Chapitre 4

Enfermée dans le bureau de ma boutique, je mets à jour toutes les commandes. Celles bouclées, en cours et à venir. Je veux abattre le plus de boulot possible avant de partir pour le Vermont.

Mon entreprise n'est pas grande, juste ce qu'il faut. Le devant de « Chez Lucile » – je n'ai pas fait dans l'originalité ! – est le présentoir de mes douceurs ; derrière la cuisine, les toilettes et mon bureau. Mon personnel n'est pas énorme. Anya et moi dirigeons cet endroit, et il n'y a pas un seul jour où j'ai regretté de l'avoir prise comme collaboratrice.

Nous répondons aussi à des demandes spécifiques. Comme un baptême, un mariage, des fêtes d'anniversaires... Jusqu'à ce jour, aucun client n'a été déçu par nos services.

— Tu ne crois pas que tu devrais lever un peu le pied ?

Je redresse la tête et souris à mon amie. Anya s'approche et je me laisse aller contre le dossier de mon fauteuil.

Anya est belle. Blonde. Coupe carrée. Des yeux en amande. Et elle a toujours le sourire. C'est un véritable rayon de soleil !

— Je veux que tout soit en ordre avant les vacances de fin d'année.

— Ça l'est, je peux te l'assurer. Nous avons besoin d'une pause ! C'est justement l'heure du déjeuner !

— J'ai amené une salade...

— Taratata ! me coupe-t-elle. Allons au Boston Steak House !

— Laisse-moi deviner, tu as envie d'un bon hamburger ? pouffé-je tout en enfilant ma veste.

— Je ne peux décidément rien te cacher ! s'esclaffe-t-elle. Je ferai davantage de footing ce week-end pour évacuer le surplus ! Allez, en route !

Elle me permet à peine de m'habiller qu'elle m'entraîne déjà dehors, où le froid de l'hiver nous fouette le visage. Une vraie tornade, cette fille ! Mais je l'adore !

Le restaurant est bondé, comme toujours. Nous nous installons et commandons. On passe un délicieux moment, sans tracas, sans parler boulot. Anya me raconte où elle se rendra pour les fêtes, et je lui confie que, cette année, Ariel et moi serons avec Jonathan.

— C'est vraiment un mec sympa, celui-là !

— J'avoue. Je ne sais pas ce que je serais devenue sans son amitié indéfectible. Tu es tout aussi importante, bien sûr, mais avec lui, c'est... différent.

— Ne t'inquiète pas, je comprends. Et puis...

Soudain, elle s'arrête. Cela ne lui ressemble pas de se stopper dans sa lancée, alors je la dévisage.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Il y a un canon qui t'observe. J'ignore si je dois assimiler son regard à celui qui te dévore ou à celui qui te gèle sur place tant ses yeux paraissent froids.

Je me fige instantanément et me retourne pour me confronter aux pupilles hypnotiques de Quinn Tanford. Mon pouls s'affole, mon sang quitte subitement mon visage, et je n'arrive plus à prononcer le moindre mot. Il s'avance vers moi. J'ai du mal à reprendre contenance, mais j'y parviens. Heureusement !

— Monsieur Tanford, quelle agréable surprise !

— Non partagée. Et c'est Quinn, je vous l'ai déjà dit.

— Mon cher Quinn, désirez-vous vous asseoir en notre compagnie pour que le plaisir s'empare enfin de vous ? Si, toutefois, vous êtes apte à ressentir cette émotion.

Oups. Mes paroles pourraient être interprétées de différentes manières. D'ailleurs, Anya s'étrangle, mais je n'y fais pas attention pour l'instant, tandis que les lagons bleus de Quinn me scrutent.

— Ne parlez pas de ce que vous ignorez, Lucile. Madame, fait-il à l'intention de mon amie.

Et il s'en va sans ajouter un mot de plus.

Quel goujat ! Même pas capable de me dire au revoir !

Je me replace convenablement sur ma chaise et fixe Anya, qui s'évente avec sa main.

— Oh la la, c'était chaud et intense comme échange ! Ma culotte est mouillée, c'est grave ?

Je m'esclaffe. Elle n'est pas croyable ! Mais oui, elle a raison. C'était court et... électrisant, comme la dernière fois, sauf qu'aujourd'hui, au bout de deux minutes, il s'est éloigné.

Quelque chose me dit qu'à chaque fois que l'on se croisera, ça sera ainsi. Il m'horripile, m'exaspère tout en m'attirant. Je suis complètement maboule d'être séduite par un homme pareil !

***

Combien de fois ai-je fait et défait ma valise ? J'ai perdu le compte...

