Chapitre II

                                                     Larmes de mercure

L'anneau glissant le long de mon doigt m'ôta un tremblement ; la froideur du métal avait passé outre mon gant de soie.

C'était fini. J'étais mariée.

Je suis devenue grâce à un simple " Je le veux" Diane Hênnes ; l'épouse de Klaus Hênnes.

Mon mari me dévisageait, d'un regard à la fois tendre mais si distant, arborant un sourire si doux et à la fois si froid. Le même que j'adopte en ce moment. Cette mine heureuse n'est qu'une façade ; le masque que les nobles apprennent à porter en toute circonstance.

Elle n'a rien à voir avec celle que j'ai pu apercevoir, ne serait-ce que quelques semaines en leur compagnie.

Ignorant le fond de ma pensée, la main de mon époux se posa délicatement sur ma joue.

Ce contact n'eut guère d'effet sur moi. Contrairement à ce que bon nombre d'héroïne de romans d'amour de ma bibliothèque ont pu dire, sa main n'avait rien d'enchanteresse, je n'aurais pas pas pu comparer sa douceur à la caresse du vent ni sa chaleur à celui d'un brasier ; seulement à une simple main comme tant d'autres.

Puis, lentement il rapprocha nos deux visages. Bientôt je pus sentir nos respirations se mêler dans un souffle tiède.
Soudain, le souvenir du visage déchaîné de Lash ; mon ancien professeur, me revint en mémoire.

C'est vrai, un visage, le sien, a déjà été aussi proche du mien, songeais-je sans y éprouver de l'intérêt. Son souvenir semblait s'évanouir à petits feux.

Au bout de quelques secondes qui semblèrent durer une éternité pour les convives, les lèvres de Klaus se pressèrent sur les miennes.

Ce baiser était mon premier.

Je n'ai jamais compris pourquoi les femmes y accordaient toute cette importance ; pour moi cela n'en avait aucune dans la mesure où le premier baiser ne sera pas le dernier. Et ma pensée ne s'était pas trompée ; ça n'a rien de magique.

Il n'avait aucune saveur. Comme embrasser les lèvres de pierre d'une statue de marbre, le baiser paraissait long, presque ennuyeux. Les papillons dans mon estomac semblaient s'endormir dans une nausée troublante. Mon corps se refroidissait à mesure que nous amplifions notre baiser, le rendant toujours plus langoureux. J'avais l'impression de perdre la vie en délectant ses lèvres puisque toutes mes émotions disparaissaient ; cela ne ressemblait en rien à ce que les histoires m'ont promis dans mes rêves.

Lorsque nous rompions notre embrassade, je ne ressentis aucune envie de prolonger cela comme la plupart des femmes amoureuses ; non pas écœurée, j'étais plutôt désintéressée.

A cet instant, je me surpris à me demander si effleurer les lèvres de mon ancien professeur provoquerait chez moi une autre réaction, si un baiser entre nous deux comblerait davantage ma nature capricieuse

Seraient-elles sèches, douces, froides ou encore passionnées ? Désirerais-je embrasser vigoureusement cet homme et plutôt que mon bel époux ? Refuserais-je de rompre un contact si intime ? Ces questions traversèrent mon esprit puis s'abandonnèrent à l'inutilité.

C'était stupide, nous n'étions rien de plus que des collègues ; je n'ai rien ressenti pour cet homme. Il n'a suscité de l'intérêt pour moi uniquement en sachant qu'il avait eu l'audace de se servir de moi comme garrot quand il s'est blessé par ma faute et que, de ce fait, il a touché ma peau humide. Je ne devais pas penser à des choses si insignifiantes dans l'état actuel des choses. Les émois qui m'ont assaillis à l'époque seront à jamais de simples et brefs actes quelconques.

C'est tout.

A l'achèvement de notre union, la foule se transforma en une masse bruyante de cris festifs et d'applaudissements.

Étais-ce sincère ? Bien sûr que non, féliciter ses concurrents qui s'enrichissent dans une ville de commerces est insensé. Il se contente de suivre une norme ; paraître comme une personne bonne et altruiste. Il serait hors de question pour un bourgeois que de s'afficher comme quelqu'un de purement égoïste en dépit de sa triste réalité.

Finalement, après avoir tourné mon visage vers les invités, je les saluais.

Un grand sourire s'étirait sur mes joues. Des larmes factices, fabriquées de toute pièce comme une machine faite de métal, s'écoulaient le long de mon visage et roulaient jusqu'au sol. Je devais être émue pour les autres ; refléter la joie et le comble du bonheur d'être mariée à Klaus Hênnes. Moi aussi, je devais suivre la norme. Que cela soit pour moi comme pour ma nouvelle "famille".

