32| Et maintenant ?

— Elle est absolument magnifique.

Queenie avait parlé dans un souffle, l'admiration illuminant son visage gracieux. Ses doigts fins, dénués de toutes bagues, effleurèrent la dentelle du vêtement, avant de s'y attarder. Son expression se fit vacante, comme à chaque fois qu'elle se faisait étreindre par un souvenir douloureux. Esther prit la main de son amie dans la sienne pour l'arracher à ses démons passés.

— Est-ce que tu pourras m'aider à l'enfiler, demain ? Demanda-t-elle dans l'intention première de distraire la Legilimens.

Sa voix s'était fendillée sur son dernier mot. Malgré tout le temps dont elle avait disposé pour se préparer à l'évènement prochain, il lui était toujours aussi difficile de l'accepter.

— Quelle question ? S'insurgea son amie avec gentillesse. Évidemment que je t'aiderai. (Puis, elle ajouta à voix basse.) Je ne vais pas te laisser traverser ce moment seule.

— Merci, chuchota Esther en retour.

Ses yeux la démangèrent, alors elle se détourna du vêtement. Le divan rembourré l'appela et elle s'y assied avec lourdeur. Queenie l'y rejoignit en silence.

Aucun bruit ne se fit entendre pendant de longues minutes, comme si le château tout entier voulait les rejoindre dans leur mutisme. Pourtant, Esther savait qu'elles n'étaient pas seules entre ces murs, mais l'heure tardive avait dû avoir raison des derniers noctambules. Le sommeil tirait d'ailleurs les traits de Queenie. Cette dernière ne restait que pour soutenir son amie, qui ne fermerait pas l'œil de la nuit.

— Tu devrais aller te coucher, enjoint Esther.

— Tu as besoin de moi.

— Nous ne devrions pas subir cette soirée à deux. Tu peux dormir, fais-le pour moi. De cette manière, tu pourras mieux me soutenir demain.

Queenie posa son regard perçant sur le mannequin qui trônait devant la cheminée. Le blanc du tissu reflétait la lumière des flammes avec une clarté douloureuse. Un tissu qui n'avait pas bougé malgré les quatre années qu'il avait passées dans une malle.

Esther non plus n'avait pas changé. La robe lui allait toujours comme un gant, suivant ses contours avec autant de précision que la première fois qu'elle l'avait essayé, dans une petite boutique de la rue Freycinet, à Paris, en compagnie de sa future belle-mère, Elena Rosier. Depuis cet essayage, la sorcière n'avait jamais eu l'opportunité de porter sa robe de mariée pour une véritable célébration, ce que Vinda n'avait pas manqué de lui rappeler quand elle lui avait rendu le vêtement pour la cérémonie à venir.

— Ma belle ?, l'appela doucement Queenie.

Esther tenta un sourire, qui se figea en grimace. Florien la surnommait ainsi, avant.

Les immenses yeux de biche de la Legilimens reflétèrent sa sollicitude tandis qu'elle la prenait dans ses bras. Son étreinte était digne d'une mère ou d'une sœur, ne rendant que plus évident le manque d'une telle figure dans la vie d'Esther. Elle l'enlaça à son tour, comme un remerciement silencieux pour ces quatre dernières années. Esther n'aurait jamais surmonté son chagrin sans les conseils avisés et la tendresse de cette sorcière qui lisait en elle comme dans un livre ouvert. Queenie avait toujours su ce dont Esther avait besoin, avant même qu'elle ne le sache elle-même, et elle le lui prouva une nouvelle fois en soufflant au creux de son oreille.

— Tu sais déjà ce que j'en pense.

Esther mit fin à leur étreinte, sa poitrine se mouvant au rythme de ses inspirations saccadées. Elle échangea un regard avec son amie. Un ultime secret les joignit en plein cœur de la nuit avant qu'une main inconnue ne les sépare.

Plusieurs coups résonnèrent contre la porte, puis le visage de Florentina apparut dans l'entrebâillement. Sa chevelure rousse et ondulée encadrait son visage vigoureux.

— Excusez-moi, il est tard... Mais Queenie, j'ai besoin de ton aide. Adeline refuse de s'endormir et je ne sais plus que faire.

L'épuisement suintait de sa voix. L'éducation de sa jeune fille la privait de nombreuses heures de sommeil, pourtant son teint restait aussi resplendissant que son bonheur. Après trois années de mariage arrangé, Florentina et Marcus Carrow avaient prouvé tort à tout le château : malgré ce qu'en disait la cote des paris sur leur relation, Florentina n'avait pas été brisée par leur union. Elle en ressortait même plus forte. Personne n'en avait été plus heureux qu'Eugen, dont le train de vie des dernières années avait été en partie financé par ses gains.

