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" L'alchimie du bonheur dépend juste d'un dosage des oublis "

Luis Sepulveda

*

- Bon et alors comment va ton Snooky ?

- Kennedy ! Il s'appelle Kennedy Nilani !

- Drôle de prénom. Je crois que je préférais encore son pseudo...

- J'aime bien moi. Ça fait très masculin !

- En voilà une qui est tombée dans le filet de l'oiseleur ! Et il a été comment avec toi ?

- Plutôt mignon.

- Mais encore ?

- Sympa, bien élevé et cultivé.

- Humm !

- Quoi humm ?

- Je ne te sens pas emballer Elsie, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Il est divorcé.

- Et Alors ? Depuis quand être divorcé est un problème ?

- Je suis déjà cabossée par la vie, j'ai besoin de quelqu'un qui le soit beaucoup moins que moi.

- Drôle de théorie !

- Mais c'est vrai quoi ! Nous sommes tous les deux des estropiés de l'amour. Ça va pas le faire là !

- Raconte.

- Sa femme s'est barrée il y a trois ans et il s'en remet à peine.

- Ils se sont mariés jeunes alors ?

- Oui. Vingt trois ans. Huit ans plus tard, c'est le divorce.

- Des enfants ?

- Un, en bas-âge !

- Humm ! Je vois.

- Tu vois quoi ?

- Pourquoi tu ne t'emballes pas.

- En plus, c'est lui qui en a la garde.

- Ah ben dis-donc c'est rare ça ! Et tu sais pourquoi ?

- Oh mon Dieu Nilani tu es plus curieuse que la curiosité.

- Allez balance ! Balance Cocotte !

- La petite est trisomique, sa mère l'a rejeté à la naissance. D'où le divorce...

- Et bien mon vieux, je ne sais pas lequel de vous deux et le plus cabossé. J'te comprends mieux Sissi.

- Mwouai !

- Tu lui as parlé de ton "cas" ?

- Merci pour le "cas" Nini ! T'es la pire des amies.

Elle éclate de rire avant d'ajouter que je suis un cas avec un grand "K".

Quelle peste !

- Alors ?

- Alors, je lui ai raconté un peu, sans vraiment rentrer dans les détails.

- Humm... Tu vas continuer à le voir ?

- Je n'en sais rien. Ça fait bientôt une semaine que je n'ai plus de ses nouvelles. Peut-être que notre dernier rendez-vous lui a déplu ? Ou alors, il me trouve peu intéressante ?

- Appelle-le !

- Pas question !

- Peut-être qu'il attend que tu montres des signes d'intérêt ? Il faut l'appeler et prendre des nouvelles.

- Je veux bien envoyer un message mais je ne veux pas le déranger avec son travail, son enfant... C'est compliqué.

- Appelles-le Sissi !

- Ahlala ! On verra ! Pour l'instant je veux juste préparer le concert de demain soir. Je serai soliste et je ne veux pas décevoir.

- Ta voix ne déçoit jamais. Tu es une artiste.

Littéralement, l'interrogatoire de Nilani m'a épuisé. Elle a cette capacité à aller au fond des choses. Elle analyse toutes les situations avant de prendre une décision et je sais qu'elle est en train de se forger un avis concret sur ma nouvelle relation.

Si on peut appeler ça relation.

Je paris que dans quelques temps, elle va vouloir le rencontrer avant de me dispenser ses précieuses recommandations. Je sais que mon amie fait tout cela dans mon intérêt et j'apprécie ses bons conseils mais cette fois-ci, je n'ai pas envie de l'entendre tergiverser. Il n'y a encore rien de sérieux entre Kennedy et moi. Rien qui puisse permettre que je me pose autant de questions.

Surtout que dans sa vie, il y a une priorité absolue. Joy, sa fille de trois ans. Je ne veux rien perturber de leur équilibre et je ne veux pas non plus d'un nouveau tourment dans ma vie. Je chéris plus que tout ma tranquillité d'esprit.


*

J'ai pris un verre avec Aline hier après le travail, étonnement, tout s'est bien passé. Nous avons échangé sur nos parcours. Nous avons parlé de son mariage, de ses enfants, de son travail dans la musique. Cette femme est un Caterpillar, elle mène sa vie avec un optimisme sans borne. Elle est toujours directrice artistique pour Chorus et pour d'autres groupes aussi. C'est d'ailleurs lorsque nous évoquons nos souvenirs dans ce groupe que le fameux sujet apparaît.

