- Chapitre 7.2: La voie des mots -
- Euh... bah vu qu'on ne me laisse pas le choix, je me lance. Moi, c'est Nelia... J'ai 18 ans et j'ai rejoint Kae simplement parce que je trouve que le système RPL est nocif... Je sais, ce n'est pas très original comme raison. Non, en vrai, j'ai une liste énorme de raisons pour lesquelles je me retrouve ici, mais bon, ça serait trop long à raconter. On va dire que l'une des principales est que je ne veux pas que ma vie dépende de cette puce ! - Il y eut un gros blanc, puis elle reprit la parole - Je ne sais pas trop quoi ajouter, dit-elle avec un sourire gêné.
- Écoute, je pense que c'est déjà très bien pour un début ! De toute façon, vous aurez le temps d'apprendre à mieux vous connaître dans les semaines à venir. Maintenant, à toi, notifia Oméga à l'attention de l'adolescent asiatique.
- J'ai vraiment besoin de me présenter ? Tout le monde sait qui je suis, non ?
- Allez, fais un effort, ce n'est pourtant pas si compliqué. D'ailleurs, j'aimerais bien savoir ce qui t'a poussé à nous rejoindre, ajouta Oméga qui avait repris son ton sérieux.
- Vous êtes vraiment relous... Bon, je m'appelle Yamato et j'ai 21 ans. Je suis ici juste pour faire chier les crétins qui m'ont adopté ! Vous êtes contents !?
Il se tut pour montrer qu'il n'avait plus rien à dire, et l'homme, après l'avoir remercié pour sa sincérité, pointa du doigt celle qui se trouvait à sa gauche. Elle se mit à parler :
- Hellooo, moi c'est Cécilia et j'ai aussi 21 ans. Euh... pour la raison, c'est plutôt personnel donc je préfère la garder pour moi. Mais je partage le même avis que Nelia par rapport à la puce ainsi que le vôtre, Omega. Les gens accordent beaucoup trop d'importance aux apparences, pourtant si factices.
Elle lança un regard à Nevio qui était assis à 20 centimètres d'elle, lui faisant signe que c'était à son tour. Il ne lui fallut que quelques secondes avant de se présenter lui aussi.
- Alors, moi je m'appelle Nevio et j'ai 19 ans. Je suis quelqu'un qui ne supporte pas, mais alors pas du tout, les injustices. On ne devrait pas banaliser les agressions envers les Lusers et les Peons, surtout à notre époque. On est en 2121 tout de même. Cette hiérarchie est malsaine, il faut qu'on arrête ça à tout prix !
Il s'arrêta, montrant ainsi la fin de son discours, et Oméga, qui écoutait avec beaucoup d'attention chaque prise de parole, commenta :
- À ce que j'entends, on a plus ou moins les mêmes préoccupations, ce qui veut dire que Kae a une bonne raison d'exister. Je suppose que vous n'êtes pas inconnus des polémiques, mensonges, coups bas et meurtres engendrés par le système RPL. À l'heure actuelle, tous les moyens sont bons pour se faire connaître. Plus c'est polémique, plus c'est croustillant et plus la visibilité sera importante. Une fois qu'on est entré dans ce cercle vicieux, il est difficile de s'arrêter. Les gens sont prêts à tout pour faire partie de l'élite, quitte à perdre leur bon sens, leur dignité et leur humanité. Le respect envers autrui disparaît de plus en plus, jusqu'à être poussé à son maximum. On publie des photos, des Cheep-R chocs pour amasser des millions de vues et monter dans le classement. On poste du contenu qui devient de plus en plus incontrôlable pour pouvoir atteindre le sommet et devenir numéro un. Les qualités qui font de nous des êtres si bons s'envolent progressivement jusqu'à disparaître. Plus le temps passe et plus nous nous transformons en démon... Vous avez bien raison, nous devons arrêter ce système malsain, sinon nous serons perdus. Mais bon, trêve de long discours, il nous manque encore deux personnes à connaître, termina-t-il avec un grand sourire. Le tour vint donc à la dernière fille de la bande.
- Ah, c'est drôle. Des démons, vous dites... Savez-vous que le monde en verlan, ça donne démon ? C'est inévitable... Il y aura toujours des démons dans ce monde - exposa-t-elle la tête baissée en direction de ses mains avec lesquelles elle n'arrêtait pas de jouer. - Ah, oui, là n'est pas le sujet. Nilaja... Mon nom est Nilaja. Je suis ici... pour... - elle prit une grande inspiration avant de reprendre - Je suis ici pour essayer de me prouver à moi-même qu'il doit bien y rester une poignée de gens bons sur cette Terre. Cette expérience me permettra de juger si la vengeance reste nécessaire envers ces personnes que je considère comme des démons. Le regard plongé dans le vide, elle cessa de parler, laissant derrière elle un long et très lourd silence.
Le tour touchait à sa fin. Il ne manquait plus que la personne à la chevelure courte et au t-shirt orange, qui décida de se lever pour se présenter.
- Salut, salut ! Moi, c'est Sam. Ou encore, comme me surnommerait mon entourage, Samsam. En vrai, je suis plutôt enchanté - se présenta la personne d'une voix rayonnante et d'un grand sourire parfait, qui brisa le silence précédent - Alors, pour vous la faire courte, je ne suis ni elle ni il, mais iel*. En gros, je suis non-binaire.
