Chapitre 22


- Qu'est-ce que tu penses d'elle toi ?

- Qui ça ? Luna ?

- Ouais.

- Physiquement tu veux dire ? C'est une vraie bombe avec un sacré c...

- Ne te fous pas de moi, tu m'as compris.

Gaspard étouffa un rire, adossé à un tronc et adressa un clin d'œil à Nathan, lequel ne partageait pas son hilarité. Le Revenant suivit son regard jusqu'à la grosse Audi garée à cent mètres de là, en bordure du chemin. Monsieur Tom, un étrange bonhomme avec des sourcils et un chapeau tout aussi étranges, se penchait à la fenêtre pour parler à Luna. La GEN se tenait de profil et remettait une épaisse enveloppe au chauffeur particulier. Après un bout de route à bord du pick-up, elle avait décidé d'abandonner le véhicule pour un transport plus direct. Bien payé tant en argent qu'en information, Monsieur Tom était aussi muet qu'une tombe.

- Elle ne te fait pas flipper ? reprit Nathan d'un ton insistant. Regarde, tu as vu la tête qu'elle fait ?

- Quelle tête ?

- Celle-là ! On dirait qu'elle va tuer quelqu'un.

- Ça, c'est son expression normale, mec. Ne t'en fais pas, tu prendras l'habitude. Les GEN font toujours cet effet à ceux qui les côtoient pour la première fois.

Gaspard rajusta les lanières de son sac à dos et sans cesser de contempler Luna qui leur avait subitement tourné le dos et conversait avec Monsieur Tom d'un air mécontent. Sa silhouette dégageait une aura de félinité et de puissance indéniable. Celle d'un prédateur.

- Rappelle-toi juste que cette GEN-là t'a sauvé les fesses.

- Je sais. Mais c'est tellement bizarre... Je ne sais pas comment tu fais pour faire équipe avec elle.

- C'est ma partenaire et mon amie, lâcha Gaspard comme si cela expliquait tout. Je lui confierais ma vie et c'est la même chose pour le reste de l'unité que tu rencontreras peut-être. Ne juge pas sur les apparences Nathan.

- D'accord, soupira l'autre.

Nathan étouffa un bâillement. Il n'avait pas réussi à dormir plus de quelques heures morcelées et avait fait des cauchemars. Rien que d'y penser, il avait la boule au ventre et envie de pleurer comme un môme mais se retenait. Luna avait l'air si froide, à des années-lumière de sa petite sœur. S'il se forçait un peu et gommait les traits parfaits de la jeune femme, il entrevoyait tout juste l'adolescente qu'il avait perdue, mais cela s'arrêtait là. Et puis, il y avait Chelsea...

- Et qu'est-ce qu'elle fait, avec ce type ? s'empressa de demander le jeune homme avant de se remettre à broyer du noir.

- A mon avis, elle est en train de négocier avec lui pour t'obtenir des papiers et une porte de sortie vers l'étranger en cas de problème. Pour tes parents aussi, sans doute, affirma le Revenant.

Nathan avait décidé qu'il aimait bien Gaspard parce qu'il avait au moins le mérite d'être on ne peut plus humain.

- En cas de problème ? répéta-t-il.

- Luna t'a expliqué, cette nuit, non ? On est en guerre Nathan. Si on perd, que crois-tu qu'il arrivera aux familles des résistants ? Les GEN veulent la peau des humains, de tous les humains, mais pour l'instant ils ne contrôlent pas le monde entier. Il faudra, pour ceux qui seront encore en vie, fuir et se terrer quelque part.

L'autre ne répliqua rien, cette fois, et Gaspard se redressa un peu en voyant Luna sourire à Monsieur Tom. Elle se détourna de la voiture : ils avaient semblait-il trouvé un accord. La jeune femme revint vers eux de sa démarche souple et saisit son sac à dos posé sur le sol tandis que l'Audi redémarrait et disparaissait entre les buissons.

- C'est bon ? dit-elle. Gaspard, il nous reste quelques kilomètres, tu vas tenir le coup ?

- Oui, commandante.

- Si tu ne te sens pas bien, je te porterai.

- Rien que pour ça, je crois que je me sens un peu faible.

