Chapitre 3

E L L I O T T 

J'essuie la sueur sur mon front et observe ce qui m'entoure. Ce n'est pas mal du tout. Je sens que je touche du bout des doigts le début d'une nouvelle vie.

— Dis-moi que tu ne m'as pas fait venir pour mettre la main à la pâte.

Je ris et me tourne vers l'homme qui vient d'entrer, un de mes associés pour ce projet. Sean Reed est un acteur mondialement connu, ses cachets pourraient faire pâlir de jalousie n'importe qui. Moi le premier. Pourtant, il garde la tête sur les épaules, du moins la plupart du temps. Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il me dise qu'il voulait me suivre dans cette entreprise. Premièrement, parce qu'il passe la plupart de son temps de l'autre côté de l'océan. Deuxièmement, je ne savais pas que les courses automobiles l'intéressaient, mais je me suis trompé. Ou il est totalement taré, ce qui est vraisemblablement le cas. On s'est rencontré par le biais de ma petite sœur. Tous deux sont amis, Sean vient chez Éva dès qu'il est en France. Nous avons fait connaissance pendant que je squattais son appartement, il y a deux ans. De fil en aiguille, on a parlé de nos projets et le mien est venu sur la table. Je ne sais plus comment l'idée est arrivée, mais notre partenariat nous a semblé évident.

— Ne me dis pas que tes petits doigts de fée ne peuvent pas se salir un peu.

— Ils ne sont pas faits pour ça, dit-il en les agitant devant mes yeux.

Je claque sa main et lui donne une accolade.

— C'est toi qui as décidé de venir. Je m'en sortais très bien sans toi.

— Bien sûr, bien sûr.

Il regarde autour de lui et pousse un sifflement. Je suis vraiment fier de ce que devient cet endroit et ce qu'on va pouvoir en faire.

— On sera prêt pour l'inauguration dans deux mois ?

— Oui. Prépare-toi à sourire toute la soirée.

Il grimace et s'avance dans la pièce. J'ai fini de repeindre l'accueil qui était dans un piteux état. La majorité des murs sont blancs sauf celui derrière le bureau qui est rouge. Il ne manque plus que les meubles qui arriveront dans trois jours et cette partie sera définitivement terminée. Je pourrais engager une entreprise pour le faire, mais j'aime mettre les mains dans le cambouis et ça permet de m'occuper l'esprit sans avoir à penser à une blonde qui me hante.

Même si Sean a vu toutes les modifications en photos, je tiens à lui montrer tout ce qui a été fait depuis sa dernière visite. Il nous faut bien deux heures pour faire le tour.

— Je suis vraiment pressé de voir l'aboutissement de nos efforts, dit-il.

— Moi aussi, soufflé-je. Viens boire un verre à la maison, je vais te parler de nos nouveaux partenariats.

— Je préférerais que tu me parles de la prochaine fois que tu t'installeras derrière un volant.

— Ce n'est pas près d'arriver et tu le sais.

— Quel gâchis, soupire-t-il.

Je hausse les épaules et ferme le local avant d'avancer vers le parking.

— Parfois, il faut savoir se retirer du jeu tant qu'il est encore temps.

— Tu as sans doute raison.

Je me fige et me retourne, le regard effaré.

— Ai-je bien entendu ? Tu viens d'admettre que j'ai raison ?

— Il se peut que ça m'ait échappé.

— Mon Dieu ! Qui êtes-vous ? Qu'avez-vous fait de Sean ?

— Tu sais, tu auras pu être acteur.

— J'en ai bien conscience, j'ai trop de talent !

Il lève les yeux au ciel et me dépasse. Je ris dans son dos et le rattrape.

— Tu es ici pour combien de temps ?

— Seulement pour une semaine. Je suis venu faire la promotion d'un nouveau film avant de retourner chez moi pour quelques jours de vacances. J'ai proposé à Anaïs de dîner avec moi demain soir, tu te joins à nous ?

Anaïs est mon autre associée. Je l'ai rencontrée par hasard alors qu'elle pilotait, j'ai été épaté par son talent et je me suis empressée d'aller lui dire. On a longuement discuté, j'ai vu immédiatement que c'était une combattante et qu'elle en avait bavé. J'ai admiré sa force, sa passion dans ses mots quand elle me parlait mécanique. Elle m'a appris que le circuit était à vendre et nous voilà embarqués dans cette folle histoire. Elle a été ma première associée, la première à croire en ce projet de malade.

— Seulement si c'est toi qui paies, réponds-je à Sean.

— C'est Anaïs qui régale.

— Attends, c'est toi qui l'invites, mais c'est elle qui règle la note ? lui demandé-je, incrédule.

— Oui. Il faut que tu évolues avec ton temps Elliott ou tu finiras tout seul.

— Je ne vois pas le rapport avec ta radinerie.

Il hausse les épaules tandis que je lève les yeux au ciel.

— Tu me suis à moto ?

Il hoche la tête en signe d'assentiment. J'attends qu'il enfourche sa bécane et soit prêt avant de prendre la direction de chez moi.

