Chapitre 2
Le silence régnait dans le bureau d'Irina Malcolm, à peine troublé par le cliquetis de son stylo. Assise dans un gros fauteuil de cuir, la doctoresse faisait face à sa tablette de travail impeccablement rangée, seulement munie d'un carnet presque vierge, et prenait des notes. Se retrouver à la place de feu Ulrich Marx signifiait déterrer un certain nombre de secrets bien enfouis et de cadavres cachés dans les placards. La patience était alors de mise, mais Irina avait tout le temps devant elle. Avec le mot de passe de l'ancien directeur en poche, nul ne l'empêcherait de découvrit tout ce qui avait été passé sous silence.
On frappa à la porte et Irina releva la tête de son travail. Elle rejeta sa longue tresse dans son dos.
- Le docteur Girond, madame la directrice, l'informa la voix numérique de N.I.A.
- Fais-le entrer.
La scientifique ouvrit le tiroir situé à sa droite et y glissa son carnet en prenant bien soin d'appliquer sa main sous la poignée. Les systèmes de coffres à reconnaissance palmaire étaient passés de modes et peut-être considérés comme peu efficaces, mais Irina s'y fiait toujours. Après tout, à moins de lui couper une main, il aurait été difficile pour un intru d'ouvrir le tiroir en question et elle attendait de pied ferme quiconque nourrirait ce projet. Ensuite, la GEN se leva en désactivant la tablette, tandis que la porte s'ouvrait.
- Bonsoir, docteur, la salua Girond, raide comme un piquet dans sa blouse blanche. J'espère que je ne vous dérange pas.
- Pas du tout, j'allais justement vous rejoindre au laboratoire.
- J'ai des nouvelles, madame. Elle s'est réveillée.
Le docteur Malcolm sourit et marcha tranquillement jusqu'à la patère fixée près de ses nouveaux quartiers de nuit. Elle enfila une blouse similaire à celle de son collaborateur et lissa son tailleur.
- Quand est-ce arrivé ? voulut-elle savoir.
- Il y a dix minutes, madame. Elle est parfaitement alerte et a demandé à vous voir.
- Qui d'autre est au courant ?
- Personne. A part vous et moi, bien sûr, et l'infirmière chargée de sa surveillance depuis deux mois.
- J'arrive tout de suite, Girond.
L'autre pris sa remarque pour ce qu'elle était : une façon cordiale de lui demander de sortir l'attendre dehors, et il détala. Irina fit quelques pas dans son bureau en réprimant son envie d'exulter. Cela avait marché. Elle avait réussi !
La doctoresse stoppa net devant la fontaine aux cupidons qui trônait toujours là. Il faudrait rapidement trouver de quoi la remplacer. Cette chose était proprement hideuse...
Irina se dirigea vers la porte, ses talons claquant sur le sol et vérifia d'un œil qu'elle n'avait rien oublié derrière elle. Les secrets de Marx devaient rester ce qu'ils étaient et ne concernaient personne d'autre qu'elle. Découvrir tout ce que son ancien mentor lui avait dissimulé n'avait même pas choqué la GEN. Elle faisait confiance à Ulrich Marx pour conduire la communauté, tout comme ce dernier se fiait à elle pour pérenniser le programme GENESIS, mais aucun d'entre eux n'était totalement transparent. C'était dans l'ordre des choses, et Irina avait ses propres cachoteries.
Dans le couloir, Girond s'était adossé au mur et se redressa dès qu'il la vit. Ils se mirent en route côte-à-côte et Irina lui jeta un regard en coin. Les commissures de ses lèvres se plissaient de façon presque imperceptible.
- Y a-t-il d'autres nouvelles, Girond ? Ne nos ennemis, par exemple ?
- Les Revenants œuvrent toujours dans l'ombre, madame. Nos espions n'ont pas réussi à pénétrer leur base, même à présent que nous savons où ils se terrent. Tout ce que nous avons appris, c'est que Niels a pris contact avec le président. La rencontre devrait avoir lieu dans les prochains jours.
- C'était à prévoir, affirma la doctoresse en balayant l'air d'un revers de main. Quoi d'autre ?
Girond eut un rictus qui ne dura qu'une seconde avant de répondre tout en poussant une porte :
- Trois nouveaux corps. On les a trouvés en début d'après-midi.
- Comment sont-ils mort ?
- Battus à mort. L'un d'entre eux a eu un bras arraché.
