Chapitre 16
En sortant de la douche, j'entendis la porte d'entrée s'ouvrir. Ma mère, en pleine dispute avec mon père, rentraient à peine de la mairie. En peignoir, je filai dans ma chambre pour éviter tout contact avec eux. Soudain ma mère toqua à ma porte en me demandant de rejoindre le salon car elle et mon père voulaient s'entretenir avec moi. Je glissai mes cheveux dans une serviette, mis mon jogging gris et un sweat-shirt rouge et descendis les voir. En arrivant, mes parents étaient tous les deux assis sur le divan. Mon père tenait une poche de glace qu'il se mettait sur le haut du front où une bosse était présente. Je l'interrogeai :
— Qu'est-ce qui est arrivé à ton front ?
— Rien, je me suis laissé emporté avec Furieux.
— Vous en êtes venus aux mains ?
— Oui, mais cela s'est vite fini. Anxieuse, ta mère et moi, on aimerait te parler par rapport à ce qui s'est passé au repas.
— Je m'en doute.
— Je ne comprends pas ce qui t'a pris de réagir de la sorte, s'exclama mon père, en fronçant légèrement les sourcils.
— Papa, j'ai simplement dit ce que je pensais au fond de moi.
— Et bien c'est mal. Tu nous as fait ressentir de la honte aujourd'hui et pire encore tu as failli te faire arrêter. Tu réalises ce que tu as fait ? La situation dans laquelle tu as mis notre famille ?
— Papa, j'ai dit le fond de mes pensées. Je trouve cette loi stupide, tu veux connaitre la vérité ?
— Anxieuse ! Tu n'as pas à donner ton avis. Tu obéis aux règles, tu dois faire bonne figure !
— La vérité, papa, c'est que je ne souhaite pas ressentir uniquement de la peur. Je souhaite moi aussi être joyeuse, faire preuve de courage, être triste et pouvoir le montrer à tout le monde, sans que ce soit un interdit. Je veux pouvoir ressentir diverses émotions. Où est le mal à vouloir juste être un humain ?
— Anxieuse, la vie elle n'est pas faite comme tu le souhaites. Tu es née ici avec cette loi et tu mourras ici avec cette loi. C'est ainsi et pas autrement.
— Papa, toi-même, tu ne sais pas pourquoi cette loi est entrée en vigueur.
— Mes parents m'ont inculqué cette loi et leurs parents l'avaient fait également. Alors plie-toi à la règle.
— Mais...
— Il n'y a pas de mais.
Je me levai en rejoignant ma chambre. Quant à mon père, il resta sur le divan à se masser le front avec la poche de glace. Une fois dans ma chambre, je claquai la porte derrière moi et je m'allongeai sur mon lit en fixant le plafond. Une envie soudaine d'évacuer la rage en moi me prit. J'attrapai mon oreiller pour crier de toutes mes forces à l'intérieur, quitte à me détruire les cordes vocales. J'en avais juste marre de faire semblant, marre d'agir telle une actrice. Mon téléphone vibrait de dizaines de messages provenant de Joviale. Je n'y prêtai pas attention et le laissai dans ma chambre. Je descendis les escaliers en douce pour ne pas me faire entendre par mes parents puis sortis de la maison pour prendre l'air. Le soleil s'était couché et l'obscurité de la nuit avait pris place dans le ciel. Je marchais le long du trottoir. En passant devant la maison de Haine, j'aperçus sa voiture avec les phares allumés. C'était maintenant ou jamais si je voulais m'entretenir avec lui. J'expirai. Soudain, dans un élan de courage, je m'approchai de la portière de la voiture de Haine, pressai la poignée de porte et m'installai à bord du côté passager. Je souhaitais reproduire notre première rencontre et c'est exactement ce qu'il s'est produit. Haine fut étonnée de me voir débarquer à bord de sa voiture. Tout en fronçant les sourcils et en me jetant un regard des plus noirs, il s'exclama :
— Mais qu'est-ce qu'il te prend la parano à débarquer dans ma voiture ?!! Qui t'a dit de t'installer ici ?!
— Moi, uniquement moi. Je me suis permise comme tu t'es permis de t'installer à bord de la mienne.
— Tu ne manques pas de culot, tu es venue finir le travail de ton père ? Après s'en être pris à mon père, tu t'en prends à moi ?
— Non, je suis venue te remercier. Je ne pensais jamais dire ça un jour mais je te remercie. Ces derniers jours, tu as fait pas mal de choses pour moi. D'ailleurs je ne comprends pas la raison de tes actes, toi qui me détestes.