Je croisais enfin le regard de mes parents accompagnés de leur belle-famille, Père m'accorda un bref hochement de tête puis redirigea son regard vers Klaus.

De toute ma vie, ce fut la première fois qu'il exprima un signe de fierté, enfin tout du moins ce qui s'apparentait au contraire de la déception. J'atteignais pour la toute première fois leurs attentes, tout du moins les apercevais. Je leur exprimais enfin un remerciement digne de la vie qu'ils m'ont offerte et pour cela, Père m'a montré sa satisfaction.

Après quelques minutes à agiter la main en un salut, mes pleurs finirent par devenir véritables. J'ignore encore si c'est la joie que Père m'a procuré en me félicitant ou la conscience d'être mariée ; l'accomplissement final de toute femme bourgeoise, qui m'a poussé à pleurer ainsi. Je n'arrivais pas à mettre un nom à toutes les émotions qui m'assaillaient.

Suis-je heureuse ? Suis-je triste ? Qui pouvait bien le savoir, riais-je amèrement.

Je regardais dans le vide, ne distinguant plus les choses. Les autochtones ressemblaient à une multitude de points sombres et identiques tandis que mes yeux s'embuaient de plus en plus, de larmes et de fatigue.

J'avais l'impression d'être une étrangère lors de mon propre mariage, assistant à celui d'une autre.

C'était pathétique en sachant qu'une centaine de femmes tueraient pour être à ma place, même sans cet époux, juste pour se marier ou aimer de tout son corps un autre être que sa propre personne.

Il serait ingrat de ne pas être heureuse ; je ne regrette rien. J'ai fait ce que je devais faire. J'ai permis au conglomérat Eulet de prolonger son existence sous le nom du conglomérat de Hênnes. Je suis satisfaite, moi aussi. Mon avenir est tracé sous un riche futur.

Conformément à la tradition de Ladsen, unique en son genre, je ne portais pas de bouquet ; c'était l'homme qui durant toute la cérémonie tenaient une composition de fleurs qu'il devait remettre à la fin du mariage. Et ainsi, le moment venu, il s'agenouilla sur l'estrade, un genou à terre et l'autre jambe appuyé sur le sol pour me tendre le présent.

C'était un bouquet de fleurs de pissenlit Löwenzahn.

Importées des contrées de Heümbardenst, la tradition voulait que les mariées de Ladsen souffle dans ses bourgeons en direction du ciel.

La croyance populaire raconte que leur envol apporte prospérité et richesse au couple fraîchement uni et que leur influence s'étend ainsi dans les autres régions. Toutefois, en dépit de la cupidité de son sens, la légende narre également que la mariée doit exprimer son souhait personnel lors de l'envolée florale. Tout cela en contrepartie de sa contrainte ou de son honneur de porter leur futur bébé ; symbole de la continuité familiale.

Que désirais-je ? Y a t-il quoi que ce soit qui me ravirait en cet instant ? me questionnais-je en cherchant une demande à formuler.

Puis, après quelques secondes de réflexion je soufflais dans le bouquet.

Les milliers de graines se firent emportées par la brise légère. Nous regardions tous avec émerveillement le nuage blanc s'envoler vers le ciel de fumée, nous abandonnant à la contemplation de ce spectacle rare. Il lui suffit de quelques secondes, à peine, pour qu'il se confonde avec la voûte, comme une neige qui remonte à ses origines célestes.

Je souhaite comprendre un jour ce que ressentiront ces fleurs ; la liberté, m'envoler, avais-je prier intérieurement en projetant ma respiration vers le présent de mon mari.

Je rabaissais les yeux.

Ma robe était magnifique. Un véritable trésor à elle-seule qui aurait pu concurrencer avec la belle armure d'un preux chevalier. Son étoffe n'avait rien à voir avec le vieux tissu rêche et délavé des habits de mon ancienne hôte ; Sasha. Mes souliers avait une grâce que le cuir usé de ses bottes n'égalait pas. La fine mousseline de ma cape surpasse de loin les mailles débraillées de ses pulls et la dentelle de ma robe se moque des ceintures abimées qui lui cintre la taille.

Nous ne sommes vraiment pas du monde, n'est-ce-pas ?

Comment en suis-je arrivée là ? me demandais-je froidement en repensant aux évènements m'ayant conduit à mon mariage.

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