Chapitre 16 (partie 1)
Axelle.
— Au fait, demain, t'es dispo ? m'a demandé Julien en rangeant le matériel.
— Heu, oui, pourquoi ? ai-je répondu suspicieuse.
— Pour m'assister en tant que kiné sportif. J'ai cru comprendre que cette spécialisation t'intéressait, alors pourquoi ne pas venir avec moi ?
J'ai bien été naïve. Si la proposition est plus qu'alléchante, le match que je vais observer ne m'attire guère. Nousty. Pourquoi tous les astres ont-ils décidé de mener mon chemin vers cette fichue équipe ? Sérieusement !
J'aurais très bien pu décliner. C'est en dehors de mes horaires. Pourtant, si j'adore exercer en cabinet, il est vrai que j'ai souhaité travailler dans une structure sportive, bien que ce soit rare de voir des femmes dans ce domaine, alors refuser cette offre était presque impossible. Il a juste fallu que parmi tous les professionnels, je tombe sur celui qui gère une équipe de hand, et pas n'importe laquelle, qui plus est !
J'imagine déjà Léane se foutre de ma gueule et me dire : « regardes, tout t'amène à passer du temps avec Martin ». Tu parles ! Elle s'invente trop de scénarios. Elle m'a même proposé de faire un double rendez-vous avec elle et Arthur ! Comme si avoir discuté une dizaine de minutes de Barcelone suffisait à faire de nous un couple...
Assise en tailleur sur mon lit, face à ma fenêtre, j'observe les montagnes qui s'élèvent tout en réfléchissant à la soirée qui m'attend. J'essaye d'anticiper les événements, les réactions des joueurs, de mon père. Je me ronge les ongles. Et s'ils ne m'acceptent pas ? Ce ne serait pas étonnant. Si je n'ai aucun doute pour Arthur, qu'en penseront les autres ? Quel accueil me réservera Elie ? Pourquoi me soucié-je seulement de son avis ? Il ne me tolérera pas, c'est indéniable. Je n'aurai qu'à me poster loin de lui et prier pour qu'il m'ignore, trop concentré sur la rencontre.
Je veux prouver à Martin que les kinés ne sont pas que des ratés, comme il l'a sous-entendu. Je veux prouver à mon père que je suis capable de gérer une équipe sportive comme lui.
Et même si je suis prête à assumer ce rôle, je ne peux m'empêcher d'avoir la boule au ventre, car je ne maîtrise rien. Julien ne m'aurait pas proposé si je n'étais pas à la hauteur, pourtant, je doute.
— Axelle, on part ! me crie mon père.
Je bougonne, mais j'acquiesce. Je vais avoir un peu de temps devant moi pour me préparer à cette quête. Et une fois accomplie, je passerai un nouveau niveau qui me rapprochera un peu plus de mon but.
J'aurais très bien pu y aller par mes propres moyens, mais je ne pouvais pas attendre des heures, seules, me tourmentant pour savoir si je serais de taille ou non. La meilleure solution qui s'offrait à moi était de partir avec mon père. Léane a de quoi faire avec ses études, je ne me voyais pas la déranger alors qu'elle prépare un oral important dans la semaine.
Le temps n'est pas au rendez-vous. Le ciel s'assombrit petit à petit. Le soleil disparaît pour laisser place aux nuages. Même l'astre a décidé que cette journée n'était pas faite pour pointer le bout de son nez, donc comment peut-elle bien se dérouler ?
La pluie tombe et brise le silence qui emplit l'habitacle. Mon père se concentre sur le trajet, ou sur le match, ou sur je ne sais quoi en rapport avec le hand. Hier soir, après l'entraînement, il est rentré nerveux et de ce que j'ai compris, Martin n'y serait pas pour rien. De quoi me stresser encore plus si des tensions surviennent entre les joueurs !
Ma tête tombe sur la vitre et je me perds à travers la route qui défile. Je tente de vider mon esprit, de ne penser à rien d'autre. Ce ne sont que des patients que je devrais gérer, rien d'exceptionnel. Sauf que ce sera en plein match et sous la supervision de mon père.