Il détourna son regard pour le placer sur la rue déserte. Tout en ricanant il se mit à me regarder en me faisant un sourire insolent.
— Tu penses que je l'ai fait pour toi ? Tu penses vraiment que j'ai fait tout ça pour la parano que tu es ?
— Et bien, oui. Je ne vois pas d'autres raisons, surtout en sport, t'étais pas obligé d'agir et pourtant tu l'as fait. Je te remercie Haine.
— Je n'en veux pas de tes remerciements. En sport, quand tu as fait ton petit numéro, les pompiers ont mis un temps fou à venir et tu serais déjà morte si je ne t'avais pas amenée à l'hôpital. Je t'ai amené pour pouvoir passer mon épreuve de sport et j'ai payé pour faire bonne figure à mes parents.
— Et pour aujourd'hui, c'était quoi ta raison ?
— Je t'ai défendue car je voulais finir ce repas au plus vite et bien sûr il a fallu que tu fasses des tiennes. Tu ne pouvais pas la fermer, non il a fallu que tu l'ouvres et que tu montres à tout le monde ce que tu ressens encore une fois. Je l'ai fait pour mon propre intérêt. En aucun cas je voudrais défendre un changement d'émotion comme toi, maintenant dégage de ma voiture.
— Pourquoi tu ne me dénonces pas ?
— Ça me servirait à quoi ? Tôt ou tard, ils t'attraperont.
— Tu sais que ce que j'ai ressenti au repas n'était pas un excès de colère et pourtant tu m'as aidée. Je sais qu'au fond, tu n'es pas la personne que tu montres à tous. Je sais que tu es quelqu'un de bien mais tu ne veux pas le voir.
— Dehors, la parano !
— J'y vais. Le point positif, c'est que tu sais comment je m'appelle et tu l'as même dit deux fois. Je suis émue d'entendre mon émotion venant de la bouche d'un connard comme toi.
Je sortis de la voiture de Haine. À peine sortie de sa voiture qu'il verrouilla les portes. Je me retournai en lui disant que je n'allais pas rentrer encore une fois dans sa voiture de riche. Je repartis dans le sens inverse pour rentrer chez moi. En rentrant, je regagnai ma chambre sans que mes parents ne se doutent de ma courte absence. J'ouvris ma fenêtre pour fermer mes volets quand j'aperçus la voiture de Haine démarrait et s'en aller dans le noir de la nuit.
Le lendemain matin, en arrivant au lycée, je rangeais mes livres de cours dans mon casier. Les élèves défilèrent dans le couloir lorsque la proviseure prit la parole au micro pour s'adresser à l'ensemble de l'établissement. Les élèves écoutaient attentivement.
— Je demande à chaque élève de se réunir dans l'amphithéâtre du lycée de toute urgence. Veuillez vous avancer vers celui-ci. Merci bien.
En refermant mon casier, je m'avançai vers l'amphithéâtre pour assister à cette réunion des plus pressantes. Une fois arrivée, celui-ci était similaire à un amphithéâtre d'université. Les peintures étaient toutes fraîches. Durant les deux années au lycée, je n'étais jamais rentrée dans cette salle. C'était un lieu encore inconnu jusqu'à maintenant. Je m'installai à un siège du fond, histoire de pas me mettre au devant de la scène encore une fois. J'aperçus Joviale et Protecteur à la première rangée. Je me demandais de quoi la proviseure allait nous informer. Peut-être du bal de fin d'année mais vu l'urgence je doute que ce soit pour cette raison. Les portes de l'amphithéâtre se fermèrent sur Brave qui s'avançait vers le milieu de salle pour rejoindre Curieux et Rancunière qui s'étaient installés côte à côte. La proviseure prit la parole.
— Chers élèves, je vous ai demandés de vous réunir aujourd'hui car dans les jours à venir, de nouvelles choses vont arriver à Feelings. Les membres fondateurs de notre ville ont demandé que des agents de polices soient postés à chaque lieu public de la ville afin de repérer les changements d'émotions. Je vous demande alors de ne pas faire attention à eux lorsque vous verrez ces agents au sein de notre lycée ou bien au sein de la ville. Ils ne sont pas là pour vous embêter, ils ne font que leur métier. Je tenais à vous rappeler également à quel point le changement d'émotion est dangereux pour nous tous. Si vous voyez quelqu'un qui n'agit pas avec son émotion habituelle, il faut immédiatement prévenir les autorités. De plus, une nouvelle matière obligatoire sera mise en place dès demain, la gestion d'émotions. Vous pouvez retourner en cours. Soyez prudents chers élèves, la menace peut être partout.