Stanislas.

Je n'aime plus parler du passé mais je sens que c'est inévitable. Je reste calme et polie, et je laisse Aline entamer la conversation sur le cas Stanislas.

- Je suis triste de savoir que vos retrouvailles n'ont pas été magiques. J'en suis franchement désolée surtout pour toi.

- Peu importe... C'est de l'histoire ancienne.

- Tu es peut-être mieux sans lui. Je l'ai toujours mis en garde. Tu étais trop fragile, trop amoureuse...

- Ce n'est rien de le dire.

- Tu sais, si je t'ai menti, c'était pour te protéger, moi non plus je n'avais pas de nouvelles de lui.

- Je le sais. Il me l'a expliqué.

- Je pensais que c'était mieux de ne rien dire... Je sais aujourd'hui que j'aurai dû faire autrement. J'ai participé à ta souffrance et j'en suis sincèrement désolée.

- Je ne t'en veux pas et puis je veux tout oublier. Stan, ma souffrance et le reste, j'en ai assez de me prendre la tête. Je voudrais réussir ma vie maintenant.

- Mais tu l'as réussi. Tu es une jeune femme belle comme tout. Intelligente. Et en plus tu as du talent.

- C'est gentil Aline, merci.

- Mais je le pense. Tu as aussi fait des erreurs de jeunesse et je suis certaine qu'elles vont te servir à avancer.

- C'est clair.

- Ne laisse plus personne te submerger. La passion ce n'est jamais bon.

- Je peux te poser une question ?

- Bien sûr.

- Il s'est déjà passé quelque chose entre Stan et toi ?

- Oui. Plusieurs fois d'ailleurs. Tu sais c'était à l'adolescence. Il a été mon premier grand amour. Et puis ça s'est fini... Nous sommes restés amis et collaborateurs plus tard. Et voilà ! Rien de plus.

- Je me disais aussi !

Nous restons encore quelques instants à bavarder avant de nous séparer. Aline a été franche et j'ai aimé sa façon d'apprécier ma situation. Nous décidons de nous revoir et de nous donner des nouvelles de temps en temps.

Je me rends compte que parler de Stan ne me dérange plus vraiment. Je suis heureuse qu'il s'ancre un peu plus dans mon passé chaque jour. C'est une belle avancée.


***

Plus je fréquente cet homme, plus je me dis qu'il pourrait me correspondre. Kennedy est adorable, il ne se prend pas la tête, c'est quelqu'un de facile. Il est très ouvert et se satisfait d'un rien. Il n'exige rien de moi, et me donne un peu de son temps sans rien attendre en retour.

La seule chose qui pourrait se mettre entre lui et moi, c'est son enfant. Je voudrais plus m'engager mais il me freine. Je le comprends, dans sa situation j'en aurai certainement fait autant. Simplement, je trouve notre progression trop lente, je ne suis encore jamais allée chez lui et ce soir c'est la première fois qu'il vient chez moi.

Ça fait quand même plus d'un mois.

Je lui ai proposé de partager un dîner avec mon frère et Maïsha. Histoire que Maceo se fasse une idée du gars que je côtoie. J'espère juste que le courant passera avec mon frère, parce que ce type me plaît réellement. En même temps, je ne veux pas me tromper à nouveau, les déceptions amoureuses çà me connait trop.


*



Je suis affairée dans cette foutue cuisine depuis trois heures et je n'en vois pas le bout.

J'aurais dû les inviter au Resto !

Une fois la table mise et le repas prêt, je me décide à prendre une douche histoire de ne pas sentir le graillon. En m'apprêtant, je réalise que je ne lui ai pas donné le code de la porte d'entrée de l'immeuble. Je saisis mon téléphone et composé son numéro, Kennedy répond immédiatement. J'aime tellement sa voix grave, presque dure. C'est impressionnant !

- Ah ! Tu tombes bien dit-il, j'allais justement t'appeler.

- Ah oui ?

- Écoutes, la nounou de Joy a eu un empêchement et je n'ai pas de solution de secours alors...

Avant qu'il ne dise un mot de trop, je le coupe directement.

- Emmènes-la avec toi ! Je serai ravie de la voir enfin.

- Tu en es sûre parce que...

- Oui ! Oui ! Pas de souci.

- Je ne voudrais pas te déranger. C'est gênant.

- Mais pas du tout. Quand il y en a pour un, il y en a pour deux.

- Oh mais elle a déjà mangé et elle est en pyjama.

