Chapitre 12
— Je suis complètement démonté.
— Et moi, j'aimerais bien qu'on me démonte...
Face au miroir de la coiffeuse, Arnaud éclata de rire tandis que Léo levait les yeux au plafond, réfrénant un petit sourire. Guillaume était de nouveau célibataire depuis un mois et ils le sentaient tous, tant dans son comportement que ses propos. Ce soir-là, Guillaume ôta rapidement son uniforme, revêtant un denim si serré qu'il ne laissait pas de place à l'imagination.
— Tu vas finir stérile, marmonna Arnaud en observant le reflet du jeune homme dans sa coiffeuse.
— J'm'en fous, tant que ça veut dire que je peux m'envoyer en l'air ce soir. Léo ? Toujours pas ?
D'un geste, l'interpellé déclina la proposition pour la seconde fois de la soirée. Quand Guillaume lui avait proposé de finir la nuit dans son appartement alors qu'ils se croisaient pendant le service, l'envie n'était pas là. Son ami n'avait pas relevé, prenant le parti de changer de programme et avait opté pour une solution plus radicale et rentre-dedans. La machine de guerre « Gui en manque » était en route et ils savaient quelle en serait l'inévitable issue. Du moins, les conséquences qui tomberaient d'ici quelques jours, semaines ou, pire, mois.
— OK, à plus les mecs ! La piste n'attend que moi !
Les baskets de Guillaume couinèrent sur le sol quand il quitta le vestiaire, la porte claqua, les abandonnant dans le silence post-Guillaume.
— Il changera jamais, hein ? marmonna Arnaud.
— Jamais, acquiesça Van, sans interrompre sa routine d'après-service.
Avec un profond soupir, il pressa deux cotons imbibés de lotion sur ses yeux, amusant son voisin de coiffeuse.
— Eh bah ? Dur ?
— M'en parle pas, impossible de faire une nuit tranquille dans cette baraque.
Retirant délicatement ses collants pour éviter de les filer, Léo se retint de lever les yeux vers son collègue qui, la tête inclinée vers l'arrière, semblait profiter d'une ou deux minutes de calme. Arnaud gesticula vers Léo, signifiant son incompréhension, mais le jeune homme haussa seulement les épaules. Il n'avait pas de réponse à apporter. Entre Guillaume et Van, il y avait suffisamment de choses à discuter pour qu'en plus il s'amuse à en savoir plus. Lui-même n'avait pas vraiment de temps pour lui, et la période des vacances n'était pas tellement propice au repos.
— Vous faites quelque chose en sortant ? demanda Arnaud après un silence tranquille, seulement entrecoupé par le bruit des flacons, des tubes et des vêtements qui glissaient sur les corps. Ça vous tente de traîner ?
— J'dois raconter une histoire à ma gosse, je reste pas, marmonna Van.
— Sérieux ? Elle est pas censée être couchée depuis un bail ?
Le rire du blond ne fut visiblement pas le bienvenu, si Léo en jugeait par le regard fatigué du jeune père.
— C'est elle qui t'empêche de dormir ? demanda-t-il avec précaution.
Van opina du chef et s'étira longuement, massant lentement le bas de son dos.
— Elle fait des cauchemars à répétition, en ce moment, alors je passe mon temps à la rassurer.
— Quoi, toutes les nuits ? s'étonna Arnaud.
Un hochement de tête, de nouveau. Enfonçant le pied dans une chaussure confortable, Van soupira.
— Ça devient compliqué... je sais pas d'où ça vient, si elle est tombée sur des trucs ou quoi à l'école...
— Pourquoi forcément à l'école ? Je me rappelle que mes parents planquaient des trucs salaces dans un placard, et j'allais toujours l'ouvrir pour les emmerder. Tu sais, le « placard interdit ».
Le regard fatigué de Van vogua vers Arnaud, le dévisageant un long moment en silence. Le jeune homme porta une main à son cœur, mimant son choc :
— Me dis pas que t'as pas de placard interdit, c'est une honte !
— J'en ai pas, rétorqua Van avec un soupir, tout en se glissant dans un pantalon un peu large.
— Mec, c'est obligé que t'aies un truc chelou et que ta gosse soit tombée dessus !
— J'en. Ai. Pas, répéta lentement Van.
— Et ta meuf ?
— Je t'en pose, des questions ?
Peut-être était-ce dû à sa fatigue, mais Léo sentit immédiatement le ton changer de son côté. Brusquement inquiet de la tournure de la situation, il se racla la gorge pour attirer la tension des deux serveurs. Arnaud semblait véritablement ne pas se rendre compte de la portée de ses questions, ses yeux clairs les fixant avec une lueur interrogative.
— Tu rentres à vélo ce soir ? lui demanda Léo.
Il vit le moment exact où les pensées de Van se brouillèrent, éjectant Arnaud et son insistance. Un petit sourire fleurit sur ses traits tirés, plus visibles à présent qu'il n'avait plus de maquillage.
— Ouais.
— On fait un bout à deux ?
Derrière Van, Arnaud fit la moue, se sachant mis à l'écart. Néanmoins, il eut la décence de rester discret cette fois, achevant de se rhabiller. Il ne prit congé que sur le parvis du Manoir, s'éloignant d'eux au rythme du crissement de ses chaussures sur la chaussée humide. Ce mois d'avril était encore pluvieux, et si al situation durait jusqu'à mai, cela annoncerait un été chaud dans les mois qui suivraient.
Sur les premières minutes, le silence qui les entourait n'était rompu que par quelques voitures circulant encore à cette heure tardive. Puis, bientôt, Van lâcha un profond soupir.
— Désolé, je suis pas franchement de bonne compagnie, en ce moment...