J'avais déjà entendu ce projet hier. Ma réaction fut l'ignorance. Quant à la nouvelle matière, j'avais hâte d'en savoir un peu plus. En me levant de mon siège, je croisai le regard de Haine qui était resté debout devant l'encadrement de la porte. Il prit la poignée et sortit de l'amphithéâtre. Quant à moi, je me mélangeai à la foule d'élèves qui se précipitèrent vers moi pour sortir. Je me dirigeai vers le premier cours de la journée qui n'était autre que l'histoire. En attendant devant la porte, j'aperçus au loin Brave parler à Blessée. Je détournai le regard de cette idylle dont j'étais jalouse. Lorsque mon voisin ténébreux fit son apparition de l'autre côté du couloir, il remarqua alors mon regard pointé en direction de Brave et Blessée. Tout en se rapprochant de moi, il s'exclamait en tenant son sac à dos à la main.
— Quand je te dis qu'il n'est pas intéressé par toi, le blondinet. Tu commences à me croire ?
— Non, Blessée est juste une amie pour lui.
— Toujours aussi têtue la parano. Alors va lui demander ce qu'il ressent pour toi.
— Tu es devenu spécialiste en amour Haine ? Comment tu peux donner des conseils en amour alors que personne t'aime. Tu es très mal placé pour parler, sache-le.
— La vérité est en face et tu préfères l'ignorer. Tu n'oses même pas lui demander mais continue de rêver. Tu sais faire que ça.
Je fronçai les sourcils en plaçant mon regard droit dans celui d'Haine. Les poings serrés, je sentis un élan de courage qui se faisait ressentir dans mes actes. J'avançais d'un pas décidé vers Brave, qui fit un signe à Blessée en guise d'au revoir. J'attrapai le visage de Brave d'une main et posai délicatement mes lèvres sur ce dernier. Tous les regards des élèves se posèrent sur mon action des plus étonnantes. Embrasser Brave avait été un acte auquel je ne me serai jamais crue capable de faire si Haine ne m'avait pas donné la colère de le faire. Brave ne réagissait pas. Je retirai mes lèvres des siennes et d'un pas, je reculai pour lui faire face. Brave était comme figé puis soudain il leva ses yeux pour les poser à différents endroits du couloir. Il observait les dizaines d'élèves autour de lui et fut étonné de voir autant de monde assister à cette scène. Il posait alors son regard sur moi. Je voyais alors dans le fond de ses yeux du doute, de la réflexion, de l'incompréhension. Je m'exprimais alors.
— Brave... Si je t'ai embrassé, c'est parce que j'en avais envie depuis si longtemps. Brave, je craque sur toi depuis le jardin d'enfants. Tu fais battre mon cœur, tu es la force qui me donne envie d'aller au lycée, tu es mon réconfort et depuis cette année, tu t'es rapproché de moi.
Moi qui pensais que tu m'ignorais et que tu connaissais même pas mon émotion. Tu sais ce que je ressens désormais.
— Anxieuse...
— Je t'écoute, dis-moi ce que tu ressens. Si tu ne préfères pas enchaîner sur une relation directement, je peux comprendre.
— Anxieuse, je suis désolé.
— Désolé de ?
— Dans un premier temps, je suis désolé car hier j'ai zappé notre rendez-vous au restaurant et ensuite je ne m'attendais pas à ce que tu m'embrasses Anxieuse, je...
— Brave s'il te plaît, fais des phrases complètes et dis-moi ce que tu ressens vraiment.
— Je vais prendre mon courage à deux mains et te dire que je ne ressens pas la même chose pour toi, Anxieuse. Je suis vraiment désolé, tu as toujours compté pour moi et plus cette année où j'ai découvert une vraie amie. À mes yeux, je te considère comme ma meilleure amie et je ne veux pas plus avec toi Anxieuse. Je suis attiré par Blessée, je suis vraiment désolé. Je ne veux pas que tu te sentes mal. Tu as ta place dans mon cœur, mais pas comme ma petite amie.
— ...
— Le prof fait rentrer la classe. Je vais y aller, je suis désolé encore une fois.
