Chapitre 71: Keryna.
Deux semaines plus tard, la gestion de la crise restait compliquée. Certains Sans-Pouvoir avaient accepté la défaite, une minorité pensait que c'était une bonne chose, et les autres se rebellaient encore. Des émeutes et des attentats avaient lieu tous les jours. Toutefois, nous arrivions à gérer la situation. Même si nous étions en infériorité, nos pouvoirs nous avantageaient et les elfes nous aidaient toujours à garder le palais. De nombreuses arrestations eurent été faite, et elles se raréfiaient de jour en jour, ce qui était une bonne chose.
Avec Demyan, Suran et quelques autres Scintillants, nous nous occupions des lettres que les Sans-pouvoir nous faisaient parvenir. La plupart étaient des lettres injurieuses, mais certaines valaient vraiment le coup d'être lues.
Demyan vint me voir alors que Suran, Hox et moi étions en train d'étudier tous nos courriers dans la bibliothèque. Il s'assit à côté de moi sur un sofa en tissu bleu, puis me prit la main.
— Il y a des choses intéressantes? me demanda-t-il.
— Plutôt, oui. Celle-ci me fait part de son ressentit par rapport aux noms que l'on se donne habituellement. Elle affirme que le terme Scintillant est bien trop élogieux, contrairement à Sans-Pouvoir qui est rabaissant. Je suis complètement d'accord avec elle, cette question sera à étudier sérieusement. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que ce sujet revient.
Il acquiesça en continuant d'observer les deux piles devant nous. Les lettres à brûler étaient bien plus importantes que celles qui avaient un réel intérêt.
— Allez, laisse tout ça quelques temps s'il te plait, tu as besoin d'une pause. Je suis certain que tu as passé toute la nuit à les lire, me dit Demyan en riant.
— Tu as raison, j'ai vraiment besoin de repos. Allons dans ta chambre.
Nous saluons alors Suran et Hox avant de partir. Une fois assise sur son lit, je sentis les raideurs dans ma nuque se détendre. Mon état de stress s'intensifiait de jour en jour et je me demandais dans combien de temps cela redescendrait.
— Alors, tu appréhendes la journée de demain? me questionna Demyan, allongé sur le dos à côté de moi.
Je soupirai. Le lendemain, je me ferai couronner. C'était une étape essentielle, mais à laquelle je refusais de penser. Je ne comprenais pas pourquoi cela m'angoissait autant. Peut être que c'était le fait de changer de statut aux yeux de tous, de devenir reine alors que je n'étais qu'une paysanne il y avait à peine trois semaines. Je ne me sentais pas comme telle et j'avais l'impression de prendre la place de quelqu'un d'autres. Au lieu de répondre cela à Demyan, je me contentais de hausser les épaules. Je n'avais pas envie de lui confier mes craintes.
— Je vois bien que tu n'es pas très sereine, tu sais, me dit-il en se relevant, posant ses mains sur mes épaules.
— Je préfère ne pas trop en parler.
Et cela était vrai. J'avais peur que ce couronnement devienne trop réel à mes yeux. Il y avait déjà eu bien trop de bouleversements dans ma vie ces derniers temps, et je tentais du mieux que je le pouvais d'y échapper. Je savais que c'était lâche, mais je ne parvenais pas à y faire face avec courage comme je me l'étais toujours imaginé. Durant toute mon adolescence, je m'étais imaginé tout cela avec beaucoup de sérénité, j'étais certaine d'affronter la réalité avec courage et rage. Au lieu de cela, je me sentais comme une petite fille apeurée dans un monde qu'elle ne connaissait pas. J'avais l'impression d'être complètement dépassée.
Les Scintillants de l'Île Tawy avaient été rapatriés une semaine plus tôt, et je n'avais même pas eu la force d'aller à leur rencontre. Je ne me sentais pas capable d'affronter encore une fois la misère, la cruauté donc avait été victime mon peuple. Je savais par Hox que la sœur de ma mère, Jihanna, était toujours en vie, et ne n'avais même pas voulu la voir. J'avais bien trop peur de voir l'état dans lequel elle se trouvait. Elle était la seule personne de ma famille de sang encore en vie, ma tante, et je refusais de la rencontrer.
Cette après-midi là, je m'endormis contre Demyan sans même m'en rendre compte. J'étais submergée par la fatigue. Je me réveillai seulement dans la nuit, alerté par un cri dans les couloirs. Les yeux encore bouffis, la gorge sèche, je me dégageais des bras de Demyan pour me lever. Je pris la bougie encore allumée sur sa table de chevet puis ouvrit doucement la porte. Un grincement se fit entendre, et je vis dans le couloir sombre une petite fille. Elle était toute maigre, les cheveux ternes et les yeux marqués par des cernes violets. Elle tremblait de froid, ne portant qu'un pantalon de soie et un débardeur délavé. Je sus que c'était une Scintillante de Tawy au premier regard que je lui lançai. Les larmes me montèrent aux yeux et j'eus du mal à déglutir.
La petite m'observa sans un mot, tandis que je n'arrivai pas à esquisser un geste non plus. Elle s'apprêta à tourner les talons, alors j'eus enfin le courage d'avancer vers elle.
— Reste, n'ai pas peur. Comment tu t'appelle ma chérie? lui demandai-je d'une voix douce.
— Miha.
— Très bien Miha, moi c'est Keryna. Viens avec moi, on va te trouver quelque chose à te mettre sur le dos.
Je lui pris la main et l'emmenai dans la chambre juxtaposée à celle de Demyan, celle de sa sœur. Etant donné que cette dernière avait été placé sous la surveillance de Nouria, elle restait dans les appartements des servantes. Je fouillais dans son armoire et trouvai de nombreux pulls. Bien que ceci étaient trop grands, ils feraient l'affaire pour Miha le temps d'une nuit. Je lui demandai donc quelle couleur elle désirait, et elle en choisit un bleu pâle.
— Tu veux dormir? la questionnai-je ensuite, voyant qu'elle tombait de fatigue.
Elle acquiesça simplement en s'occupant les mains avec les manches de son pull. Je l'emmenai donc dans la chambre de Demyan. Son lit était bien assez grand pour nous trois, et la petite sembla satisfaite de se trouver là. Je me doutais que le matelas devait être bien plus agréable que les sofas qui avaient été déplacés pour leur servir de lit.
Elle s'endormit contre moi, et j'eus l'impression que toutes mes angoisses s'envolèrent à cet instant. Je compris que le meilleur moyen pour que j'aille mieux n'était pas de les fuir mais de les aider.
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