- Et bien emmène-la ne t'inquiète pas.

- Bon... Si ça ne te dérange pas alors...

J'ai bien cru qu'il allait me dire qu'il ne venait plus. Avec tout ce que j'ai cuisiné, je ne lui aurais jamais pardonné !

Non mais sans déconner !

Je raccroche soulagée. J'ai encore plus la pression. Je prie pour que cette enfant ne me rejette pas. J'ai déjà travaillé avec des enfants trisomiques à l'hôpital et parfois il est difficile de les approcher ou d'avoir un échange. Enfin, on verra bien !

*

J'essaie d'évacuer le stress qui m'anime, quand mon frère et Maïsha débarque. Comme d'habitude, ils ne peuvent pas se décoller l'un de l'autre. Je les trouve beaux tous les deux, lui si blond et elle si noire. C'est un magnifique contraste. J'imagine déjà leurs enfants et surtout la tête des parents quand ils vont savoir. Après Dylane et Karim, Elsie et Stan, c'est au tour de Maceo et Maïsha... À croire que les Le Kervellen sont passionnés par les étrangers.

Et je n'ai pas encore évoquer le cas Kennedy qui n'a pas l'air tout blanc non plus... Bref !

- Alors il arrive quand ton mec sœurette ? J'espère que celui-là il va rester hein ! Parce que toi et les hommes euh...

- Euh quoi ?

- Maceo un peu de respect pour ta grande soeur quand même !

- Merci Maïsha, apprend lui me respect s'il-te plait.

- Oh ça va, j'ai le droit de t'embêter un peu ! Vous n'avez aucun humour les meufs.

- Je te demande juste de bien de tenir devant Kennedy, il vient avec sa fille de trois ans et...

- Ne t'inquiètes pas Elsie, il se tiendra à carreau, sans quoi il ne me verra pas de si tôt !

- Eh ! Ho ! Tu me menaces, femme ?

- Oh mon Dieu Maïsha ! Comment fais-tu pour le supporter ?

- Il est capable du meilleur pourtant...

- Arrêtez de parler de moi comme si je n'étais pas là; je déteste ça !

Maceo n'a pas le temps de finir sa phrase que déjà Kennedy et Joy sonnent à la porte.

- Hello!

- Hello !

- Entrez ! Entrez ! Attends je vais te débarrasser.

J'ai le coeur qui bat devant la mignonerie qu'est Joy, elle est intimidée et se cache dans les bras de son papa que je trouve encore plus touchant.

Kennedy salue mon frère et ma presque future belle-sœur, nous nous installons sur le canapé pour prendre l'apéro. Les discussions vont bon train, il faut dire que Maceo a la conversation facile. Personnellement, je ne parviens pas à quitter Kennedy et sa fille des yeux. Ils sont fusionnels, c'est surprenant. du coup, je ne sais pas bien comment me positionner.

Maïsha propose à Joy de la porter sur ses genoux, la petite accepte sans problème de quitter les bras de son père. Elle lui propose un jeu de mains auquel elle adhère. Kennedy sourit, son visage s'éclaire enfin.

- Dis-donc ma chérie, tu sais y faire avec les enfants ! Lance Maceo impressionné.

- Ce n'est pas pour rien que j'ai choisi la pédiatrie. Elle est trop chou Kennedy ! Je pourrais la manger.

- Merci.

- Je vais vous proposer de passer à table, comme ça on ne dînera pas trop tard.

- Oh si c'est pour moi que tu dis ça, ne t'inquiètes pas. Joy ne s'endormira pas avant un moment. Nous avons largement le temps.

- D'accord.

Je suis franchement stressée. Un, parce que je ne sens pas la connexion habituelle avec Kennedy et deux, parce qu'avec sa fille mes repères sont perturbés.

Détends-toi Elsie. Détends-toi.


*

Le dîner s'est super bien passé et pour une fois je n'ai pas trop cuit mon moelleux au chocolat. La petite Joy s'est endormie après avoir exploité les bras et les genoux des quatre adultes qui l'entouraient. Je l'ai couché dans mon lit pour qu'elle soit bien à l'aise.

Je trouve que Kennedy fait un travail merveilleux avec elle car malgré son handicap, Joy parle et réfléchit avec beaucoup de vivacité. Elle est attachante !

Maceo et Maïsha sont rentrés et Je me retrouve seule avec mon architecte. Il est toujours aussi calme et souriant. Aucun de nous deux ne parle; Ce silence est un supplice pour moi.