— Je te laisse, j'ai des appels à passer, mais si t'as besoin n'hésite pas à voir avec Samuel, me dit mon père.
Je n'ai pas la possibilité d'ajouter quelque chose en plus qu'il rejoint déjà la salle d'une démarche pressée. Je reste statique et je l'observe s'engouffrer dans l'antre tant redouté. Merci, les gouttes ne tombent plus !
J'hésite dans mes pas. Ne pourrais-je pas faire machine arrière ?
Non, Axelle. Tu dois vaincre cette épreuve pour en ressortir plus forte !
Est-ce que j'ai trop lu de romans d'heroic fantasy ? Assurément.
Est-ce que je suis comme l'élu de ces histoires ? Absolument pas.
Mais je ne reculerai pas. Pas même face à une équipe de géant qui me domptera d'un simple geste.
Je m'imposerai.
Ou pas.
Je me décide enfin à rentrer dans le complexe.
OK. Je respire un bon coup. Tout ira pour le mieux.
Cette fois-ci je ne me formalise pas de l'entrée, je file directement dans les tribunes me poser. Armée de mes écouteurs, je m'installe à l'écart des parents venus encourager leurs enfants. Mon portable dans une main, je clique sur le dossier que Julien m'a envoyé un peu plus tôt dans la matinée concernant les joueurs. J'ai toutes les caractéristiques analysées qui me permettent de m'organiser pour la soirée.
— Sérieusement ? Mais vous pouvez pas faire attention ! On ne fait jamais de passe à un coéquipier qui regarde ailleurs !
Même avec ma musique, j'entends les commentaires désagréables d'un des entraîneurs. Il n'y va pas en douceur avec les pauvres jeunes qui n'ont rien demandé. Je relève la tête, quittant les notes, pour mieux observer le terrain. Je sens quelques parents se crisper non loin. C'est normal, personne ne devrait parler de cette manière. Surtout qu'ils ont quoi, treize, quatorze ans ? Ils sont là pour s'amuser, pas pour mettre leur vie en jeu !
Nousty est mené au score et si les sportifs se démènent au maximum, je perçois les gestes agacés du coach. Coach qui n'est autre que Martin. Exaspéré, saoulé, je ne sais pas vraiment ce qu'il ressent actuellement. Ce dont je suis certaine c'est qu'il n'éprouve aucune envie d'être ici. Pour notre petite discussion la semaine dernière, il semblait bien se plaire avec l'équipe des jeunes, alors comment peut-il se mettre autant en colère aujourd'hui ?
Je ne me concentre plus sur les notes de mon téléphone, mais sur le match. Même si je ne comprends pas toutes les actions, les jaunes et rouges paraissent bien joués, certes il y a des erreurs, sauf que rien ne justifie une telle pression !
L'arbitre siffle la fin de la partie qui se solde sur une défaite. Si le résultat doit faire mal, je suppose que les réactions excessives de Martin blessent encore plus. La mâchoire crispée, il serre la main du coach adverse, plus par automatisme. Il ne regarde même pas le terrain, ni son équipe, ni rien. Comme s'il souhaitait juste mettre le plus de distance possible.
Sans plus attendre, il s'éloigne. Je peux presque percevoir de la fumée s'échapper tellement la colère transpire chez lui. Il prend la direction de la sortie et je ne peux m'empêcher de le suivre. De lui poser la question au risque de me faire incendier. Mais j'ai besoin de découvrir pourquoi il brasse le chaud et le froid.
— Qu'est-ce tu veux ?
Sympa l'accueil ! Je désire juste être gentille et il m'agresse si rapidement alors que je n'ai même pas dit un seul mot encore !
— Je souhaitais savoir si tu allais bien.
— Ça te regarde pas, réplique-t-il irrité.
— Pas besoin de me parler ainsi ! Pareil pour les jeunes, ils n'ont rien demandé !
