Chapitre 4
Je cours aux toilettes et me rince le visage à l'eau froide. Je m'essuie lentement en m'observant dans le miroir. Je repose mes lunettes sur mon nez et mes yeux noisette fixent mon reflet avec intensité. Mon maquillage est complètement parti et le fond de teint qui atténuait mes pommettes hautes me manque. J'ai les yeux bouffis et les lèvres déshydratées. Mes cernes me donnent un air hagard.
Je m'agrippe fortement au rebord du lavabo. Je peux le faire. Une journée ou deux au maximum et après je repars. J'inspire profondément et souffle le plus doucement possible pour tenter de me calmer. Cela fonctionne un peu. Mon rythme cardiaque est redescendu et je ne tremble plus.
Un dernier regard et je sors des toilettes. J'aperçois Melvyn en pleine discussion avec Julia. Je les observe un moment et en regardant mon frère, je note les différences. Il avait vingt-trois ans la dernière fois que je l'ai vu. Des cheveux bruns et épais. Un sourire à faire tomber n'importe quelle nana. Dans mes souvenirs, il me semblait plus grand et un peu plus musclé.
Aujourd'hui, des pattes blanches ornent ses tempes et si son sourire est toujours le même, il s'étire avec de minuscules ridules. J'imagine qu'il en est de même pour ses yeux.
Quand il m'a prise dans ses bras, il avait toujours le même regard. Ses yeux verts semblaient sincèrement heureux de me voir. Je n'arrive pas à réfléchir correctement. Tout est flou dans ma tête.
Melvyn se tourne vers moi et vient me chercher. Il a nettoyé son pantalon et ses chaussures avec des serviettes papiers qu'il tient encore à la main.
- Je suis heureux que tu sois là. Vraiment.
Je le fixe, toujours incapable de parler.
- Viens, je t'amène jusqu'à la chambre de Clara. Les membres de la famille ne sont pas obligés d'attendre.
Je panique, totalement. Il semble comprendre mon malaise.
- Les parents ne sont pas là. Ils reviennent dans deux heures. Ils sont partis chercher mamie Bleu.
Je soupire de soulagement. Un double soulagement : mes parents sont absents et ma grand-mère Bleuen est encore en vie. Nous l'avons appelée Mamie Bleu à cause de sa couleur favorite, rien à voir avec son prénom. Chez elle, il y a du bleu absolument partout.
Mon frère hausse les épaules et se dirige vers un couloir. Je sais bien que je ne pourrai pas éviter mes parents bien longtemps, mais un peu de sursis ne me fera pas de mal. Voir toute ma famille en même temps... Je n'aurais pas supporté.
Je suis mon grand frère dans le couloir et Julia me fait comprendre qu'elle va m'attendre dans l'entrée. Elle se dirige vers la machine à café et me fait un geste de la main pour m'inciter à partir.
Après le couloir, nous montons une quinzaine de marches et nous arrivons dans un nouveau couloir. Quelques infirmières et aides-soignantes déambulent là, entrant et sortant des chambres des patients. Je lève les yeux vers l'entrée du service et ce que j'y lis me fend le cœur : Soins Intensifs et Réanimation.
Je comprends que c'est bien plus grave que je ne le pensais. Ma petite sœur va vraiment mal.
Melvyn s'avance jusqu'à une chambre. Il me fait signe d'entrer mais je ne peux pas. Je suis figée devant la porte. J'ai peur de ce que je vais voir, peur de trouver ma sœur dans un état catastrophique.
Mon frère soupire et m'encourage doucement. Je n'ai plus le choix, il faut que j'entre. Je pousse sur la grande porte et pénètre dans la pièce.
Un lit et des fils. Voilà ce que je vois en premier. Et dans le lit, ma petite sœur. Je m'approche doucement d'elle. Ses longs cheveux bruns sont éparpillés sur l'oreiller. Son front est bandé et des égratignures apparaissent aux bords du pansement. Ses yeux sont clos et de son petit nez sortent deux tubes reliés à une machine.
Je poursuis mon observation et chaque nouveau fil ou tube est un coup porté directement à mon cœur. Sa bouche est cachée par un masque à oxygène et sa gorge est percée d'un autre tube. Son bras droit ainsi que sa jambe droite sont dans le plâtre. Je ne vois rien d'autre à part la multitude de fil colorés qui partent de sous sa chemise d'hôpital au niveau du cœur. Je les suis du regard et rencontre une grande machine qui affiche des chiffres et des ondulations correspondant aux pulsations du cœur de Clara. Le mien s'affole.
Je me tourne vers mon frère.
- Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qu'elle a ?
Melvyn m'indique une chaise avant de s'asseoir sur une autre. Je m'exécute et je sens une immense pression s'installer sur mes épaules.
- Elle est tombée de la falaise. Elle a glissé apparemment et ce sont des promeneurs qui l'ont trouvée. Des ronces et des racines l'ont empêchée de dévaler la pente jusqu'à la mer mais elle s'est violemment cognée contre les rochers. Personne ne sait ce qu'il s'est passé, ni ce qu'elle faisait là.
Je retiens mes larmes de toutes mes forces. Ma voix est nouée lorsque je le questionne.
- Qu'est-ce qu'elle a ?
- Fracture du coude et du poignet, fracture du genou. Traumatisme crânien et côtes brisées. Perforation d'un poumon.
Il m'énonce tout ça comme il m'énoncerait une liste de courses. Clara. Ma pauvre Clara.
- Pourquoi est-elle dans ce service ?
Mon frère baisse les yeux et je sens mon estomac se nouer.
- Elle ne se réveille pas. Cela fait quatre jours qu'elle est dans le coma. Les médecins espéraient qu'elle se soit réveillée hier mais rien. Et rien n'indique qu'elle se réveillera.
Des larmes sortent de mes yeux sans que je ne puisse rien faire. Je me lève et prends la main gauche de ma sœur. Je la sers du plus fort que je peux. Pourquoi fallait-il que cela lui arrive à elle ? Elle n'a que dix-neuf ans. Dix-neuf ans.
Je prends conscience que je suis partie lorsqu'elle avait douze ans et qu'aucune excuse ne pourra me racheter à ses yeux. J'aurais tellement voulu être là, avec elle. Partager des moments entre sœurs. Cinéma, sortie, shopping, des soirées télé... J'ai l'impression de m'effondrer de l'intérieur. Je ne veux pas la perdre. Je l'ai déjà perdue quand je suis partie. Je veux une autre chance, je veux l'entendre rire, la voir sourire. Je veux entendre sa voix, sa jolie voix qui m'accompagnait parfois lorsque l'envie de chanter me prenait.
Je me penche vers elle et dépose un baiser sur son front égratigné.
- Mi Clarita. Je t'aime tellement. J'avais une pensée pour toi chaque jour. Pour vous tous, j'avais une pensée.
Je regarde mon frère qui vient me serrer dans ses bras. Cette fois, je lui rends son étreinte.
C'est à ce moment-là que la porte de la chambre s'ouvre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top