Chapitre VII.


       Lorsque Harry rejoint la rivière, au milieu de l'après-midi, le ventre noué, le coeur lourd et les mains moites, il hésite à faire demi-tour. Plusieurs fois, il s'arrête et regarde autour de lui. Les habitants qui voguent à leurs occupations, la chaleur ambiante. Tout est normal. Ou presque.

Ce matin, il a été annoncé la mort d'Ivan à l'atelier. Delio l'a serré dans ses bras, les yeux humides de larmes, mais Harry n'avait plus la force de pleurer. Il l'a trop fait ces derniers jours. Il n'est pas resté pour travailler non plus, il n'en avait le coeur. À la place, il est allé faire quelques achats pour remplir son garde-manger. Et il resté assis dans son fauteuil à fixer son mur, à se décider si oui ou non il irait rejoindre Louis.

Même s'il doute de pouvoir lui pardonner ou lui faire totalement confiance, il a envie d'avoir des explications. Au moins sur la mort de ses amis et le comportement de Louis la nuit dernière.

Maintenant, il est en route, proche de la destination. Cela ne servirait plus à rien de faire demi-tour. Puis Harry n'est pas du genre à se dégonfler, il pense à ses amis, à leur mort injuste et il continue son chemin.

Quand il arrive, Louis est déjà là. Installé sur une couverture légère et un panier à ses côtés. Il a dû l'entendre approcher, car il se redresse et lui offre un sourire timide. Harry reste debout, devant lui, le visage interdit même si à l'intérieur de lui tout se retourne. Parce que, malgré tout, Louis est sublime dans sa toge pastel et le petit collier doré qui entoure son cou délicieux, et il a envie de venir se réfugier dans ses bras pour pleurer. Il a besoin de le retrouver, comme avant, qu'ils fassent l'amour jusqu'à tout oublier et se perdent dans leurs caresses.

– Harry...

– On peut passer directement au sujet, j'aimerais en finir rapidement ?

– J'ai beaucoup de choses à expliquer. Assieds-toi, j'ai ramené de quoi manger...

Harry n'a pas faim, pas du tout, mais étant donné que cela risque de prendre du temps, il s'assoit sur le drap. À une distance assez raisonnable pour que leurs bras ou leurs genoux ne se touchent pas par mégarde. Il ne veut pas être influencé par la chaleur de son corps, il ne peut pas encore s'y égarer. Parce que Louis a le don, par une simple caresse, de le rendre sien et dépendant. Harry doit oublier toutes ces sensations.

Attentif, il laisse Louis ouvrir le panier et sortir un pain blanc entouré dans un chiffon, quelques raisins et des morceaux de viande froide. Il dépose également une bouteille de sirop de pèche et Harry a la gorge nouée. Qu'espère-t-il faire, au juste ? Le racheter avec de la nourriture et de la bonne volonté et un sourire ravageur ?

Louis remplit deux verres et lui tend le sien, Harry le regarde mais ne fait aucun geste. Le chanteur soupire, pose le verre dans l'herbe et reprend.

– Je dois te parler, mais il faut que tu m'écoutes... Et ça ne va pas être facile à entendre. S'il te plaît, j'ai besoin que tu ne laisses expliquer... Même si tu as des objections...

– Expliquer quoi ? S'emporte Harry, déjà blessé et hors de lui. Que tu m'as pris pour un pantin depuis le début ? Que tu savais très bien qui étais le tueur et que tu m'as regardé pleurer sans rien dire ? Qu'est-ce que je suis bête... Tu as bien dû te moquer de moi... Mon dieu, quel imbécile ! Et moi je me suis laissé manipuler, parce que... Parce que je suis tombé sous ton charme. Tu t'es bien amusé j'espère ?

– Harry, ce n'est pas ça du tout...

– Tu couchais avec moi pour que je sois à ta merci et que je te suives, tu utilisais mon corps à tes propres fins...

– Non ! Tu ne comprends pas...

– Comme ça tu pensais qu'en me donnant un maximum de plaisir, je reviendrais tout le temps vers toi et je ne penserais plus à mes amis et je les laisserais mourir dans leur coin... J'y ai cru, j'y ai vraiment cru et toi tu t'es juste servi de mon corps et...