Queenie interrogea Esther du regard. La Legilimens était la seule à comprendre cette petite fille de deux ans qui ne communiquait encore qu'en babillement, faute à une audition défaillante.

— Nous en avions terminé, de toute manière, intervint Esther en se levant.

Son amie eut un sourire radieux. Le visage lumineux de celle qui sait qu'elle va retrouver une enfant qu'elle adore, Queenie rejoignit Florentina en quelques enjambées, suivie d'Esther.

— Embrasse-là de ma part ? Proposa Esther en s'appuyant contre la porte.

Florentina le lui promit, une main reposant sur son ventre rebondi. Son attention se porta brièvement sur la robe de mariée.

— Elle est vraiment belle, s'extasia-t-elle.

La joie de son ton contrasta avec la peine de son regard. Florentina, comme tous les autres sorciers de ce château, savait bien que ni Esther ni Florien ne s'étaient fiancés une seconde fois de leur plein gré.

Esther la remercia, puis regarda les deux femmes s'éloigner. Avant de s'engouffrer dans l'escalier, Queenie se retourna vers elle et lui fit un adieu silencieux.

Esther referma la porte. Voilà qu'elle se retrouvait de nouveau seule. Dans l'âtre, les flammes faiblissaient ; la lumière déclinait. La robe n'était plus qu'une ombre menaçante qui accaparait toute son attention, comme un rappel obscur.

Demain, Esther se marierait à Florien.

Les Rosiers avaient déjà rejoint le château pour s'occuper des préparatifs. Ils n'attendaient pas de nombreux invités, mais Elena refusait une cérémonie sans charme. Les fleurs poussaient dans chaque recoin du grand salon et les elfes de maison n'avaient pas l'autorisation de mettre leur nez crochu en dehors de la cuisine tant que le festin n'était pas assuré.

Esther se joignait parfois à l'agitation de ses beaux-parents, même si elle préférait les éviter. L'hypocrisie latente de leurs échanges lui donnait de l'urticaire. Florien s'en sortait mieux qu'elle. En tant que futur mari, il n'était rien demandé de lui, à part qu'il garde caché ses ébats amoureux avec d'autres sorcières. Un faible prix à payer.

Esther savait d'ailleurs qu'il n'avait pas passé cette nuit seul. Eugen et lui avaient quitté le château tôt dans la journée pour une de leur énième soirée de débauche et elle les avait entendus rentrer quelques heures plus tôt, en charmante compagnie. Elle ne lui en tenait pas rigueur : Florien ne lui devait pas fidélité. Alors, elle le laissait protester contre ce mariage à sa manière, même si cette situation était de son fait. S'il n'avait pas fauté l'année dernière, alors leur mariage n'aurait jamais été remis à l'ordre du jour. Mais il avait attiré l'attention de la Confédération internationale des sorciers sur les activités de Nurmengard au pire des moments et Grindelwald avait souhaité le punir pour sa bêtise. Cependant, comme souvent, Esther était celle qui en payait réellement les frais.

Avec un soupir audible, digne d'une personne s'acquittant péniblement de son sort, la sorcière retira sa tenue de jour pour des vêtements plus confortables. Parée d'une fine nuisette, elle se glissa sous ses draps et tourna le dos à sa robe. Le crépitement funèbre des dernières bûches résonna dans la pièce, semblable aux craquements usés des genoux de sa grand-mère. Marietta qui se reposait à l'heure actuelle dans la chambre voisine. Marietta qui avait approuvé avec soulagement l'union de sa dernière petite-fille non mariée, celle qui déshonorait sa famille en se voilant d'un célibat peu enviable. Esther aurait aimé avoir le soutien du dernier membre de sa famille proche encore en vie, mais elle devrait se contenter de sa présence.

C'était un bien piètre réconfort, qui n'aidait en rien à repousser le terrible sentiment de solitude qui envahissait sournoisement Esther toutes les nuits. Elle qui était pourtant entourée de sorciers qu'elle connaissait bien, mais qui se sentait tout de même effroyablement seule.

Queenie lui manquait déjà, mais Esther se refusa à la rappeler. Cette dernière méritait quelques instants de paix. Elle subissait bien assez les états d'âmes d'Esther, que ce soient ceux qu'elle partageait à voix haute que ceux qui l'assaillaient dans le silence de ses pensées.

En temps normal, Esther aurait rejoint Eugen, son compagnon d'insomnie habituel. Ils auraient discuté au coin du feu ou se seraient affrontés dans une partie de dames, mais, cette nuit, Eugen n'était pas disponible. Il avait préféré soutenir son meilleur ami.

