Chapitre 44
Vendredi – trois jours avant l'affrontement
Gaspard tambourina contre la porte jusqu'à ce qu'elle s'ouvre sur le visage froissé de sommeil de Nathan Deveille. Le jeune homme portait un t-shirt gris usé jusqu'à la corde et un pantalon de pyjama à carreaux, et s'efforça visiblement de cacher la mauvaise humeur que lui inspirait le fait d'être tiré du lit en découvrant le Revenant sur le seuil.
- Gaspard ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Tu es tout seul ?
- Oui, les autres sont à l'en... Mais qu'est-ce que tu fais ?
Gaspard venait de le tirer en avant dans le couloir et l'entrainait à sa suite sans ménagement. Pieds nus et frissonnant, Nathan n'était pas sûr de goûter la plaisanterie.
- Gaspard, tu sais quelle heure il est ? grinça-t-il.
- Quatre heures du matin, répliqua laconiquement l'autre. Dépêche-toi, on n'a pas beaucoup de temps.
- Beaucoup de temps pour quoi ?
Nathan accéléra le pas pour suivre les enjambées du Revenant. Il avait la chance d'avoir le réveil facile et ne pas se sentir trop engourdi par le sommeil, mais il ne comprenait pas ce qui se passait. Qu'était-il encore arrivé ?
- Où est-ce qu'on va ? insista-t-il en montant une série de marches à la suite de Gaspard.
- Ferme-la, on ne doit pas nous repérer. Entre là-dedans.
Le soldat stoppa devant une porte et poussa littéralement Nathan à l'intérieur avant de pénétrer à son tour dans une petite pièce qui semblait servir de lieu de stockage pour le linge. Farfouillant entre deux piles de serviettes, il tendit un sac au jeune homme.
- Enfile ça, ordonna-t-il en consultant sa montre. Et magne toi, bon sang !
Nathan hésita avant de lui tourner le dos et d'extraire du sac une tenue complète et une veste épaisse. Il ne comprenait strictement rien à la situation et l'ami de Luna lui apparaissait soudain comme nettement moins sympathique. Réprimant une nouvelle question, il retira son pyjama et s'habilla en quelques gestes qui lui parurent rapides en dépit des soupirs impatients de son compagnon posté près de la porte.
- Voilà, fit-il. Tu m'explique ?
- Non. Suis-moi, tu verras assez vite.
Nathan remarqua alors la pochette serrée sous le bras de Gaspard mais serra les dents pour se forcer au silence. Il n'obtiendrait rien du Revenant, c'était clair. Il se résigna donc et lui emboita le pas après que Gaspard eut vérifié que personne ne venait dans leur direction.
Dix minutes plus tard, les deux hommes débouchèrent à l'air libre sous un ciel plombé dépourvu d'étoiles. Gaspard traversa la cour en quelques enjambées rapides pour conduire Nathan près du portail.
- On sort ? s'étonna ce dernier. Je croyais qu'on ne devait pas se faire repérer.
- Les caméras sont désactivées, lâcha le Revenant. J'ai un ami à la sécurité qui me devait un service.
- Et pour les patrouilles ?
- J'ai les horaires en tête. Allez, viens.
Gaspard inséra une carte rigide dans le boitier du portail et tira son compagnon à l'extérieur du périmètre. A chaque seconde qui s'écoulait, le frère de Luna sentait son impression que la suite n'allait pas lui plaire se renforcer. Bougonnant entre ses dents, il resserra les pans de sa veste autour de lui et avança sous le couvert des arbres. Le Revenant, arrêté près d'un énorme sapin, consultait sa montre en scrutant les alentours, si bien que Nathan crut bon de l'imiter même s'il ne savait pas ce qu'il fallait attendre. Il sentait que les réponses n'allaient plus tarder, mais sa concentration ne l'empêcha pas d'étouffer un cri lorsqu'une silhouette apparut, quelques minutes plus tard. Elle s'était approchée silencieusement, le prenant de court, alors que Gaspard ne frémit même pas.
Nathan dévisagea la nouvelle venue, cherchant un sens à ce qui se passait. Elle était plutôt petite, blonde, et le jeune homme l'avait déjà vue au quartier général mais il ne se souvenait plus où. Il remarqua le paquet sanglé sur son dos et s'apprêta à poser une question, mais Gaspard le devança :
- Brittany. Tout va bien ? Vous n'avez pas eu de problèmes pour sortir ?
- J'ai suivi vos instructions, soldat Olbec. Mais je dois dire que je ne comprends pas très bien à quoi rime tous ces mystères. On est en pleine nuit !
- C'est très simple, répliqua l'autre en brandissant la pochette qu'il tenait depuis le début. Vous partez.
Nathan sentit un soulagement incommensurable l'envahir en croisant le regard interloqué de Brittany. L'infirmière – il s'en rappelait, désormais – n'était pas plus au courant que lui.
- De quoi tu parles ? interrogea le jeune homme. Annabelle Maturet m'a dit que le dernier convoi partait demain après-midi et que j'en ferais partie. Pourquoi on devrait se sauver comme des voleurs ?