– Non Harry arrête ! S'exclame soudain Louis en haussant la voix pour couper court. Ce n'est pas ce que tu crois. J'étais sincère ! Je te faisais l'amour, d'accord ? C'était... Tu l'as senti toi aussi, tu l'as senti mon coeur battre très vite. Toutes ces heures qu'on passé ensemble, à s'aimer, tu crois vraiment que c'était faux ?

– Je ne sais plus ce que je dois croire, Louis.

Le regard de Louis est aussi perdu que le sien, à la détresse. Ils ont besoin de se parler, de mettre les choses au clair avant que tout ne leur explose au visage. Harry a assez souffert, il est prêt à endurer ce moment passé avec lui, mais après, il rend les armes. Il ne veut plus se battre, il ne veut plus se plonger dans un amour qui lui semble sans retour et rythmé par des sentiments trop intenses pour être capable de les gérer. Même Louis, d'habitude si sûr de lui, n'a pas su voir la douleur venir.

Et pourtant elle est là, dans l'espace qui gît entre eux. A leurs yeux, il est immense. Synonyme d'une fin proche. Ils peuvent essayer de la changer, mais pour l'instant, ils ont besoin de s'entendre et se dire la vérité. Harry aussi a la sienne, celle qu'il a sur le coeur depuis un moment et que, normalement, il aurait dû avouer à Louis aujourd'hui.

Seulement, les plans ont changé. Louis le sait, c'est lui qui doit plonger la tête la première, Harry attend, alors il se lance. Au coeur de la vérité.

– Je suis arrivé en ville un peu avant qu'on ne se rencontre à la taverne, peut-être quelques jours. Gillian trouvait que c'était un bon endroit pour gagner de l'argent... On a acheté une maison ensemble, celle où tu es venu... C'est la sienne aussi, même s'il y passait peu de temps. Gillian est... C'est un peu comme mon patron, sauf que... Il est plus vieux et plus influenceur que moi, il voulait que... il voulait que je couche avec des hommes et des femmes, afin de voler leurs objets précieux, bijoux, argents, tableaux... Il a toujours voulu que je fasse ça, au début je refusais, je volais des pommes sur le marché, des fruits ou des bouteilles dans les tavernes. Mais jamais les gens, surtout pas comme ça... Seulement, il a commencé à faire pression sur moi. Il a dit que sans lui, je n'étais rien, et que si je ne voulais pas le faire, il... Il m'y forcerait, ou il me jetterait à la rue...

Petit à petit, ses yeux se vident d'émotions et se remplissent de larmes. Harry est pendu à ses lèvres, il l'écoute attentivement. Et il ne peut pas douter de la sincérité de ses mots, parce qu'il sait reconnaître un mensonge, et cette histoire n'en est pas un. Louis est sincère, le ton de sa voix tremble et il le regarde directement dans les yeux.

– Et il a raison, sans lui je ne suis rien... Un pauvre chanteur... C'est vrai, je lui dois ma carrière de musicien, c'est lui qui m'a lancé, qui m'a poussé à me dévoiler dans les tavernes et les places publiques. Mais je n'aurais jamais pensé que... Que ça se passerait ainsi. Que ça irait jusqu'à là...

Sa gorge se serre, il joue avec un morceau de raisin mais son attention ne quitte pas Harry. Louis prend son temps pour raconter, car ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère. C'est son histoire, un bout de son passé.

– Gillian m'a trouvé l'année de mes douze ans, j'étais seul, à la rue... Ma... Mon père est mort, quand j'avais dix ans, il me semble, et ma mère avait cinq enfants sous les bras. Dont des jumeaux qu'elle venait de faire naître, elle ne pouvait pas se permettre de nourrir autant de bouches, et n'avait pas les moyens de subvenir à tous nos besoins. Comme j'étais un garçon, débrouillard et grand, elle m'a abandonné. Elle m'a dit « pour le bien de tes frères et sœurs, tu dois partir ». Je crois qu'une de mes sœurs a été donnée comme servante dans une famille riche, je ne sais pas ce qu'il est advenue d'eux, ensuite... Je ne les ai jamais revu...

