Chapitre 2 : Retour déchirant
Une heure après le réveil, le camp fut démonté et porté par ses nombreux membres. Ils avaient opté pour un modèle de tente repliable qui permettaient à cinq hommes de se partager ses différents composants dans leurs paquetages pour les transporter plus facilement. Ils n'avaient pas eu le luxe d'acheter des chariots à leur arrivée à Griganar plusieurs jours plus tôt, en partie parce qu'ils devaient éviter les villes pour rester discrets, mais aussi parce qu'ils auraient dû les abandonner une fois arrivés à la prochaine étape de leur voyage.
La troupe se remit en route, effectuant une marche forcée qui dura plus d'une demi-journée, arrachant un nouveau concerts de râles de la part de Farca qui détestait les voyages à pied. Plus d'une fois, la naine avait supplié pour que l'on fasse un détour dans un village, mais le refus de son chef était catégorique. Il ne craignait pas les forces de l'ordre du pays, mais il redoutait que leur équipe soit repéré par des membres de l'Ordre de la Première Vérité qui devait encore souhaiter de voir leurs têtes rouler. Adam décida au bout d'un moment de hisser l'alchimiste sur son épaule gauche pour lui épargner la suite de la marche.
Après des heures de voyage, le groupe se rapprochant progressivement d'une chaîne de montagnes, les yeux de Bélial pétillèrent alors que la démone pressa le pas, forçant les autres à accélérer à son tour pour ne pas la perdre. Une vague de souvenirs flottaient dans l'esprit de la barbare alors qu'elle foulait une herbe qu'elle connaissait depuis son enfance. Combien de fois l'avait-elle foulée quand son clan partait en pillage ? À quand remontait la dernière fois qu'elle avait admiré les pics parmi lesquels se cachait son village ?
Quand Bélial l'avait quitté des mois auparavant, elle s'était presque résolue à ne jamais y retourner, les souvenirs qu'elle en gardait étant aussi précieux que douloureux à se remémorer. La jeune femme ne pouvait pas oublier le bonheur dans lequel elle avait grandis, ce qui ne faisait qu'accentuer la souffrance de ce qu'elle avait perdu.
La barbare ne s'arrêta de courir qu'une fois quelle arriva au pied de la montagne, fixant intensément un sentier qui serpentait à travers la roche, disparaissant de sa vue dans la falaise qui s'élevait vers le ciel.
Sieg la rejoignit, suivant son regard. Il avait remarqué le début du sentier quand il fut à quelques mètres de lui, mais le bretteur le perdait vite de vue dès qu'il se faufilait trop haut pour ses yeux. Maintenant qu'il apercevait de ses propres yeux le seul chemin menant à l'ancienne maison de sa partenaire, il comprenait comment des démons avaient pu vivre caché pendant des millénaires. Sans savoir ce que l'on cherchait et où, le chemin qui menait au village était impossible à distinguer de loin. Cependant, contrairement à la démone qui s'était perdue dans ses souvenirs, faisant abstraction de tout le reste, l'écarlate avait remarqué un détail qui l'inquiéta.
L'épéiste tira la manche de la barbare, l'arrachant à ses songes, pour lui désigner les chariots sommairement dissimulés sous des bâches belges contre la falaise, servant à masque leur présence de loin, mais inutiles de si près. Bélial fronça les sourcils avant de balayer la plaine derrière elle du regard. De loin, elle put voir près d'un bosquet un petit troupeau de chevaux qui broutaient en les fixant avec une méfiance instinctive.
– Je suis sûr que si on les approchait, on verrait qu'ils ont un harnachement magique qui les empêchent de trop s'éloigner, commenta Sieg en remarquant à son tour les animaux. Quelqu'un est ici et ne veux pas qu'on les remarque...
– Tu penses que c'est Saga ? demanda Lorelya en rejoignant le duo, sa vue perçante elfique cherchant la moindre présence d'un autre groupe dans la montagne.
– Il a été à Sombresang, alors s'il a vu le portail à ce moment là, il est possible qu'il cherche à... Non, en fait, je ne pense pas... Il voyage plus par téléportation que par charrette, et il équipe ses équipes avec des objets magiques. Même si ses hommes devaient voyager en chariot, ils auraient au moins de quoi les dissimuler magiquement.
– Donc rien ne garantit que nous allons trouver là-haut notre psychopathe préféré... résuma Farca alors qu'Adam arrivait à son tour, talonné par le reste de l'expédition. Par contre, ça ne nous aide pas à comprendre qui est dans les parages...
Sieg plissa les yeux avant de se pencher vers la verdoyante.
