Chapitre 14. La suite

« Et faut qu'tu penses à la suite, tu veux ton nom à l'affiche,
Dis-toi qu'changer ton histoire triste en une romance ça va vite »

Il va falloir organiser un petit conseil de famille, il est hors de question que j'impose à mes parents et ma sœur, la présence régulière d'Iris. Il faut qu'on en discute. D'autant plus que ça va forcément créer des commérages dans la famille, il va falloir être très clair.

Je profite d'un dîner où nous sommes simplement tous les quatre pour aborder le sujet. De façon claire, nette et précise, afin de limiter au maximum les remarques gênantes de mon père.

— Il faut que je vous parle de quelque chose. Je vous préviens ça va demander de vous un peu d'ouverture d'esprit.

Mes parents échangent un regard étrange et Ania porte sa main à sa bouche et me dévisage étrangement.

— T'es gay ! Putain Ilyes avait raison ! lance-t-elle, Oh mon Dieu mon frère fait son coming out !

Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être pu rire de la tête de mon père. Mais là je suis simplement agacé, parce que ma soeur me fait perdre du temps.

— Il ne s'agit pas de ça, idiote. Laisse moi parler au lieu de brailler.

Elle se renferme sur elle comme une huitre, je ne relève pas. Ania a tendance à m'agacer en ce moment, et le fait qu'elle refuse toujours de parler à Jade n'y est pas étranger.

— Voilà, vous savez qu'Iris enchaine les conneries ces derniers temps.

« Ces derniers temps » comme si c'était un phénomène récent.

— Bref, la dernière en date, c'est une addiction aux anxiolytiques... Elle n'arrive pas à dormir sans en prendre en grande quantité. Sauf quand...

Ma phrase reste en suspens quelques secondes, je croise le regard de ma mère qui comprend aussitôt.

— Sauf quand quoi ? demande mon père.

— Sauf quand Naël est là, Idriss. Elle dort bien avec lui.

Merci Maman.

Un air malicieux traverse le visage paternel et semble contaminer celui de ma sœur. Ça m'agace déjà, il n'est pas question de cela.

— Papa, s'il te plaît, sois sérieux deux secondes. Crois moi ça m'arrange pas du tout cette histoire. La question c'est, est-ce que ça vous dérangerait si Iris dormait quelques soirs ici, au moins jusqu'à ce qu'elle aille mieux, ou est-ce que vous préférez que j'aille chez les Samaras ?

— Vous êtes majeurs non ? demande mon père, Je pense pas que t'aies besoin de me demander la permission pour qu'une fille dorme à la maison.

C'est assez drôle qu'il réagisse comme ça, en sachant que je suis certain que ma sœur ne pourra jamais ramener un gars à dormir à l'appart avant d'être mariée.

Que voulez-vous, certaines mentalités mettent du temps à changer.

Puis il relève les yeux vers ma mère, qui elle a l'air dubitative.

— Pardon chérie, je ne t'ai pas demandé ce que tu en pensais.

Voilà pourquoi selon moi, mes parents sont le meilleur couple de la planète. Dix-neuf ans qu'ils sont ensemble, ils ne se sont pourtant jamais mariés, mais j'admire vraiment leur capacité à toujours prendre en compte l'autre dans n'importe quelle décision nous concernant.

— Je ne suis pas très sûre que ce soit une bonne idée, souffle ma mère, je ne suis pas contre le fait d'héberger Iris, notre porte est toujours ouverte pour la famille et si elle a besoin de quitter un peu ses parents, je peux le comprendre. Néanmoins, j'ai un peu peur que tu portes trop ses difficultés et que ça pèse sur ta vie en général. Et puis fais attention aux relations ambiguës dont les bases sont floues. Ce sont celles qui font le plus souffrir.

Toujours pleine de sagesse, la meilleure mère. Avec Violette, quand même.

Mon père doit penser la même chose que moi, parce qu'il lui jette un regard adorateur qui ferait lever les yeux au ciel à ma tante Maya.