Harry croit voir une larme rouler sur sa joue, mais Louis baisse la tête et boit un gorgée de sirop. Ils restent silencieux quelques secondes, mais ils ont mal au coeur. Harry aimerait inverser les rôles, le serrer dans ses bras, embrasser ses cheveux et lui faire oublier sa tristesse. Comme Louis a pu le faire avec lui. Mais il ne peut pas. Pas maintenant, il lui a promis de ne pas l'interrompre.

– De ce fait, Gillian m'a rapidement recueilli chez lui, il... Il m'avait dit qu'il cherchait des nouveaux talents et comme je savais jouer de la guitare, je me suis rendu utile. C'était... Il était assez sévère, mais il était comme un père pour moi, tu vois ? Une famille que je n'ai jamais eu. J'ai grandis avec lui, même si j'avais déjà douze ans, mais... C'est beaucoup pour un petit garçon. Et puis, est-ce que j'avais le choix ? C'était ça, ou mourir de faim dans la rue. En plus de ça, j'adore ce que je fais, je peux vraiment chanter, vivre de ma passion... En ce qui concerne les personnes avec qui je t'ai dis que je couchais...

Louis relève la tête, Harry attend la suite, la gorge serrée et les doigts serrés en un poing. S'ils peuvent éventuellement éviter de parler de ça... Harry se sent déjà suffisamment sali ainsi.

– Il n'y a jamais eu personne d'autre que toi... Alors oui, forcément, je... J'ai eu des relations, plus ou moins sérieuses avant toi, mais depuis le temps que je suis ici, je n'ai jamais touché qu'à ton corps et tes lèvres. Je te le jure. Comment je pouvais même penser à embrasser quelqu'un d'autre alors que tu es constamment dans mon esprit ? Disons que, Gillian voulait que j'attire l'argent, il pense que mon corps est gracieux, donc il m'a demandé de jouer ce rôle là. Celui qui couche avec un peu n'importe qui... Tu vois ? Je n'ai pas... Je ne pouvais pas refuser, il me donnait beaucoup d'argent, il me laissait la liberté de faire ce que je voulais en dehors des heures de répétition et il me donnait un toit sur la tête. Je menais à peu près une vie normale.

Et l'emploi du passé indique à Harry que ce n'est plus réellement le cas, tout a donc changé quand il est arrivé ici et qu'il l'a rencontré. Louis pousse un soupir, passe une main dans ses cheveux. Harry ne dit toujours rien, il ne bouge pas, mais il le regarde. Mais ça suffit au jeune chanteur, car il sait qu'il est entendu. Que, malgré tout, Harry l'écoute.

– Tu le devines avec ce qui s'est passé hier, tout n'était pas rose... Il... Gillian te connaissait, il t'avait déjà repéré à la caverne et il savait que ton nom était célèbre ici et aux alentours. De bouche à oreille, il a appris que tu étais un peintre adulé, doué et qui s'attire les faveurs de l'empereur. Gillian cherche la richesse et la reconnaissance... Il m'a... Il m'a demandé de me rapprocher de toi, de venir te séduire, te ramener chez moi. Ce soir là, où on s'est rencontrés, il savait que tu viendrais. Tout était prévu à l'avance. Sauf que je tombe totalement sous ton charme...

Ses derniers mots font battre leurs coeurs à l'unisson, ils se fixent un long moment. C'est presque comme avant, quand ils étaient prêts à fondre l'un sur l'autre, à se retrouver et s'aimer dans des caresses et des baisers fiévreux.

Et Harry a senti une faiblesse, il aurait pu, à quelques secondes près, se pencher et venir embrasser ses lèvres. Il aurait très bien pu succomber à son charme. Mais Louis reprend la parole et le coupe dans son élan :

– Dès que je t'ai vu à la taverne, j'ai su que je ne te voulais plus en dehors de ma vie. Quand tes yeux se sont posés sur moi, jamais personne ne m'a regardé comme toi tu l'as fait. Avec autant d'ardeur et d'envie et en même temps de pudeur. Ça m'a beaucoup déstabilisé, parce que j'ai toujours été sûr de moi, avant toi... Tu as commencé à me parler, à me dévorer du regard, lorsque tu m'as dessiné dans ma chambre j'ai... J'ai cru que j'allais mourir de désir pour toi, que j'allais fondre avant même que tu ne puisses me toucher. Je me consumais à chaque regard. Et... Ça ne s'est jamais arrêté, ça n'a fait qu'amplifier. Mon envie de toi, mon envie pour toi. Ce n'était pas simplement charnel, je voulais plus que ton corps, je voulais... Tout. Ta main dans la mienne, provoquer ton rire et tes sourires, te regarder dormir puis émerger de ton sommeil, embrasser tes lèvres et ton visage et ton ventre. Je voulais tout de toi, Harry. Et tu me le donnais et j'étais... Je suis comblé.

