Un peu.
C'était un lundi matin. Le genre de matin où tout va trop vite, où les secondes filent comme du sable entre les doigts. Ma mère, une main crispée sur le volant, l'autre tapotant nerveusement contre le levier de vitesse, grillait la moitié des feux rouges de la ville. Chaque arrêt était un supplice, chaque feu vert une délivrance. Impossible de lui en vouloir, j'étais aussi stressée qu'elle. Je détestais par dessus tout arriver en retard en cours. Ma phobie numéro un.
— Bordel, mais avancez ! râla-t-elle en tambourinant sur le volant alors qu'une voiture prenait un temps fou à démarrer devant nous.
J'avais enfoncé mes ongles dans la sangle de mon sac, le regard vissé sur l'horloge du tableau de bord. 7h57. Mon cœur battait déjà plus vite.
— On va jamais y arriver... soufflai-je.
— Je fais ce que je peux, OK ?
Elle accéléra encore, les pneus crissant légèrement sur l'asphalte humide. À quelques mètres du collège, alors qu'elle s'apprêtait à passer en trombe un dernier carrefour, un cycliste jaillit devant nous, surgissant de nulle part comme un éclair au milieu du passage piéton.
— Mais c'est pas vrai !
Le crissement des freins déchira l'air, me propulsant légèrement vers l'avant malgré ma ceinture. Le choc me sembla imminent, inévitable. Le cycliste eut juste le temps de faire un écart maladroit, dérapant dangereusement avant de poser un pied à terre, les mains tremblantes agrippées à son guidon.
La portière côté conducteur claqua brutalement, envoyant un écho sourd dans la rue encore calme du matin. Ma mère venait de descendre en furie, ses talons résonnant sur l'asphalte.
— Non mais t'es complètement inconscient ou quoi ?! beugla-t-elle en levant les bras au ciel.
Dans un long soupir, je laissai retomber ma tête contre l'appuie-tête. La honte...
Et c'était censé être moi, la nerveuse, dans cette famille ?
Je sortis à mon tour, tentant de désamorcer la bombe avant qu'elle n'explose pour de bon.
— Maman, ça va, il n'a rien, c'est bon...
Erreur. Elle me fusilla du regard, l'index pointé vers moi comme un juge prêt à prononcer son verdict.
— Toi, reste en dehors de ça !
Je levai les mains en signe d'innocence, reculant d'un pas. D'accord, message reçu.
Je rouvrais la portière dans un geste las et jetais mon sac sur mon épaule. Sans un regard vers elle, je m'éloignais pour rejoindre à pied le collège. Bien trop en colère à présent pour me rasseoir avec elle à bord de cette maudite voiture.
Je la semais rapidement, alors qu'elle hurlait encore sur le pauvre garçon qui allait probablement finir en retard lui aussi. Je marchais d'un pas rapide, mais en contrôlant toujours mon rythme pour éviter de me retrouver à courir. Mon regard se perdait sur ma montre toutes les quelques secondes, le stress m'envahissant à l'idée de ne pas arriver à l'heure. Finalement, j'allais y arriver.
Je passais devant les grilles, observant les élèves traînant encore dehors, certains perdus dans des discussions banales, d'autres juste pressés d'entrer. Au loin, je remarquais enfin le pauvre cycliste. Il semblait un peu plus lent que d'habitude, sûrement encore sonné par ma mère et ses éclats de voix. Je soupirais intérieurement en le voyant, le cœur un peu plus léger.
Je n'avais pas le temps de m'arrêter. Avec un dernier coup d'œil furtif, je franchissais les portes du collège en trombe, mon cœur battant fort dans ma poitrine. Mon stress ne me quitterait pas de sitôt, mais au moins j'avais survécu à cette première épreuve de la journée.
À la pause déjeuner, je me dirigeais mécaniquement vers le self, comme tous les autres élèves, dans un flot de conversations et de bruits de plateaux. Aujourd'hui, Alyssa était absente, et, étant ma seule amie, je me retrouvais seule parmi la foule. Je la maudis de tout mon être et mon regard s'arrêta sur le garçon de l'incident. Mon regard glissa alors sur le garçon de l'incident. Il était là, seul, à une table vide. Non, pas tout à fait vide, puisque lui y était. Assis, presque comme une silhouette solitaire dans cette salle bruyante. Je soufflais, un peu agacée par cette ironie. Je n'avais vraiment pas envie de m'attarder sur ce moment, mais il semblait que tout me poussait à m'approcher de lui.
Je n'étais pas asociale, du moins pas totalement. Mais il y avait quelque chose chez moi, un blocage inexplicable, qui faisait que, malgré mes efforts, les gens finissaient toujours par s'éloigner. Peut-être que j'étais trop complexe, trop étrange pour rester proche des autres. Les disputes, les trahisons, parfois même le néant, ces situations semblaient inévitables, peu importe les efforts investis.
Je fis quelques pas hésitants avant de m'arrêter à sa table. Il était là, sous sa capuche grise, semblant parfaitement détaché du reste du monde. Quand il leva les yeux, surpris par ma présence, son regard me transperça. Ce regard. Une intensité brute, captivante. Ses yeux couleur émeraude m'enveloppèrent en un instant, et une chaleur, que je n'avais pas anticipée, monta en moi. Je détournais le regard rapidement, un peu confuse.