— Parce que j'ai demandé à venir ici, moi ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit de donner mon avis, pour une fois ? Pourquoi tout le monde a toujours son mot à dire sur ma putain de vie pendant que je dois juste me la fermer ?
— Si t'étais moins borné, peut-être qu'on t'accorderait plus de mérite.
— C'est toi qui dis ça ?
Essaye de sympathiser avec Martin, vous vous entendrez bien. Bien sûr, Léane, tes conseils sont toujours incroyables ! Je souffle. Je n'ai pas besoin qu'on me prenne la tête alors que je n'ai rien demandé. Il me toise, ses yeux marron pourraient presque m'enflammer. Je m'efforce d'être la plus sérieuse possible, mais comment puis-je l'être quand la personne en face de moi fait deux têtes de plus que moi ? Quelques spectateurs nous observent, curieux de découvrir la suite des évènements. À croire que nous sommes une animation entre deux matchs !
— C'est plus simple de fuir que d'assumer, apparemment..., crache-t-il alors que je tournais les talons pour retourner à la salle.
— Assumer quoi ? Je ne gueule pas contre des gamins pour aucune raison !
— Tu peux pas comprendre, t'en as rien à foutre du hand !
— Mais c'est pas pour autant que je ne peux pas avoir de l'empathie, mais je ne crois pas que tu connaisses.
Dire que je me suis dit qu'il pouvait être sympa, qu'il fallait juste un peu discuter. Raté. Il reste insupportable. Je ne prends pas la peine de m'attarder plus longtemps à ses côtés. Je me souciais de lui, et voilà comment je suis accueillie ! Il peut dire ce qu'il veut, que je suis lâche de partir, je m'en fiche. Je ne mérite pas ses crises.
Mon père arrive à notre hauteur, le regard plissé, les lèvres retroussées. Ses sourcils froncés n'augurent rien de bon pour le jeune handballeur qui ne s'en préoccupe pas. Il laisse aussi échapper un sifflement, comme agacé par les prochaines minutes qui vont suivre.
— Martin, tu peux pas te comporter ainsi, débute mon père en gardant un ton calme pour ne pas envenimer la situation.
— Alors quoi ? Je suis également viré ? Viré de Montpellier, viré de l'équipe de France et même viré de ce club ?
— T'es le bienvenu dans nos rangs. Tu ne peux juste pas t'énerver suite à une décision qui te contrarie.
Martin balaie les arguments d'un geste de la main, comme s'il n'était pas concerné. Bonjour la remise en question ! Tu m'étonnes que son club l'ait envoyé ici, s'il est ainsi en permanence, je me demande bien comment on peut le supporter !
— Va te préparer avec les autres, lui ordonne mon père.
Il abdique, tête baissée, mais je me doute qu'il n'en pense pas moins. Il se retient juste alors qu'il n'aurait pas hésité si c'était moi. Quoique, j'aurais peut-être agi de la même manière. Je me serais énervée sur Martin, mais je serais restée silencieuse sous les paroles de mon père.
— Eh, Martin, l'interpelle mon père avant qu'il ne rentre.
Il s'arrête non loin de moi pour écouter son entraîneur. Que peut-il bien vouloir ajouter de plus alors qu'il vient de congédier le joueur.
— Au lieu d'être seul à te morfondre, tu peux passer la journée avec nous demain. Ça te changera les idées ainsi.
J'écarquille les yeux, n'y croyant pas. Il lui propose de venir, alors que nous sommes invités par ma chère cousine pour un repas ? Je ris jaune. Je refuse d'imaginer ce scénario. J'ai passé des week-ends entiers, isolée, ne me sentant pas à ma place, il ne m'a jamais suggéré des activités pour que j'aille mieux. Et là, juste parce que c'est un handballeur professionnel et qu'ils partagent donc la même passion, il ose lui conseiller une sortie !
— Pourquoi ? murmuré-je tout bas plus pour moi-même, une boule dans la gorge se forme alors que je ravale mes larmes.
