XVIII - Astra Silvaria

Elle se faufile dans les allées sombres de Muria. Ses bottes à petites talonnettes ne claquent pas sur les pavés, son ombre n'a pas le temps d'être aperçue. Elle file, plus vite que la légère brise, écoute les conversations qui s'échappent des maisons et des tavernes sans s'arrêter. Certains se plaignent des températures capricieuses, du froid glacial hivernal qui tarde à arriver ; d'autres racontent leurs nuits de folie avec les femmes de nuit de cette bourgade. Astra aime surveiller les rumeurs, mais aucune n'attire son attention. Rien que des discussions futiles ou vulgaires. 

Ses pas la mènent sans la moindre hésitation dans le plus grand repère d'assassins de l'ouest, là où la mort est interdite et les disputes prohibées. Un terrain neutre. Elle ne risque pas sa vie et les gens à l'intérieur savent aussi qu'ils ne risqueront pas la leur à son apparition. Astra en pousse le battant avec une idée très précise en tête. Toutes les voix se meurent et les regards se braquent sur elle. Bien sûr, elle n'est pas connue pour avoir travaillé pour Kaine. Son service n'a duré qu'une semaine et quelques jours, et il n'était pas question de devenir son esclave comme les autres meurtriers dans cette demeure.

Il s'agit d'une maison à trois étages. Au dernier, quelques-uns restent parfois pour dormir, n'ayant plus de foyer à eux, ou pour se reposer entre deux contrats. Au temps de Kaine, ils devaient bosser deux fois plus dur pour obtenir le privilège d'une place dans ce repère. Au deuxième palier, sont entreposés armures et armements, de quoi se réapprovisionner à volonté. Au premier, les assassins se retrouvent autour de verre alcoolisé pour se détendre et oublier leur existence damnée. Ils maudissent les dieux en ramenant des filles très peu vertueuses qu'ils se partagent sans une once de gêne. 

À son arrivée, les femmes replient leurs cuisses et se dégagent des mains fermes de ces assassins, resserrant leurs corsets. Elles partent aussitôt, pendant que les hommes boutonnent leurs bas. Les assassineuses, qui se délectaient de ce spectacle grotesque, gloussent amèrement dans leur coupe de liqueur. De toute évidence, l'héritière Silvaria n'est pas appréciée dans le coin. Ils la reconnaissent tous pour ce qu'elle est : la meurtrière de leur chef. Astra se moque pas mal de savoir qui reprendra bientôt le flambeau. Elle a entendu qu'une guerre interne avait débuté entre eux tous pour déterminer le successeur de Kaine.

— Croyez-le ou non, mais je viens en paix.

Elle referme le battant de leur repère une fois que la dernière femme en est sortie, puis empoigne une coupe à l'abandon sur une des nombreuses tables. Elle en boit le contenu sans ciller, tout en se frayant un chemin jusqu'à l'âtre chaud trônant au cœur de la salle. S'appuyant contre le mur, juste à côté, elle attend que les assassins se soient rhabillés et assis, avant d'ajouter :

— Je suppose que je n'ai pas besoin de me présenter, ni de vous expliquer pourquoi je suis encore dans l'ouest. J'ai conclu de nombreuses promesses, avec les morts, et avec moi-même, et je compte bien les tenir. En commençant par l'Usurpateur que j'éjecterai de son maudit trône. Un conseil, ne vous rapprochez pas de lui en vue d'un accord pour continuer vos petites affaires. Car, dès qu'il sera éliminé, je ferai payer tous ses alliés, jusqu'aux derniers. Vous voilà prévenus. 

Elle marque une pause pour s'assurer qu'ils ont bien saisi la menace. Même les âmes les plus endurcies peuvent fléchir sous la force brute. Une poignée d'assassins déglutissent avec difficulté en se concertant en silence. 

— Ensuite, après m'être débarrassé de l'Usurpateur et de tous ses camarades traîtres, je ne tolérerai aucun monarque qui ne conviendra pas parfaitement à Lavalon. Ce qui signifie que je prévois d'avoir une main mise sur le futur régent et ses décisions. Pourquoi est-ce que je vous en parle ? Parce que, si vous avez un tant soit peu de jugeote, vous ferez en sorte de m'avoir comme alliée, et non comme ennemie. Je promets de protéger votre prochain chef de toutes condamnations ou arrestations, ainsi que je ne trahirai pas les autres régions. Votre commerce d'assassins sera florissant, si je le permets. Ou vous serez tous pendus si vous refusez ma main tendue. Soyez clairs là-dessus. Et avant que vous ne preniez la mouche et tentiez de m'assassiner, je tiens à vous avertir que cette tâche ne sera pas aisée. Non seulement je vais vous rendre la vie très compliquée et une grande majorité d'entre vous mourra pour avoir eu l'idée folle de m'abattre, mais, en plus, dans l'hypothèse où vous réussissez à me tuer, ma chère Sorscha rappliquera avec d'autres Wyverns pour vous brûler vifs. Les uns après les autres. Donc, réfléchissez bien. Je ne suis pas contre vous. Ne m'obligez pas à l'être sous le coup de votre orgueil. Je n'empiète pas sur vos activités, et vous m'accordez une faveur. Tout de suite. Et quelques coups de pouce aussi.