Pour Ariel, aucun souci, je savais ce que je devais emporter. Mais pour moi... Je veux être à mon avantage, mais également ne pas leur en mettre plein les yeux. Ce n'est vraiment pas évident de bien choisir ses vêtements sans que d'autres puissent imaginer quoi que ce soit ou mal les interpréter.

Généralement, je ne me pose pas autant de questions, je mets ce que j'aime. Mais là, la situation est délicate. J'hésite encore à suivre Jonathan dans le Vermont.

Rien ne me retient, pourtant. J'ai fermé la boutique pour une semaine. Anya est partie dans sa famille, ainsi que mon personnel. À mon retour, nous aurons bien assez à faire avec la réception de mariage à venir. Jonathan a raison, je dois m'accorder quelques vacances et du temps pour ma fille. Ça me fera sûrement du bien. Du moins, je l'espère. Toutefois, je ne peux repousser ce doute qui m'assaille.

On frappe à la porte. C'est Jonathan, je le sais. Quand il n'est pas perdu dans le travail, il n'oublie rien et est ponctuel.

Je lui ouvre, mais j'ai à peine le temps de lui sourire qu'Ariel court tout en criant le prénom de mon ami, qui la réceptionne dans ses bras.

— Mais voilà la plus belle !

Elle rigole et lui serre le cou de ses petits bras. Elle est toujours heureuse de le voir, et, à chaque fois, ça me gonfle le cœur de l'apercevoir si pleine de joie.

— On va fêter Noël ensemble !

— Oui, ma beauté.

Il s'avance, ma fille contre son torse.

— Vous êtes prêtes ?

— C'est que..., hésité-je.

— Ah non, pas question de changer d'avis ! Tout a été prévu ! Alors, finis ton sac et on décolle !

— Bien, chef ! souris-je.

Je pars dans la chambre afin de terminer ma valise. La bonne humeur de Jonathan est contagieuse. Sa présence m'apaise et balaie tous les doutes que j'ai pu avoir. J'en ai encore, mais ils sont amoindris.

Nos bagages prêts, Jonathan les range dans le coffre de sa voiture. Je place Ariel dans le siège auto et m'installe à l'avant tandis que Jonathan fait de même derrière le volant.

Les premières minutes, Ariel ne fait que babiller, puis, tout doucement, elle se laisse bercer et s'endort. Je souris en l'observant, attendrie par son adorable bouille.

— Tu as assez chaud ?

Le sourire aux lèvres, je me tourne vers mon ami tout en dépliant mes jambes pour placer le bout de mes chaussures sous les bouches de la soufflerie de sa voiture.

— Oui, je me sens comme dans un cocon.

J'adore la chaleur, autant que la neige. Et Jonathan le sait. Il connaît tout de moi.

— Tant mieux. Je dois prendre soin de mon invitée !

Mon sourire ne quitte pas mes lèvres, et je fixe le paysage qui défile.

La perspective de passer une semaine loin de l'activité trépidante de Boston m'enthousiasme, même si l'inquiétude ne manque pas de me ronger.

Plus les jours se sont écoulés, plus j'ai angoissé, arrivant à peine à fermer l'œil. J'ai tenté de me préparer mentalement au rejet que j'essuierai certainement auprès des Anderson. Je prie pour que tout se déroule sans anicroche. Bien que je n'y croie pas vraiment.

— Pourquoi tu ne profiterais pas de la longue route pour te reposer un peu ?

— Je pense que j'aurais du mal. J'angoisse trop.

— Je sais, mais essaie quand même. Ça te détendrait certainement.

Je lui souris, il en fait de même. Je porte ensuite mon attention sur l'extérieur et je retiens un cri d'extase. Plein de flocons virevoltent dans le ciel. C'est magnifique !

— Que c'est beau ! Tout est recouvert par un manteau si pur et moelleux !

— Dans le Vermont, il peut neiger des jours sans discontinuer, et les routes peuvent devenir impraticables !

— C'est vrai ?

— Oh oui ! Ça m'est déjà arrivé de rester bloqué !

— Devant un bon feu, ça ne me dérangerait pas.

— J'en suis certain. De la neige, une cheminée qui crépite, et tu es aux anges !

— Oui, ris-je. Et si tu me disais qui sera présent au chalet ? On débarque les premiers ?

Il faut que je sache, histoire de me préparer à qui affronter, ainsi qu'aux épreuves qui m'attendent.

— Oui, ils nous rejoindront peu après. Il y aura bien entendu Anaëlle. Adeline et son mari, Ian. Remi sera là, probablement avec sa dernière conquête. Tessa et ses enfants. Et, évidemment, son frère, Quinn.

À ce prénom, mon cœur s'affole, puis semble s'arrêter durant une seconde tant la nouvelle me coupe le souffle. Mes paumes se font moites, et mon corps tremble un court moment.