Esther s'allongea sur le dos, dans ce lit qui lui paraissait vide et froid. Au plafond se mouvaient les ombres des flammes mourantes. Cette danse hypnotique la captiva brièvement, et ses pensées s'égarèrent. Il n'était pas rare, en ces heures voilées de noirceur, quand la solitude d'Esther était à paroxysme, que son esprit se tourne vers celui qui lui manquait plus que toute autre personne au monde. La seule personne qu'elle avait jamais profondément aimée.

Les fils de leur vie ne s'étaient pourtant pas entrelacés longtemps, mais le bonheur qu'elle avait brièvement ressenti en compagnie de Credence l'avait irrémédiablement marqué. Maintenant qu'elle connaissait ce sentiment, il lui était impossible de l'oublier.

Alors, forcément, il lui manquait. Son corps vibrait de retrouver la chaleur qui le possédait autrefois, l'insouciance propre aux premiers émois. Même si le manque n'était plus aussi invivable qu'auparavant, lorsque ses nuits n'étaient qu'un brouillard de pleurs et que son cœur implorait qu'on comble le vide qui le dévorait, il l'habitait toujours suffisamment pour que Credence soit la première personne qu'Esther cherche du regard en entrant dans une pièce. Elle ne se rendait même plus compte qu'elle le faisait, c'était un réflexe aussi inné que de respirer. Eugen l'exhortait à l'oublier, à tourner la page, mais comment était-ce possible quand le fruit de sa tentation pendait sous son nez jour et nuit ?

Comment pouvait-elle ne serait-ce que trouver le sommeil en sachant désormais qu'elle ne le reverrait peut-être jamais ?

Les flammes venaient de mourir quand Esther se décida enfin à sortir de son lit. Elle enfila un fin peignoir brodé, héritage de sa mère que Marietta lui avait offert quelques années plus tôt, puis quitta la chaleur de sa chambre. Ses bras se couvrirent de chair de poule quand l'air frais s'immisça sous ses vêtements.

Silencieusement, la sorcière traversa le couloir en passant devant la chambre de sa grand-mère et celle de ses beaux-parents, d'où ne filtrait ni son ni lumière.

Elle posa la main sur le garde-corps de l'escalier puis entama son ascension. D'abord, une dizaine de marches, qui se transforma bientôt en une vingtaine, pour finir par dépasser la trentaine. Le dernier étage du château était plongé dans l'obscurité. Esther se guida de sa baguette pour traverser une série de couloirs abandonnés. Les meubles étaient recouverts de poussière, les tableaux de toile d'araignée. Seule une personne empruntait encore cette aile du château, l'habitant de la chambre devant laquelle Esther s'arrêta.

Le sang battant aux oreilles, la sorcière frappa contre la porte. Aucune réponse ne lui parvint. Elle pénétra tout de même dans la chambre et referma la porte derrière elle. Un bruissement de draps lui indiqua que l'occupant des lieux était éveillé et alerte de sa présence.

— Qui est là ? Fit-il d'une voix enrouée par le sommeil.

— C'est moi, répondit-elle doucement.

Dans la pénombre, elle sentit plus que vit Credence se figer. Esther fit quelques pas hésitant vers le lit, assailli par la chaleur qui régnait dans la pièce. Près de l'immense fenêtre cintrée, un pépiement l'accueillit.

— Que fais-tu là ? L'interrogea Credence.

L'intonation de sa voix montrait sa confusion. Esther sourit en comprenant qu'elle pouvait éveiller en lui d'autres sentiments que l'indifférence qu'il lui avait servi ces quatre dernières années.

— Je peux m'allonger avec toi ? Lui demanda-t-elle en se défaisant de son peignoir.

Maintenant qu'elle était plus proche de Credence, la sorcière distinguait les contours de son visage, l'incrédulité et la rancœur qui habitait ses traits. Il ne lui répondit pas, se contentant de poser sa baguette sur sa table de chevet et de se rallonger sur le dos. Esther le rejoignit sous les draps, dans un geste qui lui parut plus familier qu'il n'aurait dû l'être.

— Je n'ai pas l'impression que ça fait si longtemps depuis la dernière fois que je me suis retrouvée dans ton lit.

Credence remua. Se souvenait-il aussi bien qu'elle des longues soirées qu'ils avaient passées ensemble dans son ancienne chambre ? Tandis que le sorcier potassait ses livres de cours et que son amie s'endormait sur son lit alors qu'elle devait lui tenir compagnie. Combien de fois s'était-il ensuite allongé à côté d'elle pour s'endormir à son tour ? Ils ne s'étaient jamais touchés, n'avaient jamais franchi aucune limite. Leur jeunesse et leur innocence la frappaient de plein fouet, désormais que ses intentions étaient toutes autres.