Un silence de mort grésille dans le repère. Pendant son discours, certains assassins sont descendus des étages supérieurs, curieux de l'arrêt immédiat des gémissements, des claquements de peau et des rires ivres. Malgré la dose d'alcool dans leur sang, la liqueur n'embrume absolument pas leurs sens. Ils sont tous très conscients de ce qu'elle leur explique. Astra n'éprouve pas un brin de méfiance à confronter tous ces tueurs en face à face. Ils attendront de recevoir l'intégralité de ses arguments avant d'agir. Une femme au ton bourru, coincé entre une table et le mur, dans le coin opposé au sien, pose ses talons sur le dossier de la chaise à côté d'elle, tout en s'exclamant :

— Quel genre de faveur et de coups de pouce, Silvaria ? Nous ne travaillons que pour deux maîtres. Notre chef, que tu as réduit en cendres, et la Mort.

Des assassins approuvent la question, mais elle ne se heurte pas à du jugement cruel, preuve que ces assassins n'œuvrent réellement que pour eux-mêmes et la Mort, pas tant pour leur chef. En tout cas, la disparition précipitée de Kaine ne les a guère bouleversés. 

— Concernant la faveur, vous répandrez le terme d'Usurpateur partout dans l'ouest et vous glisserez le mot à vos confrères des autres régions. Je veux que le peuple haïsse et méprise Rehan le Roi Imposteur. Je veux qu'ils se soulèvent contre lui, qu'il se sente insupportablement faible et dépassé par la colère du peuple. 

— Et les coups de pouce ? insiste l'homme qui attrape le talon de cette femme près de lui pour les poser sur ses cuisses. Je ne vois pas d'inconvénient à faire chuter un Roi, ricane-t-il. Nous n'aimons pas beaucoup les monarques caractériels et dédaigneux, en particulier ceux qui croient en la suprématie des Enchanteurs. 

Non pas que cet homme insinue qu'il déteste les Enchanteurs et par extension, Astra Silvaria. Au contraire. Les assassins fonctionnent sur la base d'un code d'honneur très efficace pour les tenir en laisse. Ils tuent sans condition, sans s'intéresser aux races. Ils vouent une foi étrange en l'égalité. C'est pourquoi, dans ce repère, elle distingue une demi-douzaine d'oreilles pointues qui travaillent ici pour éviter les confins désolés de l'ouest.

— Les coups de pouce ? répète-t-elle avec nonchalance. Uniquement des aides par ci, par là, pour rappeler que nous sommes alliés. Par exemple, dans l'immédiat, j'aurais besoin d'une discrétion irréprochable. Que personne ne sache que je suis retournée à Muria.

Une jeune fille, dans les quinze ans, se lève d'un bond en lâchant sèchement sa pinte.

— Ne tournons plus autour du pot. Tout le monde ici meurt d'envie de te poser la question. As-tu capturé le Roi banni, oui ou non ? 

Astra étire un sourire cruel qui fait cligner des yeux la jeune fille avec une certaine frénésie. Elle se rassoit.

— Oui. D'ailleurs, ça m'arrangerait bien si Rehan était le Roi Usurpateur et que Dallan Von Umbra était plutôt le Roi Maudit. Le peuple favorisera un sauveur damné en pleine rédemption qu'une saleté de traître.  

— Si je comprends bien, marmonne la jeune fille, tu espères que nous cachions ton Roi Maudit et toi durant votre séjour ici. 

— Manipulez le peuple, écartez les oreilles et les yeux indiscrets, inventez des bêtises pour détourner l'attention. Vous savez comment dissimuler votre nature de meurtriers à vos familles et vos amis. Vous n'aurez pas de mal à faire taire des rumeurs sur la présence du Roi Maudit à Muria.