– Si tes yeux ne voient rien tu crois que tu peux...
– J'hésite à m'y risquer, le coupa Lorelya. Je ne sens pas la moindre végétation là-haut, alors il faudrait que j'en fasse pousser, ce qui pourrait être suspect.
– Seulement si tu les fais apparaître en plein village, précisa le bretteur. Par contre, vu qu'on a surtout besoin d'une vague idée de ce qui se passe, une vision de loin devrait suffire.
L'elfe dévisagea l'écarlate avant de hocher la tête et se concentrer. Elle imagina des fleurs pousser sur les parois rocheuses, la nature répondant à ses désirs et faisant émerger des plantes le long de la falaise vers le village. Lorelya, percevant ce qui se trouvait autour de ces fleurs, fut vite en vue du village et invita ses plantes à pousser en cercle autour de ce dernier.
Elle se représenta aisément la vaste place scindée en deux par un large escalier taillé à même la roche. Des débris de roche étaient éparpillés de partout, illustrant sans mal le carnage qui avait dévasté l'endroit quelques mois plus tôt. De nombreuses ouvertures dans les murs servaient d'entrées pour les différentes demeures du peuple qui avait jadis vécu ici. En se concentrant, la verdoyante perçut des mouvements, des individus qui déambulaient dans le village. Elle se risqua à faire pousser des fleurs dans des endroits sombres pour mieux analyser leurs actions.
Ils étaient humains et elfiques, et même si des armes étaient visibles, ils ne semblaient pas aguerris, les gardant à portée uniquement par sécurité. Ils semblaient étudier le village en prenant des notes, certains d'entre eux essayant de déblayer une entrée effondrée. Beaucoup d'entre eux scrutaient avec intérêt une immense porte ouverte qui dominait le village et donnait sur un escalier descendant dans la montagne.
– J'ai l'impression que ce sont des chercheurs, résuma Lorelya. Ils sont armés, mais si nous ne nous montrons pas menaçants, je ne pense pas qu'ils voudront se battre. Et je vous laisse deviner quelle porte a toute leur attention...
– Le contraire m'aurait étonné... marmonna Sieg. Vu comment Bélial m'a décris son village, une porte finement taillée doit détonner dans un hameau de barbares...
– Et... Tu vois les... Enfin, mon clan...
Devinant où voulait en venir la démone, Lorelya se concentra et décela quelque chose qui allait faire enrager son amie.
– Alors oui... Ils les... ont bougés....
Tout le monde s'écarta de Bélial quand celle-ci inspira bruyamment en serrant les poings, refoulant un cri de rage. Sieg n'essaya pas de la retenir quand elle se mit à courir en direction de son village telle une furie. Le groupe se précipita après elle, les soldats présents ne s'étant jamais doutés que leur mission impliquerait autant de courses quand ils l'avaient acceptée.
Après une foulée de quinze minutes, Bélial passa l'entrée de son village encadrée par deux tours en pierre dévastées, des bribes d'une porte en bois jonchant encore l'endroit. Les personnes présentes tournèrent leur attention vers le son d'une charge sauvage et écarquillèrent les yeux en voyant une démone en armure de combat leur foncer dessus avec un regard noir. Dans son équipement hérité d'un antique guerrier démoniaque et son casque qui renforçait son air agressif, personne ne s'imaginait qu'elle venait leur chanter une poésie.
– Hé ! Faut pas vous gêner surtout ! C'est pas comme si vous étiez chez quelqu'un !
Les chercheurs reculèrent, trop effrayés pour penser à prendre leurs armes pour se protéger. Bélial fut à trois mètres d'eux quand elle entendit un cri strident.
– Une démone ! Une vraie de vraie ! Vivante ! J'en avais toujours rêvé !
Déstabilisée, Bélial se tourna vers la droite et vit une expression jubilatoire entrer son champ de vision. La barbare recula, mais l'elfe blonde qui la dévisageait de trop près persista à vouloir l'approcher, se tenant sur la pointe des pieds pour s'approcher du visage de la démone. L'elfe portait de petites lunettes surplombant un petit nez retroussé, derrière lesquelles deux yeux turquoises étudiaient avec fascination la guerrière qui perdait ses moyens. Dans une robe sobre recouverte d'un tablier, la chercheuse sautillait presque sur place tellement elle était ravie.
– Vous devriez garder vos distances, Professeur Udia ! paniqua quelqu'un. Elle pourrait être...
– Comment pourrais-je garder mes distances alors que j'ai sous les yeux ce que je cherche depuis des années ! s'égosilla Udia en tournant autour de Bélial qui commençait à en avoir le tournis. Je savais que les démons vivaient encore dans le monde de la lumière, et en voici une preuve vivante ! Je suis...
