné quelques mois avant la naissance d'Hector.
- Foutaises ! Lâcha rageusement Hector. Si j'étais un Salazar, je crois bien que j'en serais le premier informé !
- Vous avez ses yeux pourtant, geignit le maître Despages qui essayait de se faire tout petit face à la colère visible sur le visage du commandant des Aurors.
- Comment savez-vous à quoi pouvaient bien ressembler les yeux d'un sorcier mort il y a plus de trente ans !
- Son portrait est dans le couloir des Illustres.
L'archiviste était à deux doigts de perdre sa contenance, Hector sa patience. Il inspira un grand coup, rangea tout ce qu'il avait sorti d'un claquement de doigts et quitta les Archives pour trouver ce tableau. Il n'avait même pas prit la précaution de dissimuler son œil. Lorsqu'il arriva dans le couloir en question, il chercha un dénommé Salazar. Il finit par le trouver, au bout du couloir. Il était le dernier des Illustres. Il s'agissait d'Alexandre Salazar et il partageait avec Hector non seulement ses yeux, mais aussi quelques traits de visages. Hector en resta coi. Une phrase de Jean Torbert lui revint en mémoire :
« Lorsque l'on élimine l'impossible, tout ce qui reste, aussi improbable que ce soit est certainement la vérité. »
Le portrait d'Alexandre le dévisageait avec gravité, tristesse presque. Lorsqu'il tenta de lui parler, Hector s'en fût directement au 51 rue de Montmorency, ignorant son ventre qui se tordait dans tous les sens.
Délier un sorcier d'un Serment Inviolable était une chose qu'Hector avait apprise avec Morven Peverell, mais qu'il n'avait jamais expérimenté. Pourtant, il s'était juré de connaître la vérité et l'avait clairement fait savoir à ses tuteurs d'enfance lorsqu'il avait passé le pas de leur porte. À la fin de la journée, après qu'il eût presque tué Pernelle et faire perdre connaissance à Nicolas, Hector avait enfin sa réponse. Après quinze années de fouilles infructueuses dans les archives, après plus de vingt-cinq ans à se poser cette question, Hector Salazar venait enfin d'avoir une réponse. Il était le fils bâtard d'Alexandre Salazar et Orphée Peverell. La nouvelle fût si choquante que son mal de ventre lui sortit de l'esprit. Il n'en reprit conscience que le soir même, lorsqu'il se laissa tomber sur son lit, dans son appartement. Voilà bien longtemps qu'il n'avait plus été malade. Mais sa maladie devrait attendre. Sitôt assis, un pigeon lui apporta un morceau de parchemin avec un sceau qu'il ne reconnu pas immédiatement. Lorsqu'il prit conscience qu'il s'agissait de son antenne des Aurors aux abords de Toulon, son mal de ventre lui noua toutes les entrailles et un vieux souvenir lui tortura l'esprit. Il se rua sur sa baguette et transplana immédiatement vers la ferme des Coridel...
La ferme était en ruines. De la fumée s'échappait encore de l'intérieur. Hector se dirigea en courant vers la porte d'entrée. Dans un grincement aigu, la porte s'ouvrit. Hector entra baguette en main. Le sol était jonché de débris de toute sorte. Tout était sans dessus dessous : les chaises renversées et brisées, les étagères et autres meubles en morceaux, le plancher défoncé par endroits et une odeur âpre de cadavre flottait dans l'air. Hector avança vers l'escalier situé dans un petit renfoncement derrière la cuisine. Il traversa la pièce en prenant garde de ne pas marcher sur ce qui traînait au sol. Son regard se posa soudain sur un objet qui lui était familier. Une carte de Paris, où ce qu'il en restait. Son visage se crispa et sa main droite commença à trembler violemment, des crépitements produisaient des étincelles au bout de ses doigts. Au même instant, un croassement sourd retentit, Hector releva la tête et se dirigea vers l'escalier. Il gravit les marches et avança dans le petit couloir. Il avança vers une porte qu'il connaissait très bien et son cœur s'arrêta. Il posa sa main sur la poignée et fit glisser la porte sur ses gonds.
Soudain, une énorme créature sortit de l'obscurité et lui sauta à la figure. Hector se débattit pour l'empêcher d'enfoncer ses serres gigantesque dans ses yeux. La créature dégagea de la tête de l'Auror et se posa sur son torse, les serres enfoncées dans la poitrine du sorcier. Hector reconnu son corbeau. Harald reconnu son maître et se dégagea brutalement de sa cible. Hector se releva et entra dans la pièce Harald vint se poser devant lui, sur le lit. Il avait une lettre était attachée à sa patte. Hector le regarda droit dans les yeux.
- Qu'est ce que tu fais avec ça ? Sa voix d'habitude si ferme, si dure, tremblait, chevrotante d'une terreur sans nom.
Alors qu'il voulu débarrasser son oiseau d'une lettre qu'Hector reconnaissait pour l'avoir écrite de sa main, il vit, une paire de bottes. Hector regarda son corbeau, la lettre puis les bottes, les larmes aux yeux, marmonnant des « non » répétés comme un charme de protection. Il passa à côté de Harald qui croassa doucement, comme une plainte de douleur. Hector, debout devant le cadavre ne bougeait plus. Sa main droite tremblait fortement. Des éclairs noirs crépitaient tout autour de lui. D'un geste brutal, il étendit son bras droit vers le mur et celui-ci vola en éclat, éclairant la pièce à la lumière du jour. Un nuage de poussière immense emplit la pièce un moment, avant de se dissiper. Hector, toujours debout son bras en suspend, ne bougeait pas. Il regardait le cadavre d'Achille, dont les mains ensanglantées ne tenait plus qu'une lettre taché d'écarlate. Sa baguette magique reposait sur le sol, un peu plus loin. Hector tomba à genoux dans un bruit sourd. Hector poussa un hurlement inhumain qui provoqua une onde de choc rasant l'étage de la ferme. Le plafond, les murs, et tout ce qu'il restait d'intact vola au loin. Le soleil, insolant de joie fit scintiller une bague récemment offerte par Hector à son amant où il était gravé en runique : « Ég mun elska þig að eilífu. », autrement dit : « Je t'aimerais éternellement ».
Tremblant, Hector s'approcha du cadavre et releva le corps sans vie d'Achille.
- Non, non, non. Achille, je t'en prie, réponds-moi. Achille, mon amour... ACHILLE, PARLE-MOI !
Il tenait à présent Achille dans ses bras, sa tête dans son cou, dans une ultime étreinte. Hector avait le cœur broyé, détruit, anéanti. Sans s'en apercevoir, l'Auror s'était mis à pleurer, la tête enfouie dans la crinière dorée de son amant. Il avait l'impression qu'on lui avait arraché une partie de lui-même. Il caressa le visage froid d'Achille et c'est alors qu'il les vit, dans son cou, les deux petits trous rougeâtres. Sa douleur se changea instantanément en une colère si noire qu'elle corrompu à tout jamais son âme et le hurlement qui suivit résonna dans l'éternité, jusque dans les profondeurs de territoires accessibles aux seuls dieux.
- VITALY !
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