Partie III - chapitre quatre :

4.

Assis sur le bord du perron, je fume en regardant le ciel étoilé. Elles ne brillent pas fort, mais elles sont là au moins. Timides, cachés dans cette étendue de noir. Je souffle la fumée et ferme les yeux. C'est à ce moment là que j'entends des bruits derrière moi. Je tourne la tête et regarde Harry s'avancer puis prendre place à mes côtés, amenant avec lui l'odeur des plantes et de la vanille.

Quand il est installé, je tends ma cigarette vers lui, mais il secoue lentement la tête. Peu de temps après, Dante se joint à nous, il choisit comme place le petit espace laissé entre nos corps pour s'allonger en boule et poser son menton sur la cuisse d'Harry. Il se met à caresser son crâne de ses longs doigts, ce geste provoque instantanément les ronronnements du chat qui ferme les yeux.

Un sourire apparaît sur le coin de mes lèvres, Harry observe attentivement le jardin nu de l'hiver en face nous. Les arbres sans feuilles, les plantes qui attendent le printemps pour sortir de terre, éclore et prendre des couleurs. Il n'y aura pas de neige pour les fêtes cette année. Après avoir tiré sur ma cigarette, je dis :

– Demain c'est mon anniversaire.

– Tu es né la veille de Noël ?

Je tourne la tête, Harry me lance un regard à la fois surpris et débordant de douceur. Peut-être que les étoiles se cachent pour laisser ses yeux briller à leur juste valeur. Je me frappe mentalement tellement je suis niais.

– Je savais que tu étais quelqu'un de spécial.

Un rire léger sort de ma bouche, gêné et ironique. Ses mots me font quand même rougir, je tourne la tête afin de cacher la couleur qui réchauffe mes joues. Harry n'a pas besoin de voir et savoir à quel point ses paroles me retournent. Je crois que je me suis déjà assez ridiculisé devant eux comme ça.

– Non, je suis loin de l'être.

– Pourquoi tu dis cela ?

– Si j'étais si spécial que ça, je vous aurais déjà sauvé.

– Mais ça n'a rien à voir du tout avec ta personnalité, Louis.

Je fronce les sourcils en terminant ma cigarette, Harry me regarde toujours alors je me sens obligé de tourner les yeux vers lui. Son visage est à moitié éclairé, du côté gauche, par la lumière provenant de l'intérieur de la maison. Une douce lueur dorée qui caresse sa peau lisse et pale, je secoue lentement la tête.

– Je ne suis qu'un être humain parmi des milliards d'autres. De ce fait, je suis infiniment banal et normal.

– Moi, reprend Harry en articulant chaque syllabe, je te trouve incroyablement formidable.

Ses yeux me fixent avec une telle intensité que j'en ressens des frissons dans l'intégralité de mon corps. Je ne peux pas retenir le sourire qui fend mes lèvres, ni le cacher assez vite. Il le voit, et ça le fait sourire aussi. J'écrase les mégots de ma cigarette sur la marche, Harry me regarde toujours et a maintenant ce petit air bienheureux sur son visage qui me fait lever les yeux au ciel.

– Je ne connais pas le nom de toutes des étoiles ou des constellations, je ne sais pas lire les cartes, je n'ai pas des parents avec des pouvoirs magiques et je ne suis pas capable de prendre soin des plantes.

– Est-ce que c'est une manière détournée de me dire que je suis formidable ?

Je grogne en passant une main sur mon visage tandis, qu'à côté de moi, Harry laisse échapper un rire léger mais sincère. Dante choisit se moment pour se lever, étirer son corps et descendre les marches. Il parcourt minutieusement le jardin, sent quelques herbes et vagabonde parmi les pousses.

Harry pose ses mains de chaque côté de ses cuisses, sur le perron de la maison et penche la tête en arrière afin de regarder le ciel. Je suis la trajectoire de ses yeux et observe à mon tour, il tend la main, montre avec son doigt l'endroit où je dois me concentrer. Nous regardons le même morceau de nuit alors qu'il se met à me nommer des constellations au hasard.

C'est si facile et naturel avec Harry. Son parfum légèrement épicé à la vanille me caresse les narines, je ferme les paupières quelques secondes et me laisse envelopper par la chaleur de son corps si près du mien. Si je voulais, je pourrais passer mes bras autour de lui et réclamer la même étreinte que tout à l'heure quand je l'ai trouvé dans la maison. Personne ne m'a jamais enlacé avec une telle force et j'en suis encore tout retourné. La manière dont il m'a serré désespérément contre lui, peut-être car il voulait s'assurer que j'étais bien vivant, moi aussi.

