Chapitre 38 : Un chocolat et on repart

Décoller les lèvres scellées et prendre la fuite, hilares devant un parterre de journalistes et de photographes qui hurlent : Done.

Nos pas fracassent le trottoir en rythme, nos épaules se cognent successivement à d'autres d'inconnus qui font le trajet inverse, nos mains sont étroitement liées malgré la foule dans laquelle nous nous sommes empêtrés qui nous bousculent sans arrêt, sans, cependant, trouver le moyen de nous séparer. Choix tactique, nous ne sommes pas repérables avec nos vêtements aux couleurs neutres et tous les gens habillés dans des tenues similaires et qui ne s'occupent guère de leur prochain, ne prêtent qu'attention à nos jeux de coudes pour sortir, sans nous reconnaître. Ensemble, nous traversons le banc de poissons comme dans le métro.

Lorsque nous débouchons enfin vers la sortie du tourbillon de poisson en costume, nous remarquons un café ouvert presque vide. Mon regard croise le sien et je souris comme une abrutie, serrant plus fort les phalanges de mon coéquipier qui, à bout de souffle, peine à parler et donc pose sa main libre sur sa cage thoracique. Quant à moi, je ne cesse de l'observer, encore un peu sous le choc du baiser de cinéma qui n'en était définitivement pas un pour moi qu'il vient de me servir sur un plateau d'argent. Je retire ma main doucement puis replace une mèche derrière mon oreille en m'axant vers la petite boutique. Ce n'est pas un Starbucks, ce n'est pas un magasin qui paraît immense, il paraît intimiste.

« Je... Caleb semble prêt à cracher ses poumons à tout moment. Nous y sommes... Il prend une grande inspiration et finit, les joues rouges. Je te suis. »

Je m'engage sur le passage piéton, Caleb me suivant à quelques mètres tandis que je croise les bras, d'abord comme pour me réchauffer, ensuite en guise de bouclier. Je déglutis en posant ma main sur la porte et la pousse. Une vague de chaleur frappe violemment mon visage, dégageant quelques mèches folles qui l'envahissent depuis la course énergique que nous venons de vivre.

Dans la salle, quelques tables éparpillées, des sièges rembourrés contre certains murs, d'autres chaises plus modestes, mais toutes aussi accueillantes en face de celles-ci et enfin une espèce de comptoir qui ressemble à un immense couloir de bois. Il ne semble avoir que deux hipsters qui sirotent des boissons fumantes, en révisant quelque chose sur leurs IPad Pro et Surface Pro respectifs ici. Dans un coin, je crois apercevoir un serveur, mais il est à moitié dans l'ombre, presque invisible.

« Ça a l'air... commence Caleb à ma droite en passant au peigne fin la pièce.

Sweet ? Cosy ?

— Je dirais plus... agréable.

— Tu viens de faire un compliment ou je rêve ? Ma bouche forme un o et je lui donne un petit coup d'épaule amusée.

— Mais je fais souvent des compliments, il ne faut pas croire ! Je ne les fais que lorsque j'aime vraiment. Ou qu'il se passe quelque chose entre n –... Son regard dévie lentement vers moi, il sourit et je baisse la tête avant qu'il ne finisse, laissant son dernier mot en suspend. »

Je caresse un court instant ma lèvre inférieure en regardant dans le vide tandis que le fameux serveur débarque à nos côtés, nous pointant une table dans le fond de la salle avec un grand sourire. Il semble un peu âgé avec sa barbe poivre et sel ainsi que ses quelques rides d'expressions sur le visage. Je rejoins la place qui nous est destinée et refuse poliment le petit répertoire de boisson qu'il me tend. Quant à Caleb, il l'agrippe et le consulte d'un coup d'œil rapide.

« Pour nous deux, ce sera un chocolat chaud avec supplément Chantilly pour Madame et quelques toasts. S'il y a un œuf ou du bacon, je ne suis pas contre. Nous sommes un peu pressés, déclare-t-il en rendant la brochure puis dégainant son téléphone de sa poche.

— Bien sûr, je vous apporte ça aussi rapidement que possible. Il hoche la tête en notant sur son petit bloc pour trottinette vers l'arrière-salle. »

Une petite mélodie que je n'avais pas entendue en arrivant débarque dans mes oreilles et me concentre dessus, feignant regarder les très nombreux tableaux accrochés. J'esquive le plus possible la personne qui me fait face, quitte à paraître lunatique et à ne pas savoir ce que je veux. Il est focalisé sur le potentiel appel de Dave, c'est presque frustrant. Nous ne nous parlons pas, il est scotché sur mon téléphone, moi sur le baiser surprise devant l'entrée de Mediatics. J'ai une affreuse envie de réitérer, comme souvent d'ailleurs, mais je dois me contenir pour ne pas déraper. Ce baiser ne voulait rien dire, ce n'était que du cinéma, du pain béni pour journalistes. Je soupire, et semble avoir la tête de mon coéquipier se lève une fraction de seconde, un sourcil froncé, autre arqué.

