Chapitre 10 : Meet you again
Resserrant les pans de mon manteau contre mon corps, je presse le pas sur Hudson Street pour rejoindre la charmante petite boulangerie qui en fait l'angle.
J'ai rendez-vous avec Siobhan, ma petite leprechaun porte bonheur, qui est mon agent depuis le début de ma carrière.
Elle porte fièrement ses origines irlandaises, souvent vêtue de ce vert emblématique de son pays et parle avec un accent hilarant pour nous-autres petits américains.
Je pousse la porte en verre faisant tinter le carillon de l'entrée, et suis accueillie par le sourire commercial de la personne derrière le comptoir.
Je scrute quelques instants la pièce où les tables sont disposées de façon presque aléatoire, avant de repérer mon amie installée sur une des banquettes confortables du fond de la salle.
Un sourire vissé sur les lèvres, elle me désigne son poignet de l'index et malgré le fait qu'elle ne porte pas de montre, je comprends très bien son allusion. Je passe rapidement commande pour un café bien chaud et la rejoins.
— Est-ce qu'un jour tu arriveras à l'heure à l'un de nos rendez-vous ?
— Tu crois aux miracles, toi ?
Nous rions de bon cœur et après lui avoir claqué un bisou sur chaque joue, je m'installe à côté d'elle alors que le serveur vient déposer ma boisson sur la table.
Avant que le jeune homme ne reparte, Siobhan en profite pour reprendre un thé, irlandais bien sûr, et je me laisse tenter par une pile de pancakes recouverts de sauce chocolat maison et agrémentée de quelques fruits rouges.
Elle se tourne rapidement vers moi, les yeux presque exorbités, la bouche entrouverte et, avant qu'elle n'ait pu faire la moindre remarque, je la devance, un immense sourire dessiné sur les lèvres.
— Pas de panique, miss contrôle, je me suis inscrite à la salle de sport et j'aurai tout éliminé à la prochaine séance.
— C'est quand même pas une raison pour abuser.
—Hey, joue pas les rabat joie, faut profiter de la vie.
Surprise de mon ton presque euphorique, elle s'approche de moi, les yeux plissés, analysant mon visage avec précision, puis se recule.
—Qu'est-ce qui se passe ? Je te trouve particulièrement heureuse aujourd'hui, tu prends tout à la légère et je ne retrouve pas ton petit pli d'inquiétude pourtant gravé sur ton front en toutes circonstances... C'est louche... Qu'est-ce que tu me caches ?
Au moment où j'allais répondre, mon téléphone, posé sur la table, s'éclaire à l'arrivée d'un nouveau message, en provenance d'un numéro non répertorié.
Je n'ai pas le temps de réagir que cette fourbe d'irlandaise chaparde mon portable pour y lire la missive sans la moindre gêne. Nous luttons comme des enfants de dix ans, moi pour récupérer mon bien et elle pour déverrouiller mon écran et satisfaire sa curiosité.
Elle se fige face au contenu du SMS, me scrutant par dessus l'appareil alors que je me stoppe à mon tour, me sentant presque dévisagée.
— Tu as fais quoi hier soir, petite coquine ?
—Rien de spécial, je suis sortie avec des collègues du tournage, une soirée terriblement ennuyeuse.
— Tu es sûre ? Parce qu'il y a un mystérieux inconnu qui voudrait parler de ce qu'il s'est passé entre vous.
Et là, tous les souvenirs que je m'étais efforcée d'enfouir le plus profondément possible dans les méandres de mon cerveau, remontent à la surface.
Ma main sur son torse pour le stabiliser, ma paume caressant ses fesses à la recherche de son portefeuille, la mésaventure de ses clefs coincées dans sa poche, son souffle dans mon cou, et ses lèvres... la sensation de leur contact sur ma peau me fait presque frémir et je sens le rouge me monter aux joues.
Je détourne le regard et me rassieds correctement à ma place, récupérant mon téléphone des mains de mon amie.
Je me focalise sur l'écran, ignorant presque la personne à côté de moi et réfléchis quelques minutes avant de trouver quoi répondre.
En laissant ce petit mot, je ne pensais pas vraiment qu'il se servirait du numéro.
Je m'attendais plus à ce qu'il le balance sans se préoccuper de ma petite attention, mais je dois admettre que son message est plutôt étrange.
Il veut qu'on parle d'hier soir, moi qui avais espéré qu'il oublierait tout de nos péripéties de la nuit.
Au pub où l'on s'est croisé la nuit dernière à 15h, ça te va ?
Je repose mon téléphone sur la table et me tourne lentement vers Siobhan qui n'a fait aucun commentaire depuis ma réaction au message.