— On peut peut-être partir sur un compromis, suggère-t-il, Elle prend la chambre d'amis, à condition qu'on soit sûrs qu'elle aille au lycée tous les jours, Ania témoignera. Interdiction de mentir d'ailleurs benthi, si j'apprends que tu l'as couverte, t'iras faire un stage de redressement chez mon frère. Comme ça si Iris fait une crise ou je ne sais quoi la nuit, Naël est pas loin. Et ça la sort un peu de chez elle. Faut en parler avec Ken et Clem... Mais si ça leur va, et Luce si t'es d'accord, je suis pas contre.

C'est effectivement un bon compromis. Je ne suis pas certain de vouloir que mon espace soit totalement envahi par Iris, j'ai besoin de garder certaines limites.

— Je préfère ça, effectivement, acquiesce ma mère, Tu n'es pas son doudou Naël. Tu dois garder ta liberté. Je vais appeler Clem pour en discuter.

Je suis content de cette discussion, la réaction parentale a été sage et mesurée, ils m'ont permis de garder les pieds sur terre.

Pour autant je garde une certaine appréhension, Iris est loin d'être facile à vivre et je sais déjà qu'on risque d'avoir du mal à s'entendre. Je sais aussi que ça m'inquiète pour Ania, qui aura sûrement tendance à vouloir la copier. Il va falloir que je sois ultra vigilant.

Le bon côté des choses dans le fait que ce soit chez mes parents, c'est que s'il y a un problème, ils auront moins de scrupules que moi à la mettre à la porte.

***

Les Samaras ont accepté, Iris a passé un contrat avec mes parents et les siens, elle peut rester chez nous autant de temps qu'elle le désire, à condition qu'elle aille en cours, qu'elle dîne minimum deux soirs par semaine avec nous et deux autres chez ses parents. Elle sait qu'à la première incartade, elle retourne automatiquement chez elle. Résultat, à partir de la semaine prochaine, nous auront une nouvelle habitante chez nous.

Je n'arrive pas à me rappeler comment on en est arrivés là.

Arthur est ravi, des crises en moins chez lui, c'est toujours ça de pris.

Je suis justement affalé dans le canapé des Akrour avec lui et Amir, une partie de FIFA qui s'éternise, les parents sont sortis avec Nejma. Quelques bières sur la table, un samedi après-midi à glander parce que j'ai fini mon travail pour les cours, je me sens presque comme un étudiant normal qui traine avec ses meilleurs amis.

— Oh les gars ! fait Arthur qui consultait son téléphone, j'ai bossé pour ton clip Amir.

Si vous tapez A.M.R sur youtube, vous verrez que la plupart de ses clips sont réalisés par Arthur Samaras. Il faut savoir que ce dernier à tout un tas de talents, c'est assez dingue, il se passionne tout le temps pour de nouvelles choses. La mode, la réalisation, le cinéma, il écrit même des nouvelles à ses heures perdues et fait du théâtre depuis six ans. La seule chose qui ne l'intéresse pas, ce sont ses études, là c'est la catastrophe, il arrive à peu près à se maintenir avec la moyenne, mais chaque passage en classe supérieure est remis en question par ses professeurs. Mais bon, il s'en fout, il gagne déjà sa vie.

Amir met la partie sur pause et jette un regard interrogateur à son ami.

— Vu que c'est du storytelling et que tu parles de harcèlement scolaire, fait le petit brun, il faut qu'on demande à Paul Bert si on peut tourner au lycée un samedi aprem'. On demande à Jade de faire la meuf harcelée, elle a grave une tête de fragile.

— Dis tout de suite que c'est une victime, grogne Amir, Jade voudra jamais, elle aime pas qu'on la remarque, alors tourner dans un clip laisse tomber.

Pourtant je trouve que ce n'est pas une mauvaise idée, ce serait encore un moyen de permettre à Jade de s'affirmer. En plus ça fait des mois qu'Ania harcèle Arthur pour être l'héroïne d'un des clips d'Amir.