Tout le long de sa déclaration, Harry retient son souffle et a la vive impression que son coeur cesse de battre. Les mots de Louis résonnent dans sa tête et il est prêt à fondre en larmes. Tout ce qu'il ressent, tout ce qu'il a pu déjà ressentir en sa présence, Louis le connaît aussi. Il l'expérimente et le subit de la même façon. Une puissante attirance, irrévocable. Ils ne peuvent ni la nier ni la contrer, et ils ne veulent pas non plus essayer d'y résister.

Suite à ces mots, Harry pourrait être heureux, soulagé et retrouver son sourire. Mais il n'a pas besoin de longtemps pour comprendre que Louis n'a pas terminé son récit, alors il l'écoute. Attentivement. Cependant, ses yeux semblent avoir retrouvé un éclat de vie.

– Mais voilà, ça ne pouvait pas être tout le temps beau... Gillian m'a demandé de mener une enquête sur toi, en utilisant mes charmes et mon corps. Bien sûr, mon coeur était déjà de la partie. Il voulait savoir tes... Tes projets, et tu m'as parlé du pont et du théâtre et... Je ne voulais pas l'entendre, je ne voulais pas que tu sois impliqué... J'ai essayé, pendant des jours, de lui dire que je ne savais rien. Alors, il m'a menacé d'aller te rendre visite par lui-même, il savait que je tenais à toi. Et je savais aussi qu'il pouvait te faire du mal, te faire vraiment souffrir. Je n'ai pas pu lutter, j'avais perdu la bataille. Je lui ai répété ce que tu m'avais dit sur le pont, je n'avais rien oublié parce que j'admire ton travail et ta dévotion à l'art. Mais Gillian voulait toujours en savoir plus, où ça se passerait, comment, il voulait des plans, des informations concrètes. Je n'avais pas tout ça. Il m'a demandé de fouiller, de venir chez toi et de chercher. J'ai refusé, il a menacé de te tuer... Te tuer pour pouvoir avoir la main libre sur tes affaires... Je t'ai défendu corps et âme, j'ai cherché des excuses pour t'épargner, ce que j'avais peur Harry... Peur de te perdre... Je lui ai dis que tu nous serais plus utile vivant comme tu connaissais tes croquis par coeur, que c'était le travail de ta vie. Il avait l'air convaincu, j'étais un peu soulagé, mais il voulait toujours ses informations...

Harry comprend que le pire reste encore à venir, que les révélations de Louis ne deviendront que plus cruelles encore. Et il a mal au coeur, la gorge serrée et l'envie de vomir. Gillian est derrière tout ça, depuis le début. L'évidence était sous ses yeux et Harry se sent impuissant. Plus atroce encore, il n'a rien pu faire, alors que le coupable se trouvait devant lui dès sa première rencontre avec Louis.

– C'est là que... Anchise entre en jeu. Gillian l'a attrapé un soir, il l'avait vu plusieurs fois à l'atelier, proche de Delio. Il lui a proposé de l'argent, beaucoup d'argent. Le gamin a accepté, évidemment, et il... Gillian ne se salit pas les mains, tu vois, c'est le cerveau. Les bras, les mains sales, c'est nous qui devons nous traîner dans la boue et dans le sang. Comme les choses n'allaient pas assez vite à son goût, il est passé à l'étape supérieure. Il a envoyé Anchise se charger de Luciano, ton plus proche ami, il lui a dit de lui soutirer des informations sur le pont et le théâtre et le tuer. Luciano évidemment ne se doutait de rien, le pauvre homme, il croyait parler à son apprenti. Pas à son futur meurtrier. Ainsi, aucun témoin et aucun risque pour lui de se faire attraper.

