Où le pieu vient à elle ✓
Elle le désigne d'un mouvement du menton. Habillé d'un pantalon de sport noir et d'un sweat à capuche gris, son visage est caché aussi bien par cette dernière que par la casquette enfoncée bas sur son front.
— Ce type agit bizarrement. C'est la cinquième fois qu'il passe en deux heures. Il n'entre ni ne sort jamais d'aucune maison, mais fait le tour des parkings et des cours arrières de tous les bâtiments. Je vais l'intercepter et lui demander à quoi il joue.
Elle a déjà la main sur la poignée de la portière quand Elijah la retient.
— Attends. Regarde.
En se penchant un peu, Shiloh voit la porte de l'immeuble d'Aaron se refermer et, quelques mètres plus loin, l'adolescent s'éloigner. Aussitôt, l'homme se met à marcher d'un pas rapide dans la même direction.
— C'est plus seulement bizarre, là. C'est suspect.
Shiloh sort du véhicule et claque la porte derrière elle. Sans se presser et en faisant mine d'observer l'immeuble vers lequel elle marche, elle traverse la rue. Bientôt rejointe par Elijah, elle lui prend le bras et se met à marcher dans la même direction que l'homme et l'adolescent. Quand elle voit le suspect faire mine de se retourner, elle détache ses cheveux d'un rapide mouvement et tourne vivement la tête vers Elijah en riant trop fort. Espérant que la cascade de cheveux bruns dissimulera ses traits et que ses rires donneront à l'homme l'impression qu'ils ne sont pas en train de le suivre. Car, ignorant l'identité de l'homme, elle craint d'avoir déjà eu affaire à lui et qu'il la reconnaisse s'il voit son visage.
Lui tournant toujours le dos, elle s'esclaffe en se rapprochant du chanteur et lui glisse :
— Il nous regarde toujours ?
Elijah, qui ne l'a pas quittée des yeux depuis le début de sa diversion, comprend enfin où elle veut en venir. Il pose alors sa main gauche sur l'épaule de la policière et rit à son tour, en profitant pour jeter un œil en direction de l'homme louche.
— Non. Par contre, il a accéléré, on l'aura bientôt perdu de vue.
Sans plus perdre une minute, Shiloh se dégage de l'emprise d'Elijah et se remet en route. L'homme a effectivement pressé le pas, il court presque à présent, et Aaron a quant à lui déjà disparu dans l'une des rues perpendiculaires.
Elle accélère, sent une main se glisser dans la sienne. À sa droite, le chanteur articule silencieusement « notre couverture » et elle trébuche, s'emmêlant les pieds dans ses propres jambes, sans l'aide de personne. Elle parvient à rétablir son équilibre avant de s'étaler lamentablement sur le trottoir, mais alors que ses joues s'empourprent sans qu'elle ne puisse les contrôler, elle aperçoit l'homme tourner dans une ruelle et disparaître.
Repensant à Aaron et à la menace qui plane sur lui, elle se débarrasse de la main chaude d'Elijah et se met à courir.
Quand elle tourne à son tour au croisement, elle a la désagréable surprise de découvrir que la ruelle se divise en deux au bout de 10 mètres. Et bien sûr, aucun signe ni d'Aaron ni de l'homme dans l'une ni dans l'autre.
— Tu prends à droite, moi à gauche, ordonne-t-elle à Elijah quand celui-ci l'a rejoint seulement quelques secondes plus tard. On s'appelle si on les retrouve.
Et elle repart en courant.
Au bout de plusieurs minutes de course effrénée, Shiloh se retrouve sur une petite place où aboutissent cinq ruelles identiques à celles qu'elle vient de quitter ainsi que trois allées menant à des garages d'immeubles. Il lui a semblé voir du mouvement dans l'une d'elles, mais elle ne le jurerait pas. Un bruit de course sur sa droite l'a fait se retourner, c'est Elijah qui arrive, essoufflé. Moins sportif qu'elle, il s'arrête pour respirer, se plie en deux et pose les mains sur ses genoux. Il redresse quand même la tête dans sa direction et la secoue pour signifier qu'il n'a rien vu de son côté.