Le regard toujours perdu au milieu des étoiles, je murmure :

– Je n'ai pas envie de rentrer chez moi.

– Mais, il fronce les sourcils, et ton anniversaire ?

– Surtout parce que c'est mon anniversaire.

Nous parlons tout bas, c'est à peine si nous pouvons nous entendre, c'est exactement comme si nous partagions un secret que personne d'autre dans l'univers n'a le droit de connaître. En fait, c'est un peu le cas. Je m'entends bien avec Amélia, elle est douce et a toujours le sourire et voit toujours les choses du bon côté. Seulement, avec Harry, c'est différent. J'ai parfois la sensation qu'un lien étrange et puissant à la fois nous relie t que je peux tout lui confier, même si au final je le connais peu.

– Ce n'est pas moi qui vais t'empêcher de partir, continue Harry à voix basse, mais tu es conscient que si tu passes plus de vingt quatre heures ici, tu auras disparu pendant plusieurs jours, voir semaines ?

– Que je sois là ou pas, ça ne change rien. Ils ne me voient pas, personne. Mes parents, ils... je crois qu'ils préfèrent m'oublier, qu'ils... qu'ils se portent mieux sans moi. Et ils... ils font tout pour me faire passer pour un monstre aux yeux de ma petite sœur.

– Louis...

Il soupire et s'apprête très certainement à me dire quelque chose, n'importe quoi, pour me rassurer ou essayer de me faire changer d'avis. Je sais que ses intentions ne sont pas mauvaises et qu'il souhaite simplement m'aider à me sentir mieux. Mais je l'interromps avant même qu'il ne puisse prononcer un mot de plus. Je ne veux pas parler de mes parents, de mes amis ou du monde extérieur.

– Est-ce que... est-ce que ça vous dérangerait si je dors chez vous cette nuit ? Je suis épuisé et je n'ai pas envie de retourner là dehors... je partirais demain matin et...

– Louis, m'interrompt cette fois Harry d'une voix douce, tu n'as pas besoin de demander. Tu peux rester aussi longtemps que tu le souhaites.

– Merci.

Je lui adresse un bref sourire, sans vraiment oser croiser son regard, et me lève. Silencieusement, il me suit à l'intérieur de la maison. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir que Dante est lui aussi rentré en même temps que nous.

Quand j'entre au salon, Amélia est assise face à la table basse et parcourt un livre aux pages jaunies et cornées à certains endroits. Elle relève toutefois la tête en nous voyant arriver et se met debout, une moue prend forme sur son visage.

– Oh, tu pars déjà ?

– En fait je reste... cette nuit.

Ma réponse fait rayonner son expression en une fraction de seconde, il lui en faut vraiment peu pour être heureuse. Elle s'approche de nous en quelques enjambées rapides, contournant le canapé et une table où est posée une fleur dans un vase. Même dans la précipitation, ses gestes sont contrôlés et elle ne renverse rien sur son passage. Cependant, Dante l'observe du coin de ses yeux jaunes et passe à l'opposé d'elle pour aller se lover près du feu.

– Mais c'est génial ! Je suis certaine qu'Harry a encore des tas de choses à te montrer.

Ils échangent un regard et j'ai le temps de remarquer les éclairs que lui lancent celui d'Harry. Il se ressaisit, malgré tout, assez rapidement et m'adresse un sourire courtois. Je ne lis plus que de la douceur pure dans ses yeux à présent.

– Et tu n'as pas encore eu l'occasion de goûter mes pancakes à la cannelle.

Toutes ces petites attentions me font sourire, mais je secoue doucement la tête et enfouis nerveusement mes mains dans les poches de mon jean.

– Ça m'a l'air délicieux, vraiment, merci... mais je suis assez fatigué et je pense aller dormir.

– Mais tu n'as rien mangé encore !

– Je survivrai, je souffle, je te promets de goûter tout ça demain.

Mes mots semblent lui suffirent car elle sourit et comble les derniers pas entre nous afin de me prendre dans ses bras. Il y a quelques mois, ce simple geste m'aurait totalement déstabilisé, mais les choses ont changé. Je pose une main à plat dans son dos et la serre en retour contre moi. Elle sent les épices de cuisine et le pain frais.

