Chapitre 26
Je n'en reviens toujours pas. Alors Kràl a bien fait son retour ici. J'ai dû m'asseoir pour être sûre que je n'allais pas tourner de l'œil de nouveau.
-Attends, attends, tu es sûr que ce que tu avances ?
-Sûr et certain, me répond-il.
Moi qui pensais mettre la main sur un petit revendeur d'arme sans prétention, je me retrouve poursuivie par tout un cartel enragé. Je frissonne en pensant à quoi ils sont capables. Toujours est-il qu'ils m'ont vue avec Joe et que je suis désormais sur leur liste de suspects. Il faut donc que je me rende à l'évidence : je suis plus en sécurité cachée dans une cave avec un potentiel tueur en série qu'à me balader en ville sous la surveillance d'une vingtaine de gars prêts à en découdre.
-Bon, on fait quoi alors ?
Joe se frotte le menton. Ca fait le même bruit qu'un scratch qu'on gratte, dans le silence de la pièce, à cause de sa barbe qui pousse.
-On ne peut pas rester ici, c'est trop dangereux.
-Surtout pour toi, lui rappelé-je.
-Pas forcément, non. Maintenant qu'ils m'ont vu avec toi, ne t'inquiète pas qu'ils vont tout faire pour savoir qui tu es.
Je frissonne. Peuvent-ils vraiment découvrir mon identité ? Je suis normalement protégée par l'Etat, tous mes fichiers sont classés défense et je n'ai, à première vue, aucune existence civile.
Je peux ainsi emprunter toutes les identités que je souhaite pour infiltrer tous les gangs, cartels ou simplement approcher un simple suspect pour recueillir des informations. Cependant, je sais aussi que le cartel de Kàrl est un cartel très puissant, surtout dans son pays d'origine et je sais également que le nom de « Smith » ne leur est pas inconnu. Je chasse les pensées noires qui me viennent à l'esprit et me concentre de nouveau sur la conversation.
-Mais pour aller où ?
Joe soupire, se gratte de nouveau, cette fois les cheveux. La question est épineuse. Il est difficile de quitter sa ville natale. Ceci étant dit, je ne compte pas passer le restant de ma vie à la campagne, à regarder brouter les vaches, sous prétexte que Kràl et ses hommes sont à mes trousses. Dès que Joe m'aura enfin lâché les basques, je contacte Martin par n'importe quel moyen. Je n'ai plus de téléphone, mais il doit bien exister d'autres solutions : je lui enverrai une lettre par Laposte, ou bien même, je dresserai un pigeon voyageur – de toute façon, il n'y a que ça à faire à la cambrousse.
-A la base, j'avais prévu de partir en République Tchèque.
Quoi ? Pardon, je crois que j'ai mal entendu. Quelle personne censée irait se jeter ainsi dans la gueule du loup ? La République Tchèque ! En plein dans le territoire de Kàrl. Pour un gars qui veut lui échapper, ce n'est pas très malin. Ou peut-être que si, finalement. On ne penserait même pas que Joe serait parti là-bas et on retournerait la planète entière sans succès. Mais quand même, c'est un peu risqué. Je dois faire une drôle de tête, car Joe s'assoit à mes côtés et prend un air sérieux. Je veux dire, encore plus sérieux qu'il n'avait déjà. Un air grave, qui se prête parfaitement à la situation.
-Ecoute... Je. C'est de là bas que je viens. Je connais le pays, je connais des gens. Je pense que je... que nous serions en sécurité là-bas.
Ainsi, Joe a des origines tchèques ? Ce n'était pourtant pas indiqué dans les informations que l'on m'avait communiquées en début de mission. Pour moi, Johnatan Parisey était né en France. D'ailleurs son patronyme était tout ce qu'il y a de plus français. Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils. Se pourrait-il que nous ayons loupé quelque chose ? Que nous soyons passés à côté d'une information importante le concernant ? Cela nous aurait peut-être évité plusieurs mois d'enquêtes.
-Mais... Quels sont tes liens avec le cartel de Kràl ?