— Pas grave. C'est par rapport à Jade ? Tu t'inquiètes ?
— Ouais, un peu...
— Et Cass, elle en pense quoi ?
Reportant son attention sur le guidon de son vélo qu'il faisait rouler à ses côtés, Van hésita avant de répondre :
— Rien.
— Comment ça, rien ?
— Ben, rien comme dans « rien ».
— Mais ça l'inquiète pas, tu veux dire ?
— Ben non.
— Mais pourquoi ?
— Parce qu'elle dort, elle.
Les derniers mots crachés furent plus acides, et Léo ne sut s'il devait vraiment répliquer. Peut-être que oui, ou peut-être était-il trop mal placé pour cela. Après tout, il n'avait pas idée de ce qu'une relation impliquait, et encore moins ce que signifiait avoir un enfant. Un ensemble de choses qui l'effrayait un peu.
— Et, euh... elle se lève aussi pour Jade ?
— A ton avis ?
Non.
Ce n'était pas récent, Léo le savait. Cependant, il n'en dit rien, malgré les pensées qui lui venaient à cet instant. Il n'ouvrit pas la bouche pour prononcer le moindre mot, n'essaya pas d'en trouver non plus. Le bruit des roues disparut soudain quand une course venant de derrière eux le couvrit.
— Pardon ! Pardon ! Paaaaaardon !
Van eut juste le temps d'attraper le bras de Léo pour l'écarter du chemin qu'une tornade se rua à l'arrêt de bus le plus proche, tandis qu'un imposant véhicule s'approchait.
— Wow, il est pressé, lui...
— Vu l'heure, ce doit être le dernier bus, faut dire.
Van le relâcha. Léo n'avait pas quitté des yeux la silhouette s'engouffrant dans le bus, se remémorant lentement la voix et le port de tête du garçon. Les cheveux clairs étaient moins roses sous la lumières des lampadaires de la ville. Il ne portait pas cet énorme sac qu'il trimballait la dernière fois qu'ils s'étaient rencontrés, des jours plus tôt. Pourtant, il n'eut pas de difficulté à reconnaître Ethan. Du coin de l'œil, il suivit la silhouette qui avançait à l'intérieur, le jeune homme se laissant tomber, essoufflé, sur un siège près des vitres.
Leurs regards s'accrochèrent. Léo retint son souffle quand une main fit un signe. Un qui lui était destiné ? Peut-être. Il n'y avait personne d'autre qu'eux dans la rue.
Il y eut un léger sourire de l'autre côté de la vitre du bus.
Ethan le fixait. Lui. Lui ? Pourquoi lui ? Intrigué et prêt à faire face à toute déception, Léo regarda autour d'eux au cas où ce serait destiné à quelqu'un d'autre – car il n'y avait aucune raison pour qu'Ethan agisse ainsi en le reconnaissant. Ce fut Van qui le cueillit lorsqu'il chercha tout autour d'eux.
— Bah, qu'est-ce que t'as ?
— Euh, rien.
— Tu connais ce mec ?
Que répondre ? Il n'était pas certain de devoir répondre « oui ». Et « non » était tout aussi faux. Face à son manque de répondant, Van rit doucement et passa un bras autour des épaules de Léo, l'autre continuant de faire rouler le vélo dans un équilibre précaire.
— Tu fais une de ces tronches, dis donc ! Tu le détestes, ou quoi ?
— Mais non !
— Ah, cool, parce que vu la façon dont il te regardait, j'y aurais pas cru. Ton mec ?
— Non, enfin !
— Ah, dommage.
Léo fronça les sourcils, jetant un regard mi-perplexe mi-menaçant à son ami.
— Comment ça, dommage ?
— Bah, disons que ce serait pas mal que soit tu t'engages vraiment dans une relation avec Gui, soit tu te trouves un mec. Genre, pour de vrai, tu vois ce que je veux dire ?
— Explique-moi comment on est passé de ta fille à ma vie privée, au juste ?
— Détail, détail. C'est qui ce gars, alors ?
Van avait une expression si décontractée à cet instant, comme si discuter d'autre chose le soulageait, que Léo ne se sentit pas le courage de lui enlever ces quelques minutes à souffler. Avant la prochaine heure, il savait que Van serait de nouveau enfermé avec sa compagne et leur fille, sans possibilité de fuir sa vie. Il soupira, s'avouant vaincu.
— C'est l'apprenti du costumier, marmonna-t-il.
— Y'a un apprenti ?
— Mh... Ethan, précisa-t-il en hochant la tête.
Il n'avait pas oublié son nom, le gardant sur le bout de la langue au cas où. Il ne savait pas ce qu'il en attendait exactement, surtout d'un type qu'il ne croisait, en définitive, jamais. Deux fois en six mois, c'était bien peu.
— Ah, donc, tu le connais vraiment !
— C'est pas possible, ça...
— Vous êtes potes ?
— Nan.
Du moins, pas à sa connaissance. Van grogna.
— Baaah... ah, puis tu m'énerves avec tes énigmes !
— Bof. Les énigmes, c'est vraiment pas mon truc.
— Y'a rien qui soit vraiment ton truc, Léo.
Le regard amusé de son ami était communicatif, aussi Léo se détendit-il enfin. Ethan n'était pas réellement le sujet de leur conversation, se rassura-t-il. Peut-être seulement un moyen de discuter de choses et d'autres. Il devait s'enlever tout ça de la tête, cesser de s'imaginer que les regards étaient braqués sur lui. Cesser de craindre le moindre mot, le moindre regard. En cela, le Manoir était une bonne chose pour lui, le poussant dans ses retranchements sans qu'il ait le choix. Cependant, il n'était pas certain de la direction à prendre exactement, dans les temps à venir.
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