Ma maison est encore en travaux, mais j'en suis fière. Sur un grand terrain, entourée de hautes haies, j'ai craqué quand j'ai vu le colombage. Elle est parfaite pour la vie de famille que je rêve d'avoir, pas tout de suite cependant. Je ne suis pas prêt. En attendant, j'en profite pour faire des rénovations.

Je sers une bière à Sean et nous discutons naturellement de la prochaine étape de notre projet secret. C'est compliqué de garder à l'écart les proches et la presse. Heureusement, on lèvera bientôt le voile, car cela devient difficile à gérer. Plus que quelques semaines à tenir.

Après le départ de Sean pour son hôtel, je m'affale dans mon canapé et ferme les yeux. Le déménagement de ma sœur et mes travaux m'ont épuisé. La présence de Justine a réussi à tourner la torture en un délicieux supplice.

Je l'ai poussée à me détester il y a deux ans parce que je ne pouvais pas faire autrement. Je venais à peine de me séparer de ma femme, ma tête n'était pas à la drague. J'étais attiré par elle et pas qu'un peu, mais je n'étais pas prêt même pour un coup d'un soir. Et, c'est la meilleure amie de ma sœur. Je pensais que ça serait gênant de se croiser après avoir couché avec elle, mais chaque fois que je l'ai vue après cette soirée, j'ai eu envie de balayer mes doutes sous la table et de la renverser dessus. Je lâche un grognement. J'ai été débile. Je n'aurais jamais dû la repousser, depuis ça m'obsède.

Mon téléphone sonne et me sort de mes pensées. Je grimace en voyant le nom qui s'affiche, je suis tenté de ne pas décrocher, mais je sais qu'il va insister jusqu'à me rendre fou.

— Mon cher Roberto, ça fait tellement longtemps, m'exclamé-je d'un ton faussement guilleret.

— À d'autres, grommelle-t-il. Tu as réfléchi à ce que je t'ai dit ?

— Je vais bien merci et toi ? Il fait beau par chez toi ? Non, toi aussi tu as froid ? C'est incroyable l'hiver, n'est-ce pas ? débité-je d'une traite.

Seul le silence me répond. Je me mords la lèvre pour m'empêcher de rire. Je l'imagine se pincer l'arête du nez et compter jusqu'à dix pour ne pas me crier dessus. Depuis mes débuts, Roberto est mon chargé de communication et je lui fais entièrement confiance. Il fait pratiquement partie de la famille et c'est avec un réel plaisir que j'aime le voir sortir de ses gonds tant c'est rare et épique.

— J'ai d'autres projets en tête en ce moment, reprends-je.

— Deux ans, Elliott. Il est temps que tu te remettes en selle. Les médias pensent qu'elle t'a brisé le cœur et qu'aucune femme ne pourra te combler maintenant.

Elle. Louise, mon ex-femme. Mes poings se serrent en songeant à elle. Il y a tout de même une grande part de vérité dans tout ça. Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis brisé, mais faire à nouveau confiance à une femme au point de partager ma vie avec elle ? Il va me falloir plus de temps. Temps que ne semble pas vouloir me laisser Roberto. Il souhaite que je sorte comme avant, que j'arrête de réfléchir deux secondes à ce qui pourrait arriver et que je profite de l'instant présent.

— Il y a une soirée organisée par Caio Dias pour son anniversaire le mois prochain. Pourquoi n'y viendrais-tu pas accompagné ?

Caio Dias est un pilote de F1. Il est arrivé dans mon écurie quand j'étais sur le départ. Il est ambitieux et ne recule devant rien pour gagner. Hors circuit, c'est un charmeur invétéré, drôle et sympa. J'ai eu un message de sa part pour m'inviter, pourtant je n'ai aucune envie de m'y rendre. Je suis certain que je vais avoir droit à des questions sur mon retour.

— Parce que je n'en ai aucune envie ? Parce que je n'ai pas de noms de cavalière en tête ?

— Pourquoi pas Josipa ?

— Cette mégère ? Hors de question. Je préfère y aller seul.

J'ai eu le malheur de faire sa connaissance pendant une soirée organisée par mon écurie. Elle a passé la majeure partie de son temps collée à moi, tout en critiquant la décoration, les invités ou même les pilotes présents. Elle pensait certainement que ça ne me dérangerait pas, mais il n'y a rien que je déteste plus que les gens qui se permettent de cracher sur les autres gratuitement.

— Tu vas me dire qu'il n'y a aucune femme dans tes contacts qui accepterait de t'y accompagner ?

Le visage de Justine s'immisce dans mon esprit. Je retiens un éclat de rire. Elle n'accepterait jamais si je lui demandais. Non, elle essaierait de m'étrangler.

— Non. Aucune. Maintenant qu'on a clarifié ce point, on pourrait parler de cette liste d'invités que tu m'as envoyée pour l'inauguration.

Il soupire et décide de ne pas insister. Je sais que tôt ou tard, il y reviendra, j'aurai toujours la même réponse à lui apporter. Je ne suis pas prêt.