La GEN s'autorisa un sourire et leur fit signe de se mettre en route, Nathan sur ses talons et Gaspard fermant la marche.


***


Nous marchâmes environ une heure avant que je ne décrète une pause. Nathan soufflait comme un bœuf ce que je pouvais comprendre du fait du relief, mais je ne voulais surtout pas épuiser mon équipier. J'avais beau plaisanter sur le sujet, il aurait pu y rester, la veille, lors de l'attaque des Soldats Noirs.

- On est presque arrivés, les informai-je tous les deux même si Gaspard connaissait la région.

Nous étions arrêtés au bord d'une falaise qui m'était familière étant donné que c'était ici que je venais à chaque footing nocturne.

- Nous allons au quartier général des rebelles ? questionna mon frère.

Il s'était montré silencieux pendant la première partie de la marche, perdu dans ses pensées.

- Oui, confirmai-je. D'ailleurs, pour les derniers kilomètres, je vais te demander de mettre ça.

Je fouillai dans mon sac en rangeant ma bouteille d'eau et lui jetai un sac de toile noire. Nathan cligna des paupières, surpris :

- Pour faire quoi ?

- Sur ta tête, lui intimai-je.

- C'est une blague ?

Je lui rendis son regard et il eut l'air de conclure tout seul que non, je ne me moquais pas de lui. Il quêta du secours vers Gaspard qui refoulait avec peine son rire.

- Je vais déjà me faire taper sur les doigts pour être venue te sauver sans autorisation, frangin, exposai-je. Je n'ai pas besoin d'ajouter à cela le fait de t'avoir laissé voir les alentours de la base. Son emplacement doit rester secret.

- Et puis, la cagoule, ça revient à la mode cet hiver, pouffa mon équipier.

Je me levai et renfilai mon sac en lui faisant les gros yeux. Nathan, de son côté, pesta dans sa barbe avant de mettre la toile sur son visage.

- Merci, lui glissai-je en lui saisissant le bras. Je vais te guider, il n'y en aura pas pour longtemps.

Nous reprîmes notre route tant bien que mal avec Nathan qui se prenait les pieds dans tout ce qui passait malgré mes avertissements face aux obstacles et Gaspard qui menaçait de se rouler par terre de rire. Je ralentis volontairement la cadence en l'entendant respirer un peu plus fort en dépit de son amusement. Ses plaies devaient sacrément le tirailler.

- Dès qu'on sera arrivés, tu iras à l'infirmerie, lui ordonnai-je par-dessus mon épaule. Et tu diras au docteur Firell de ma part d'éviter les rayons bleus. Il les aime un peu trop à mon goût.

- C'est quoi un rayon bleu ? voulut savoir Nathan.

Puisqu'il était condamné à ne rien voir, je pouvais au moins faire l'effort de lui parler pendant la fin du trajet. Je lui fis enjamber une souche avant de répondre :

- Il s'agit d'une technologie mise au point par les GEN. Un rayonnement, bleu, comme son nom l'indique, et qui a pour fonction d'activer la réparation cellulaire. C'est très pratique mais on ne l'utilise pas sur les humains, ou alors à petite dose.

- Pourquoi ?

- Le métabolisme humain n'est pas fait pour se régénérer aussi vite. L'usage répété des rayons peut chambouler la multiplication des cellules et pousser celles-ci à se construire de façon incontrôlable, et en trop grand nombre. Une fois que le processus a commencé, on ne revient pas en arrière et on obtient ce qu'on appelle communément un...

- Un cancer, devina Nathan d'une voix étouffée par le tissu. Mais je croyais que les GEN guérissaient tous seuls et tu me dis que ce sont eux qui ont créé ça ?

- Oh, ne t'en fais pas, ricana Gaspard. Ils ont aussi découvert le rayon jaune qui a l'effet inverse et je crois qu'il leur plait beaucoup plus.

Mon ami nous rattrapa pour marcher de front avec mon frère et moi. Exception faite de la cagoule de Nathan, on pouvait nous prendre pour trois simples promeneurs.

- Les GEN sont capable de se régénérer, opinai-je, mais ces rayons peuvent servir en cas de blessure sévère, au cerveau surtout. Par exemple, si un GEN prend plusieurs balles dans la tête...

