𝐗𝐈. 𝐎ù on découvre un viocque dans un placard.
XI
En effet, l'étage des bleus semblait moins dangereux qu'un stand de pêche aux canards.
Même Tango avait résolu de descendre de ses faux plafonds pour les rejoindre sur place, tant le lieu respirait le pacifisme. D'ailleurs, ça fleurait aussi pas mal d'autres trucs, passant de la tisane chauffée au velux à la substance vaguement hallucinogène ; des barbus vêtus de bleu ciel prenaient du bon temps, vautrés par terre. Mac crut voir passer un type en toge qui bronzait sous le susdit velux à tisanes, mais c'était probablement le fruit de son imagination.
Le recenseur se détendit un peu. Ça allait peut-être bien se passer, finalement.
Ce fut à cet instant que Vendredanche lui glissa en coin :
« Tu sais parler en écriture automatique, au moins ?
— H–hein ? » s'étrangla Mac.
« Le parler automatique. Tu sais en improviser ? » insista patiemment Vendredanche.
« Pourquoi Dieu devrais-je savoir improviser du parler automatique ? » paniqua Mac. Vendredanche tenta maladroitement de le calmer.
« Pour rien. On en aura sûrement pas besoin. »
Puis il s'éloigna en sifflotant, laissant les surrénales de Mac en détresse.
Au bout d'un moment, le recenseur se décida à se remettre en marche, pour la simple et bonne raison que s'il restait planté là à hyperventiler, il allait les perdre de vue.
« On fouille les placards et les bureaux » lui glissa Jasmine, une fois qu'il fut revenu à leur hauteur. « Il doit bien y avoir des indices. Quelque chose.
— Un ascenseur ? » proposa Mac. « Ça paraîtrait logique.
— On évite de s'approcher des ascenseurs » grimaça la jeune femme. « Ils ne fonctionnent plus depuis des lustres. C'est dangereux.
— Je vois.
— On va commencer par fouiller ce coin-là » décida Vendredanche en désignant un tronçon de couloir. « Ça ne devrait pas prendre trop de temps.
— Euh, Vendredanche ? » tenta Mac, un peu nerveusement.
« Oui ?
— Par le plus grand des hasards, pourquoi est-ce que tu m'as donné une agrafeuse ? Tu sais que je suis plutôt pacifique. Enfin, je crois que tu t'en doutes. »
Vendredanche soupira, parce qu'il se battait avec un verrou. Il résolut en dernier recours de tenter le trombone, un objet avec lequel il se trouvait plutôt à l'aise, entendu qu'il en connaissait, rappelons-le, cinquante-neuf usages distincts. « Hé bien, si jamais ils se montrent agressifs, bien sûr, » expliqua-t-il patiemment tout en traficotant la serrure.
« J'entends bien » admit nerveusement Mac, qui tripotait l'ourlet de son pull à col roulé. « C'est bien ce qui m'embête. »
La porte céda enfin, et Vendredanche jeta triomphalement un regard à l'intérieur, avant de froncer le nez.
« Zut, ils font simplement un tournoi de ping-pong » marmonna-t-il, déçu, en refermant la porte.
« Vous avez des raquettes et des balles ? » s'étonna Mac.
— Je n'ai jamais dit que les bleus étaient des êtres fondamentalement brillants, » répliqua Vendredanche.
« Oh. » Mac baissa les yeux et avisa, dans les coins du couloir, des petits tas de terre d'où surgissaient quelques feuilles d'un vert timide. « Et ça, qu'est-ce que c'est ?
— Du chanvre indien » répondit l'autre, en passant à une autre porte.
« Ah, » fit Mac.
— Du cannabis, si tu préfères, » traduisit Vendredanche devant le manque de réaction de son compagnon.
« Oh. »
Mac fit un petit pas de côté, le plus loin possible de l'espèce de potager improvisé.
« Et...comment sont-ils parvenu à se procurer les plantes, dans un premier temps ? » ajouta-t-il, mine de rien.
« ...D'un autre côté, je n'ai jamais dit que les bleus n'étaient pas fondamentalement brillants, » tempéra Vendredanche.
« Je vois.
— ...J'ai simplement laissé entendre qu'ils passent la majorité de leur temps complètement stoned. » Vendredanche parvint à ouvrir la seconde porte avec un cliquetis solennel, jeta un œil, eut une moue, puis la referma. « T'as pas envie de savoir, » grimaça-t-il en réponse au regard interrogatif de son ami.
« Et...pour l'agrafeuse » insista Mac, histoire de revenir au sujet, en s'ébrouant. « Tu penses qu'on en aura besoin ?
— Personne ne peut être à cent pour cent sûr » philosopha Vendredanche.
« J'entends bien. Mais...
— Écoute, » le coupa le stagiaire, « si tu te fonds dans la masse, tout ira bien.
— Me fondre dans la masse ?
— Ouais. Si l'un d'entre eux a l'air plus ou moins lucide — et ça arrive —, essaye d'avoir l'air le moins suspect possible.
— C'est-à-dire ? » paniqua un peu Mac.
