Chapitre 1 - Réveil rectangulaire

- Déjà ?!

Azur grommela, réveillé par le "bip-bip" incessant de son réveil. Il était encore empêtré dans ses draps et il lui fallu une bonne minute pour réussir à sortir de son lit afin de donner un coup sur le haut de l'objet qui perturbait son sommeil alors qu'il dormait si bien avant d'être ramené à la réalité. Le bruit s'arrêta et Azur jeta un coup d'oeil rapide à son lit dont les draps reposaient en boule. Il haussa les épaules et mit ses écouteurs afin d'essayer de couvrir les cris exaspérés de sa mère qui lui rappelaient qu'il était en retard.

- J'arrive, soupira-t-il, déjà énervé par cette agression auditive dès le matin.

Il regarda rapidement la date et l'heure affichés sur le réveil. Il est 8h32, c'est bon, j'suis pas en retard. Il tira sans ménagement une chemise blanche de son armoire, puis répéta ce geste avec un pantalon noir et une cravate rouge qu'il noua patiemment autour de son col après avoir enfilé le reste de son uniforme.

1er octobre 2028, sûrement un jour comme les autres. Un jour de grisaille sur Toulon comme sur le cœur d'Azur. Tout s'était terni depuis ce jour de 2027 où la France avait hurlé devant les résultats des élections présidentielles. Tout s'était terni, que ce soit le moral d'Azur ou le visage des gens dans sa classe, qui avaient bizarrement blanchi - d'horreur, peut-être, ou bien d'autre chose, qui sait ? - depuis que le Rassemblement National avait gagné le cœur de la majorité des Français.

Azur et la plupart de sa famille s'étaient insurgés devant ces résultats (une majorité non négligeable, pour ne pas dire écrasante, 65% des voix favorables à l'homophobie, la transphobie et le racisme) mais le mal était fait, et la rentrée suivante, sous le prétexte de lutter contre le harcèlement, les uniformes scolaires étaient entrés en scène. Et preuve que la France avait définitivement fait le mauvais choix, les cas de racisme et de harcèlement avait grimpé en flèche : renvoyer les étrangers dans leurs pays respectifs ne faisaient qu'augmenter la discrimination envers ceux qui restaient. Éliminer un soi-disant problème pour en amener un autre.

Azur attrapa une des dernières choses noires qui restaient en France après le pantalon de son uniforme et les touches de son PC : ses gants conçus spécialement pour le dessin, bien qu'il n'ait jamais compris l'utilité d'avoir un gant qui ne couvre que l'auriculaire et l'annulaire alors que c'étaient les deux doigts les moins utiles : le pouce était opposable et beaucoup trop pratique pour les humains, l'index pouvait s'allier formidablement bien avec le pouce et taper sur un clavier et le majeur constituait une arme exceptionnelle : le doigt d'honneur.

Le jeune homme fixa ensuite son sac de cours en se demandant s'il n'avait rien oublié, car son sac de cours lui semblait vide pour un sac de seconde, alors qu'on lui avait rabâché pendant toute sa troisième qu'il n'allait pas falloir qu'il se relâche dans son apprentissage des cours après le brevet car le lycée allait être une autre paire de manches.

Finalement, Azur quitta des yeux le ciel d'un gris monotone et déprimant pour descendre rapidement les escaliers, prit une tartine de pain préalablement grillé par sa mère et la tartina de beurre, jugeant que cela suffirait à lui faire tenir la matinée. Il claqua ensuite la porte de chez lui en sortant, irrité par l'habituel rappel de sa mère de bien fermer la porte afin de protéger leur maison du "voisinage de plus en plus louche dernièrement" - la population semblait réellement contaminée par le racisme et la paranoïa transmise par le Rassemblant National -. Sa trottinette électrique heurta un mur de la cage d'escalier, s'attirant un regard furieux de la vieille dame du premier étage. Enfin, ce n'était pas sa faute si le local vélos et trottinettes avait été inondé la semaine précédente, en même temps que l'ascenseur...

Pour ajouter la cerise pourrie sur le gâteau de cette journée qui commençait trop mal, la pluie commençait à tomber et Azur était pris dans les bouchons. En essayant de zigzaguer entre les voitures afin de gagner du temps, il ne s'attira des insultes de la part des conducteurs.