— Je pense que tu mérites une petite explication. Dans ce pub où je m'ennuyais à mourir, j'ai croisé un ancien ami de mon frère. Il avait pas mal bu, alors je l'ai raccompagné chez lui. Je t'arrête tout de suite, il ne s'est rien passé entre nous, j'ai juste voulu être gentille et je lui ai laissé un petit mot avec mon numéro. Je ne pensais même pas qu'il s'en servirait.
— Il ne s'est rien passé, permet-moi d'en douter vu la rougeur sur tes joues, mais soit. Je pense que tu aimerais bien qu'il se passe quelque chose. J'me trompe ?
— La question se pose pas de toute façon. Il ne vit que pour son boulot apparemment, et, de ce que j'en ai vu, je le laisse complètement indifférent, comme quand nous étions gosses ! Je vais aller le voir, le rassurer et fin de l'histoire. Je reprendrais le cours de ma vie et lui de la sienne.
— Pourquoi tu réagis comme ça ? Peut-être qu'il a juste envie de te remercier de ne pas l'avoir laissé dormir dans le caniveau. Et qui sait ? C'est peut-être le début d'une jolie histoire.
Je remue la tête de droite à gauche et souris face à son insouciance démesurée.
— On n'est pas au pays des licornes là et il n'y a aucun chaudron magique rempli d'or aux pieds des arcs-en-ciel. On est dans la vraie vie et dans la vraie vie ce n'est pas aussi simple de rencontrer quelqu'un de bien et qui a envie des mêmes choses que toi.
— T'as déjà été au pied d'un arc-en-ciel pour affirmer une chose pareil ? Non ! Donc tu ne peux pas savoir. C'est évident que si tu te persuades que tu ne rencontreras jamais une personne digne d'intérêt, tu te fermeras aux éventuelles possibilités qui se présenteront sur ta route. Je te vois faire les gros yeux et je sais exactement ce que tu vas me dire. Tu vas me dire que l'amour finit toujours par se faner et que ça ne sert donc à rien de commencer quelque chose.
Le doigt levé et la bouche ouverte, je m'apprête à lui couper la parole pour ne pas entendre une nouvelle fois son discours positif digne d'un conte de fée avec des papillons et des petites libellules qui volent de fleur en fleur, mais elle ne me laisse pas en placer une.
— Ils ne sont pas tous comme Lloyd, je sais que cette histoire était importante pour toi, normal puisque ça a été la seule, mais il faut que tu passes à autre chose et que tu avances. Va voir ce gentil garçon qui a lu ton petit mot et pris le temps de t'envoyer un message et s'il te plait, mets tes a priori de côté et profite juste du moment présent.
Je ne m'attendais pas à ce genre de discours et j'avoue que je suis quelque peu sur le cul.
— Je vais essayer.
C'est forte de cette petite séance de thérapie express que je me retrouve face à la devanture verdoyante du pub, les souvenirs de la soirée de la veille tournant en boucle dans mon cerveau.
J'inspire profondément, récupérant la moindre petite parcelle de courage en ma possession et pousse la porte — lourde comme une armée de leprechaun — de l'établissement.
Je repère assez rapidement Tyler, installé dans un des box longeant le mur de brique rouge, à l'écart, bien qu'il n'y ait pratiquement personne à cette heure de l'après-midi.
Il est assis là, le regard perdu dans les reflets de sa bière blonde trônant devant lui sur la table en bois brut. Je l'observe un moment avant de m'avancer dans sa direction.
Mes bottines à talons marquant le rythme franc de mes pas sur le carrelage vert forêt, attire son attention et son expression de surprise ne m'échappe pas quand son regard croise le mien.
Je m'installe naturellement face à lui et rencontre son air ahuri quand nos yeux se connectent de nouveau.
— Je suis désolé, mais j'attends quelqu'un, alors...
— Oui je sais, c'est moi ton « quelqu'un ».
Je mime des guillemets pour souligner mon dernier mot. En réponse, son visage passe par tellement d'émotions différentes et contradictoires en peu de temps que je ne parviens pas à en saisir tous les tenants et les aboutissants.
— Alors c'est vous qui...
— Oui, c'est moi qui t'ai gentiment raccompagné chez toi hier soir. Tu veux bien arrêter de me vouvoyer par contre, ça me donne l'impression d'être super vieille alors que je n'ai qu'un an de plus que toi.
— C'est étrange de savoir que tu me connais alors que pour moi, tu n'es que la fille au poisson rouge imaginaire qui a voulu forcer le passage pour rentrer chez elle.
— En fait, quand nous étions gosses tu étais le meilleur ami de mon frère, vous étiez tous les deux dans l'équipe de basket au lycée et tu venais très souvent à la maison.