— Euh... Désolée pour ma mère. Elle est un peu sur les nerfs en ce moment.
— Pas grave, dit-il dans un demi sourire.
— T'es en quelle classe ? demandais-je curieuse de ne jamais avoir croiser ses pupilles pourtant inoubliables.
Après tout, il n'était pas difficile de le confondre avec un mur avec son sweat gris.
— Troisième 4 et toi ?
— Troisième 7.
Au début ce garçon m'avait paru complètement débile. Tout ce qu'il racontait n'avait aucun sens. Mais il était drôle. Il parvenait toujours à me faire rire. Finalement, je commençais à apprécier sa compagnie plus que je ne l'avais cru au départ. Je remerciais ma mère, bizarrement, de s'être énervée ce matin-là.
— T'es sûr que t'en veux pas ? demandai-je en prenant une nouvelle bouchée de ma délicieuse pizza.
La chaleur du fromage fondait encore dans ma bouche et la pâte était juste assez croquante.
— Oui, répondît-il amusé.
Je savourais en fermant les yeux, laissant les saveurs se mélanger dans ma bouche. Hmm, je ne pourrais décidément jamais m'en passer.
Le soleil, doucement, commençait à descendre dans le ciel. La lumière chaude baignait la colline, et la vue était absolument magnifique. C'était l'un de ces moments où le monde semblait suspendu, calme, figé dans une beauté tranquille. Je m'allongeais dans l'herbe, le vent frais me frôlant la peau, pour mieux contempler ce chef-d'œuvre naturel.
— C'est pas bon de manger allongée, fit-il d'un ton taquin.
— Ferme-la, bougonnais-je.
Il rit doucement et s'allongea près de moi.
— Tu viens souvent ici ? demandais-je la bouche encore pleine, mon regard fixé sur l'horizon.
— Non. Enfin je venais, mais ça fait longtemps que je ne suis plus venu.
— Pourquoi ? demandai-je, curieuse.
Il haussa les épaules, sa capuche recouvrant pratiquement ses yeux émeraudes, que je devinais rivés vers le ciel.
— Pourquoi gardes-tu toujours ta capuche ? interrogeais-je à nouveau.
Il se tourna vers moi et je perçus une lueur d'amusement dans son regard. Je me perdis une nouvelle fois dans l'intensité de des iris. Ces yeux-là étaient bien plus captivants que n'importe quel paysage autour de nous.
Sans réfléchir, je me jetais sur lui alors qu'il s'était légèrement redressé sur ses coudes. D'un coup de main, je baissais sa capuche, dévoilant de courts cheveux d'un blond hypnotisant. Moi qui m'attendais à un crâne chauve... Pourquoi cacher ça ?
J'étais surprise, mais d'une façon plaisante, ce blond presque éclatant ne correspondait pas du tout à l'image qu'il m'avait donnée jusque-là. Lui qui semblait toujours un peu dans l'ombre, caché sous sa capuche, voilà qu'il me dévoilait un côté de lui que je n'avais jamais imaginé.
Il réagit rapidement, rabattant vivement le tissu sur sa tête, comme si j'avais dévoilé un secret bien trop intime.
— Mais arrête ! T'es trop beau sans ta foutue capuche !
— Quoi, avec je ne le suis pas ? répliqua-t-il, mais un petit sourire en coin trahissait son amusement.
Je lui lançai un regard noir et il se contenta de rire calmement.
Cela faisait quelques mois déjà que je côtoyais Cem, et jamais au grand jamais, il n'avait jamais retiré sa capuche devant moi Il devait sûrement l'enlever en classe, mais sachant que nous n'étions pas ensemble, je ne pouvais pas voir ce spectacle.
— Bon ok, t'as gagné.
Intriguée, je tournai immédiatement la tête vers lui, juste à temps pour le voir attraper le bord de sa capuche et la faire glisser en arrière. Ses cheveux blonds se dévoilèrent sous la lumière du soleil couchant, révélant des reflets dorés que je n'avais pas remarqués auparavant. Je souris, satisfaite, avec une petite pointe de fierté.
— Enfin ! m'exclamai-je en croquant dans ma part de pizza.
Je me laissai retomber dans l'herbe, savourant la chaleur du sol sous mon dos. Le ciel, teinté de nuances orangées et rosées, donnait à ce moment une atmosphère irréelle. Je pris une nouvelle bouchée, bien décidée à profiter de cet instant de victoire.
Mais à peine avais-je avalé que je sentis un morceau passer de travers. Je me redressai brusquement, toussant violemment, la main sur la gorge.
— Lys ? Ça va ?
Sa voix, inquiète, fendit l'air tandis que je continuais de tousser, secouée par une quinte incontrôlable. Après quelques secondes laborieuses, je parvins enfin à retrouver mon souffle.
— Je me suis étouffée ! réussis-je à dire, encore essoufflée.
Il leva les yeux au ciel dans un sourire. Cet idiot avait raison.
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