 Cette fois-ci, ils ne se concertent pas longtemps. Astra débarque au bon moment. Ils ne disposent plus d'un chef ingénieux et tout-puissant pour soudoyer les autorités locales et organiser cette troupe de criminels. Les gendarmes sont sur leurs traces, aujourd'hui plus que jamais. Rehan l'Usurpateur et les meneurs de cette révolte répugnante ont anticipé un plan en plusieurs parties qui leur vaudront le contrôle total de tout le territoire de Lavalon, ce qui signifie la fin des Faes, la fin des Hommes, l'esclavagisme, la terreur et la domination impitoyable, et également la chute des organisations criminelles dans tout le royaume. Elle leur propose la liberté absolue, dès lors qu'elle aura éradiqué ce monarque délirant et les traîtres. 

— Nous avons un accord. Le premier qui le trahit apportera la ruine de l'un et de l'autre, décrète un moustachu jouant avec un couteau de lancer. Conduis ton Roi Maudit ici. Nous ne le toucherons pas. En revanche, prie pour qu'il ne cause aucun dégât à cette demeure. C'est ma maison, notre maison. Es-tu sûre qu'il peut être maîtrisé ?

— Il n'a pas reperdu le contrôle depuis que je l'ai tiré d'Athusea. 

Cela leur suffit. Ils acquiescent et un autre assassin se lève en faisant signe qu'il monte préparer leur chambre. Il s'arrête sur la première marche et questionne :

— Je présume que tu voudras le surveiller. Une seule chambre pour vous deux ? 

Elle ne répond pas. Quand il redresse la tête, il s'aperçoit qu'elle est déjà partie. La clameur s'embrase à nouveau. La liqueur coule à flot, alors qu'Astra s'extrait de la bourgade avec une facilité déconcertante. Nul ne discerne ses pas, son avancée. La nuit s'est définitivement installée et les lumières des lanternes ne sont pas assez puissantes pour éclairer son corps leste. Elle regagne les bois au sud de Muria où elle a commandé à Sorscha de veiller sur l'inconscient. Dallan s'est empêtré dans une démence fiévreuse, puis s'en est extirpée et il y est retombé. En un cycle dangereux. Les herbes, néanmoins, ont largement aidé à son rétablissement. Disons que son épaule ne saigne plus et il murmure de moins en moins, dort de mieux en mieux. Et il n'est pas mort, ce qui représente une évolution non-négligeable.

Elle lui gifle le visage, ce qui le réveille d'un coup. Dallan papillonne des yeux et se concentre pour déduire leur nouvelle localisation. Soit il se souvient de son projet de les mener à Muria, soit il est trop fatigué pour l'interroger. Il ne bronche même pas, quand elle le hisse sur ses jambes tremblotantes, un bras sous ses aisselles, pour le traîner à sa suite dans la bourgade. Sorscha souffle un air chaud, une sorte d'au revoir. Astra n'est pas tout à fait rassurée d'éloigner le Roi Maudit de sa Wyvern, puisqu'elle semble garder les ténèbres loin de son esprit fragile, mais elle sait que sa monture apparaîtra aux premiers signes de possession. Elle ne laisserait pas sa cavalière sans défense face à la Mort. 

Son retour dans les allées se passe exactement comme prévu. Les villageois toujours dehors haussent des sourcils interloqués à cette femme à la chevelure de lune portant à moitié un homme bredouillant des phrases incompréhensibles, ou s'endormant sur son épaule. Mais, des ombres sautent de toit en toit et des cris retentissent dans la pénombre. Les assassins se sont mis en mouvement pour s'accaparer toute l'attention du peuple. De ce fait, elle peut rejoindre le repère sans que les gendarmes ne l'interpellent ou que des rumeurs se propagent. La jeune fille de tantôt, aux mèches violettes, pousse le battant pour les faire entrer et suggère son aide pour monter Dallan à l'étage. Tout le monde a repris leur routine.

— Pas besoin.

Pour toute explication, Astra tape grossièrement dans le dos du Roi Maudit, lui insufflant une violente vague d'énergie. Il se met à grimper les marches, avec toute la maladresse d'une poupée désarticulée, jusqu'à ce qu'il s'effondre sur le dernier palier.

— Ne fais plus jamais ça.

Ce chuchotement quitte à peine ses lèvres scellées par l'épuisement. La jeune fille glousse.

— Je ne pensais pas que le fameux Roi banni ressemblerait à...ça.

— Une loque ? 

La fille hoche de la tête sous le rictus amusé d'Astra.

— Je vous entends, soupire Dallan.

Astra ne commente pas et le tire dans la chambre préparée pour eux. C'est-à-dire qu'un feu a été allumé, un panier de viandes séchées et de fruits a été déposé sur un petit bureau, et un pichet de liqueur fait de l'œil à la guerrière. Elle jette Dallan sur l'immense lit où il s'allonge sans rechigner, et elle se sert un verre.