— Qu'est-ce que tu fais ici, Esther ?

Malgré toute l'agressivité qu'il avait souhaité mettre dans sa question, la tendresse qui engloba le prénom de la sorcière le trahit. Comme s'il n'était pas capable de prononcer son prénom sans révéler la vérité. Il parut s'en fustiger, car il passa une main rageuse dans ses cheveux.

— Je voulais te voir, révéla-t-elle simplement en se couchant sur le flanc.

Ses yeux qui s'habituaient à la pénombre lui permirent d'observer plus en détail l'homme qu'il était devenu. Il avait toujours sa légère bosse sur le nez, les mêmes lèvres charnues, mais ses cheveux avaient poussé jusqu'à atteindre ses épaules, et ses mâchoires semblaient être perpétuellement crispées.

— Pourquoi ? Soupira-t-il, les yeux mi-clos.

— Ai-je besoin d'une raison ?

Credence se tourna vers elle, la soumettant à un regard inflexible. Le temps où il acceptait qu'elle se dérobe à ses questions était révolu.

— Est-ce lié à ton mariage, qui a lieu demain ?

Esther se mordit l'intérieur de la joue. Elle aurait aimé ne pas mentionner ce sujet, pas en sa compagnie. Cependant, elle sacrifiait aisément cette bulle apaisante d'ignorance en échange de l'attention qu'il lui accordait enfin. Cela faisait quatre ans qu'il ne l'avait pas regardé aussi intensément, aussi longuement. La noirceur de ses pupilles l'hypnotisant même dans la pénombre.

— Oui.

La dureté de ses traits s'adoucit, ses sourcils se relâchèrent. Il reporta son attention sur le plafond et Esther se rendit compte que son corps bouillonnait. Sa simple proximité réveillait en elle une nuée de papillons.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ? Demanda-t-il.

— Rien, je souhaitais simplement te voir, profiter de ta compagnie. Discuter, peut-être aussi... comme avant.

Avant que la vérité ne les sépare, ne mette à bas ce qu'ils avaient bâti ensemble. Avant que la pluie ne les noie sous leurs regrets. Esther n'avait qu'à se concentrer sur ses souvenirs de ce vendredi 29 avril 1927 pour que les effluves de mousse humide imprègnent derechef ses narines. L'odeur avait été si tenace qu'elle s'était attachée à sa peau des jours durant. La sorcière se souvenait d'avoir frotté son corps à s'en faire saigner afin de se débarrasser de ces émanations amères et des souvenirs qu'elles transportaient. Rien n'y avait fait, comme si tout cela n'avait été que dans sa tête, inventé par son cerveau brisé qui refusait de se remettre de la perte de Credence ainsi que de la trahison de Grindelwald. Son mentor qui, malgré avoir réussi à convaincre Credence de rester à Nurmengard, n'avait pas daigné plaider en sa faveur. Ce sorcier qu'elle admirait tant, mais qui avait préféré lui ordonner de ne plus approcher celui qu'elle aimait. Grindelwald, qui l'avait abandonné à son sort sitôt son utilité disparue.

Credence doucha aussitôt ses espoirs :

— Rien ne pourra plus jamais être comme avant.

— Je le sais bien.

Esther marqua une pause, dessina un trait sur le couvre-lit. Sa gorge se serra, mais déversa tout de même la question qu'elle n'arrivait plus à retenir.

— Est-ce que tu me pardonneras un jour ?

Credence garda sa réponse prisonnière derrière ses lèvres un long moment. Esther aperçut une chauve-souris filant à toute allure derrière les fenêtres, sentit un éboulement, au loin, faire vibrer la montagne. Elle ne pouvait appréhender les pensées avec lesquelles se débattait son ancien compagnon, seulement les redouter.

— Je ne sais pas, finit-il par avouer. C'est possible... Tant de choses ont changé depuis.

Le poids qui entravait la respiration d'Esther lui fut retiré. Elle prit une grande inspiration et s'engagea sur le chemin de l'honnêteté.

— Tu me manques, Credence.

— Je m'appelle Aurelius, contredit-il aussitôt.

Puis, il plissa les lèvres.

— Tu me manques aussi.

Esther ne cacha pas sa surprise. Elle n'avait rien attendu en retour à sa confession, s'étant persuadée que cette étape était encore hors de leur portée. Mais il venait de la lui offrir, sans prévenir, et elle sentait se réveiller en elle ce lien invisible qui l'attirait à lui, les reliait lorsque leurs corps ne se touchaient pas.