Notre étreinte dure une poignée de secondes, moins longue que celle que j'ai pu échanger avec Harry tout à l'heure, mais elle n'en est pas moins bénéfique. Elle m'offre son plus beau sourire lorsqu'elle se recule, puis me souhaite une bonne nuit.

Harry se charge de me montrer la salle de bains et la chambre, libre, où je vais passer la nuit. Il s'éclipse pour aller me chercher des vêtements de rechange et pendant ce temps j'observe le décor minimaliste de la pièce. Ce doit être une chambre d'ami, jamais utilisée, car il n'y a qu'un lit, un bureau avec quelques vieux livres empilés dessus, une grande fenêtre entourée d'un rideau opaque bleu nuit, un fauteuil ancien dans un coin près d'une lampe sur pied.

A peine cinq minutes plus tard, Harry revient avec du linge proprement plié, une serviette et un gant de toilettes dans ses mains. Je le débarrasse en le remerciant, il me lance un regard presque timide et se retire sans un bruit ou une parole en plus.

Je passe environ dix minutes dans la salle de bains, le temps pour moi de prendre une douche rapide et de me changer. Je plie mon linge sale et l'emmène avec moi dans la chambre, le pose sur le fauteuil. Je retourne dans la salle de bains me brosser les dents, quand je sors dans le couloir, mon regard se pose sur quelques cadres qui sont accrochés au mur.

Une photo attire mon attention, on peut y voir Amélia et Harry, bras dessus bras dessous, de grands sourires sur leurs visages, visiblement dans un jardin. Ils ont l'air plus jeunes et plus heureux. C'était bien avant que cette malédiction ne les prive du bonheur.

– Ah je me souviens de ce jour... c'était l'anniversaire d'Harry. On avait dix sept ans tous les deux.

Je sursaute et me retourne vers Amélia, debout à mes côtés. Un sourire danse sur ses lèvres, mais il n'a pas la même intensité que celui sur cette photo. Elle la regarde avec tellement de nostalgie dans les yeux que je crois voir des larmes y perler. Je ne dis rien, je détourne mon attention vers le cadre et souffle :

– Vous formez un beau couple.

Soudain, son rire résonne dans le couloir et me fait sursauter une seconde fois. Je fronce les sourcils tandis qu'elle se plie quasiment en deux, les bras autour de son ventre, tellement son amusement est intense. Ce que je ne comprends pas. Elle s'essuie le coin des paupières, me regarde et secoue la tête.

– Alors celle là on nous l'avait jamais faite.

– Pardon ?

– Nous ne sommes pas en couple, explique-t-elle finalement, pour tout te dire j'ai même une petite amie. C'est elle, ici.

Elle tend le bras et me montre, du bout de son index, un autre cadre. La photo est centrée sur une jeune femme au sourire ravissant, des cheveux lisses noir de jais qui entourent son visage et tombent sur ses épaules.

– Elle s'appelle Mitsuko, je l'ai connu au lycée. Elle a quitté le japon pour venir faire ses études en France, et je crois que j'ai toujours été amoureuse d'elle, depuis la première fois que je l'ai vu. Parfois, il suffit juste d'un moment pour savoir que c'est la bonne personne. On s'est mise ensemble un peu avant... tout ça. Tu devrais la voir, elle est si vivante...

Son sourire s'altère petit à petit au fil de ses mots, je ne peux pas imaginer à quel point ça doit être douloureux d'être séparé aussi longtemps de la personne qu'on aime. Elle cligne des paupières plusieurs fois, semble retenir ses larmes, puis secoue la tête, retrouvant son air heureux en un rien de temps.

– Quoi qu'il en soit, Harry et moi n'avons jamais été et ne saurons jamais ensemble. Je le considère comme mon petit frère, tu vois ? Mais ça l'aurait fait bien rire aussi.

Je lève les yeux au ciel, elle me donne un léger coup de coude et me souhaite une bonne nuit. Non sans me laisser savoir que si j'ai besoin de quoi que ce soit durant la nuit, je n'ai qu'à sortir dans le couloir et l'appeler elle ou Harry. Je la remercie, elle m'adresse un dernier sourire puis s'éclipse au rez-de-chaussée.

La chambre est quasiment plongée dans le noir, je tire les rideaux, allume la lampe près du fauteuil, m'assois au bord du lit et regarde curieusement les résumés des livres à disposition sur le bureau. Je suis au milieu du deuxième quand un miaulement se fait entendre. Dante se faufile entre mes jambes, je ris tout bas et m'accroupis afin de caresser son crâne et son dos. Il ronronne, frotte même son museau contre mon genou afin d'en demander encore.