À 9h, déjà épuisé alors qu'il s'était levé il y a à peine trois quarts d'heures, Azur cadenassa sa trottinette "afin de la protéger de tes camarades indiscrets" d'après sa mère et partit retrouver son ami Pika, alors avachi nonchalamment dans un des fauteuils du foyer lycéen. Celui-ci se redressa à la vue du jeune lycéen et esquissa un sourire en se rappelant qu'ils avaient une tête de différence de taille. Pika était lui en première, et si un inconnu était passé par là, il n'aurait pas compris que ces deux-là étaient amis : le grand type musclé et l'adolescent banal et épuisé n'avaient alors rien en commun, si ce n'est une très grande amitié nouée depuis on ne savait quand, mais on aurait pu dire des siècles en voyant leur complicité. Pika était en quelques sorte le grand frère qu'Azur n'avait pas eu : c'était le plus réfléchi et patient de la bande, mais n'aurait jamais hésité à faire perdre quelques dents à quiconque aurait essayé de faire du mal à ses amis.

- T'es en retard, Azur, soupira-t-il. Ça fait une heure que je t'attends, je pense que j'aurai préféré aller en maths que devoir fixer l'horloge alors que personne n'est là pour que je puisse le réprimander.

- Pas ma faute, y a eu des embouteillages sur la route, grommela l'intéressé, et personne n'a voulu laisser passer un pauvre lycéen pressé.

- Mon pauvre, t'es tellement à plaindre. Crois-moi, je pourrais lancer une pétition pour t'aider dans ta vie pourrie, je pense qu'elle récolterait... trois signatures, sans compter Kya et moi.

Azur sourit à la plaisanterie de son ami, puis se retourna vers la porte à l'évocation de la troisième membre de leur trio.

- En parlant d'elle, elle est toujours pas arrivée ?

- Penses-tu ! Le jour où Kya arrivera à l'heure, crois-moi que toutes les guerres dans le monde s'arrêteront afin de célébrer cet évènement exceptionnel, sourit Pika.

Afin de couronner les paroles de ce dernier, un grand fracas se fit entendre, venant de l'entrée du foyer. Une jeune fille venait d'entrer, ses cheveux auburn en bataille, et son visage fermé et la cicatrice sur sa joue contrastaient avec la jupe et la chemise réglementaire dans l'uniforme. Elle s'affala sur un fauteuil à côté d'Azur et Pika et lança un "hello" monocorde sous les paires d'yeux surpris et inquiets qui s'étaient fixés sur la lycéenne à son entrée dans le foyer. Si Azur était le ciel bleu parfois troublé par les nuages - d'où il tenait son nom -, Pika le rayon de soleil qui réchauffait les moments les plus tristes, Kyattosuta était l'éclair précédé par le tonnerre (et sa réputation).

- Ah, bah justement, on parlait de toi ! s'exclama Pika. Salut, Kya !

Les yeux verts de l'intéressée se posèrent sur son aîné et elle esquissa un léger sourire, chose très rare chez l'adolescente. Azur se fit la réflexion que même sous l'uniforme d'hiver, les muscles de Pika et de Kya étaient encore visibles, faisant ressortir son corps de brindille.

- Les gars, j'ai la flemme de rester chez les imbéciles qui m'hébergent, venez on sort ce week-end, lança-t-elle.

- Moi, ça me va, mais... tu me promets qu'on se fera pas virer et black-lister au bout d'une heure parce que quelqu'un t'a bousculé, comme la dernière fois ? demanda Pika, mi-sarcastique, mi-inquiet.

- Ok, ok, grommela Kyattosuta. Désolée pour la dernière fois... Même si ce type l'avait vraiment mérité.

Azur acquiesça à son tour en hochant la tête, et finit par se lever afin de partir en cours. Kya pestait encore contre son uniforme, jugeant que cette horreur devait finir au bûcher et Pika lui répondit que ça lui donnait un petit air mignon, ce à quoi elle répondit, irritée, qu'elle n'était pas mignonne.

- M'attends pas, Azur, je sèche les maths, j'ai la flemme. Je vais rester bouder Pika qui m'a dit que j'étais mignonne.

Azur sourit, amusé par ses deux amis qui se ressemblaient sur le plan physique mais complètement différents au niveau psychologique. Kya tenait son comportement agressif de la séparation avec ses parents et sa famille dès l'enfance. Elle n'avait jamais voulu en dire plus, car elle refusait de parler de quoique ce soit s'étant passé avant ses sept ans, et disait que "c'était du passé". Pika, lui, avait développé son indépendance du fait que ses parents étaient peu présents chez lui de part leurs emplois à l'armée.

Azur était assis seul à sa place, le cours était beaucoup plus calme que d'habitude, Kya manquant à l'appel, son absence éliminant une tension pesante dans la classe du lycéen. Il baissa les yeux et soupira en voyant les dessins dans son cahier, et refusant de les effacer, il tourna la page et commença à contre-cœur les exercices donnés par sa professeure.

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