À peine essoufflée, la policière glisse un regard vers l'allée où il lui a semblé voir un mouvement. Elle va annoncer à son coéquipier de fortune qu'elle va aller y faire un tour pour s'assurer qu'il ne s'agit pas de leur homme, quand un cri résonne sur la petite place.
Shiloh réagit aussi vite que si quelqu'un venait de la piquer avec la pointe affûtée d'un couteau et se précipite vers l'origine du son. L'allée de garage.
En quelques secondes, elle a dévalé la légère pente, escaladé la grille et se retrouve dans une salle bétonnée de vingt mètres de long sur dix de large où sont garées six voitures et trois vélos. Au fond de celle-ci, une silhouette gît par terre devant une porte menant aux escaliers. Une autre, plus large et imposante, la surplombe, un bâton à la main.
Shiloh fait partie de cette large majorité de flics britanniques à avoir choisi de ne pas être armés, et pour la première fois de sa vie, elle le regrette. Dans son dos, elle entend Elijah escalader la grille alors qu'elle s'élance à mains nues vers les deux individus.
— Police ! Écartez-vous immédiatement.
L'homme se retourne vers elle et hésite à peine. Le parking n'est pas grand et elle est presque sur lui. Il lui lance son bâton qui la touche à l'estomac avec une violence telle qu'elle se plie en deux de douleur sous l'impact. Il se retourne alors et s'enfuit en passant par un portail laissé entrouvert et donnant sur un jardinet entouré d'une muraille de deux mètres cinquante qu'il a tôt fait s'escalader.
Alors qu'elle se remet debout, Shiloh voit Elijah passer à côté d'elle en courant. Il poursuit l'homme dans le jardin, mais se retrouve bloqué par le mur trop haut pour ses faibles compétences athlétiques.
Quand il revient dans le parking, il trouve la policière agenouillée auprès d'Aaron. Celui-ci a pris un coup sur la tête, mais il la repousse déjà alors qu'il reprend ses esprits.
— C'est quoi ce délire ? C'est qui ce taré ? marmonne-t-il en glissant jusqu'au mur.
Il veut se remettre debout, mais un vertige violent lui fait revoir ses plans et il se contente de s'adosser au mur en se tâtant l'arrière du crâne, là où il a reçu le coup.
— J'espérais que tu pourrais me le dire. Tu ne l'as pas reconnu ?
— J'ai même pas vu son visage.
— J'appelle une ambulance, annonce la policière.
— Non ! Je vais très bien, regardez.
Aaron s'est relevé et insiste pour que chacun reparte vivre sa vie de son côté sans se préoccuper des autres. Dérangé par l'insistance de Shiloh qui refuse de le laisser seul, il demande, suspicieux :
— Comment ça se fait que vous soyez arrivés pile au bon moment, vous deux ?
— On se promenait dans le quartier quand on a entendu un cri, ment Shiloh sans le quitter des yeux.
— J'ai beaucoup de mal à vous croire, grince l'adolescent.
— Faudra t'en contenter.
— On va dire ça, maugrée-t-il. Vous pouvez me laisser partir, maintenant ?
— J'aimerais te poser quelques questions avant.
— Et moi j'en ai pas envie, se braque-t-il.
— Aaron, tu es mineur. Je peux légalement te forcer à m'accompagner au poste, et de là, on attendra que ton père vienne te chercher. Ou alors, tu coopères et on discute entre gens civilisés.
Dans les yeux du garçon, Shiloh lit tout le mépris qu'il a pour elle et ses menaces, mais quand ses épaules se voûtent et que son regard se fait fuyant, elle sait qu'elle a gagné.
Quelques minutes plus tard, quand il leur a prouvé qu'il se sentait parfaitement bien et que le coup n'avait pas endommagé son cerveau d'adolescent rebelle, Aaron reprend, de mauvaise grâce, le chemin de son appartement et y fait entrer ses deux sauveurs indésirables.
En cours de route, Shiloh capte quelques mots de l'appel rapide qu'il passe en toute hâte.
« Désolé... imprévu... appelle demain... rien de grave ».
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