Je ne sais pas pourquoi je pose cette question. Comme si j'obtiendrais ne serait-ce qu'une réponse. Mon père ne le prononcera pas à voix haute, mais il n'en pense pas moins : il est mieux que toi, je veux qu'il se sente bien, qu'il fasse partie de la famille. C'est sûr.
Martin ne dit pas un mot. Il reste stoïque. Aucune émotion ne traverse son visage, il ignore juste la proposition et s'en va vers l'entrée de la salle.
— Est-ce que t'as pu observer les informations que Julien t'a transmises ? m'interroge mon père, un peu inquiet, en se grattant la nuque.
— Oui. Faut ménager Lucas, son poignet est encore fragile d'après les notes.
— J'attendrais de voir ce qu'en pense Julien, quand il arrivera.
Évidemment ! Il ne peut pas seulement se contenter de mes paroles. Ne suis-je pas assez légitime ? Certes, je n'ai pas validé mon diplôme, mais j'ai tout de même passé déjà trois ans à analyser et apprendre le métier. Et j'ai pu mettre en pratique ces deux semaines avec les félicitations de Julien, donc pourquoi ?
— À quoi bon me poser la question alors ? répliqué-je sèchement, vexée de son manque de confiance en mes qualités.
Il m'observe surpris sans savoir quoi me répondre. Je me décide à rejoindre le complexe à mon tour. Je traverse la salle à la recherche des toilettes. Plus personne n'est sur le terrain. Je suis étonnée qu'il n'y ait pas de match entre celui des jeunes et celui de mon père.
Sur mon chemin, je croise les adolescents autour de la collation. Des visages tristes les entourent. Ça me fait mal au cœur de les voir ainsi, alors qu'ils n'ont pas mérité les remontrances aussi sévères de Martin. Ils ne sont pas comme lui, ils ne sont pas conditionnés pour devenir des professionnels. Il aurait dû le prendre en compte.
— Eh, commencé-je d'une douce voix. Ne faites pas cette tête, même si vous avez perdu, vous vous êtes bien battus ! Et puis vous aurez votre revanche au match retour !
Bon, j'avoue, je ne suis peut-être pas la meilleure pour les motiver, surtout que je n'y connais rien, donc c'est un peu compliqué de tirer le positif de leur rencontre.
— On est si nul à ce point pour que Martin ne vienne même pas nous voir ? me demande un des joueurs avant de croquer dans son sandwich.
— Vous n'êtes pas nul, il y a juste des jours avec et d'autres sans. Martin est juste un idiot qui a eu quelques problèmes ces derniers jours...
Pourquoi je chercher à justifier ses paroles maintenant ? Comme s'il en méritait ! C'est plutôt son équipe qui devrait en avoir vu la manière dont il l'a traitée.
— Même si ça n'excuse en rien son comportement, rajouté-je. Je reste persuadée qu'il tient à vous et qu'il veut juste le meilleur.
— Ouai bah on dirait surtout qu'il est obligé de nous entraîner, bougonne un autre.
Dans un sens, c'est le cas. Il n'est pas ici par plaisir, il me l'a bien fait comprendre quelques minutes avant.
— Puis, pas besoin de nous dévaloriser, continue-t-il.
— Je suis certaine que ça ira mieux d'ici votre prochain entraînement, ne baissez pas les bras !
Je me sens impuissante face à leur mine déconfite. Ils ne semblent pas croire mes paroles. Même moi, je trouve que mes mots sonnaient faux, tu m'étonnes qu'ils n'y croient pas.
Je soupire et les laisse seuls. Je ne peux rien faire de plus pour essayer de le remotiver. J'espère juste que tout se passera bien par la suite pour eux parce qu'ils me font vraiment de la peine.
J'observe l'heure. Encore une fois. Même pas dix minutes se sont écoulées. Il me reste encore une heure avant que Julien n'arrive et le match ne débute que quarante-cinq minutes plus tard. De quoi bien m'ennuyer en attendant. Je ne sais pas quoi faire. Errer dans le complexe ? Bof, j'ai vite fait le tour. Engager une conversation ? Oui, mais avec qui ? Pas mon père qui est en pleine échange avec Samuel. Il semble d'ailleurs assez contrarié et ne cesse d'agiter ses mains dans tous les sens. Arthur ou Estéban ? Ils doivent tous deux se préparer pour le match. Je me contente donc de la solitude pour faire passer le temps.