Il reste plusieurs minutes, allongé contre moi, pendant que je caresse ses poils et parcours les livres, assis en tailleurs sur le grande tapis de la chambre. Quand Harry apparaît dans l'encadrement de la porte, Dante ne lève même pas une paupière. Moi, cependant, je pose le livre au sol, sur les autres et lève les yeux vers Harry.

– Il est très câlin.

L'ombre d'un sourire passe sur son visage, mais il ne bouge pas de sa place. Harry reste debout à l'entrée de la pièce, le regard posé sur le chat à moitié affalé sur mes genoux. Je devrais peut-être en adopter un pour mon propre appartement, je me sentirais moins seul si j'avais un animal pour me tenir compagnie. Un être vivant dont je devrais m'occuper, que je devrais apprendre à aimer.

– Je le cherchais, justement.

– Ah, je souffle près de l'oreille du chat, c'est l'heure du dodo pour toi Dante on dirait bien.

Mon visage est assez proche du sien pour qu'il me lèche le bout du nez, je ris doucement en fermant les yeux une seconde. Ensuite, je me redresse et Dante tourne autour des livres et de mes pieds avant de marcher d'une lenteur extrême vers Harry. Il se penche pour le prendre dans ses bras et l'empêcher de s'enfuir encore une fois.

Je ramasse les livres que je dépose soigneusement sur le bureau. En me retournant, je pensais qu'Harry serait déjà parti, silencieux et réservé, comme à son habitude, mais il est encore là. Il me regarde, se mord la lèvre puis me dit :

– Tu es sûr que tu n'as pas faim ? Amélia est prête à te faire un festin au milieu de la nuit si tu lui demandes, il sourit en coin et moi aussi, mais tu as le droit de prendre ce qui te fait envie. On a de tout. Même si tu as un petit creux.

– Merci, Harry, mais ça ira jusque demain matin je pense. Comme tu le dis, Amélia a tout prévu.

Son sourire s'étire davantage. Je frotte mes mains entre elle, puis croise mes bras devant mon torse. Harry caresse le crâne de Dante pour l'aider à s'endormir plus rapide, ce qui est une réussite instantanée car ses ronronnements emplissent déjà la pièce.

Je souris en baissant les yeux au sol, mon regard fixé sur les chaussettes un peu trop grandes pour moi mais divinement chaudes et douces. Je ne relève la tête que lorsque la voix rauque d'Harry résonne à nouveau et brise le silence.

– Ça ira ?

– Je t'assure Harry, je n'ai pas très faim...

– Non, il secoue la tête lentement, dormir ici, je veux dire ?

Un léger rire sort de ma bouche, plus un souffle vraiment, mais Harry n'a pas perdu son sourire alors je suppose que c'est un début. Je me pince les lèvres, regarde autour de moi puis hausse les épaules.

– Oh euh... oui. Oui je pense. Je ne vois pas ce qui pourrait m'arriver de grave. Et au pire, si vous entendez crier au milieu de la nuit, c'est simplement parce que je fais un cauchemar. Je préfère vous prévenir.

Mon ton est ironique. Harry doit comprendre que ce n'est pas une blague, car il ne rit pas. Il me regarde, je le regarde aussi. On se fixe un moment comme ça, plusieurs secondes qui se transforment en courtes minutes.

Puis, en même temps, nos voix se mélangent quand on murmure :

– Bonne nuit.

Nos yeux s'arrondissent, un silence passe. Ce sont nos rires qui ensuite se mêlent ensuite au milieu de la pièce, Harry penche légèrement sa tête sur le côté et je mets une main devant ma bouche. Il secoue la tête en souriant, me souhaite une bonne nuit tout bas, je lui réponds sur le même ton et le regarde partir de la chambre et s'éloigner totalement.

Je lâche un long soupir, ferme la porte et allume la lampe de chevet avant d'éteindre celle près du fauteuil. Les draps sont agréablement lisses et moelleux quand je me glisse sous les couvertures et j'ai la sensation de me reposer sur un nuage lorsque ma tête rencontre les coussins. Je baille, tends le bras afin de d'éteindre la dernière source de lumière.

En moins de temps qu'il m'en faut pour le dire, je m'endors.

Je ne me réveille pas une seule fois.

Et je ne fais aucun cauchemar.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top