Irina Malcolm demeura de marbre malgré son agitation intérieure. Elle savait déjà tout cela, évidemment. Vingt-neuf agents massacrés de cette façon aux quatre coins du pays, toujours avec la même violence... Luna Deveille avait encore frappé.
Cette traîtresse... Lorsqu'elle l'avait vue monter en grade au sein de l'Institut, Irina avait éprouvé beaucoup de choses à son sujet, comme de la jalousie à l'idée de la voir aussi proche de Marx, et de l'espoir quant à ses capacités à mener l'Armée. Elle avait vu en elle l'aboutissement de son travail, le GEN parfait. Et Luna avait trahi.
Par sa faute, les rangs de l'Institut s'étaient vidés, leurs technologies avaient été pillées, et Marx était mort, tué dans une explosion. Quelqu'un avait programmé un drone pour s'en prendre à lui et n'avait pas raté sa cible. Dans les débris de l'aile du laboratoire touchée, on n'avait retrouvé que les fragments de plusieurs corps dont ceux d'Allan Vallet, de Rick et du directeur, mais il avait été impossible de les rassembler. Il fallait bien avouer qu'avec la puissance de la bombe garnie de clous empoisonnés, le directeur n'avait pas eu la moindre chance d'en réchapper.
Trois jours plus tard, les cendres d'Ulrich Marx avaient été dispersées près de la Cascade et Irina avait intégré son bureau. Nul n'avait le temps pour le deuil. La guerre n'attendait pas, et en dépit des dommages causés par Luna, Irina avait plus que jamais les moyens de la gagner.
Le docteur Malcolm fut tirée de ses pensées par l'arrêt de Girond et entra sans attendre dans la pièce voisine. C'était une salle carrée aux murs recouverts de miroirs sans tain. La jeune femme s'approcha de l'un deux et son regard tomba six mètres plus bas, dans la cellule sans issue aménagée spécialement pour l'occasion.
Elle était là, à genoux sur le sol blanc dans une tenue de la même couleur, et lui tournait le dos. Ses cheveux roux soyeux étaient rassemblés sur son épaule gauche et elle paraissait parfaitement calme. Ravie, Irina enclencha un bouton sur le panneau de contrôle.
- Agent Robilland ? prononça-t-elle lentement. Je suis le docteur Malcolm, je suis venue vous voir.
- Elle n'a pas encore parlé, l'avertit alors son collègue. Elle a formulé sa demande par écrit sur la tablette fournie par l'infirmière.
Irina le fit taire d'un geste et attendit. Au bout d'une poignée de secondes, la silhouette en contrebas se mit debout et pivota dans sa direction. La doctoresse se figea à sa vue.
Victoire Robilland était passée près de la mort, elle aussi. Brisée par Luna Deveille dans un accès de rage, son cœur battait à peine quand Irina s'était décidée à lui injecter une dose de sérum spécial – le même qui avait été donné à Nina Duquesne même si on en ignorait alors les effets. A présent, elle n'avait plus rien d'humain, ni même de GEN.
Un visage anguleux, sans défaut, à la peau si blanche qu'elle avait l'air faite de cire, des yeux luisant comme ceux d'un chat, beaucoup trop verts. De quoi faire froid dans le dos, mais le docteur Malcom était fascinée. Elle vit là une arme à lâcher sur le monde.
- Bonjour, docteur, dit distinctement Victoire. Ou bonsoir, puisque je ne sais pas qu'elle heure il est.
- Bonsoir, agent Robilland. Il est vingt-deux heures et nous sommes vendredi. Fin août, si vous voulez tout savoir. Le mois de septembre commence lundi.
Victoire opina du chef et se mit à marcher dans sa cellule, avec une grâce dérangeante. Sa voix aussi avait quelque chose de surnaturel.
- Comment vous sentez-vous, ma chère ? interrogea encore Irina.
- Très bien docteur, affirma mielleusement la jeune femme. Mais j'aurais une demande à vous faire. Ça ne peut pas attendre.
- Je vous écoute.
- Je veux tuer Luna Deveille.
Irina éclata de rire, tapotant le bras de Girond qui n'avait pas l'air de partager sa satisfaction, mais plutôt d'être à deux doigts du malaise.
- Vous n'allez pas tuer Luna, Victoire. Vous allez faire beaucoup mieux. Nathan Deveille, ça vous dit quelque chose ?
La GEN passa nonchalamment les doigts dans sa chevelure scintillante. Son regard vert se braqua sur Irina au point de faire courir la chair de poule dans son dos, et elle sourit. Un sourire effrayant.
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