— Pas de boisson pour toi, déclare-t-elle. Sois un amour et va chercher de l'eau pour le malade.

La jeune fille ne soulève pas l'ordre et obtempère. Dans la minute, elle lui cède une bouteille remplie à ras bord d'eau et s'éclipse dans la foulée, sûrement désireuse d'accomplir son contrat du soir. Astra cuve d'une traite son verre en cristal, observant le luminaire en verre au plafond, les draps soyeux et le tapis en velours. De toute évidence, assassiner paie bien.

— J'ai rêvé ou nous avons traversé un bordel ? 

Elle se focalise à présent sur Dallan, avachi, qui s'efforce de se glisser sous les draps. Elle lui donne un coup de main tout en corrigeant :

— Un repère d'assassin. Ces gars-là se détendent à leur façon. J'ai cru apercevoir deux ou trois hommes, au milieu de toutes ces putains. Je me demande si je ne te laisserais pas dormir et que j'irai relâcher la pression, moi aussi.

Astra se retourne pour récupérer la liqueur, mais son bras est retenu en arrière par un Dallan à la moue apparente.

— Non.

— Non ? Pourquoi ? Je ne suis pas ta gardienne. Dors que j'aille enfin me reposer.

— Non.

Il ressemble étrangement à un enfant boudeur. Astra soupire et abandonne. Au moins, jusqu'à ce qu'il s'endorme. Elle prend place à son chevet, adossé à la tête de lit, ne délivrant pas son bras de son poigne molle. 

— Nous sommes en sécurité ici ? 

Dallan ne paraît pas y croire une seule seconde, et il aurait raison si Astra Silvaria ne possédait pas d'innombrables cartes dans sa manche.

— Bien entendu, sinon nous ne serions pas ici. 

Il opine du chef par automatisme. À savoir s'il s'en rend compte ou non, mais sa tête chavire dangereusement et roule sur sa cuisse. Astra ne bouge toujours pas.

— Je devrais te haïr.

Elle rit en guise de réponse.

— Je devrais me venger. C'est ainsi que le monde tourne, en général.

— Pour Nouria ? 

Oui. Il n'a pas besoin de l'affirmer. Le creux dans son estomac, la vibration dans sa gorge, ses yeux qu'il n'ouvre plus de peur d'affronter son indifférence. Cependant, Astra inspire un grand coup et admet, la poitrine lourde :

— J'ai commis des centaines et des centaines d'erreurs dans ma vie. Nouria est en haut de ma liste. Cela n'aurait jamais dû advenir.

— Pourquoi as-tu anéanti toute mon existence, dans ce cas ? 

Elle sursaute presque à la dureté de son timbre. 

— Je demeurerais dans mon village, avec mes vaches et mes œufs, sans avoir songé un instant à un pacte avec la Mort.

— Les Faes n'auraient pas signé ce traité dégradant, complète-t-elle, et Rehan comploterait encore à Nouria avec les traîtres. Je sais. Mais, au-delà de toutes les conséquences, je repense surtout aux morts inutiles... Très honnêtement, Dallan, je ne souhaitais pas tuer ces Faes, ni détruire la vie des innocents. J'ai mis du temps à m'en remettre.

Sa déclaration le réanime immédiatement. Dallan s'appuie à la tête de lit pour se redresser. Au même niveau l'un de l'autre, elle constate son chagrin infini et il lit ses regrets viscéraux.

— Il ne s'agit pas seulement de moi, dit-elle. J'ai entraîné tout mon escadron dans mon erreur. Mes amies. Elles ne m'en ont pas tenu rigueur. En apparence. Elles m'ont confirmé encore et encore que c'était une simple erreur. Mais, je sais, qu'au fond, elles ont regretté ce jour jusqu'à leur mort.

— C'est vrai. Toutes tes amies sont mortes. 

Il a l'air de réfléchir là-dessus.

— Mes amies, ma famille, mon Sascha. J'ai tout sacrifié dans cette guerre. Il ne manque plus que moi.

— Je ne te comprends pas, avoue-t-il. Qu'est-ce que tu venais faire à Nouria si tu ne visais pas les Faes ? C'est pour eux que tu es venue.

