Lorsque les humains furent repartis, Kéra avait quitté le faux-laboratoire en se faufilant dans l'ascenseur, que ses deux amis avaient maintenu ouvert. Elle avait senti l'odeur de Frobo mais, ne le voyant pas, elle en avait conclu que le projet Moly avait dû le récupérer. Elle avait donc fait le chemin qui la séparait du complexe. Le soleil était encore haut dans le ciel lorsqu'elle arriva devant le Centre de recherches et elle décida de s'y arrêter, curieuse de savoir ce qu'étaient devenus les cobayes de Lorou. Quand elle pénétra l'enceinte du bâtiment, le garde la reconnut immédiatement et l'escorta jusqu'à celui auquel elle était promise.

Elle observa quelques instants Lorou qui, penché sur son microscope, n'avait pas prêté attention à son arrivée. Elle détailla ses cheveux trop clairs, presque blancs, sa taille plus petite que celle de Nathanaël, son odeur naturelle trop forte. Elle se souvint de toutes les fois où ils s'étaient rapidement accouplés, en loups, brutalement, sans qu'elle ne ressente aucun plaisir. Si seulement les autres louves avaient pu savoir que le coït pouvait être un moment de tendresse, de passion et d'extase, comme elle l'avait appris.

Elle secoua la tête, comme pour chasser ses idées et ses souvenirs qui l'envahissaient soudainement et se racla la gorge pour faire réagir le fils du Shéker.

- Kéra ! Tu es enfin revenue ! Alors, que...

- C'était un piège, le coupa-t-elle. Le laboratoire des humains ne s'est jamais situé en Floride, et Frobo a été dressé pour nous envoyer là-bas et nous faire exterminer... J'ai réussi à m'échapper ce matin...

Le jeune loup se détacha de son plan de travail et s'avança vers sa promise, effaré. Elle portait en effet les marques d'une lutte ; ses vêtements étaient en lambeaux, ses jambes étaient griffées et, sur son ventre se voyait très nettement une entaille. Il ragea intérieurement contre les humains, mais également contre sa naïveté, qui avait fait que Kéra s'était retrouvée prisonnière de ces monstres.

- Nous devons immédiatement prévenir le Shéker.

- Je voudrais comprendre une chose, capitaine Svensson et lieutenant West, comment êtes-vous restés enfermés durant tout ce temps ?

Angeni et Nathanaël avaient longtemps discuté de la façon dont ils répondraient à cette question, qui leur serait forcément posée. Ainsi, presque immédiatement, la jeune femme prit un air désespéré pour répondre.

- Mon major général, tout est de ma faute, un loup-garou est entré, et je ne suis pas parvenue à m'échapper... Le capitaine Svensson a dû stopper l'ascenseur pour venir à mon secours... Je suis désolée.

- Lorsque j'ai réussi à tuer cet animal, l'odeur était horrible et nous avons décidé de le dissoudre dans le bain d'acide que nous vous avons montré, enchérit Nathanaël.

Le court silence qui suivit le faux aveu de la jeune femme et l'explication de l'homme leur parut durer un temps phénoménal. Tous deux tentèrent de cacher leur anxiété, espérant intérieurement qu'elle serait analysée comme une crainte d'être suspendus ou punis pour l'erreur qu'ils avaient commise.

- Comment se fait-il qu'une seule de ces bêtes ne soit venue ? Ils ont dû se douter que quelque chose..., analysa le capitaine Smith.

Le major général Peterson, qui n'avait rien dit durant toute la discussion, observant ses deux officiers, se leva avant de décréter :

- Nous allons interroger Alpha.

Angeni et Nathanaël se lancèrent un bref regard inquiet. Tous deux espéraient que le loup n'allait pas faire échouer leur plan par sa fidélité au major général. Cependant, l'homme se rassura rapidement. Alpha ne pourrait rien dire d'autre que « Une louve est entrée dans le faux laboratoire ». Il était resté enfermé pendant quinze jours dans la cabane et n'avait rien su de ce qu'il s'était passé à plusieurs mètres sous terre. Tant que ni Nathanaël, ni Angeni ne craquait ou ne commettait une erreur, leur secret serait bien gardé.