Chapitre 4
L'aube pointait à l'horizon lorsque nous arrivâmes à l'Institut. Nous devions être parmi les dernières équipes à rentrer de la Chasse, car la cour était presque vide de monde. Je la balayai rapidement des yeux, elle et son manoir recouvert de lierre, et soupirai de soulagement. Au moins étions-nous revenus entiers, malgré les évènements de la nuit.
- Voilà les retardataires, cingla la voix de Rick, à peine eus-je mis le pied hors de la voiture.
J'échangeai un regard las avec Samuel et me dirigeai vers le coffre avant de répondre.
- Tu ne voudrais pas me foutre la paix, pour une fois, Rick ? Trouve quelqu'un d'autre à essayer de terroriser, ça ne prend plus avec moi depuis longtemps.
Tribal ouvrit la portière et nous commençâmes à décharger les jeunes humains. Il s'agissait principalement de filles, cinq parmi les sept adolescents que nous avions capturés, et la plupart de nos nouveaux pensionnaires ne dépassaient pas les quinze ans. Cela faisait partie des nouvelles consignes du directeur pour la Chasse de cette année. Ses scientifiques et Irina Malcolm m'étudiaient toujours sous toutes les coutures et pensaient qu'en abaissant l'âge des sujets, il serait peut-être possible d'obtenir le même résultat qu'avec moi. Si les choses évoluaient ainsi, les GEN seraient bientôt condamnés à récupérer des nourrissons au berceau...
- J'allais te dire que tu t'es bien débrouillée, pour une première Chasse, reprit le chef de la sécurité sans se formaliser de ma remarque. Sept futures recrues, c'est presque un record !
- Ciel, un compliment ! m'exclamai-je.
- Je sais ce que tu vaux et si Marx a confiance en toi, alors je suis bien obligé de faire avec. Mais je ne t'apprécie pas pour autant, gamine, que ce soit clair.
Je réprimai un sourire devant son mécontentement. Provoquer Richard Simon fonctionnait à tous les coups et me procurait un sentiment de satisfaction mesquine très agréable. Pendant que Samuel et Tribal guidaient le dernier garçon à l'intérieur du labo, je me tournai vers Rick.
- Un de ces jours, il faudra que tu admettes que je suis meilleure que toi, Rick. Marx pourrait même te faire remplacer, tu ne crois pas ?
Le chef de la sécurité s'avança jusqu'à ce que nos nez se touchent, les sourcils froncés. Puis son regard dériva dans le coffre de la voiture et il m'empoigna le bras.
- A ta place, je la ramènerais moins, grommela-t-il. D'autant qu'il va te falloir m'expliquer ça.
Il avait vu le cadavre et se délectait d'avance de pouvoir me causer des ennuis. Victoire, immobile près de la porte conducteur depuis notre arrivée, fit un pas en avant et inspira un grand coup. Allait-elle réellement prendre sur elle la responsabilité de la faute commise ?
- C'était un accident, la devançai-je d'un ton calme. Le coup est parti tout seul.
- Parti tout seul ? répéta sèchement Rick.
- Oui. Les dommages collatéraux, comme tu dis si bien toi-même, pas vrai ?
J'accompagnai mes propos d'un haussement d'épaule détaché, comme si le décès de la fillette ne m'importait guère. Victoire eut le bon sens de se taire et de se porter à la hauteur de Samuel, revenu pour emporter le corps. Il en fallait cependant plus à Rick pour lâcher le morceau de viande qu'il tenait entre les dents. Il se tenait si proche de moi que je sentais la sueur imprégnant son dos et l'odeur de la forêt où il avait chassé – sûrement une semblable à celle où il m'avait piégée.
- Je ne te crois pas, laissa-t-il tomber.
- Tant pis.
- Tu ne rates jamais, Deveille et tu sais manier un flingue comme peu de personnes en sont capables. Je ne suis pas idiot.
- Ah.
Là-dessus, je m'éloignai en direction du manoir, laissant le chef de la sécurité et son impressionnante teinte rouge brique en tête-à-tête, ayant grand besoin d'être seule.