— Pas du tout. Ton Rehan a dû t'en convaincre, ou tous ses autres fourbes. J'ignorais que des Faes s'étaient réfugiés à Nouria. Je me bats pour que tous aient une chance, Dallan Von Umbra. Je n'ai jamais lancé aucune attaque sur des Faes. Cela n'était pas ma guerre. Ma guerre à moi, c'étaient les traîtres, les suprématistes. Ce sont eux que nous avons chassés, avec toute ma famille et mon escadron. Eux que j'ai toujours visés. Malina, ma seconde, m'a informée que Nouria grouillait de traîtres, que le village entier était infesté. Je venais de perdre ma grand-mère. Mes parents... Ils ont été massacrés sous mes yeux. J'avais soif de sang. Soif de vengeance. Malina m'a suppliée de mesurer les pour et les contres d'un assaut sur Nouria, de vérifier ses dires. Elle ne me l'aurait même pas dit si les autres ne l'y avaient pas encouragée. Elle craignait justement que je me hâte dans ce piège évident. Rehan a fait exprès de vendre Nouria. J'en suis désormais persuadée. C'est lui qui a accueilli les Faes. Parce qu'il m'attendait. Il était conscient que les Silvaria franchissaient notre est natal pour les persécuter jusque dans l'ouest. Il a profité de mon arrivée imminente pour me condamner à des regrets éternels. À ton avis, comment as-tu survécu à ce massacre ? Qui vous a incités à fuir ? Qui a fui ? Les traîtres. Ce soir-là, j'ai annihilé Nouria, les Faes en cavale et des villageois innocents. Pas les traîtres. À cause de leur fichu piège... Mon escadron s'est occupé de rechercher des survivants dans les décombres et d'enterrer les cadavres retrouvés, pendant que Malina s'évertuait à sécher mes larmes de haine... Je suis navrée, Dallan.

Astra supporte mal le poids de sa propre culpabilité. Elle se rappelle très bien, trop bien, le regard implorant de Malina, cette beauté ravageuse et létale aux orbes d'ambre, aux cheveux de feu. Sa sœur d'âme. Elle l'aurait sacrée meneuse de leur escadron si elle n'était pas née héritière des Silvaria, l'ultime lignée royale de Lavalon. Cet après-midi nuageux où elle lui avait répété cette information, neutre, apathique, et leur long débat sur l'attaque de Nouria. Et sa main dans son dos, à l'écart de ce village en flammes, ses mots réconfortants. Les cadavres de Faes extraits des cendres. 

Elle se relève en un saut libérateur, mettant de la distançant entre l'un des survivants de Nouria et sa culpabilité. Dallan ne pipe mot. Il est gentil avec elle. Plus qu'elle ne le mérite. Astra Silvaria est une créature du feu, un brasier vengeur danse en permanence dans son être. À sa place, elle l'aurait taillé en pièces pour avoir détruit sa vie. Or, il reste contre la tête de lit, son regard rivé sur elle avec une compassion qui la rend folle. Elle préférerait qu'il lui cire dessus, qu'il l'insulte, qu'il la brise. Postée devant le second verre en cristal, elle le contemple distraitement, deux doigts glissés dans sa manche. Où une minuscule fiole de poison en poudre est toujours accrochée. Il s'agirait d'une mort clémente pour lui : indolore, rapide et il ne s'en douterait même pas... Enfin, non, puisqu'elle l'a clairement sous-estimé.

— Verse-moi cette liqueur, susurre-t-il. N'oublie pas le poison.

Elle sursaute de nouveau et fait volte-face, les yeux écarquillés. Dallan la dévisage sans émotion, puisant dans ses ressources pour se mettre debout et tituber jusqu'à elle. Astra découvre un mélange surprenant d'agitation – venant des ténèbres en lui – et de compréhension et d'acceptation – venant de lui. Le monstre se débat de toutes ses forces ; elle le devine à ses froncements de sourcils mauvais, à la lueur méchante sur ses traits et aux tremblements de sa bouche, comme s'il repoussait sans répit les menaces de la Mort. S'étonnant elle-même, la guerrière l'autorise à s'approcher si près d'elle qu'il soulève doucement sa main droite et sa manche, pour y trouver un petit flacon. Elle ne l'empêche pas de le décrocher, ni d'ouvrir le bouchon, ni de verser la poudre blanche au fond de son verre, avant d'y faire couler la liqueur.

— Je le bois si tu me jures de sauver ma sœur de n'importe quelle menace.  

Elle ne ressent plus la chaleur suffocante de son corps, tellement proche du sien. La fièvre a dû baisser. Il est conscient de tous ses gestes. Astra jauge tour à tour le verre et ses lèvres avec une hésitation qu'elle ne reconnaît pas.

— Et tu me ferais confiance ? Tu boirais ce verre avec mon unique parole ? 

Contre toute attente, il souffle un oui désespéré. 