« Tu verras s'il te parle » fit simplement Vendredanche, en lui tapotant gentiment l'épaule. « Allez. Et si tu m'aidais ? Je fouille les bureaux, tu fouilles les placards. »
Sans attendre de réponse, il lui fourra un trombone dans la main. « Pour crocheter les serrures, » expliqua-t-il.
« Euh, je sais pas — » commença Mac, mais Vendredanche le fit taire d'un geste.
« Tu apprendras bien assez vite. Allez, le plus vite on sera partis d'ici, le mieux on se portera. » Un type par terre émit un genre de râle à la limite du drensitement et Vendredanche lui balança un coup de pied en vache. « Je te fais confiance, Mac, » ajouta-t-il en lui tapotant l'épaule avec traîtrise.
Puis il trottina jusqu'à la porte suivante, laissant le recenseur tout seul.
Bon. Ça devrait aller, songea Mac, le front un peu moite. Ils n'ont pas l'air dangereux.
Le recenseur tenta un coucou timide à l'adresse d'un bleu qui n'avait pas l'air trop foncedé, et l'autre répondit en basculant en avant, la tête la première.
Mac grimaça et raffermit sa prise sur la vieille agrafeuse.
C'est fou comme le port d'une arme rend fondamentalement nerveux, constata-t-il. Comme si le danger venait du fait qu'on l'avait envisagé.
Et qu'on l'avait envisagé comme éventuellement violent, nota-t-il avec un grimace. Il n'était pas franchement prêt à agrafer quelqu'un.
Un type gémit à côté de son pied droit et il résolut de se mettre en marche.
Bon, songea Mac, en se penchant sur la serrure d'un placard. Ça ne doit pas être trop compliqué. Il avisa le trombone dans sa main. Il suffisait de faire comme dans les films...
« Le vôtre est ouvert » lui indiqua obligeamment Jasmine, depuis une porte à quelques mètres. « Le verrou n'est pas mis. »
Mac laissa échapper un petit « oh » contrit qui devenait quasi-systématique depuis quelques temps, et entrebâilla le battant, avec un grincement aussi cliché que franchement agaçant.
Le « OH » qu'il hurla était, il faut bien le reconnaître, tout à fait différent d'à son habitude.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » paniqua Vendredanche en accourant. « Il y a un mort ! Bon sang, Mac, qu'est-ce qu'il y a ! »
Mac tout pâle fixait le fond du placard avec un drôle d'air.
« ...Il y a un type là-dedans » articula-t-il d'une voix blanche. Vendredanche eut une mimique interloquée.
« C'est qui ? » lança Rafaíl en émergeant du bureau dit « du ping-pong », où il avait décidé quelques minutes plus tôt de faire un rapide pit stop « pour vérifier ». « C'est Tom ? De la maintenance informatique ?
— Tu confonds avec Tom Volauvent, du service des ampoules grillées » le tança Vendredanche.
« Pardon.
— Non. Je...je crois que c'est un viocque » lâcha Mac en déglutissant bruyamment.
Personne ne releva l'étrange choix lexical parce qu'effectivement, un viocque sortit la tête du placard et leur adressa un coucou sympathique.
Vendredanche cligna des yeux.
« Hum » ponctua-t-il pertinemment. « Mac, s'il te plaît, sors-le de là. Il a peut-être des choses à raconter.
— Je le sors du placard ? » s'étonna Mac.
« À moins que tu préfères l'y laisser pour qu'il vive une vie terne et morne dans une solitude où seules ses larmes pourront jamais lui tenir compagnie » philosopha le stagiaire.
« Non, parce que ça peut être très difficile de sortir quelqu'un du placard » fit remarquer Mac.
« Mac.
— Pardon. »
Le recenseur tira le viocque par le bras et le sortit du susdit placard.
Le viocque en question méritait bien son surnom, peu flatteur, certes, mais profondément réaliste. Il avait transcendé l'idée même de vieillesse. Désuète, l'étiquette de « senior ». Surannée, la catégorie « vétéran ». Il aurait filé un coup de vieux à l'ASPA elle-même, si toutefois il la recevait depuis son placard, et si vous demandiez son avis à Mac, il en doutait fortement.
Le viocque était tout nu.
Ce fut ce que Mac constata après une seconde, et rougit violemment en conséquence. Ce n'était pas évident au premier abord parce qu'il avait une barbe si longue qu'il semblait engoncé dedans comme dans un manteau Fendi, suite à une crise fourruresque de Lagerfeld, qui aurait décidé de peler spasmodiquement l'ensemble des hermines du coin, Demoriane avec, qui n'avait rien compris à toute l'histoire ; le résultat donnait un effet à mi-chemin entre le père Fouras et Maestro, quoique l'odeur corporelle tenait franchement de la bouche d'égout.
Vendredanche fronça le nez et Mac en profita pour se décaler discrètement.
Le viocque se racla la gorge.
« Mes enfants, j'ai quelque chose d'important à vous annoncer » lâcha-t-il fièrement, en bombant le torse. (Enfin, ce qui pouvait ressembler à un torse, gondolé dans ce qui pouvait ressembler à un bombement.)