***
En sortant de la douche que j'avais pris brûlante, je me sentis un peu mieux, les épaules dénouées. Une serviette autour de la poitrine, je me glissai dans la chambre et enfilai les vêtements que j'avais choisi.
Il était coutumier de donner une fête après la Chasse – même si je voyais mal ce qu'il y avait de réjouissant à briser la vie d'innocents pour une cause aussi peu noble que celle des GEN. Cela dit, je n'avais aucun pouvoir là-dessus et j'étais priée de m'y rendre avec le sourire, en compagnie des autres chasseurs.
La chambre que je partageais toujours avec Victoire et Amanda ressemblait à un champ de bataille tellement elle était peu rangée, et je songeai avec nostalgie aux premières semaines durant lesquelles nous dormions toutes ici, et nous entendions à peu près correctement. Désormais, Tribal et Samuel bénéficiaient en tant qu'agents d'une chambre individuelle, et Amanda préférait rejoindre son petit ami chaque soir, hormis quand il partait en mission. Pour ce qui était de Victoire, elle avait toujours un amoureux transi à retrouver, et c'était sans doute mieux ainsi.
Habillée d'une chemise à carreaux rose et blanc, et d'un jean noir, je fouillai dans mon armoire à la recherche d'une paire de chaussette. La petite panière qui les contenait était située tout au fond et je tendis le bras pour trouver mon bonheur. Mes doigts rencontrèrent plusieurs autres objets qui n'étaient absolument pas destinés à couvrir un pied, mais plutôt à me couvrir, moi, en cas de problème, tels que deux passeports, des cartes de crédits et mon arme de rechange. J'avais décidé que cacher quelque chose aux yeux de tous était peut-être la meilleure façon de le dissimuler. Tout au fond de la panière, je sentis un mince feuillet et marquai un temps d'arrêt avant de le sortir. Le dépliant d'une main, je gardai le bras dans l'armoire, car j'étais ainsi sûre qu'aucune caméra située dans la pièce ne pourrait enregistrer ce qu'il montrait.
Un an et demi plus tôt, après la mort du sénateur Reilly, j'avais éprouvé le besoin impérieux de revoir ma famille. Ce n'était pas la sensation de manque vis-à-vis d'eux qui m'y avait poussée mais plutôt le phénomène inverse. A mesure que je m'acclimatais à la vie de GEN, celle que j'avais été dans ma peau d'humaine s'éloignait et j'oubliais peu à peu les gens qui avaient composé mon existence. Mais si je n'accordais plus d'importance à ma famille, qu'est-ce qui justifierait que je ne devienne pas une GEN à part entière, que je ne me mette pas à défendre vraiment les idéaux de dominations qu'on me fourrait dans le crâne ? Je vous l'accorde volontiers, en matière de monstruosité, j'atteignais déjà un certain niveau – mes actes parlaient d'eux-mêmes – mais protéger les miens était la seule chose qui me permettait de conserver un semblant d'humanité.
J'avais alors emprunté la Golf d'Allan et avais roulé des heures durant. Revoir la maison de mes parents m'avait donné la chair de poule. L'allée de gravier, la pelouse hirsute, le jardin où mon père ne réussissait à faire pousser que des mauvaises herbes, la façade crépie agrémentée de volets mauves... Je n'étais pas restée longtemps, je ne le pouvais pas. Mais j'avais au moins pu prendre une photo furtivement.
Figée devant mon armoire, je contemplai avec une boule au ventre les visages qui s'étalaient sur le papier. Le jour où j'étais venue, il faisait frais mais beau. Partaient-ils en promenade ou en revenaient-ils ? Ma mère portait une grosse écharpe et riait avec mon père. Nathan, quant à lui, refaisait ses lacets avec une expression agacée. La photo n'était pas belle, limite floue, mais je m'en moquais. Désormais, quoi qu'il se passe, ils seraient toujours avec moi, et je saurais pourquoi je luttais ainsi.
Après cela, j'avais juré de ne jamais retourner chez moi. Je devais tenir le mal éloigné d'eux, quoi qu'il m'en coûte.
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