— J'ai ressassé mes souvenirs de mon exil. Tu as raison. Je m'aperçois de tout. Tous les mensonges. Toutes les manipulations. Il était nécessaire pour Rehan de se fournir un billet d'entrée pour la capitale et le trône. Il m'a utilisé. C'est à cause de lui que j'ai perdu Nouria, que j'ai perdu mon âme. Je l'ai vendue à la Mort. Même si j'ai été manipulé, même si je me suis estimé plus fort que la Mort, je ne suis qu'un idiot arrogant et un péril terrifiant pour Lavalon. Surtout par ces temps d'incertitudes. Jure-le-moi. Jure-moi que tu protégeras Raina.

Astra est clouée sur place par ses propres doutes. Pourquoi discuter avec lui ? Pourquoi ne pas lui faire cette fichue promesse et en finir avec les ténèbres ? Toutefois, elle ne peut rien jurer du tout, car elle intercepte le changement subtil sur ses traits. La Mort tente de le dominer. Une grimace de fureur s'étale sur son visage et pour la première fois de toute leur conversation, il la fixe droit dans les yeux, prouvant ainsi que Dallan s'efface. Ni une, ni deux, elle fait naître une flamme ardente dans sa paume et avance vers lui. Il recule brusquement, se cogne au rebord du bureau massif et son air un brin naïf réapparaît. Elle affiche alors un rictus orgueilleux.

— Tu vois. Inutile de mourir pour sauvegarder Lavalon de tes ténèbres. J'ai déjoué le mystère. Déduction facile. La Mort n'aime pas Sorscha. La première hypothèse logique résidait dans le feu. 

Dallan fuit son regard. C'est bien lui.

— Mais, et si le feu n'était qu'une solution temporaire ?

— Eh bien, je te transpercerai de ma lame et te ferai exploser avec ma magie à la seconde où le feu ne sera plus suffisant.  

Il a égaré son attention sur le parquet. L'espace d'un court moment, elle se souvient d'où ils se trouvent, de leur proximité. Elle l'a suivi contre ce bureau. Il a beau fondre contre le bois, Dallan n'échappe pas à sa respiration brûlante contre son cou, ni à ses yeux perçants braqués sur lui. Elle sourit à sa vulnérabilité. Sourire qui s'envole quand il porte le verre à ses lèvres. D'un coup précis, elle l'envoie valser et s'éclater contre le mur. Il tremble. De colère. De ressentiment. De désespoir. 

— Tu ne meurs pas maintenant, gronde-t-elle. Tu meurs si je te dis de mourir.

— Oh, arrête ! Si c'est une histoire de culpabilité, je te pardonne pour Nouria. D'accord ? 

— Pas d'accord. 

Et là, il la dévisage. Enfin. Elle savoure la profondeur de ses pupilles, ce contact visuel dont il la prive toujours. Trop jolie. Astra contient mal sa satisfaction à ces deux mots. 

— Ne sois pas contradictoire, Dallan Von Umbra. Tu as vendu ton âme, parce que tu as été persuadé par les arguments de Rehan. Parce que tu courais après l'assurance de sauver tes proches. Pour être aimé. Et si, moi, je le voulais aussi ? Être aimée. Être désirée.

Il retient sa respiration. Elle a gagné. 

— Je viens de me décider et je n'ai pas envie de t'empoisonner. Ta vie m'appartient. D'accord ?

— Pas d'...

Elle enroule ses doigts sur les coins de son manteau poussiéreux. Cela l'embrase. Malgré ses efforts pour enterrer ses sensations. Elle pose son autre main sur son pectoral. Son ancienne occupation de fermier a rendu son corps ferme et musclé. Sa caresse descend plus bas. Toujours plus bas. Il est complètement paralysé. Frissonnant. Elle a le contrôle. Astra s'arrête au niveau de son bas, sur sa ceinture aux armoiries d'Athusea. Elle sent toute son attention osciller entre ses touchers, ses yeux, ses lèvres et ses seins enfermés dans un corset de cuir noir très, très moulant. 

— Alors ? Tu tiens vraiment à mourir ? Maintenant ? Je te l'ai répété plusieurs fois. Tu sauves ta sœur. 

Il se force probablement à penser à Raina, mais son esprit est déboussolé par ses doigts qui détachent habilement les premiers boutons de sa chemise. Ils s'infiltrent sous le tissu, sur son torse. Jouent avec son téton en le titillant à chaque passage. Dallan est incapable de réfléchir et encore moins de parler. Soudain, son autre main agrippe son intimité. Les yeux exorbités, la bouche remuante, elle masse cette zone si sensible, sans jamais se séparer de son rictus amusé. 

— Ta vie m'appartient. D'accord ? 

— D'accord.

Le murmure fuse de son propre chef. Il rougit en constatant sa faiblesse à ses touchers et se rattrape tant bien que mal :

— Tu...Tu ne t'obliges pas à faire ça, n'est-ce pas ? 