Je ne voulais pas paraître trop curieuse, mais mes habitudes d'enquêtrice ont repris le dessus, sans que je ne m'en rende compte. Je me mords les joues, mais forcément, c'est trop tard : la question est posée. Je sens Joe se raidir un peu. J'avais donc visé juste, il a bien des liens avec le cartel. Maintenant, reste à savoir lesquels. Mais je devinais que ce n'était pas des rapports amicaux.
Quoiqu'il en soit, Joe semble décidé à jouer cartes sur table. En même temps, il faut bien : nous sommes tous les deux dans le même radeau, maintenant, d'après ce que j'ai compris.
-Eh bien, disons que je n'ai pas été très honnête avec eux et que j'ai joué un double-jeu. Il est possible qu'ils s'en soient aperçus. J'ouvre la bouche pour demander quelle était la nature de ce double-jeu, qu'est-ce qui l'avait poussé à s'associer avec ce cartel, lui, petit revendeur d'armes, mais je me ravise. Ce n'est pas le moment d'être trop curieuse. On m'a souvent répété que la curiosité était un vilain défaut et si Joe a l'habitude de corriger les curieux par un coup de couteau dans le cœur, mieux valait que je m'abstienne, en effet. Après tout, Anna Oxford était une journaliste ; et on sait tous que la principale caractéristique des journalistes est de poser trop de questions, et ce, même quand cela ne les regarde pas.
Pour éviter une nouvelle erreur de ma part, puisque je n'ai pas la langue dans ma poche, je tente de résumer la situation :
-Donc, tu es poursuivi par la police et par Kràl, pour je ne sais quelle raison, et puisque je me trouvais en tête-à-tête avec toi dans ce bar, je me retrouve moi aussi à fuir des gros durs qui veulent me tuer ?
Joe fronce les sourcils. Ai-je encore dit une bêtise ?
-Pourquoi tu me parles de police depuis tout à l'heure ?
La réponse est donc oui : j'ai fait une boulette. Moi qui prenait Joe pour un gros idiot incapable de voir plus loin que le bout de son nez, il se révèle en réalité un stratège hors-pair. En même temps, quand on se frotte au groupe d'Alexej Kràl, mieux vaut avoir la tête sur les épaules. Et en attendant, j'ai visiblement révélé des informations à Joe. Se doute-t-il que je suis de la police ?
Je décide de jouer l'idiote.
-La police est aussi à tes trousses, non ? C'est pour ça que tu es parti de ton appartement et que tu avais besoin d'aide.
Je tâche d'être assurée et convaincante. Après tout, je ne mens pas : la police est bel et bien à ses trousses. Pourtant, il ne semble pas m'accorder ce point, car il secoue négativement la tête.
-C'est toi qui as conclu cela, et je t'ai laissé le croire tant que cela m'arrangeait. À aucun moment, je n'ai parlé de police.
Il sourit et semble se radoucir. Au moins, j'ai bien rattrapé mon erreur. Enfin, je crois. Le point positif, c'est qu'il ne sait visiblement pas qu'il n'est pas seulement poursuivi par une bande de gars en furie, mais aussi par une brigade d'élite qui cherche à le mettre derrière les barreaux.
Cela facilitera mon travail quand je souhaiterais l'arrêter. Je profite de ce manque d'information de sa part pour continuer à le cuisiner discrètement :
-Mais pourquoi t'es-tu sauvé de ton appartement ! On avait un deal à conclure...
Je lui lance un regard appuyé, presque accusateur. Peut-être qu'ainsi, il m'en dira peut-être plus sur son trafic d'armes. C'est dommage qu'il ait explosé mon téléphone sur le trottoir, j'aurais pu l'enregistrer pour avoir des preuves.
-Eh bien, parce que Kràl voulait ma peau ! Je n'allais pas rester les bras croisés à attendre qu'il se présente chez moi. Parfois, Chloé, je me demande dans quel monde tu vis. Tu es toujours à côté de la plaque.
Je fais la moue. Je n'apprécie pas tellement son ton moqueur. C'est vrai que ma question était un peu idiote, je ne sais pas. Mais il y a cinq minutes, j'étais toujours persuadée qu'il avait déserté à cause de moi, parce qu'il me soupçonnait, parce que Martin avait passé sa nuit à me chercher dans les rues au lieu de demander un mandat de perquisition. Mais je suis désormais bien décidée à prouver que je peux réparer mes erreurs, et les réparer bien – même si actuellement, on ne dirait pas. Effectivement, comment suis-je censée coincer Joe, si c'est plutôt moi qui suis coincée avec lui dans cette cave, et risque de me faire zigouiller si je pose un pied dehors ? C'est un nouveau problème que je dois résoudre, et ce, avant de pouvoir résoudre le deuxième.