Surtout lorsqu'on a vécu des années avec une certaine Nilani qui parle sans arrêt.

Je décide de le rompre en lui proposant une tisane, il accepte et nous finissons par discuter un peu.

Ouf !

- Ton frère et sa copine sont très sympas.

- Oui. Ils sont adorables tous les deux.

- J'ai compris que vous aviez une soeur, elle aussi vit à Paris ?

- Oh non, elle vit dans le sud. Dylane déteste Paris. Elle préférerait mourir plutôt que de vivre ici. Et puis là-bas, il y a la mer.

- Tu ne m'avais jamais dit que tu étais une bretonne pure souche !

- Oui c'est ça ! Une bretonne qui a grandi dans le sud et qui vit à Paris.

Ses yeux noirs se plissent, Kennedy rit de moi.

- Et bien tu vois je suis un peu comme toi. Breton et Ghanéen par ma mère, elle est métisse et Girondins par mon père.

- Côte Atlantique alors ?

- Oui côte Atlantique Madame !

- C'est étrange, le métissage. Jamais je n'aurais imaginé que ta maman soit métisse.

- En réalité, je suis quarteron. Tu vois, mon grand-père est encore plus noir que Maïsha. Et ma mère est sortie blanche comme sa mère, et pourtant elle ressemble vraiment à son père.

- Et ta fille a un teint différent du tien. Maceo pourrait avoir un enfant comme toi alors ?

- Ou comme Maïsha, ou comme Joy, ou entre les deux. Tu sais les gènes font ce qu'ils veulent !

- C'est vrai. Je trouve ça génial !

- Je suis ravie d'en avoir appris plus sur toi Elsie.

- Moi aussi.

- On a jamais vraiment l'occasion de discuter de cette façon. Là c'était... Disons... Moins conventionnel.

- C'est vrai. Mais c'est appréciable, je suis surtout ravie d'avoir rencontré ton petit bout de chou.

- Ma tornade tu veux dire !

- Oui c'est ça, ta tornade !

Nous rions ensemble.

- J'aimerai te remercier de l'avoir accepté. Vous avez été géniaux avec elle ce soir !

- Mais ne me remercie pas. C'est tout à fait normal.

- Elle en a fait fuir plus d'une.

- C'est complètement idiot !

- Je trouve aussi, dit-il dans un éclat de rire.

Puis il poursuit :

- J'ai l'impression qu'on communiquait mieux lorsqu'on s'écrivait sur le chat. Je trouve ça dommage que face à face ce soit plus difficile.

- Pas faux. La transition n'est pas simple.

- J'aimerais apprendre à mieux te connaître.

- J'aimerais te connaître mieux aussi Kennedy.

- Mais tu as été si discrète jusqu'à présent.

- Je dois faire des efforts c'est vrai.

- Moi aussi. Je le montre peu, mais tu me plaîs vraiment...

- Wow...

- Tu dois me trouver un peu long à la détente non ?

Je souris car j'ai envie de lui mettre une fusée au fesse depuis des jours. Bien sûr qu'il est trop lent ! Finalement, je tourne ma langue vingt fois dans ma bouche pour lui donner une réponse modérée.

- Je comprends que tu te préserves. C'est compréhensible... Tu as un enfant.

- Je crois que tu te préserves beaucoup aussi, je ne sais presque rien de ton passé.

J'ai du mal à avaler ma salive, ce n'est certainement pas le moment d'aborder mon passé.

- Effectivement. Je pense que la façon dont on s'est rencontré est particulière. C'est toujours délicat de faire confiance à une personne rencontrée au hasard sur le net.

- Ce n'est pas évident c'est vrai, mais si je me suis inscris sur ce site, c'est pour rencontrer quelqu'un. Je suppose que toi aussi ?

- Évidemment.

Il s'approche lentement de moi et me gratifie d'un doux baiser que je lui rends timidement.

Il lui en a fallu du temps pour se déclarer.

- Wow ! J'aurais dû faire ça plus tôt.

Tu m'étonnes, un vrai diesel le bonhomme !

Je prends tout de suite l'initiative de l'embrasser à mon tour. Tout ce que je peux dire, c'est que son contact est plus qu'agréable. J'en ai des papillons dans le ventre.

Alchimie !

À ce stade, on ne peut pas encore parler d'amour et de toute façon, je refuse de me mettre la pression. En revanche, j'espère que notre relation va évoluer; Ce type me plaît vraiment !





***

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