Pourtant, Esther n'aurait pas dû être surprise de cette révélation. Elle avait bien senti, dernièrement, un changement de dynamique. Elle l'avait surpris, de plus en plus régulièrement, à la regarder. Jamais longuement, ni de manière appuyée, mais avec une constance qui avait éveillé ses soupçons, qui avait sûrement participé à l'attirer jusqu'ici. Cette présence intouchable qui l'appelait.

Et, de nouveau, il la gratifia de son attention. Son visage se tourna vers elle, aussi neutre qu'un tableau vierge, et l'observa, sans dire mot.

Durant deux années, Esther avait vécu sans ce contact, sans sentir son regard sur elle. Tout d'abord, parce qu'elle n'avait plus eu le droit de le croiser, ni même de se trouver dans la même pièce que lui. Puis, quand sa punition fut levée, parce que celui qu'elle avait aimé ne souhaitait désormais plus poser les yeux sur elle. À cette époque, l'indifférence de Credence avait eu raison de ce qui restait d'Esther. Seule Queenie avait pu la sortir de l'abyme dans laquelle elle s'était enfoncée. Grâce à elle, Esther avait continué à survivre suffisamment longtemps pour que Credence se tourne une fois de plus vers elle. Par dépit, peut-être ? Par solitude ? Ou simplement, comme il venait de l'avouer lui-même, parce qu'elle lui manquait.

Pourtant, il avait su cacher ses sentiments. En quatre ans, la sorcière pouvait compter sur les doigts de sa main les échanges qu'ils avaient eus. Des discussions distantes, se cantonnant aux limites de la cordialité, mais dont le nombre n'avait fait que s'accroître au fur et à mesure des mois. À mesure que Credence dépérissait. Que sa rancœur s'émaciait autant que son visage.

Que son Obscurus l'affaiblissait.

Il était possible que sa condition ait été le déclencheur ayant emmené Esther jusque dans son lit. C'était en tout cas ce qui la poussa à réduire la distance entre leurs deux corps. Leur chaleur se répondit et Esther repoussa les draps pour se rafraîchir. Le regard de Credence suivit son geste. Dans la pénombre, il se reput de tout ce qui s'offrait à sa vue.

Était-ce l'obscurité qui le désinhibait ou bien l'influence des sorciers qu'il côtoyait ?

Les deux anciens amants se firent face. Esther fut la première à esquisser un mouvement. Elle déposa délicatement sa main sur la joue du sorcier. Sa peau était douce, rasée du jour même. Elle dessina le contour de sa mâchoire, s'attardant sur son menton, la base de son cou. Les lèvres de Credence s'entrouvrirent. Elle sut qu'il savourait ce contact physique autant quelle. Son absence était la pire des tortures.

Esther aventura ses doigts sur le pourtour de ses lèvres, si pleines et accueillantes, avant qu'une main ne la retienne.

— Arrête, murmura-t-il.

Son ton était aussi doux que la soie des draps. Il agrippa fermement le poignet de celle qui partageait son lit, mais ne la repoussa pas. Ce simple contact suffit à embraser le corps d'Esther qui ne chercha pas à se retirer. Ses doigts flottèrent au-dessus du visage de Credence, dans l'attente de son prochain mouvement. Sans la relâcher, il se redressa pour s'appuyer sur son coude et l'observa par-dessous ses cils fournis.

— Est-ce Grindelwald qui t'a demandé de venir me rejoindre ce soir ?

Pendant quelques secondes, Esther fut trop abasourdie pour répondre. Sa surprise sembla fournir un premier élément de réponse à l'Obscurial qui relâcha légèrement son emprise sur son poignet.

— Non, finit-elle par murmurer, je ne suis pas là sur ses ordres. Cela fait longtemps qu'il ne m'en donne plus.

— Je voulais m'en assurer, susurra-t-il.

Un changement infime dans l'inclinaison de son corps informa Esther de ce qu'il allait faire avant même qu'il n'approche son visage du sien pour l'embrasser. Quand elle sentit ses lèvres se poser sur les siennes, elle était déjà prête à s'engager corps et âme dans cet échange. Ce baiser ne fut teinté d'aucune hésitation, d'aucune réflexion plus lointaine que le besoin actuel à satisfaire. Esther s'y soumit avec délectation, y déversant toute la tendresse qu'elle avait accumulée en elle.