Vendredanche, Jasmine, Mac et Rafaíl penchèrent la tête sur le côté, dans l'expectative.
« Alors ? » tenta Vendredanche.
« ...j'ai oublié » lâcha tranquillement le viocque. Jasmine gémit de dépit.
Puis, sans prévenir, Rafaíl se frappa soudain le front du plat de la main, et laissa échapper un couinement qui fit sursauter tout le monde. « Mais oui, le viocque !
— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles » grimaça Vendredanche en se curant l'oreille.
« Le viocque ! » répéta Rafaíl, surexcité. « Mais si ! Le viocque qui traînait partout il y a quelques années ! Il a zoné un moment dans les placards du rez-de-chaussée ! »
Vendredanche ouvrit des yeux comme des soucoupes.
« Attends, ce viocque-là ? » balbutia-t-il. Rafaíl était plus enthousiaste qu'un chiot labrador complètement schlass un soir de Noël. « Oui ! » couina-t-il, tout heureux.
Vendredanche jeta un coup d'œil au père Fouras, et haussa un sourcil.
« Oui, j'avoue qu'il y a une ressemblance » admit-il.
« Surtout qu'il était dans un placard, il y a pas deux minutes » ajouta Jasmine en rempochant son agrafeuse. « Ça joue, j'admets.
— J'ai oublié » ponctua joyeusement le viocque. Jasmine le détailla d'un œil absolument scrutateur.
« Oui, ça me revient, maintenant » marmotta-t-elle du bout des lèvres.
« Quelqu'un pourrait-il m'éclairer ? » tenta Mac en désespoir de cause. Vendredanche soupira et eut un petit bruit contrit.
« Mac, je te présente le viocque. » Par une étrange coïncidence, c'était effectivement le nom que toute l'entreprise avait décidé de lui donner, quelques années plus tôt. « Par une étrange coïncidence » ajouta Vendredanche, « c'est effectivement le nom que toute l'entreprise lui a donné, il y quelques années.
— Bonjour » fit timidement Mac, et le viocque lui décocha un grand sourire.
« J'ai oublié » fit-il poliment.
« Voilà » conclut Vendredanche en se raclant la gorge. « Vous avez pas mal de points communs, tu sais ? Lui aussi, il a débarqué ici en cours de route. Il n'était pas là, au début.
— Enfin, je crois pas » réfléchit Rafaíl.
« Un matin, on a remarqué sa présence » continua Vendredanche. « Surtout parce qu'il squattait un peu tous les placards du bâtiment. C'était pénible.
— Et...et si lui aussi s'est retrouvé coincé ici, comme moi » Mac déglutit nerveusement « comment est-ce qu'il l'a pris ? Il s'est bien intégré ?
— Disons qu'il se cachait dans les placards, et qu'il disait à la pauvre personne qui par malheur ouvrait la porte—
— Mes enfants, j'ai quelque chose d'important à vous annoncer » exulta le viocque.
« Voilà. Puis après—
— J'ai oublié » jubila l'autre.
« Précisément. Puis, un matin, il a disparu des écrans radars. Il devait se cacher là, le sacripant » conclut Vendredanche avec un grand sourire, en tapotant l'épaule nerveuse de Mac.
Mac frissonna. « Plein de points communs ? » s'étrangla-t-il d'une toute petite voix.
« Ouais ! » s'enthousiasma Vendredanche. « Vous pourrez partager vos expériences. Tu n'es pas ici depuis longtemps, après tout. Et il semblerait qu'il était à l'étage des bleus depuis un sacré paquet d'années.
— Dans le placard numéro 8, précisément » nota placidement Jasmine.
« Voilà. »
Le viocque tenta de tapoter l'arrière-bras de Mac sans cesser de sourire comme un crétin, mais l'homme poussa un petit couinement et sursauta sur le côté. Vendredanche leur décocha un regard attendri, qui ne dit rien de bon au recenseur.
« Parfait ! Vous avez l'air de vous entendre admirablement » sourit le stagiaire à l'adresse de Mac qui commença à suer du front à la simple idée de ce qui allait suivre. « Et si tu restais avec lui ? Discute un peu. Tu as l'air tendu. Il a probablement vécu les même choses que toi, tu sais. »
Mac déglutit bruyamment, pas franchement ravi de la comparaison, et le viocque rota.
« Magnifique » s'extasia Vendredanche, qui rata complètement les regards paniqués que Mac lui envoyait par escadrons militaires comme autant de rafales un quatorze juillet. « On continue à fouiller les bureaux. Ne vous dérangez pas. Faites comme si nous n'étions pas là. Je suis certain que le courant passe déjà. »
Mac eut un petit gémissement étranglé qui voulait dire tout le contraire mais Vendredanche avait déjà du mal avec l'espagnol LV2, aussi sourit-il simplement avant de s'éloigner.
Le viocque exhiba candidement toutes ses dents dans un sourire à mi-chemin entre un requin et une rangée de dominos, et Mac soupira.
Il aurait vraiment aimé avoir eu une gastro le jour où il avait pris la route, en direction de Derrière-le-Buisson.
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