Un petit cri déchira la nuit, interrompant Gaspard qui semblait sur le point de donner une explication et Nathan, stupéfait, vit Brittany décrocher son chargement et serrer contre elle un nourrisson à la peau sombre pour le calmer. La bouche ouverte, il sentit les pièces du puzzle s'assembler dans son esprit.
- Les fils d'Amanda ? Tu veux qu'on se barre avec deux bébés qui ne sont même pas à nous ? C'est une blague ?
- Luna a laissé ceci pour vous, dit Gaspard avec un haussement d'épaules.
Il souleva le rabat de la pochette et en tira une liasse de documents. Echangeant un coup d'œil avec Brittany qui pinçait les lèvres en silence, Nathan s'en empara et la feuilleta.
- Des passeports, de l'argent liquide, le certificat de mariage de Jules et Lana Gardon, des papiers d'adoption pour des jumeaux du nom de Léo et Tim... Mais...
- Luna a fait en sorte que je trouve ceci en son absence, coupa rapidement Gaspard, ce qui signifie qu'elle avait anticipé la décision d'Amanda.
- Elle veut se battre pour l'avenir de ses enfants, la défendit Brittany.
- Peut-être, mais si les choses tournent mal ou qu'elle est tuée, qui s'occupera des petits ?
- Nous..., souffla Nathan.
- Oui. Luna fait d'une pierre deux coups en te mettant à l'abri, Nathan. Il n'y a pas de temps à perdre. Si vous partez avec le convoi, il y aura toujours une trace de votre itinéraire alors qu'il faut que vous disparaissiez. Ce soir.
- Mais, Luna va revenir, n'est-ce pas ?
Nathan se surprit lui-même en posant la question. Il n'était pas très attaché à sa sœur, alors en quoi cela lui importait-il ? Il lut cependant une certaine angoisse dans les yeux de Gaspard qui se reprit en une fraction de seconde :
- Bien sûr qu'elle va rentrer. Mais tu l'as dit, le convoi part demain et vous ne devez pas en faire partie. C'est maintenant ou jamais, Nathan.
- Que va dire Amanda ? objecta soudain Brittany.
- Elle a fait un choix, asséna sèchement Gaspard. A sa place, je ne me plaindrais pas que quelqu'un prenne soin de mes enfants.
Un moteur vrombit dans le noir et tous se tournèrent vers le sentier. Une Audi roulait au pas dans leur direction. Nathan comprit que son avis ou celui de l'infirmière ne compteraient pas. Ils partiraient, quoi qu'il arrive. Gaspard avait tout planifié. Son estomac se noua.
- Montez, ordonna Gaspard. Monsieur Tom vous conduira où vous voudrez mais vous ne pourrez pas revenir ici. Vous avez de l'argent pour partir à l'étranger.
Brittany décolla de sa poitrine le bébé qui avait cessé de pleurer. L'autre, dans son dos, ne faisait pas un bruit. Elle détailla le visage du petit. Si elle avait accepté de venir ici, à cette heure de la nuit, avec les jumeaux d'Amanda, c'était bien qu'elle avait une petite idée de ce que voulait Gaspard Olbec. Elle avait pris sa décision. Elle aimait ces enfants comme s'ils étaient siens et avait déjà pris soin d'eux à chaque fois que leur mère biologique le lui demandait. Contrairement à Amanda, elle se refusait à les abandonner. S'il fallait s'en aller, il en serait ainsi. Ils auraient une mère, même si elle n'était pas celle qui les avait mis au monde.
- Très bien, dit-elle. Jules et Lana Gardon. Ça me va. Et toi ?
Il y avait du défi dans sa voix quand elle s'adressa à Nathan et celui-ci hocha lentement la tête. Rien ne le retenait auprès des Revenants, qui, de toute façon, comptaient l'expédier en sûreté loin d'eux.
- Pareil. Allons-y.
Résolu, il tourna le dos à Gaspard et marcha droit sur l'Audi dont le conducteur patientait sous les arbres voisins. Brittany grimpa dans le véhicule sans rien ajouter alors que le jeune homme pivotait une dernière fois vers le Revenant :
- Tu diras merci et au revoir à Luna ? Si tout se finit bien, je devrais pouvoir le faire moi-même, mais on ne sait jamais.
- Je le ferai. Elle ne devrait plus tarder, c'est une question d'heures avant qu'elle ne revienne.
Nathan opina du chef et tendit la main à Gaspard. Il la serra fugacement et fit volte-face. Il se sentait inutile à la base Revenante et coupable de n'avoir su protéger Chelsea. Il avait une chance de se rattraper.
En regardant la voiture s'éloigner, Gaspard éprouva une certaine satisfaction à l'idée de ne pas avoir eu de mal à convaincre ces deux-là de partir. Restait à affronter la colère d'Amanda, mais il y survivrait. Seul dans le noir, il étreignit la pochette vide de Luna.
- Elle ne va plus tarder, murmura-t-il pour lui-même.
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