Ce n'était pas leur premier baiser, pourtant Esther vécut ce moment comme s'il était inédit, comme si cette langue, démarrant une danse chaste, n'avait jamais cherché refuge auprès de la sienne auparavant. Leur romance s'était arrêtée trop tôt, aussi rapidement qu'elle avait débuté. Ils n'avaient connu que le bonheur intense des premiers instants et le frisson de la nouveauté. Ils n'avaient jamais eu à gérer un manque grandissant et dévorant qui rendait tout espace les séparant de trop. Esther combla cette distance de son corps et une nouvelle ardeur les envahit tous deux. Credence libéra le poignet de la sorcière pour s'aventurer dans ses cheveux blancs. Il en agrippa une poignée et le léger tiraillement que ressentit Esther sur son crâne la fit soupirer d'aise. La sensation était si agréable qu'elle dut se faire violence pour rejoindre le baiser qui l'attendait. L'intensité de ce deuxième round l'obligea à s'accrocher à la chemise de nuit déboutonnée du sorcier, puis à se coller tout contre lui. Sa jambe libre vint entourer son bassin, les verrouillant dans cette étreinte.

Cet élan de témérité la surprit tout autant que Credence. Le baiser s'arrêta pour ne laisser entendre que leur respiration hachée. Puis, son ancien amant glissa sa main entre ses omoplates, seule partie de son dos non recouverte par sa nuisette, et ce fut un frisson électrique qui l'a parcouru tout entière. Inarrêtable. Abreuvé par ces doigts qui continuèrent leur exploration, dessinèrent le creux de sa taille, la courbe de ses hanches, glissèrent sur le tissu avec facilité jusqu'à atteindre le haut de sa cuisse.

Esther n'avait plus été touchée de cette manière depuis si longtemps qu'elle refusa de se laisser ralentir par le terrain dangereux dans lequel ils s'embourbaient. Au regard qu'ils échangèrent, ils surent tous les deux qu'ils s'enfonceraient plus loin encore. Ils avaient abandonné tout discernement depuis que leurs lèvres s'étaient étreintes.

Le pouce de Credence se posa sur la peau nue d'Esther, s'y attarda. Il y traça des ronds fermes avant de laisser la place à sa main tout entière, qui agrippa la cuisse d'Esther pour l'attirer doucement contre lui. Leurs bassins se rencontrèrent et les joues de Credence rosirent. Il savait qu'il lui faisait sentir qu'il la désirait, qu'il était prêt à aller plus loin si elle le souhaitait aussi.

Esther n'eut d'yeux que pour lui, pour l'éclat d'hésitation qui vint briser sa façade distante. Il avait tellement changé en quatre ans. Il n'était plus le sorcier débutant et réservé dont elle était tombée amoureuse. Il avait mûri, s'était endurci, mais sa prévenance et son respect l'habitaient toujours. Il n'irait pas plus loin sans son accord, alors elle le poussa sur le dos et le chevaucha.

L'étonnement paralysa momentanément le sorcier, son visage tout entier se colora de rose. Cette teinte lui retira, pour quelques instants, la pâleur maladive qui le grignotait et qui donnait l'impression que la vie s'écoulait lentement hors de lui. Pourtant, Esther connaissait sa force. Elle se souvenait de la rapidité avec laquelle il s'était relevé des sorts de Florien, de sa résistance face aux sortilèges impardonnables qu'il avait subi. Il connaissait la douleur et savait la maîtriser, mais les années avaient eu raison de sa force mentale et physique. Sous ses mains, Esther sentit les côtes du sorcier poindre. Il était plus fin que la dernière fois qu'elle l'avait touché. Ce n'était qu'il y a quelques mois, quand elle l'avait rattrapé, chancelant, dans un couloir. Il l'avait alors rabroué du regard et s'était éloigné en se soutenant au mur. C'était la seule fois qu'il avait failli à camoufler ses faiblesses.

— Esther, l'appela-t-il doucement.

Le voilà qui se relevait sur ses coudes, inquiet. Sa peau avait retrouvé sa pâleur. La sorcière s'était perdue trop longtemps dans ses pensées.

— Tout va bien ?

Tant de tendresse, si peu méritée.

Esther avait craint de le perdre pendant des mois. L'avait finalement perdu. Et elle le retrouvait enfin, dans l'anonymat de sa chambre obscure, à quelques heures de son mariage. Malgré cela, elle était heureuse. Elle ne l'était jamais autant que lorsqu'elle se trouvait dans ses bras.

Elle le rassura d'un sourire, puis d'un baiser. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était lui redonner du baume au cœur, le goût de la vie qu'il avait perdu à force de côtoyer ces murs. À cause d'elle.

Elle savait comment lui faire oublier ses soucis, rien qu'un instant. Elle connaissait son devoir conjugal sur le bout des doigts et était prête à lui offrir ses compétences, même s'ils ne seraient jamais rien de plus qu'un rêve naïf. Elle déposa une série de baisers sur le cou et le torse de son partenaire d'une nuit, le poussant à se rallonger, tandis que sa main descendit jusqu'à son pantalon. Elle le caressa à travers le tissu tout en s'inquiétant subitement de ne plus être à la hauteur après toutes ses années d'abstinence.