Je vois certains jeunes quitter la salle accompagnés de leurs parents, dont quelques-uns énervés contre Martin, tandis que les autres s'installent dans les tribunes prêts à soutenir malgré tout l'équipe de mon père.
Je me décide à retourner à la place que j'avais à mon arrivée. Un peu de musique me permettra de m'évader et de vider mon esprit. Je reste dans mon coin, jouant à des jeux sur mon portable pour m'occuper. Je relève la tête observant du mouvement. Les sportifs rentrent tour à tour sur le terrain pour se préparer avant la rencontre. Entre eux, ils se font des passes pour patienter avant de débuter leur échauffement. Une personne se tient à l'écart : sans surprise, Martin. Il se contente de jouer avec un des ballons, ignorant Arthur qui tente de discuter avec lui ou Elie qui doit s'amuser à lui prendre la tête. Une ambiance qui promet s'ils agissent ainsi pendant le match ! Mon père n'est pas en vue, et je ne peux m'empêcher de me demander si quelque chose ne va pas avec l'équipe. Ou avec le comportement de Martin, ce qui ne me surprendrait pas. Curieuse, j'ai un peu cherché sur lui afin de savoir comment il s'était retrouvé ici : après une énième altercation suite à une remarque sur son père, son club a décidé de le suspendre. Le voilà ainsi en soutien à Nousty, sans qu'il n'ait pu dire un mot. Dans un sens, je comprends sa frustration. Mais ne peut-il pas y voir une opportunité pour se racheter et montrer qu'il a grandi au lieu de répondre constamment aux provocations ? Surtout que connaissant Elie, ce n'est pas la meilleure des idées. Loin de là, même.
Mon attention se reporte sur mon portable quand mon père rejoint ses joueurs pour les dernières instructions. L'autre équipe prend également place sur la seconde moitié.
Tu vas tout déchirer, Axou !
Je souris au message que Léane vient de m'envoyer. Elle s'excuse encore de ne pas être présente, mais je ne peux pas lui en vouloir. Les études en priorité ! Je lui réponds un cœur avant de poser mon téléphone sur ma jambe. Je commence à analyser les handballeurs du haut de mon perchoir pour déterminer à l'avance le moindre souci, mais pas facile quand je ne suis pas proche d'eux.
— Pas trop stressée ?
Julien me sort de ma contemplation, me faisant peur par la même occasion. Il m'observe, rigolant face à ma réaction, peut-être un peu excessive. Il faut dire que j'étais à deux doigts de hurler, aussi !
Je prends deux secondes pour lui répondre. Mon père ne me fait pas confiance, mais sinon, ça va, tranquille. Je vais juste bosser au milieu de joueurs qui vont juger mes moindres faits et gestes, tout se passera pour le mieux, n'est-ce pas ? Donc, je ne vois absolument pas où je pourrais stresser. Mais vraiment pas.
Je m'arme de mon plus beau sourire et j'ignore mes doutes qui commencent à m'assaillir de toute part. Se laisser submerger est la meilleure façon de couler et ce n'est pas mon intention. Pas aujourd'hui du moins. Je veux montrer que je peux être assez grande. Que je peux gérer par moi-même. Qu'importe ce que pense mon père sur mes aptitudes, je sais ce dont je suis capable.
— C'est parti alors !
Le kiné m'ouvre la voie pour que je le suive au bord du terrain à la rencontre de mes potentiels patients. J'avance sous le regard curieux des joueurs. Je garde la tête baissée, ne sachant pas comment me comporter. Je joue également avec mes bagues comme j'en ai l'habitude lorsque le stress s'empare de moi.