- Ou qu'on lui tranche et qu'il ne reste que quelques filaments de tissus pour la retenir, me coupa mon équipier, un sourire dans la voix.

- Oui, admis-je. Le corps va se réparer, mais le temps qu'il le fasse, le cerveau ne sera pas oxygéné correctement et même un GEN peut avoir des séquelles par la suite. Dans ces cas extrêmes, les rayons sont utiles. Il faut aussi prendre en compte le fait que nous ne nous régénérons pas tous à la même vitesse, cela dépend de nos capacités, de notre niveau de mutation, mais c'est quelque chose de compliqué à expliquer.

- J'ai tout mon temps pour comprendre, ronchonna mon frère sous le tissu noir.

J'échangeai un regard avec Gaspard et le vis hausser les épaules. Dans les derniers cent mètres qui nous séparaient du portail, je pouvais bien donner plus de détails à Nathan.

- Il s'agit d'un phénomène très complexe, prévins-je tout en lui faisant contourner une ornière. Le sérum injecté contient une substance chimique qui, en s'infiltrant dans les cellules, entraîne leur mutation spontanée. Dès les premières secondes, il se produit une réaction immunitaire de grande ampleur dans l'organisme qui les reconnait comme des agents pathogènes, ennemis, à détruire puisqu'elles n'ont plus tout à fait les mêmes marqueurs.

- Jusque-là, je suis. J'ai bien écouté en cours de biologie, fit Nathan.

- Très bien, continuai-je. Donc le corps se défend et attaque ces cellules, mais comme elles font partie de lui, la suite n'est pas très belle à voir et je ne souhaite ça à personne. Les os se brisent, réduits en miette, les tissus se liquéfient, le sang et tous les fluides s'échappent de partout...

- J'avais faim, mais ce n'est plus le cas, railla Gaspard.

- La douleur est terrible. Tu te détruis toi-même et tu ne peux rien y faire. Heureusement, lorsque le taux de cellules GEN atteint cinquante pour cent, la vapeur s'inverse et la régénération s'active. En quelque sorte, le corps devient plus GEN qu'humain et c'est cette première part qui prend le contrôle.

- Qu'est-ce qui se passe si ce nombre n'est pas atteint ? voulut savoir Nathan.

- Tu finis ta vie sous forme de flaque d'excréments et de sang, s'amusa le Revenant.

- C'est ça, appuyai-je. Beaucoup ne survivent pas. La réaction à la mutation change d'une personne à l'autre. Plus elle est réceptive, plus le taux sera important et le GEN obtenu, puissant. Mais il ne doit pas être trop élevé non plus, sans quoi on devient un Déformé. Un mutant fou, sans émotions, incapable de gérer sa violence. Victoire en est devenue une à force de chercher à se renforcer, comme tu as pu le constater.

- Et le rapport avec la régénération et les rayons bleus ? insista mon frère.

- Si le nouveau GEN ne dépasse pas beaucoup les cinquante pour cent de cellules, il est, certes, un mutant, mais très faible avec des capacités à peine plus grandes que celles d'un humain, donc ses tissus se réparent moins vite en cas de blessure.

- Il y a aussi les hémi-géniques et les demi-GEN, glissa Gaspard. Les premiers n'améliorent leurs capacités que sur le plan physique ou intellectuel mais pas les deux, et s'ils ont juste un gros cerveau, ils sont aussi vulnérables que les humains aux blessures. Les demi-GEN naissent de l'union d'un mutant et d'un humain et n'ont donc que la moitié des caractéristiques améliorées.

- Vous pouvez avoir des enfants ? s'horrifia Nathan, ne retenant que cette information.

J'eus un rictus en percevant clairement ce que cette perspective lui inspirait. Imaginer des monstres se reproduire ne le réjouissait visiblement pas. Il avait déjà tellement de chose à ingurgiter et à digérer... Je laissai à Gaspard le soin de développer la différence entre hommes et femmes GEN dans cette histoire et m'écartai d'eux.

Je stoppai devant le haut portail du quartier général. Ça y était, j'allais avoir droit à ma raclée de la part de Niels. Il n'allait pas apprécier de me voir me pointer à la base avec mon frère sous le bras, cet abruti, d'autant plus que je l'avais menacé de mort.

Mon arrivée promettait d'être animée. 

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