Le coeur d'Harry bat à tout rompre, la mort injuste de son ami semble avoir un goût encore plus amer. La soif d'argent et de succès de Gillian le conduit à commettre les actes les plus terribles, les plus sanglants. Dans la manière dont Louis dépeint son portrait, il apparaît comme un homme déterminé et prêt à tout pour assouvir ses besoins. Ôter la vie à un pauvre innocent relève d'un jeu d'enfant pour lui, plus encore car ce n'est pas à lui que revient la tâche de faire couler le sang. Il donne les ordres, organise les coups, récupère l'argent et la gloire. Tout cela, sur le dos de personnes vulnérables. Louis, Anchise... Et Dieu seul sait encore quels autres hommes ou femmes a-t-il pu soudoyer dans le but de parvenir à ses fins.

– Ensuite, les choses se sont encore accélérées et corsées. Le jour où on a été au théâtre, tu te souviens ? Je... Gillian m'avait demandé de te divertir et te garder avec moi le plus longtemps possible afin qu'il fouille ta maison. Luciano avait donné peu de détails, certes, mais pas assez convaincants aux yeux de Gillian. Il en voulait toujours plus, sa soif devenait encore plus grande. Il était persuadé de toucher le but, d'obtenir l'information qui lui permettrait de mettre son nom derrière le projet du pont et détenir tous les droits dessus. Ainsi, il pourrait s'attirer toutes les faveurs de l'empereur et obtenir les plus belles richesses. Donc... Ce jour là, j'ai tout fait pour te retenir. Pas parce que Gillian me l'avait demandé, pas parce que je voulais que ta maison soit retournée et qu'il mette les mains sur tes travaux, pas parce que je lui obéis, mais parce que.. Parce que je voulais que tu sois saint et sauf, je ne voulais pas qu'il t'arrive le moindre mal. Je savais qu'en te gardant à mes côtés toute la journée, tu ne serais pas chez toi et tu ne risquerais rien. Aucun danger. Bien sûr, je me sentais affreusement coupable, car il allait venir détruire ta maison pour trouver ce qu'il cherchait. Mais, je savais aussi qu'il n'avait aucune chance de tomber dessus... La première fois qu'on s'est vu, tu m'as dit que tes travaux étaient cachés dans un endroit secret, que toi seul connaissais. Alors, j'ai misé toutes mes chances sur ça.

Tiraillé entre la colère et la fierté, Harry hésite à lui sauter au cou pour le remercier ou lui asséner des coups de colère, de frustration. Tout ce temps, Louis savait, il connaissait les projets de Gillian et il a agis comme s'il n'était au courant de rien. Tout ce temps, il a fermé les yeux sur les plans machiavéliques et meurtriers de cet homme, pour protéger Harry. Alors que, s'il lui avait tout avoué plus tôt, ils auraient pu éviter la perte regrettable de Luciano et Ivan. Et toutes ces souffrances qu'ils se sont infligés mutuellement.

Les larmes perles aux coins des yeux d'Harry, il pense à ces moments qu'ils ont partagés... Ces caresses, ces baisers, ces plaisirs, ces rires, ces pleurs, ces gémissements. Ce jour là, à la rivière, au théâtre, chez Louis, Harry ne s'était jamais senti aussi euphorique, vivant et épanoui. Jamais personne ne lui a donné autant de bonheur, pour tout lui reprendre d'un coup. Maintenant, il ne lui reste que la tristesse pour pleurer et la colère pour hurler.

– Évidemment, Gillian a tout retourné, mais il n'a rien trouvé. Et je le savais qu'il reviendrait bredouille et de très mauvaise humeur. Il m'avait dit que, s'il ne trouvait rien, il devrait à nouveau recourir aux services d'Anchise. La prochaine victime était soit Delio, soit Ivan. Gillian m'a défendu de te revoir pendant un moment, avant qu'on ne passe cette journée ensemble, c'est pour ça que je t'ai inventé l'excuse du travail. Il ne voulait pas que j'attire les soupçons ou que je le dénonce, alors qu'il était si proche du but... Mais moi, je ne voulais pas, j'ai protesté, on a failli se battre. Mais, il m'a dit que si je ne lui obéissais pas, il irait te tuer de ses propres mains. Après t'avoir torturé jusqu'à ce que tu lui donnes tout ce qu'il veut. Je... Comprends moi, Harry.. Je ne pouvais pas le laisser t'avoir, non seulement parce que je tiens à toi, mais aussi parce que je sais à quel point tes projets sont importants à tes yeux. Alors, je me suis caché. Chez moi, la plupart du temps. J'ai beaucoup pleuré, quand il n'était pas là, j'ai écrit des chansons, sur toi, j'ai regardé ton dessin... Gillian n'est quasiment jamais à la maison, mais là c'était encore pire, il allait partout, sans moi... Sans rien me dire, et j'avais si peur qu'il s'en prenne à toi. Puis un jour...