Julien discute avec mon père et moi, je reste plantée sur la touche. Immobile, je sens que les garçons se posent des milliers de questions quant à ma présence, sauf Arthur. Martin et Elie ont sans doute connaissance des raisons, mais je n'arrive pas à cerner ce qu'ils en pensent. Des murmures se font percevoir, mais trop discrets pour que je parvienne à ne serait-ce que comprendre un mot. Et si mes doutes étaient fondés ? Et s'ils ne m'acceptent pas ?
La voix de mon père me ramène à la réalité lorsqu'il rassemble son équipe autour de nous. Si j'ai arrêté de jouer avec mes bagues, c'est pour mieux jouer avec mes cheveux. Je me dis qu'en les mettant devant moi, ils pourront me protéger de ces géants. Même si j'ai conscience que cela ne changera rien. Je reste à leur merci.
— Axelle vient observer Julien pour quelques matchs, donc j'espère que vous lui ferez un bon accueil.
Techniquement, je ne suis pas là pour observer, mais pour exercer. Certes, toujours sous la supervision de Julien, mais il me laissera agir si je juge que la situation le nécessite.
— Comme si on avait besoin d'une autre personne pistonnée, souffle Elie.
Cette phrase pique. Je n'ai rien demandé et en même temps, comment je pourrais la nier ? Je sais pertinemment que si j'ai été acceptée c'était en partie grâce à ma mère, mais de là à le dire de but en blanc de cette manière, ce n'était pas vraiment essentiel.
— Si Axelle est là aujourd'hui, c'est pour ses qualités et son investissement. Si tu avais pu être à sa place, Elie, tu en aurais aussi profité.
— Sauf qu'elle n'est même pas diplômée, qui me dit qu'elle ne dira pas n'importe quoi ?
Elie lève les yeux au ciel sans rien rajouter de plus, mais il n'en pense pas à moins. Son regard s'attarde sur moi et je ne peux m'empêcher de déglutir. J'y perçois une telle haine que j'hésite encore plus sur ma présence ici. Je savais que la tension était déjà au rendez-vous, mais je ne songeais pas intensifier la situation plus qu'elle ne l'est.
— Pourquoi on ne lui laisserait pas sa chance ? suggère Arthur. Si Julien lui a proposé de venir, c'est pas pour rien, non ?
Je le remercie avec un demi-sourire. Léane a bien de la chance de l'avoir, il est adorable. Les autres, par contre, ne prennent pas la parole. Ils restent silencieux. Est-ce une surprise ? Non. Estéban est l'unique joueur à rejoindre l'avis de mon ancien camarade de lycée. Même si je suis touchée par son soutien, personne ne le suivrait. Même s'il s'est un peu plus intégré dans l'équipe, il n'en est pas moins à l'écart.
Si je compte travailler dans un centre sportif, je m'attends à recevoir ce genre de critique. À croire que les hommes seraient plus aptes que nous, les femmes, pour devenir kinés dans le monde du sport ! C'est totalement faux, sauf qu'il faut se faire une place. Mais j'avoue que j'avais bon espoir, qu'ici, à Nousty, au moins, le problème ne surviendrait pas. J'avais oublié la présence de Elie.
Les handballeurs retournent terminer leur échauffement pendant que je me laisse retomber sur le banc. Le silence de mon père me touche également. Je reste persuadée qu'il n'en pense pas moins et qu'il n'a pas forcément le choix, il est juste obligé d'écouter Julien.
Les coudes sur mes genoux, ma tête repose sur mes mains alors que j'observe devant moi, sans vraiment y accorder un intérêt. Julien porte une main sur mon épaule pour me rassurer.
— Ne t'en fais pas, je suis convaincu que tu arriveras à te faire ta place parmi eux.
J'acquiesce d'un signe de tête. Si je parle, ma voix se brisera et je ne souhaite pas qu'il le sache, même s'il s'en doute très certainement.
— Crois juste en tes capacités et tes analyses, le reste importe peu. Et s'ils ne sont pas contents, ce sera pareil, d'accord ?
Je laisse échapper un petit oui sans quitter le terrain des yeux.
— Concernant Lucas, t'en penses quoi ?
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