« Tout va bien Liv' ? demande-t-il, en décrochant enfin son nez de son iPhone.

— Oui, ne t'inquiète pas, tout va bien dans le meilleur des mondes, dis-je, plus froide que je ne l'aurais voulu.

— Mon petit doigt me dit que c'est faux et mon autre pense que c'est par rapport à notre sortie que tu soupires. J'ai faux ? »

Je roule des yeux au plafond et dépose ma main gauche sur la table. Un fin rictus anime son visage en attendant une réponse. Tout en fuyant son regard, je réponds, presque blasée :

« C'est probable en effet.

— Tu sais que ce qui s'est passé ne voulait rien dire, ce n'est qu'un jeu, nous sommes des acteurs qui jouons nos rôles pour réussir ce que nous avons entrepris par consentement mutuel.

— À la base, j'étais un peu forcée d'approuver mon consentement Caleb, si j'ose le rappeler. J'attrape une fourchette entre mes doigts et joue avec elle, la fixant avec le plus de passion que je le peux.

— Ce serait mentir que prétendre le contraire. Brusquement, il dépose sa main sur la mienne qui repose la fourchette. S'il te plaît Olivia, regarde moi quand je te parle, ça me met assez mal à l'aise d'être dans ce genre de situation alors si tu me fuis, c'est encore pire. Surtout que tu peux être tactile un instant et ne plus l'être tout de suite après, ce qui m'agace.

— Votre commande est prête, coupe le serveur, déposant tout ce qu'a commandé Caleb devant nous avec son grand sourire rayonnant, bon appétit. Il s'éclipse et je me retire de ma main par la même occasion, tout en attrapant mon verre. »

Je ramène rapidement ma boisson aux lèvres et aspire une partie de son contenu. C'est délicieux, vraiment, et si ça me faire oublier la conversation que je tiens ainsi que la personne qui me fait face, ça m'arrange d'autant plus.

« Olivia... poursuit Caleb. Nous sommes ici pour toi.

— À la base, nous sommes aussi ici pour te faire sortir de la folie qui s'approchait trop rapidement de toi dans ce bureau. Mais, ça, tu l'as peut-être oublié. Je deviens amère. Enfin, bref, préviens la prochaine fois que tu souhaites rencontrer les abysses de ma bouche, je m'y préparerais mentalement.

— Oh Liv', sérieux, tu sais très bien que toute cette histoire n'est que pur mensonge. Il croque dans un toast et je croise ses yeux un quart de seconde.

— Alors la nuit de samedi à dimanche l'était aussi ? Hier soir aussi si je comprends bien ? Excusez-moi mon « chéri », mais je suis un peu fatiguée de ne plus savoir sur quel plan jouer. Okay, je suis ta petite amie fictive devant le monde entier, mais devant toi et moi seuls, je suis quoi ? Une petite assistante qui est beaucoup trop naïve pour voir qu'elle se fait mener un bateau ? Peut-être, mais figure-toi que ça me gonfle. Surtout depuis ta petite déclaration d'amour d'hier. Alors fixe-toi et nous pourrons reparler. »

Je cesse mon discours en avalant mon chocolat chaud et attrape un petit toast. Caleb a une petite moue triste qui décore son faciès et il baisse la tête comme un enfant que l'on vient de punir. Qu'il se décide, c'est tout ce que je lui demande.

« Donne-moi du temps Liv', et je te dirais une réponse. Jusqu'au Nouvel An. Le temps d'y réfléchir, tente-t-il.

— Le temps d'y réfléchir. Et j'espère que tu auras une réponse à me fournir. »

Nous poursuivons le repas sans nous regarder, ni nous consulter. À plusieurs reprises, je sens son pied frôler le mien et je frémis. Alors que nous arrivons à la fin du petit-déjeuner, le fameux appel arrive. Caleb décroche en urgence, presque affolé.

« Alors ? Tu as trouvé ? Silence. Excellent, on arrive ! Il raccroche aussi brusquement qu'il a décroché et se lève de son assise. Dave a trouvé quelque chose ! C'est reparti ! »

Le voir « heureux » me donne du baume au cœur sans le vouloir, j'esquisse un sourire quand il se tourne vers la sortie, vers le froid new-yorkais. L'enquête reprend, au grand dam de Sharon.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top