Credence l'éloigna de ses pensées parasites en ramenant son visage au sien. Il l'embrassa avec plus de fougue qu'il ne l'avait jamais fait et Esther en oublia jusqu'à son propre nom. Il lui fut alors facile de lui retirer son pantalon et de se glisser à son côté. Elle ne l'avait jamais vu nu auparavant, aussi vulnérable et beau à la fois. Elle agrippa son membre, entendit le pic dans sa respiration. Sa main sut ce qu'elle devait faire ; ce qu'elle voulait et pouvait faire ressentir à Credence. Elle savait que cela ne durerait pas longtemps, que c'était sa première fois. Déjà son corps vibrait de plaisir, la passion le consumant à toute vitesse. Ses mains se montrèrent de plus en plus aventureuses, vagabondant sur les cuisses de la sorcière, s'engouffrant sous sa nuisette et empoignant sa taille pour ramener tout son corps vers lui. Il gémit contre sa bouche tandis qu'elle accéléra le rythme de ses va-et-vient.

Malgré la similarité de ces gestes presque mécaniques, Esther fut fascinée par les différences qu'elle notait entre ce moment avec Credence et ceux qu'elle avait vécus avec Florien. Elle avait toujours pensé que, quel que soit le partenaire, l'acte serait le même. Elle n'aurait pu avoir plus tort. À cet instant, il lui sembla que ce qu'ils faisaient était aussi naturel que respirer. Elle se sentait pleine et entière, en vibrait de satisfaction. Rien n'était forcé ni simulé et elle ressentit la différence jusqu'au plus profond d'elle-même, à la naissance d'une sensation nouvelle et inédite de par son intensité. Elle colla son entrejambe à la cuisse de Credence, s'y frotta sous le regard dilaté du sorcier. Ils s'embrassèrent de nouveau, elle ne sut même plus pour la combientième fois.

Les minutes défilèrent, le désir enfla, et quand Credence aventura enfin sa main calleuse sur la poitrine d'Esther, l'effet fut immédiat. Un pic de plaisir la traversa, si soudain et brutal qu'un gémissement lui échappa, trop fort pour ses propres oreilles. Credence vint la distraire en déposant une série de baisers dans son cou. Il ne retira aucunement sa main de son sein, y accentua même la pression, lui soutirant des halètements de plus en plus espacés à mesure que la vague de plaisir qui l'avait saisi se dissipait. Au creux de son oreille, elle jura entendre Credence gémir son nom. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il avait terminé.

Haletante et transpirante, le corps fiévreux, elle retira sa main humide de l'entrejambe du sorcier et l'essuya, ainsi que son avant-bras sur les draps. Credence la prit aussitôt dans ses bras, en déposant au passage un baiser sur son front. Un sourire de satisfaction orna les traits détendus de la sorcière, sans qu'elle cherche à l'effacer. Elle n'aurait de toute manière pas su le faire. Dans cet instant de pure tranquillité, ce fut comme si les années ne les avaient jamais séparés.

Pourtant, rien de ce qu'ils venaient de faire n'aurait pu avoir eu lieu en 1927. L'ancien Credence n'aurait jamais accepté une relation de ce type alors qu'Esther était fiancée à un autre et que son mariage avait lieu le lendemain. Désormais, il s'en moquait. Encore une démonstration des changements que les quatre dernières années avaient opérées sur lui. Son innocence et sa gentillesse n'étaient plus la pierre angulaire de sa personnalité. Elle avait été teintée de noirceur, par les choses qu'il avait vues et celles qu'il avait faites. Esther avait participé à quelques missions en sa compagnie, elle avait témoigné de son aptitude à attaquer sans hésitation, à tuer sans sourciller. Ses compétences s'étaient accrues, sa morale s'était périclitée. Et son Obscurus faisait de lui un sorcier dangereux, imprévisible, consumé par ses désirs de vengeance. Esther ne pourrait jamais pardonner à Grindelwald d'avoir ainsi dénaturé Credence.

— Reviens-moi, lui chuchota son partenaire à l'oreille.

Credence caressait sa joue avec douceur tout en l'observant. Depuis combien de minutes épiait-il son désarroi ?

— À quoi pensais-tu ?

— À nous. À tout ce qui a changé.

Il prit sa main dans la sienne, embrassa ses doigts fins. Son attention se porta sur la bague de fiançailles d'Esther, qu'elle portait constamment. C'était le cadeau de fiançailles de Vinda, l'impossibilité de retirer sa bague avant le jour du mariage. Esther sut que Credence avait reconnu le bijou. C'était le même qu'il avait aperçu pour la première fois au creux de sa paume, tandis que la pluie les criblait de ses gouttes et que les arbres de la forêt les encerclaient comme autant de témoins invisibles de leur séparation.