— On a rien à perdre à lui proposer, appuyé-je, Je pense que je pourrais la convaincre d'essayer. C'est vrai que Jade serait parfaite, pas parce qu'elle a une tête de victime, mais parce qu'elle représente bien l'adolescente timide qui ose pas trop se défendre.

— Ouais, admet Amir, Et puis elle est hnina, ça passe toujours bien. Et tu veux faire quoi comme genre de clip ? On me voit rapper dedans ou juste une sorte de court métrage avec le son ?

Arthur a visiblement tout prévu, il se lève, récupère son ordinateur dans son sac à dos et revient pour l'ouvrir sur la table basse.

— J'ai bossé dessus pendant le cours de physique la dernière fois. L'idée, ce serait de faire un plan-séquence, en gros on suit la petite dans le lycée, et au fur et à mesure qu'elle évolue dans les différentes pièces, les gens la bousculent, la pointent du doigt, etc. Après on travaille ça au montage, et on fait en sorte que son image devienne de plus en plus transparente petit à petit, jusqu'à ce qu'elle s'évapore complètement et qu'il ne reste plus que le lycée et les harceleurs. Et là le plan s'arrête sur toi qui termine ton couplet. Tu vois l'idée ?

Mon cousin plie les lèvres et hoche la tête.

— J'aime bien, fait-il, c'est un peu cliché, mais ça va bien avec le son.

Au même moment, la sonnerie retentit et Amir se lève alors que Draxler, le staff des Akrour se met à aboyer.

— Ça doit être Jade, je lui ai proposé de nous rejoindre. Drax' , la ferme !

J'écarquille les yeux, étonné qu'Amir, très partisan des soirées "entre mecs", ait invité Jade. Cette semaine a dû bien se passer.

— Ouais, explique-t-il, Elle m'a dit qu'elle allait passer son week-end alone, Deen et Vio travaillent, ils ont envoyé Romy et Léo chez leur grand-mère pour les vacances de février. Alors je sais pas... Je me suis dit qu'on pouvait faire une exception, c'est la famille.

Arthur me dévisage, complètement ahuri pendant qu'Amir va ouvrir.

— Depuis quand Amir parle à Jade ? demande-t-il.

Comme d'habitude, Arthur tombe du ciel.

— Depuis que ma soeur et Aby la snobent et qu'Amir fait en sorte qu'elle ne soit pas trop seule. Deux semaines, en gros.

Mon ami frotte sa barbe inexistante en affichant toujours un air perplexe.

— C'est pratique, on va pouvoir lui parler du clip, fait-il après une brève réflexion.

Amir réapparait suivi de la petite blonde, je suis assez fier d'elle, c'est vraiment bien qu'elle ait eu le courage de venir.

— Salut Jadou, je fais en me redressant pour lui faire la bise, C'est cool de te voir ici !

Arthur lui tend la main pour la checker et se remet rapidement à pianoter à toute allure sur son ordinateur.

— Sers toi si tu veux une bière, fait Amir.

Je fronce les sourcils, on ne va pas commencer à faire boire une adolescente.

— Euh, c'est gentil, murmure-t-elle, Mais euh... J'ai pas le droit de boire de la bière sans les parents avant d'avoir seize ans.

Ah oui, parce que chez les Castelle, ça fonctionne par palier. Comme ils savent très bien qu'interdire totalement l'alcool ne sert à rien, il ont mis en place ce système. À partir de quatorze ans, elle a le droit de boire une coupe de champagne ou une bière quand ses parents sont dans le coin et que c'est une occasion spéciale. À partir de seize ans, elle aura le droit à tous les alcools en dessous de douze degrés. C'est selon moi, une façon de faire qui ne peut fonctionner qu'avec une fille obéissante et mesurée comme Jade. Pas sûr que ça marche avec Romy, encore moins avec Léo. Même si le fait que les parents ne boivent pas, limite grandement l'intérêt des enfants pour l'alcool.