Elle pousse un grognement désabusé pour seule réponse, vexée par cette simple perspective. 

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

Pour soutenir sa question sarcastique, elle remonte le long de son intimité tendue, qui grossit de plus en plus dans son pantalon serré.

— Par contre, n'envisage même pas que je te soulage. Il faudra le mériter. Tu le veux ? Tu me veux ? Tu veux que je t'appartienne ?

C'est tout ce qu'il réclamait. Son accord. Son consentement. Son désir. Elle n'a pas besoin de le dire nettement pour qu'il le déduise à son corps pressé contre le sien, à ses lèvres qui frôlent sa nuque offerte. Dallan s'empare un peu trop vite de ses poignets, renversant leur position. Ses mains sous ses cuisses, il l'assoit sur le bureau, lui entre ses cuisses. Il n'a jamais connu de femme comme elle. Prête à les propulser tous les deux dans un brasier charnel et passionnel. Il ne maîtrise rien de ses réactions, et certainement pas son excitation. Il ne songe pas à ses remords, à ses réticences. Évidemment qu'il la veut. Il n'en a rien à faire de l'avoir rencontrée hier matin seulement, de sa vie qui part en fumées, de son atroce erreur à Nouria. Il veut se nourrir de ses peurs, de sa fébrilité, il veut gommer chaque trace de leurs regrets respecter avec sa bouche contre ses seins, se perdre en elle pour oblitérer leurs culpabilités.

— Je suis désolé.

Dallan se stupéfait de son ardeur. Il n'a pas réprimé son désir en la faisant tournoyer sur ce bureau, ni en plaquant son intimité raide et affamée contre la sienne. Il chancelle d'un pas, redoutant sa fureur, mais Astra peste en l'attirant contre elle. Leurs lèvres s'entrechoquent et elle les plonge dans un baiser enflammé. Il a l'impression de brûler et il aspire à plus. Tellement plus. Elle saisit ses mains et les guide sur ses cuisses. Il n'en faut pas davantage pour qu'il parcoure la musculature de ses jambes, griffant son pantalon de cuir lorsqu'elle enfonce sa langue dans sa bouche, les projetant dans une cascade mélodieuse de gémissements.  

Tout à coup, il mord sa lèvre inférieure. Elle ne se trompe pas sur son intention. Ou plutôt celle de la Mort qui reprend le contrôle. Astra produit un nouveau feu dans sa paume et les ténèbres repartent en un geignement agacé. Elle interrompt leur baiser pour le confirmer. Dallan semble totalement chamboulé. Par le tumulte en lui, engendré aussi bien par le monstre que par sa bouche suave. Ils sont essoufflés. Il n'ose pas la regarder. Encore. Sa main serpente sur son cou et dresse son menton plus haut pour que leurs regards se croisent. Il en vibre. 

— Tu permets que je m'adresse une minute à cette putain de Mort ? 

Elle ne patiente pas du tout pour sa réponse et grogne férocement :

— Écoute-moi bien. Il t'a peut-être promis son âme, mais, pour l'instant, il est à moi. Crois-moi, je suis quelqu'un de très déterminé. Si tu ne le laisses pas en paix, je trouverais un moyen de t'éjecter de son esprit. Fais bien attention à ce que tu essaies de me prendre. Je suis déterminée, et possessive.

Apparemment, cela l'excite beaucoup. Dallan l'embrasse avec l'empressement d'un homme assoiffé. Il se colle tellement à son corps qu'elle pourrait jure qu'aucun espace ne les sépare. Elle s'en assure en entrecroisant ses jambes contre ses fesses, le pressant toujours plus près, et ses bras autour de sa nuque. Ses baisers ruissellent sur sa joue, son menton et dévorent son cou. Elle penche la tête contre son épaule blessée. Elle n'est plus que frémissement. Cela ne fait aucun doute qu'elle brûle autant de son toucher que de ses regrets. Ils en ont tous les deux conscience. Qu'une femme pareille ne se serait peut-être pas retournée vers lui sans les circonstances d'isolement, de désespoir et de perdition qui les reliait. Elle tire sur sa ceinture avant de se rappeler son avertissement. Non, elle ne le soulagera pas. 

Il mordille sa peau pour protester et la provoque en lovant ses paumes tout contre ses seins – du moins, il espérait lui faire perdre la tête. Elle rit et il boit ce son rauque. Assez. Il se met à détester ce corset et il ne compte pas se battre avec ce foutu cuir. Son manteau ricoche contre le mur. Il arrache presque les ficelles pour enlever le vêtement vicieux. Il embrasse instantanément sa poitrine, suce son téton demandeur. Astra se noie dans ce plaisir. Elle était trop occupée pour qu'un homme ait l'occasion de prendre soin de son corps, de la sorte. Elle a trop longtemps côtoyé les batailles, trop longtemps couru après les traîtres. 