Le silence s'installe et s'étire entre nous, il semble plongé dans ses pensées et aucun de nous ne cherche à rompre la quiétude du moment.
L'arrivée du serveur, à point nommé, nous permet de débloquer cette situation. Je lui demande une boisson fraîche, ne voulant pas abuser de la caféine et il repart aussi rapidement qu'il s'est approché.
— Pour être honnête, je ne me souviens que de très peu de chose d'avant l'accident... Et ça me va, j'veux dire... je préfère aller de l'avant... enfin, j'essaie en tout cas !
— J'ai une idée !
Je me lève alors qu'il détourne les yeux de la baie vitrée, sur laquelle il avait focalisé son attention pendant qu'il parlait, pour me scruter, les sourcils légèrement froncés par la surprise.
— Et si on reprenait tout à zéro ?
Je tends le bras dans sa direction et attend qu'il réagisse, ce qu'il ne tarde pas à faire, ma main disparaissant dans sa poigne franche mais délicate.
— Enchantée, Alexa, actrice, New Yorkaise à la vie à la mort, je suis accro au Caramel Macchiato et fan d'Harry Styles !
Je pointe un index accusateur dans sa direction.
— Je t'interdis de te moquer, ses chansons sont géniales.
J'hausse un sourcil et je suis agréablement surprise de voir un fin sourire se dessiner sur ses lèvres quand il se présente à son tour.
— Tyler, pompier, le cappuccino et... Imagine Dragons.
Ravie de cet échange, je me retourne prestement et bouscule presque le serveur apportant mon verre. Je m'excuse timidement avant de reprendre place sur mon siège et quand je croise le regard de Tyler, nous explosons de rire comme de vrais mômes, et j'aperçois brièvement cette étincelle qui manquait à ses prunelles quand nous nous sommes revus la première fois.
Pendant un bref instant, je revois le Tyler de mon adolescence, les yeux rieurs et le visage détendu sans toutes ces tensions qui s'y trouvent désormais.
Les yeux brillants de larmes, je reprends mon souffle et observe son sourire se faner doucement sans disparaître complètement.
— Pour hier soir...
De nouveau sérieux, la lueur brillante dans ses prunelles s'évanouit, remplacée par un voile d'inquiétude.
— Il ne s'est rien passé. Si c'est ce qui t'inquiète, bien sûr.
— Rien ?
Je tousse, légèrement mal à l'aise et baisse les yeux sur mon verre que je fais tourner machinalement entre mes mains.
— On n'a pas...
— Oh, d'accord, tant mieux, enfin... Je suis... Je ... J'me souviens de rien... alors... je...
Il soupire bruyamment et, le regard perdu vers la rue sombrant doucement dans le crépuscule, il reprend.
— Désolé, je sais pas faire ça.
— Quoi ? Faire une phrase complète ?
Il se tourne vers moi et je l'aperçois encore, furtivement, cette petite lueur du passé dans ses yeux.
— Ha ha. Non, je veux dire, sociabiliser.
— Pourquoi ?
— Par choix. Sans attache, pas de perte !
— Je dois me sentir honorée alors ?
Il ne me répond rien et se contente d'un fin sourire, les yeux scrutant mon visage ou peut-être se perd-t-il dans ses pensées ?
— À cause de Louis ?
Il reste toujours aussi silencieux, mais je remarque sa pomme d'Adam faire un lent mouvement de bas en haut quand il avale difficilement sa salive, comme si quelque chose s'était subitement coincé en travers de sa gorge. Je comprends que, malgré les années, le sujet reste sensible et m'en veux aussitôt de l'avoir abordé.
Par réflexe, je pose ma main sur la sienne avant de la retirer ne voulant pas lui sembler trop envahissante.
Le temps passe et nous apprenons à nous connaître lentement, parlant de nos boulots, de nos passions, parfois de nos collègues, et il me parle de Trevor et de toutes ces idées farfelues, voir totalement loufoques, et de son manque évident de respect envers la gente féminine.
Le passé n'a pas sa place dans notre échange et je le sens se détendre au fur et à mesure, gardant tout de même une certaine réserve.
Sans que l'on ne s'en rende compte, l'établissement se remplit lentement, accueillant des couples, des groupes d'amis, ou même des familles venus décompresser après leur journée d'école ou de travail, mais rien ne nous distrait.
Nous sommes comme dans une sorte de bulle, à l'écart du reste du monde, profitant du temps présent, et faisant connaissance comme deux inconnus qui se découvrent pour la première fois.
........
Kidnappée par un commando de souris armées jusqu'aux dents,
Je suis contrainte et forcée de poster mon chapitre avant l'heure...
Tyler vient à mon secours.....
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