CHAPITRE 38

Tout en descendant les escaliers, Pam réfléchit à voix haute.

— Est-ce que c'est madame Song, par hasard ? Hier, c'était le jour de son respect funéraire.

— C'est elle, oui, confirme Hyun-su.

Madame Song est une vieille mamie. Enfin, c'est ce qu'a compris Pam en lisant les documents des pompes funèbres avant-hier. Elle n'a pas encore vu le corps alors... Elle espère qu'il n'y a rien de choquant à voir... Physiquement.

— Pourquoi on descend ? On ne devrait pas aller à la maison funéraire qui se trouve en face ?

— On va remonter le corps pour la préparer là-bas, répond Hyun-su.

Pam se tourne pour lancer un regard paniqué à Young-sun. Il acquiesce silencieusement pour confirmer les dires du jeune croque-mort.

— Je sais que je vous ai déjà posé la question la semaine dernière lors de l'interview, mais je voudrais être sûre... Pourquoi cette passion pour la mort à votre âge ? Vous êtes encore jeune, ça vous déprime pas ? s'informe-t-elle.

— Non, je trouve ça poétique en fait, lâche Hyun-su.

Ils arrivent en bas des escaliers. Pam attrape les vêtements médicaux et les met par-dessus ses habits.

— « Poétique », répète Pam.

— Vous comprendrez quand vous serez plus vieille.

— On a quasiment le même âge, Hyunsu-shi... À trois ans près.

Ils se dirigent vers la morgue, prennent le sac mortuaire où se trouve le corps et en plus un sac de vêtements. Ils la posent sur un chariot et s'avancent vers l'ascenseur. Ils remontent dans un silence total. Pam est extrêmement mal à l'aise. Elle regarde les coins de l'ascenseur pour essayer de penser à autre chose. Puis, ils sortent de la Vieille Bâtisse, traversent le parking et entrent dans la maison funéraire. Ils acheminent dans une pièce brillante et entièrement faite en orme massif.

Young-sun et Hyun-su ouvrent le sac et posent le corps sur une petite table. Pam fait lentement les cent pas à côté. Elle évite tout contact visuel avec la pauvre mamie.

— Mademoiselle Cosson, approchez, signale Young-sun.

Pam se rapproche, marchant sur le côté, et en levant les yeux vers le plafond pour faire croire qu'elle admire la beauté de cette pièce.

— Vous allez bien ? questionne-t-il.

Elle se tourne vers lui en essayant d'ignorer la présence du corps.

— Oui.

Hyun-su se rapproche du duo et se met à côté du jeune docteur.

— Pourquoi vous ne la regardez pas ?

— Hein ?

Hyun-su sourit doucement.

— Vous ne l'avez pas regardé depuis qu'on l'a sortie de son conteneur.

Les deux jeunes hommes ne la quittent pas du regard. Pam a les mains dans son dos et un regard sérieux. Ils ne vont pas la lâcher si elle ne répond pas tout de suite à leurs questions. Il vaut mieux le faire maintenant... C'est comme retirer un pansement. Au début ça fait mal, et ensuite, la douleur disparaît.

— Parce que je suis mal à l'aise, annonce-t-elle.

— Pourquoi ça ? bouscule Hyun-su.

Elle soupire.

— Parce que j'ai l'impression que c'est mal.

Les deux Coréens froncent des sourcils.

— De quoi ? demande Young-sun.

— De la regarder.

Pam voit Hyun-su tourner le regard vers le corps de la morte quelques instants avant de revenir vers elle.

— Parce qu'elle est nue ?

Pam acquiesce tout doucement.

— Aussi, oui.

Les deux se contentent de l'écouter sans la juger.

— Je trouve ça bizarre de regarder des gens morts qui sont nus ou défigurés, ou alors... Quand ils ne ressemblent pas à ce qu'ils devraient ressembler dans la vraie vie. Je me mets à leur place et je trouve ça dégradant. Je n'aimerais pas me retrouver nue dans une pièce vide avec trois inconnus qui s'apprêtent à me regarder et à me toucher... Alors que je ne suis plus là pour réagir.

— Mais, imaginons un instant que vous êtes à sa place... Vous n'aimeriez pas que vos proches vous voient habillée et maquillée pour leur dire un dernier au revoir ? raisonne Hyun-su.

Évidemment, il a raison mais... C'est compliqué.

— Bien sûr que si, répond la Française.

— Et, imaginons que vous êtes défigurée. Est-ce que vous avez envie que vos proches s'occupent de vous en voyant ça sur votre visage ?

Elle pousse un énième soupir.

— Bien sûr que non. Ce serait injuste pour eux.

Hyun-su lui sourit doucement.

— C'est pourquoi des métiers comme les nôtres existent. Parce que personne d'autre ne peut le faire et...