Louis marque une pause pour reprendre sa respiration et ses idées, ses yeux brillent de larmes alors que celles d'Harry mouillent déjà ses joues. Ils sont aussi brisés et en colère l'un que l'autre, pour des raisons qui se rejoignent et se comprennent. Harry a du mal à entendre et sentir son coeur battre, c'est affolant à quel point Louis lui fait connaître toutes les émotions possibles en seulement quelques secondes.

Mais Louis n'est pas dans un meilleur état. Il est dévasté, honteux, pris d'un grand courroux, triste et loin d'être fier de lui. Même s'il a fait tout cela pour protéger son amant, celui pour qui son coeur ne cesse de s'affoler, celui pour qu'il serait prêt à remuer le monde entier. Louis sait que son mensonge et sa trahison, aussi minime soient-elles, ont profondément blessé le jeune peintre.

– Un jour donc, Gillian est revenu à la maison avec un grand sourire. Il était heureux, excité. J'ai su dès le moment où je l'ai vu que les choses allaient mal tourner. Il m'a raconté qu'Anchise avait entendu une conversation entre Ivan et toi dans l'atelier... À propos du pont, comme quoi vous aviez trouver un moyen d'achever entièrement la construction. Que ce serez pour bientôt. Gillian est passé à l'action, sans même m'en parler, il a envoyé Anchise soutirer ces précieuses informations à Ivan et le tuer ensuite. J'en avais mal au coeur et envie de vomir, je savais ce que ça voulait dire... Non seulement tu serais brisé de perdre un de tes amis, mais Gillian aurait sans aucun doute son heure de gloire et tes projets entre ses sales mains. Mais je ne pouvais rien faire... Si je tentais quoi que ce soit pour empêcher la mort d'Ivan ou entraver ses plans, il irait s'en prendre à toi ensuite. Je sais que ta vie ne tenait qu'à un fil... Celui auquel je m'efforçais de m'accrocher. Je t'ai menti, je t'ai dis que j'étais ailleurs pour que tu ne cherches à me trouver, pour que tu t'éloignes du danger. Mais je t'ai écrit cette lettre pour que tu saches que je pense à toi et... Je savais déjà que j'allais te parler de tout ça, maintenant. Je ne pouvais plus te le cacher... Je voulais te voir au plus vite, avant que tout ne tourne mal... J'allais... J'allais te proposer, aujourd'hui, de t'enfuir avec moi...

Envahit par le regret et la honte, Louis baisse les yeux vers l'herbe et la rivière dont l'eau brille sous les rayons perçants du soleil. Mais toute cette lumière lui donne mal à la tête, aujourd'hui il ne parvient pas à sourire. Il ne peut plus porter ce masque de fausse bonne humeur, cette façade qu'il essayait en vain de garder face à Harry. Aujourd'hui, il est un tout autre homme. Plus sombre et humain, dans toute sa faiblesse et sa vulnérabilité. L'être entier dévoré par les remords et la tristesse. Au moins, il a la certitude de savoir que ses sentiments ne sont pas feints.

Harry aussi le sent. Il sent toute sa culpabilité, toute son angoisse et sa passion. Dans le choix de ses mots, l'intonation et le tremblement de sa voix, les sanglots qu'il retient péniblement et les regards vitreux qui lui demandent silencieusement le pardon.