Du regard attristé d'un sorcier qui a vu trop de choses et fait trop de mal, il murmura :

— Ne te marie pas.

Esther retira sa main, la cacha sous l'oreiller.

— Je n'ai pas le choix.

— C'est faux.

— Je ne mérite pas quoi que ce soit d'autres.

L'expression qui envahit ses traits fut la même que Queenie avait revêtu tant de fois à l'entendre parler ainsi.

— Pourquoi penses-tu cela ?

— Je t'ai blessé.

Credence roula sur le dos.

— Et alors ?

Esther ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne lui vint.

— Ce n'est pas parce que tu as fait de mauvais choix que tu es une mauvaise personne, continua Credence. Tu ne devrais pas continuer à te punir ainsi.

— Ce ne serait pas une punition... tenta Esther. Florien était mon ami, avant.

Ce lien, même brisé, continuait d'exister. Florien n'avait jamais réussi à la détester pour ce qu'elle avait fait. Il en avait été blessé, avait souhaité se venger en l'humiliant, l'avait ignoré. Longtemps. Mais au fond, il n'avait jamais pu la renier entièrement. Désormais, ils étaient capables de se parler, avec une cordialité étrange, une sorte de tolérance mutuelle. Leur mariage ne serait pas abominable, mais il ne leur apporterait aucun bonheur.

— Mais tu ne veux pas être avec lui, la reprit Credence. Tu ne l'as jamais voulu.

— Non, c'est vrai. Je veux être avec toi.

Esther n'avait pas pensé avouer cela, mais les mots lui avaient échappé. Credence se détourna pour regarder à travers les fenêtres de sa chambre, en direction des sommets et des quelques étoiles qui n'étaient pas camouflées par les nuages.

— Tu as déjà eu ta chance.

— Et je l'ai gâché, je sais.

— Ce n'est pas parce que tu ne peux pas être avec moi que tu dois être avec lui, soupira l'Obscurial en se retournant vers elle.

— Si je ne l'épouse pas, je ne serai plus la bienvenue ici.

C'était Vinda qui le lui avait révélé et cette menace la tourmentait bien plus que le mariage. Où irait-elle si elle perdait sa seule maison ?

— Qu'est-ce qui te retient ici ? Tu n'es pas heureuse.

— Je n'ai nulle part où aller...

— Tu peux te reconstruire où tu le souhaites. Tu n'as pas besoin d'eux.

Esther entendait la véracité de ses propos, les avait entendus de Queenie de nombreuses fois, mais une autre raison la faisait rester entre ces murs.

— Je n'ai pas le droit de partir, pas tant que tu es coincé ici.

— Tu ne m'as pas forcé à venir, Esther. J'ai fait mes propres choix. Si tu veux partir, alors pars.

— Dans ce cas, pars avec moi. Toi non plus, tu n'es pas heureux.

Credence la contempla, le visage marqué par une fatigue qui semblait plus tenace encore que quelques semaines auparavant. Il était captif d'une solitude dont elle avait, elle aussi, été prisonnière.

— Je n'ai pas terminé ce pour quoi je suis venu.

— Et qu'est-ce que c'est ? Tuer Albus Dumbledore ? La seule famille qu'il te reste ?

Credence fronça les sourcils.

— C'est lui ou moi.

— En es-tu sûr ? As-tu jamais cherché à te renseigner sur ce que Grindelwald t'avait dit ? Et s'il avait menti ?

— Pourquoi ferait-il ça ?

— Je ne sais pas, Credence, mais je t'en supplie, ne persévère pas dans cette voie. Tu vas finir par y laisser ta vie.

— Je vais mourir quoi qu'il arrive.

Quelque chose en Esther se brisa. Elle chercha réconfort dans les bras de Credence, seul endroit où elle se sentait en sécurité, et il le lui offrit, sans dire mots.

— Je suis tellement désolée, Credence. Pour tous mes mensonges, mais surtout pour t'avoir emmené ici. J'étais persuadée que c'était ce qui était le mieux pour toi, mais maintenant, j'aurais préféré ne jamais l'avoir fait.

Le sorcier resserra son étreinte.

— Merci, souffla-t-il.

Esther faillit en pleurer. Elle ne s'était plus attendue à ce que Credence soit prêt à entendre ses excuses. Le poids de quatre années de regrets sembla s'envoler de ses épaules.

Elle tourna son visage vers celui du sorcier et il déposa un baiser chaste sur ses lèvres. Le dernier que partageraient ces deux âmes torturées.

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