Je n'ai pas imaginé un seul instant qu'il puisse être présent. Tout mon être frémit au simple souvenir de notre poignée de main, des sensations qui m'ont traversée et de la fois où on a échangé très brièvement lorsque j'étais avec Anya.

Il n'a cessé de me hanter depuis notre première rencontre, même si j'ai tout fait pour ne pas songer à lui. Le fil de mes pensées labyrinthiques finit toujours mystérieusement par me mener jusqu'à lui. Ainsi qu'à notre joute dans le bureau de Jonathan. Et, bon Dieu, c'était cataclysmique ! Il a extrait de moi une femme que j'ignorais et qui était ensevelie : la séductrice, la provocatrice, la joueuse. Il est le seul qui ait fait sortir ce côté qui se cachait au fond de mon être. Encore aujourd'hui, je n'arrive pas à y croire ! Et savoir qu'il sera là me tord l'estomac d'angoisse, d'appréhension, mais également d'excitation.

Ce mec m'a jeté un sort, ce n'est pas possible autrement ! Non seulement il n'a pas quitté mon esprit, mais, depuis notre rencontre, je le vois partout ! Dans les journaux, dans la rue... J'ai même pris un client pour lui !

Je deviens folle...

Je ne cesse de me morigéner sur l'absurdité d'une telle fixation. Je me dois de songer à autre chose. Cet homme n'est pas important, surtout si je tiens compte du dédain évident qu'il nourrit à mon égard. Je ne dois pas le laisser m'atteindre !

Cependant, savoir qu'on passera Noël sous le même toit me tétanise autant que ça me grise. Est-ce que notre joute explosive se stoppera ou continuera ? C'est angoissant ! Surtout qu'il fait naître en moi ce désir de combat, de répliquer et de le provoquer.

Je contiens à peine un gémissement de désespoir. J'ai bien peur de deviner comment ça tournera. Rien ne s'arrêtera là. Comment cela finira-t-il ? Suis-je immature d'apprécier cela à l'avance et de porter autant d'intérêt à un homme qui m'exaspère ?

— Je compte sur toi pour ne plus t'amuser au jeu puéril de l'autre soir avec lui.

— Ce n'est pas moi qui ai commencé.

— Je sais, mais contiens-toi quand même.

— Pour quelle raison sera-t-il présent ?

— Alex était son parrain, ainsi que celui de sa sœur. Si insupportable que cet homme puisse te paraître, n'oublie jamais qu'il adorait ton père.

J'aurais préféré que ça ne soit pas le cas. Ça aurait été plus facile de mépriser Quinn, et son amour pour mon père ne m'attendrirait pas. J'ai toujours été trop sensible... Certains disent que c'est un défaut, d'autres que c'est une qualité. Je pense que cela dépend du sujet, de ce que l'on perçoit, du pardon à accorder ou non.

Je suis quelqu'un d'honnête, que ce soit avec moi-même ou mon entourage, sauf concernant Alex, mais ça, c'est une autre histoire. Et je dois reconnaître que la seule valeur de Quinn... est qu'il me trouble plus qu'il ne le devrait. Ce que j'ai ressenti à son contact m'a déboussolée. Propulsée dans un abîme. Bien qu'il m'exaspère, je ressens pour lui un désir si violent que j'en ai la chair de poule !

Le pire, c'est qu'aucun homme avant lui ne m'avait bouleversée autant... Pas même le père d'Ariel ! Alors que je ne connais absolument pas Quinn ! Quand je dis qu'il m'a envoûtée, ce n'est pas des blagues...

Cette pensée n'est guère rassurante... Et pourtant, je dois accepter ce qu'il crée en moi et trouver la force de supporter sa présence troublante. Et pour bien faire, sans trop le provoquer ! Mais ça, c'est une autre paire de manches...

Il va falloir que je prenne sur moi. Il est trop tard pour annuler le séjour. J'imagine déjà la tête de Jonathan si je lui demandais maintenant de me reconduire à Boston ! Il me ferait certainement les gros yeux et me convaincrait à nouveau de l'accompagner. Il peut avoir des arguments persuasifs ! Ce n'est pas un bon avocat pour rien. Et puis, je ne vais tout de même pas rebrousser chemin parce qu'un inconnu me fait tourner la tête ! Je suis bien plus forte que cela.

Et je désire rencontrer la famille Anderson. Chez Jonathan, ça devrait bien se passer. Cette chance est unique, je n'en aurai pas une seconde. Jonathan a eu raison de m'inviter. C'est durant ce séjour que je pourrai rétablir la vérité. J'ignore encore comment et si on me croira, mais il le faut ! Et, pour supprimer leurs doutes une fois que je leur aurai tout balancé, je pourrai leur montrer le test d'ADN fait par Alex pour prouver ce que j'avance. Je dois juste y aller en douceur, surtout avec Anaëlle.

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