– Quand Gillian m'a laissé seul dans la maison, pour aller rencontrer un de ses clients, je n'ai pas hésité une seconde. J'ai couru jusqu'à chez Ivan, apeuré. J'avais l'espoir d'arriver à temps et d'empêcher le pire. Me sentir moins coupable, je suppose. Mais quand je suis rentré, j'ai vu Ivan étendu, mort, dans son lit... La même mort atroce que Luciano. Puis j'ai entendu des cris, au loin, j'ai frissonné quand j'ai cru reconnaître ta voix. Alors, je l'ai suivi, encore plus effrayé qu'il ne te soit arrivé quelque chose. Tu devines la suite... Je vous ai vu, Anchise et toi, tu étais sur le point de le tuer et... Je sais que, malgré toute ta colère, malgré son insolence et ses erreurs, sa mort t'aurait pesé sur la conscience. C'était encore un adolescent, poussé par la promesse de l'argent. Je ne pouvais pas risquer non plus que tu te fasses attraper. Pour ne pas qu'il ait la chance de s'enfuir, j'ai feint d'être de son côté. Je l'ai tué pour que tu n'ai pas à porter ce fardeau... Tu n'avais pas à être impliqué dans cette histoire, Harry... Je n'ai jamais voulu que tu le sois, que tu traverses tout ça... Et je voulais que ça cesse, c'était le seul moyen...

À cet instant, alors que des perles salées dévalent sur les joues de Louis, Harry se rend compte de toute sa vulnérabilité. Louis n'a jamais été un quelconque demi-dieu ou une entité au dessus des autres, il est humain. Il a tout porté sur son dos, pour qu'Harry n'ait pas à souffrir davantage. Et le jeune peintre reconnaît en lui une grande bravoure et un coeur en or.

– Je me suis débarrassé de son corps et couteau, je les ai brûlé tous les deux et j'ai jeté les cendres à l'eau. J'ai ensuite couru jusqu'à la maison... J'avais une dernière chose à faire. Gillian gardait toutes les notes écrites sur ce pont, sur toi, Luciano et tes autres amis et les rapports d'Anchise dans un carnet, à son bureau. Je l'ai pris et je me suis rendu aux autorités. Je n'avais pas le choix, ni le temps de réfléchir à autre chose. Je leur tout expliqué, les meurtres, les projets et les plans de Gillian. Les preuves étaient assez claires et évidentes. J'étais anxieux, j'ai passé un moment là-bas et j'ai eu peur que Gillian me retrouve ou te trouve en découvrant la disparition d'Anchise. Mais les autorités ont rapidement agis après avoir analysé les preuves que je leur avais fournies. Ils m'ont remercié pour ma coopération et ils m'ont demandé de leur dire où se trouvait Gillian. Je leur ai indiqué la taverne, il est tout le temps là-bas, et ils sont allés l'arrêter directement. J'ai assisté à tout ça, soulagé mais tout de même honteux d'avoir été un complice indirect. Vu que c'était un complot contre toi, contre tes projets pour l'empereur, Gillian représentait une menace. Pour la population et le pouvoir. Il sera retenu prisonnier jusqu'à son procès, dans quelques jours, et l'empereur décidera de sa sentence. L'exil, l'enfermement à vie ou l'exécution.

Le souffle qu'Harry a retenu tout ce temps s'échappe dans une respiration tremblante d'émotions. Gillian ne pourra plus leur nuire... Mieux que cela, il sera jugé sévèrement pour ses actes cruels. Harry sent un poids s'enlever de ses épaules, l'histoire s'éclaircit et il ne peut que ressentir un grand soulagement. Ses amis sont morts, en vain, mais ils auront le droit à leur revanche. Que la justice soit faite équitablement. Harry y veillera, pour eux. Maintenant, ils ne courent plus aucun danger, lui, les autres artistes ou Louis.

Les larmes ont cessé de couler sur ses joues, mais il ne peut réprimer son pinceau au coeur quant à celles qui quittent les yeux tristes et fades de Louis.

Ils restent de longues secondes sans rien dire, le chanteur fixe l'eau de la rivière, la poitrine douloureuse, et Harry a son regard posé sur ses traits tordus par la culpabilité.

Mais avant de prendre une quelconque décision, Harry a besoin de preuves. Les mots de Louis ont beau sembler véritables, il doit les confirmer. En être certain. Pour peut-être lui accorder à nouveau sa confiance.

Alors, sa voix résonne enfin au milieu de ce paysage idyllique, triste aujourd'hui. D'une voix douce, mais décidé, il demande :

– Emmène-moi le voir.  

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