Brave ne savait pas comment me réconforter. Il posa alors une main sur mon épaule puis baissa la tête et s'en alla pour rejoindre la classe qui rentrait en cours. Quant à moi, le néant avait pris place au fond de mon cœur. Enfin de ce qu'il restait de cet organe. Je sentis des sueurs froides le long de mon corps quand d'un coup ma respiration se mit à se bloquer. J'avais l'impression d'avoir une boule dans la gorge après avoir entendu les paroles de Brave. Le couloir s'était vidé de ses élèves et la porte du cours s'était refermée. Mais je n'avais pas bougé, je ne voulais pas croire à ce que je venais d'entendre. Lorsque soudain, j'entendis des applaudissements qui provenaient de derrière mon dos. En me retournant, je fis face à Haine qui n'était pas rentré dans la salle de cours. Il arriva à mon niveau, tout en rigolant :
— Dis donc, tu enchaines les erreurs toi. Mais c'est bien, tu as du cran pour une parano. Tu m'épates.
— Va te faire foutre Haine !
— Oh, doucement, dis plutôt ça à ton blondinet, c'est lui qui vient de te briser le cœur. Je t'ai juste dit la vérité qui t'aveuglait. Tu devrais me remercier et me dire comme quoi j'avais raison.
— Tu n'es pas allé en cours pour assister à ma réaction ? T'es un psychopathe, tu en es conscient ?
— J'aime bien voir l'enfer dans ta vie malgré le fait que ce ne soit pas de mon ressort. C'est ça qui est plus amusant.
— Laisse-moi tranquille.
Je m'avançai vers les toilettes des filles pour me passer de l'eau sur le visage. Je soupirai, puis sortis de mon sac ma trousse de maquillage pour me redonner une mine et remettre le masque que je porte depuis si longtemps. Haine avait raison depuis le début, il savait que Brave ne ressentait pas la même chose que je ressens pour lui. Ce qui me faisait le plus mal, c'était que les rapprochements depuis quelques jours étaient juste de l'amitié aux yeux de Brave et non de l'amour. J'aurais dû être plus avenante et remarquer que depuis qu'il connaît Blessée, c'est d'elle dont il est amoureux et non de moi.
— Pourquoi, j'ai été si bête, si aveugle, si parano, soupirais-je en versant quelques larmes.
Je remontai alors la tête et mis mes cheveux qui me tombaient sur l'avant de mon visage derrière mes oreilles. Je respirai un bon coup. Je me promis de garder dorénavant mes sentiments pour moi et de tout faire pour oublier Brave, quitte à renier notre amitié. Je sortis des toilettes en direction de la bibliothèque. Je voulais profiter que la classe soit en cours pour pouvoir faire mes recherches concernant cette stupide loi. Je séchas les cours pour une bonne raison. Bien sûr, je comptai inventer une excuse à mes parents pour ne pas les rendre plus anxieux qu'ils le sont déjà. En allant à la bibliothèque, je me demandai où était passé Haine, sachant qu'il n'avait pas été en cours également. Une fois dedans, j'enregistrai mon nom sur le registre tenu par la dame du lieu.
La bibliothèque était assez grande, elle se tenait sur deux étages. Plusieurs peintures étaient accrochées sur les murs, un escalier en colimaçon régnait dans le hall d'accueil. Je l'empruntai pour aller au deuxième étage. À celui-ci se trouvaient différents rayons de livre de catégories différentes mais à ce niveau se trouvait aussi la zone des archives réservés au personnel de l'établissement. L'endroit était vide. Seule la femme de ménage était présente. Je m'avançai vers la porte qui débouchait sur les archives en regardant autour de moi pour ne pas me faire voir près de cette porte. Je m'empressai d'abaisser la poignée et la refermai rapidement délicatement sans faire le moindre bruit. Une fois dedans je fis face à des étagères assez hautes qui faisaient deux fois ma taille. J'allumai la lumière qui clignotait faiblement. Soudain elle s'éteignit, je me retrouvai alors dans le noir dans un silence des plus complets. Toutes les images de films d'horreur m'apparurent à l'esprit. Moi, qui avais horreur de ce genre de film. Un film était pour moi un moment de divertissement et non de peur. Je vis assez de choses effrayantes dans la vie de tous les jours. Et puis mes parents avaient banni ce genre de film à la maison.
Je pris mon téléphone et activai alors le flash. Je me plongeai dans le fond de la salle d'archives à la recherche de la moindre information concernant Feelings. Soudain, je fis tomber un livre, sans doute mal rangé. Il tomba à mes pieds, ce qui me fit sursauter. En le prenant pour le ranger, j'aperçus des chaussures devant mon visage. Puis en me relevant, je fis face à cet individu dont la présence m'étonnait. Comment avait-il pu me rejoindre sans que je l'entende et pourquoi est-il ici ?
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
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