— Tu peux toujours courir et supplier pour me baiser.

Dallan pouffe contre sa peau et lèche une dernière fois son téton avant de revenir à ses lèvres.

— Je déteste ce mot. Il ne me plaît pas.

— Oh, tu préfères faire l'amour ?

Elle a prononcé ceci sur un ton ironique, mais il hoche gravement de la tête.

— Oui. Mais, ce n'est pas ce que tu désires à en juger par cette vilaine bouche. Tant pis. Tu ne me donneras pas ce que je veux et je ne te donnerai pas ce que tu veux. 

Astra se surprend à grincer des dents à son rictus charmeur.

— Ne prétends pas être du genre tendre et à uniquement faire l'amour. C'est évident à ta manière de m'embrasser. Tu as fréquenté beaucoup de filles.

Son rictus se transforme en rictus diverti.

— Ça te rendrait jalouse ?

— Pas du tout. Espèce d'imbécile arrogant...

Il la fait taire en l'embrassant pleinement. Dallan frôle du bout des doigts son intimité. Elle gémit dans sa bouche.

— Et toi ? Tu as connu combien d'hommes pour être aussi impatiente ?

— Le nombre te rendrait jaloux ?

— Peut-être.

Sa franchise la désarçonne une seconde et elle inspire longuement pour ne pas lui sauter dessus.

— Si je suis impatiente à ce point, c'est sûrement que je n'en ai pas connu beaucoup.

— Combien ? 

Elle hausse les épaules et il comprend. Astra contracte sa mâchoire pour ravaler une pointe de cruauté à son égard. Oui, si elle le confessait sincèrement, elle serait jalouse de toutes ces filles et de tous ces garçons qui ont profité de leur jeunesse. Vierge à son âge ? Elle s'en embarrasserait si elle était de nature à rougir. Dallan interprète le moindre bouleversement dans son expression et réplique, plus doux que jamais :

— Je n'ai connu qu'une fille. Elle m'aimait suffisamment pour passer au-dessus des mœurs. J'ai tout appris avec elle, et inversement. Jusqu'à ce que ses parents dénichent un homme qui l'a acceptée en tant qu'épouse, bien qu'elle ne soit plus pure. Je n'ai rien pu faire pour la garder près de moi.  

— Tu l'aimais comment ? 

Aucune jalousie ne transperce dans sa curiosité. Juste de l'envie et de l'empathie.

— Pas autant que je l'aurais dû, confie-t-il. Pas assez pour la demander en mariage avant qu'il ne soit trop tard. Et pas assez pour regretter de l'avoir laissée partir. Elle est bien traitée, c'est tout ce qui m'importe. 

Astra acquiesce lentement. Elle ne sait pas à quel moment la tension réapparaît et s'enflamme de plus belle, sûrement quand il caresse la partie supérieure de son intimité. Son point sensible. Elle se redresse d'un coup, frappée par une vague de plaisir. Dallan n'hésite plus. Il ne comprend pas pourquoi elle l'a sauvé, ni pourquoi elle s'entête à le maintenir près d'elle, mais il n'attendra pas sa réponse pour prendre ce qu'elle lui soumet. Il accentue sa pression en effectuant des cercles réguliers, et il replonge contre sa nuque. Elle recherche ses baisers et il l'embrasse tout en commençant à frotter son membre tendu contre sa cuisse. Elle ne le repousse pas. Tant mieux. Il la désire trop pour subir son refus.

Ils finissent tous les deux par trembler de désir. Leurs langues s'effleurent avec délicatesse, alors qu'une toute autre danse se déroule en bas. Elle gémit fort contre lui et il étouffe ces sons obscènes de sa bouche, refusant que les assassins l'entendent. Ses doigts s'activent sur sa zone sensible, heureux de la faire palpiter de bien-être. Dallan ne tient pas. Un peu de friction contre sa cuisse et il se lâche dans son pantalon. Il arrête brutalement leur baiser pour murmurer son nom à son oreille, pris dans cette tornade jouissive. Néanmoins, il ne ralentit pas ses mouvements. Astra ressent l'orgasme au loin et attrape son poignet. Hors de question qu'il la laisse tranquille. Il continue de la tourmenter jusqu'à ce qu'elle geigne et vienne contre sa main. 

— Je trouve que l'on fait une bonne équipe.

Sa remarque prend Astra de court et elle ne peut que ricaner, tout en respirant profondément pour se remettre de son orgasme.  

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