*Iel : est un pronom neutre inclusif de la troisième personne, issu d'une grammaire dite inclusive. Il s'utilise en français à la place de "il" ou "elle", soit pour désigner une personne dont on ne connaît pas le genre, soit pour désigner une personne non binaire.
Un rire se fit entendre accompagné d'un marmonnement en provenance de Yamato.
- Ça existe même ? Encore une invention absurde pour se rendre plus intéressant...
Sam continua sa présentation sans se laisser démonter :
- Écoute, je ne vais pas tourner autour du pot avec toi, mon gars. My body... my choice ! Je suis désolé.e, je ne savais pas que tu avais l'autorité pour me juger. Qui es-tu pour te permettre de me juger ? Un Dieu peut-être ? Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire ou comment je dois me sentir ! Pfff, pourquoi ça ne m'étonne même plus ce genre de réflexion... À notre époque, je ne comprendrai jamais pourquoi on entend toujours ces propos. Pourtant, quand il s'agit d'un transhumain, on ne dit rien et on est même subjugué, mais quand il s'agit de genre ou d'orientation sexuelle, c'est toujours mal pris et ça crée des débats. Alors ce que je n'aime pas... - Iel fit mine de réfléchir et reprit la parole- Je dirais les gens qui jugent et qui croient tout savoir ! Une réflexion intéressante que j'aimerais te soumettre : pourrais-tu me définir la féminité et la masculinité en dehors des termes biologiques ? Quand peux-tu, toi petit être, considérer que moi je suis homme ou femme ? Je vais te répondre ! Moi, je ne me retrouve dans aucun des deux à 100 %. Je ne suis pas un genre, je suis qui je suis et pas une catégorie à laquelle la société voudrait m'identifier. Je ne suis pas un mot ou une case ! Et même, un mot unique ne pourrait me définir, et je pense que pour la plupart d'entre nous, c'est le cas. Aucune case ne peut réellement nous contenir, car nous sommes une multitude de choses à la fois, et le seul mot qui pourrait potentiellement me définir entièrement est le mot "moi". Je suis tellement de choses, j'ai tellement de ressentiments et je peux aimer des choses qui, a priori, n'ont aucun sens et qui peuvent même se contredire. Le principal, c'est que je me sente bien comme je suis et non comme les autres le voudraient.
Iel termina son allocution quelque peu essoufflé.e. Puis, après s'être calmé.e, reprit d'une voix plus sereine.
- Ah bref... désolé.e, je me suis un peu emporté.e... Mais dès que l'on me lance sur ce sujet, je ne sais pas, c'est plus fort que moi... Mes sentiments réagissent plus vite que mon bon sens. Sam regarda en direction de Yamato sachant qu'iel avait été un peu dur.e dans ses propos.
- Euh, désolé... je... je ne voulais pas t'offenser... avoua Yamato qui, même s'il ne voulait pas se l'admettre, avait été touché par le discours franc de Sam et ne savait plus quoi dire pour se défendre.
Suite à l'intervention de Sam, quelques regards indiscrets s'étaient tournés dans leur direction. Oméga jeta un coup d'œil aux alentours, remarquant que son groupe avait su capter l'attention. Il décida que c'était le bon moment pour prendre la parole. Il se leva, utilisant uniquement la force de ses jambes, et se déplaça sur sa gauche pour rejoindre le tatami central où le mot "Kae" était imprimé.
Il racla sa gorge et, d'une voix détendue, entama son discours :
- Vous n'avez pas à vous excuser lorsque vous exprimez ce que vous ressentez ! Ici, à Kae, vous êtes libres de donner vos opinions et de débattre ensemble. Bien sûr, tant que cela se fait dans le respect. Le monde est bien trop silencieux et se laisse marcher sur les pieds depuis trop longtemps ! Ça fait 21 ans que le monde ferme les yeux sur des situations alarmantes ! 21 ans que les gens bouchent leurs oreilles pour ne pas entendre les appels à l'aide ! Et aussi 21 ans que la population se tait par peur de dire à haute voix ce qu'elle pense ! Il est temps pour nous de nous rebeller et d'y mettre fin.
Le quinquagénaire fit signe de la tête et quatre organisateurs vinrent le rejoindre au centre du tatami principal. Ils se placèrent à ses côtés. De droite à gauche, il y avait Sigma, Delta, Omega, Alpha et Bêta, tous vêtus de tenues sportives : une casquette moka arborant le symbole de Kae, un jogging caramel et un t-shirt moka affichant toujours le symbole de Kae ainsi que leurs noms.
- Il est temps, à présent, que les choses sérieuses commencent. Nous allons vous initier, durant les semaines à venir, à un sport de défense et non de violence. Kae n'a pas pour but de renverser le pouvoir avec agressivité ! Mais alors, vous vous demandez sûrement pourquoi vous apprendre le krav-maga ? Eh bien, tout simplement pour que vous puissiez être capable de vous défendre ou de défendre vos coéquipiers en cas de confrontation face à la milice armée. Krav-maga veut dire "combat contact" ou en d'autres termes, combat rapproché. C'est un sport de self-défense qui est simple à apprendre rapidement. La méthode est basée sur des frappes direc...
Soudainement, sans la moindre raison apparente, Oméga se fit attaquer en plein discours. Haussant les sourcils d'un air surpris, il fut pris pour cible, recevant des coups de pied et de poing au niveau du visage.
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