— Et sans vous, des morts traîneraient dans les rues et des familles ne pourraient pas faire leur deuil, conclut Pam.

Les deux hochent la tête, satisfaits de sa réaction.

— C'est quoi votre secret alors ? Comment vous faites pour ne jamais perdre pied ou... Laisser vos émotions prendre le dessus ? C'est quand même... Touchant. Des êtres humains sont morts. Et forcément, on s'imagine à leur place ou alors, on imagine nos proches à la leur. C'est horrible.

— Comme vous le dites, mademoiselle Cosson... On ne peut pas. Vous avez raison. On est humain. Mais, ça fait partie du métier. Vous pouvez le gérer de la manière que vous voulez, annonce Young-sun.

Elle le regarde plusieurs secondes dans les yeux.

— Vraiment ?

Elle tourne son regard vers Hyun-su.

— Est-ce que vous pleurez ? Souvent ? Tous les trois.

Les deux jeunes hommes se lancent des regards.

— Ça arrive, selon le contexte... C'est pourquoi on est plusieurs, apprend Hyun-su.

Pam reste silencieuse.

— N'ayez pas peur et regardez-la... Et dites-nous ce que vous ressentez, indique Young-sun.

Elle prend une grande inspiration et pivote lentement vers la vieille femme. Elle est là. Étendue nue sur la petite table, les yeux fermés. Pam a envie de la couvrir parce qu'elle a l'air d'avoir froid... Mais aussi pour préserver son intimité. C'est vraiment une sensation étrange.

— Elle me fait de la peine.

— On va changer ça, alors, soutient Hyun-su, approchez.

En suivant Hyun-su, Pam remarque deux bacs remplis d'eau posés de chaque côté de la table avec un gant chacun flottant au-dessus. Elle voit dans le sac des vêtements blancs, une trousse de toilettes, et une brosse. Et à côté de ce sac, il y a une boule qui lui fait penser à de l'encens.

— Je fais un côté et vous faites l'autre, explique Hyun-su.

Il a déjà le gant dans sa main et n'hésite pas à toucher la vieille dame pour la nettoyer et frotter sa peau. Lentement, Pam essore son gant et l'enfile dans sa main. Elle se tourne vers Young-sun pour le regarder. Ce dernier comprend aussitôt le message et se rapproche à ses côtés. Pam observe la vieille dame. Elle approche une main tremblante pour saisir son poignet et soulever son bras. Elle lance un nouveau regard à Young-sun, un sourcil haussé. Il hoche la tête pour l'encourager. Elle prend alors son courage à deux mains et commence à laver la vieille dame. Elle commence par le visage et descend de plus en plus jusqu'à ses pieds. Elle se sent vraiment mal à l'aise, mais elle n'ose pas le dire. Après ça, Hyun-su allume ce qui était bien de l'encens et fait le tour du corps avec la boule. Enfin, ils l'habillent avec les vêtements blancs. La pauvre madame Song est déjà moins impressionnante.

— Je vous laisse lui couper ses ongles, la coiffer et la maquiller, mademoiselle Cosson ?

Pam acquiesce silencieusement. Les deux jeunes hommes se mettent sur le côté et la regardent faire. Pam commence donc par ses ongles. Elle prend ses mains et juge la longueur qu'elle pourrait faire. Elle se met ensuite au travail. Analyser, couper, limer. Elle répète cette opération une dizaine de fois avant de s'attaquer à la coiffure. Cinq coups de peigne et c'est réglé... Pour finir, elle ouvre la trousse de toilettes et sort le maquillage adéquate. Elle s'occupe de son teint, de ses yeux et elle termine avec les lèvres. C'est étrange de penser ainsi, mais on dirait une poupée. Elle est si concentrée qu'elle ne voit pas le temps passer. Quand elle relève la tête pour observer la réaction des garçons, quarante minutes se sont déjà écoulées. Mais Young-sun et Hyun-su ne sont plus là. Depuis quand ? Pourquoi sont-ils partis ? Dès qu'elle a cette pensée, ils réapparaissent aussitôt dans son champ de vision. Ils ont pris une pause-café ou quoi ?

— Woah, beau travail mademoiselle Cosson ! fait remarquer Hyun-su.

Il se rapproche pour examiner de plus près le travail de la jeune femme. Pam jette un coup d'œil vers Young-sun.

— Comment vous la trouvez maintenant ? demande le jeune croque-mort.

— Mieux. On dirait qu'elle dort, répond Pam.

Il se redresse, fier de cette réaction.

— Ah oui ?

— Elle a l'air plus paisible.

C'est étrange, et pourtant, c'est la vérité. Maintenant que Madame Song est habillée et maquillée, la sympathie a remplacé la pitié que Pam éprouvait pour la vieille femme quelques minutes auparavant. Il n'y a plus de peur, plus d'appréhension... Juste la paix. 

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