Les derniers mots de la blonde raviva la rage de la démone qui parvint à l'attraper par les épaules et la clouer sur place pour lui adresser un regard assassin.
– Justement, faut qu'on parle ! Vous avez fait quoi avec le reste de mon clan ?
La chercheuse cligna des yeux, non pas de peur dont elle semblait dépourvue malgré la scène horrifiante qui se dessinait sous ses yeux mais par perplexité.
– Et bien, nous les avons traités avec respect, mais nous ne pouvions décemment pas les laisser en plein milieu du village... Ils sont là-bas...
Bélial lâcha l'elfe et détala dans la direction indiquée. Sieg arriva ça l'entrée du village pour voir sa partenaire courir vers un bord du village et s'empressa de la rejoindre. Quand il l'atteignit enfin, elle demeurait immobile au bord d'une petite falaise donnant sur un second plateau plus bas. L'écarlate s'approcha pour voir ce qui se trouvait plus bas et compris l'étrange silence de la jeune femme. Une centaine de tombes ornés de planches s'étendaient sur des dizaines de mètres.
– Ils ont osé... grinça finalement la barbare avec colère. Ils ont putain d'osé...
– Houla, je ne sais pas ce que vous vous imaginez, mais nous n'avons rien fait du tout ! intervint Udia en s'approchant. Nous n'avons tué personne, tout le monde était déjà mort. Nous avons pu déduire que c'était le résultat d'une bataille, avec les corps non démoniaques présents et leurs blessures, mais nous n'en...
Bélial se retourna soudainement et attrapa l'oreille de l'elfe entre deux de ses doigts pour la soulever avec. La chercheuse lâcha un cri de douleur et gesticula.
– Ouais, je sais comment ils sont morts, j'étais là ! Et ils se sont tous bien battus ! Par contre, toi et tes potes aviez pas le droit de les bouger ! Quand un gars de mon clan meurt au combat, il peut pas être en paix si son corps reste pas là où il est mort ! Tu comprends la connerie que vous avez fait ?
Udia dévisagea Bélial avec stupeur avant de baisser les yeux.
– Je suis vraiment désolée... Nous ignorions cette coutume... Si nous avions su... Si nous sommes ici, ce n'est pas pour détruire votre culture où vous menacer, mais pour vous comprendre... J'étais vraiment attristée de trouver tout le monde mort, quand je suis arrivée il y a deux semaines...
La barbare se détendit, voyant que la chercheuse regrettait sincèrement son erreur. Elle la reposa doucement et se retourna vers la rangée de tombes.
– Y avait une femme au fond de la salle spéciale. Tu dois bien voir de quoi je parle, il n'y en a pas deux comme elle.
Malgré la description particulièrement vague, Udia identifia instantanément l'endroit et désigna un côté du cimetière.
– Sixième rangée, la troisième à partir de la gauche. Je m'en souviens bien, c'était la seule qui était autant isolée des autres.
Bélila bondit de la falaise, atterrissant lourdement cinq mètres plus bas avant de se ruer vers la tombe désignée. Elle fixa les mots gravés sur la planche qui la hornée.
Victime démoniaque féminine, bras manquant, dos en charpie. Trouvée dans le sanctuaire bordé de lave.
Bélial tomba à genoux, des larmes lui montant aux yeux et resta prostrée sur la tombe en hurlant toute sa peine.
– C'était... hésita Udia en se tournant vers Sieg. C'est quelqu'un qu'elle connaît ?
– Oui.. souffla l'écarlate en baissant la tête. Sa mère... Elle s'est sacrifiée pour la protéger...
– C'est affreux... Mais... Que s'est-il passé ici ?
Le bretteur inspira, son regard ne pouvant se détacher de la jeune femme en train de pleurer plus bas.
– Vous voyez la porte qui n'a pas l'air à sa place ici ? Elle était scellée, cachant un terrible secret. Un mage très puissant voulait récupérer ce qui se trouvait derrière et a massacré tout le monde. À part le démon qui a trahi les siens en échange de pouvoirs, Bélial est la dernière survivante.
– La pauvre... Mais... Que pouvait bien se cacher derrière cette porte ? Nous avons étudié la pièce en bas des marches, mais nous n'avons trouvé aucun indice...
Sieg adressa un regard lourd à l'elfe qui frissonna sous son intensité.
– Le dieu Déchu de la colère y était scellé... Et si nous ne faisons rien, lui et les six autres seront réunis, condamnant le monde à plonger dans une nouvelle ère de chaos.
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