Chez mes cousins c'est un autre problème.

On a même eu peur pour Hakim pendant une période. Je n'ai pas encore abordé ce sujet mais... Il y a quelques années, mon oncle et ma tante se sont séparés, ça a duré un moment, vraiment pas une étape facile, pour les enfants comme pour eux. Et mon oncle buvait beaucoup à ce moment là. Ils ont fini par se remettre ensemble en voyant les papiers du divorce. Bref, je n'ai jamais vraiment compris ce qu'il s'était passé, parce qu'Amir refuse d'en parler, je crois que ça vraiment affecté les jumeaux.

— Naël, tu planes ? On dirait Arthur ! me secoue mon cousin, Je vais prendre un coca pour Jade, t'en veux un ?

J'acquiesce sans vraiment réaliser et capte mon attention sur la jeune fille qui s'installe à côté de moi avec un air un peu emprunté.

— Ça va ? je demande, Ça s'est mieux passé cette semaine ?

Elle hoche la tête et un timide sourire nait sur ses lèvres, alors qu'elle entortille ses doigts entre eux.

— Oui, j'ai essayé de faire ce que tu m'as dit. Les gars sont cool, je commence a apprécier leur compagnie.

Je ne peux pas en être plus ravi, je me sens autant responsable de son bonheur que de celui de ma soeur et c'est important pour moi de savoir qu'elle est bien entourée.

Amir revient et dépose deux canettes sur la table basse avant de se laisser tomber de l'autre côté de Jade.

— On a un truc a te proposer, lance-t-il alors d'une voix sérieuse, Tu sais le son que j't'ai fait écouter jeudi ?

La blondinette hoche la tête.

— On va le cliper, Arthur a taffé dessus.

Il se tourne vers l'intéressé qui est toujours concentré sur son écran.

— Arthur ! je fais, On te parle !

— Putain les mecs, j'ai une idée de génie ! s'exclame-t-il alors, Au début du clip, Jade elle fait un dessin qui représente un endroit cool, puis elle le jette dans une poubelle et là on part dans le plan-séquence. Et à la fin, au lieu de n'avoir plus que le lycée rempli des harceleurs et Jade complètement effacée. Quand Amir rappe les dernières paroles, il fait disparaître le lycée, et apparaître Jade, et autour d'eux petit à petit l'endroit qu'elle a dessiné au début.

C'est ce qu'on appelle une proposition délicate. Je trouve l'idée super mais Jade ne comprend rien elle a l'air complètement perdu.

— Merci Arthur, souffle Amir, Bon en gros voilà, on voulait te proposer d'être dans le clip, t'as capté ? T'es pas obligée d'accepter mais... Je sais pas on t'imagine bien dedans... T'inquiète t'auras pas grand chose à faire. Juste marcher dans le lycée en fait.

Elle écarquille les yeux et me regarde fixement, comme si j'étais le principal concerné.

— Mais, murmure-t-elle, Pourquoi moi ?

— Parce que t'es une babtou fragile et que c'est exactement ce dont on a besoin pour ce rôle. D'ailleurs c'est pour cette même raison que tu vas refuser.

Mais Amir, t'es complètement idiot ? ai-je envie de balancer. À quel moment pense-t-il que ça va marcher de lui proposer de cette façon ?

À ma grande surprise, Jade envoie un violent coup de coude dans les côtes de mon cousin.

— Très bien tenté ! lui lance-t-elle, Tu crois que je n'ai pas capté que t'essaies de me mettre au défi ?

Le coin de la lèvre d'Amir s'étire et une lueur amusée traverse ses yeux glacés.

— Tu progresses, c'est bien cousine.

J'ai l'impression désagréable d'avoir raté un épisode et vu l'air absent qui règne sur le visage d'Arthur, lui, c'est une saison entière qu'il a manqué.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top