On passe en revue les invités, j'en retire certains et en ajoute d'autres. Je veux vraiment que cette soirée soit parfaite et ne laisse rien au hasard. Cette inauguration lancera le début d'une nouvelle vie, je préfère ne pas me louper.

Après son appel, je vais me coucher. Oui, un peu de compagnie ne me ferait pas de mal, me dis-je quand je vois mon lit vide. Je secoue la tête et sors de mes pensées les idées loufoques de Roberto. Je suis très bien seul.

***

Je me demande pour la millième fois ce que je fais ici quand la vendeuse place devant moi des mignardises dont je suis incapable de reconnaître les ingrédients. Éva a l'air aussi désemparée que moi quand elle écoute le laïus qu'on lui sert. Lorsqu'on est enfin tous les deux, je me penche vers elle.

— Tu peux me dire pourquoi ce n'est pas Justine qui est avec toi ?

— Elle a eu un empêchement. Et, je ne me sentais pas de le faire toute seule.

— Ton futur mari ?

— Toujours pas rentré.

— Je peux le tuer ?

Elle éclate de rire et secoue la tête.

— Tu l'adores trop pour ça.

— Il a de la chance de m'avoir.

Alex, son futur mari, est également mon meilleur ami. Ancien joueur de football américain, il est à présent agent sportif. Ce qui fait que ses déplacements sont plus ou moins longs. Éva, même si elle ne le dit pas, pense à s'installer définitivement là-bas. Elle lève les yeux au ciel puis pioche dans le plateau et inspecte la mignardise comme si c'était une bombe prête à lui sauter au visage.

— Tu sais, c'est un peu comme les boîtes de chocolats, me dit-elle. Tu as beau avoir lu la liste des chocolats derrière la boîte, tu ne sais jamais vraiment à quoi t'attendre parce que tu as déjà oublié ce que tu as lu.

Je la regarde avec des yeux ronds. Elle hausse les sourcils et met précautionneusement le feuilleté dans sa bouche. Un pli se forme sur son front puis elle déglutit péniblement. Je souris et lui tends son verre d'eau. Elle en avale avidement le contenu. Je suis certain que si ça n'était pas déplacé, elle se serait gargarisée avec.

— Donc, pas ceux-là.

Elle me lance un regard noir.

— Bien vu Sherlock. À ton tour, maintenant.

J'observe le plateau avec la même minutie qu'elle avant de choisir. Je mâche méticuleusement.

— Ceux-là, tu peux.

Elle le note sur son carnet.

— Pas trop stressée ? lui demandé-je.

— Étonnamment, non. Peut-être que ça viendra plus tard. Merci de m'accompagner, j'imagine que ça doit te rappeler de mauvais souvenirs.

— Pas du tout. Louise a tout délégué et ne m'a presque pas consulté pour l'organisation.

— Ha, se contente de répondre ma sœur.

— Crache le morceau.

Elle choisit un friand qu'elle étudie avant de relever les yeux vers moi.

— Ça ne t'a pas dérangé ? C'était censé être le plus beau jour de votre vie, non ?

— C'est vrai, mais ça m'évitait les crises d'hystérie quand j'osais donner mon avis sans qu'elle me l'ait demandé.

Éva se pince les lèvres. Je sais qu'elle ne l'a jamais aimée, mais elle respecte mes choix et me soutient même quand elle a envie de me secouer comme un prunier. C'est la base de la famille. J'attrape à mon tour un feuilleté à la coquille Saint-Jacques.

— J'espère que la prochaine fois que tu te marieras ce sera différent.

Je m'étouffe avec ma bouchée et la fusille du regard quand j'aperçois son sourire.

— Il n'y aura pas de prochaines fois. Jamais. Chat échaudé craint l'eau froide.

Son sourire ne vacille pas un instant.

— Hum. Si tu le dis. Bon, concentrons-nous et après nous irons dans un fast-food pour me remplir l'estomac avec de la mauvaise nourriture. Il y a trop de trucs sains là-dedans pour ma santé mentale.

— Je serai incapable d'avaler quoi que ce soit après. Et, tu n'es pas censée faire attention pour rentrer dans ta robe de mariée ?

Si un regard pouvait vraiment tuer, on retrouverait mes cendres sur la chaise.

— La robe s'adaptera. Hors de question que je mange uniquement de la salade, s'exclame-t-elle en enfournant un petit four.

— Bien M'dame. Dans ce cas, dépêchons-nous d'en finir.

***

Je grogne de soulagement quand j'atteins mon canapé. J'adore ma sœur, mais les préparatifs de mariage, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé. Je me relève et enlève mon Tee-shirt quand je reçois une notification sur mon portable. Un message de Roberto m'envoie vers le lien d'un article dans lequel il est annoncé que je suis le célibataire le plus en vue du moment. Je lève les yeux au ciel. Ramassis de connerie.

Je lui réponds d'un simple smiley avec des lunettes de soleil. Célibataire je suis, célibataire je resterai jusqu'à ce que je le décide. Je me prépare pour rejoindre Anaïs et Sean au restaurant, au moins eux ne me prendront pas la tête à ce sujet.

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