Parfois, j'ai quand même l'impression que ma vie est un enchaînement d'erreurs que je passe mon temps à corriger – et à créer. Je me demande d'où ça vient quand même.
C'est vrai, quoi : est-ce que je suis vraiment malchanceuse et maladroite à ce point, ou bien est-ce que dieu ou toute autre entité contrôlant mon destin m'en veut personnellement ?
Mais j'interromps ces réflexions. Ce n'est vraiment pas le moment de faire le point sur ma vie. Joe me regarde toujours, il n'a pas bougé de sa place, c'est-à-dire de devant la porte. Il compte vraiment rester ici tout le temps pour m'empêcher de sortir ? Cela risque de lui poser souci à un moment ou à un autre.
-Bon, je ne suis pas très enthousiaste à l'idée de prendre le premier vol pour la République Tchèque, dis-je afin de combler le silence qui s'était installer, et pour relancer la conversation. On pourrait partir moins loin, ou ailleurs ?
-Je comprends ta réticence, mais je pense que c'est... Le meilleur endroit pour toi. Et pour moi, bien sûr.
Devant ma moue circonspecte, il balaye l'air de sa main :
-Il est tard, on verra cela demain, à tête reposée. Je pense que la journée a été riche en émotion, n'est-ce pas ?
Quand il fait un peu d'humour, son œil se plisse et sa pupille brille : cela lui donne un air plus joyeux et fait oublier ses cernes et son visage un peu creusé. En tout cas, il agit différemment maintenant que lorsqu'il était encore un revendeur d'arme au plus haut de sa puissance. Lequel est le vrai Joe ? Un peu des deux, sûrement.
Comme pour appuyer ses propos, un grand bâillement me cueille et me fait ouvrir grand la mâchoire.
-Prends le lit, je dormirai autre part.
Je jette un dernier regard dubitatif à la pièce, à peine éclairée par la lumière de la rue qui passe par le jour de la porte. Il n'y a pas d'autres lits, ni d'autre meuble pouvant servir pour. D'autant plus que je vois mal Joe et ses deux mètres approchant se glisser dans un petit coin.
-Tu es sûr que tu ne veux pas prendre le lit, refusé-je poliment. Je me sens sans doute moins fatiguée que toi.
-Pour que tu tentes de nouveau de t'enfuir ? Merci, mais je préfère que tu prennes le lit.
De nouveau, ses yeux avaient cet éclat malicieux qui me fit céder. Je me glissais donc dans les draps, sans prendre la peine de me déshabiller – à quoi bon de toute façon, je n'avais pas de pyjama. Je m'endormis presque aussitôt, je crois, non sans avoir repassé les événements de la journée une dernière fois dans mon esprit.
___________________NOTES__________________
Et voilà le chapitre 26 ! J'espère que vous l'avez bien aimé (si oui, mettez la petite étoile ! :D) J'avoue que j'ai un peu galéré à l'écrire, celui là, je le trouve un peu mou. Mais en même temps, on ne peut pas faire des scènes d'action tout le temps, non ? Qu'en pensez vous ?
D'ailleurs, les prochains aussi seront des chapitres avec moins d'action, car vu qu'on approche de la fin, c'est le moment des grandes révélations avant l'action finale (elle est déjà écrite et j'ai trop hâte de vous la montrer) !
C'est aussi le moment pour commencer à faire vos pronostics : qui va coincer Joe en premier, Chloé ou Martin ? Chloé s'en sortira-t-elle vivante ? Comment va-t-elle faire pour échapper au gang de Kràl ? Et qui est vraiment Joe, quel lien a-t-il avec ce gang, avec la République Tchèque ?
Et surtout le plus important : avec qui Chloé va-t-elle finir ? Avec Martin, avec David, quelqu'un d'autre ou bien toute seule ?
N'hésitez pas à mettre vos théorie les plus farfelues, qui sait, ce sera peut-être la bonne ? ;)
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