8. Quel rôle jouer dans sa propre vie ?
« Allez, lève-toi, faut qu'on aille promener les chiens ! Y a un super soleil dehors ! »
Huit heures trente un samedi matin, Aaron ouvrait à peine les yeux. Kilian, lui, courait déjà en slip aux quatre coins de sa chambre, poussant et balançant en l'air ses peluches à la recherche d'un t-shirt propre. Depuis que Cédric était hospitalisé, le linge sale du blondinet s'était entassé. Pour certaines choses, il avait cruellement besoin d'un frère. Pour les autres, heureusement, comme le suivre dans ses idées un peu folles, il avait un petit ami à disposition.
C'était rare que le brunet soit le dernier à se lever le week-end. Peut-être que la promesse de passer la journée en extérieur pour profiter un maximum des derniers jours de l'été avait suffisamment fait envie au blondinet pour que son organisme se réveille de lui-même à une heure où, d'habitude, il préférait encore serrer ses draps le nez plongé dans son oreiller. Aaron, lui, semblait bien moins pressé de se mettre en route, même si le programme qu'il avait planifié était bien rempli jusqu'au soir. En même temps, se coucher sur le coup des deux heures du matin pour finir un chapitre alors que son blondin roupillait déjà depuis longtemps, ce n'était pas forcément la meilleure idée qu'il avait eu de toute la semaine. Heureusement que pour l'aider à se réveiller, il restait toujours la bonne vienne technique du coussin dans la figure dont Kilian était passé maitre à cause de leurs très nombreuses chamailleries qui finissaient souvent de cette manière.
« Allez, lêve-toiiiiiiiiii ! T'avais promis ! Et dis, t'as pas vu mes chaussettes vertes qu'on a achetées la dernière fois ? J'les ai mises qu'une fois ! »
« Va voir dans le frigo si elles n'y sont pas et laisse-moi pioncer ! », répondit simplement le brunet en grognant après avoir renvoyé son coussin dans la tête de l'envoyeur.
Peut-être était-ce à cause du choc ou de l'heure matinale, toujours est-il que l'adolescent aux cheveux dorés s'exécuta sans broncher. Ce qui le surprit le plu fut sans doute de retrouver ses bas à côté des yaourts, sous un sac de pommes de terre. Ah, ça lui revenait, maintenant ! Il y avait à peu près deux semaines, lui et Aaron s'étaient tombés l'un sur l'autre à même le sol de la cuisine après avoir fait les courses. Passé la douleur d'être plaqué violemment sur un carrelage glacé, il se souvenait avoir succombé aux assauts brulants de son petit ami et lâché son petit piaillement significatif indiquant qu'il était d'accord, là, tout de suite, maintenant, vite, ça urgeait. Certains vêtements avaient volé avant que le claquement d'une porte causée par le retour de François ne force les tendres amants à se regarder comme deux ahuris. Même si l'adulte n'était pas stupide au point d'ignorer ce que les deux adolescents qui vivaient sous son toit faisaient dans l'intimité, ils n'avaient pas la folle envie de se faire griller en pleine action. Alors, en moins de trente secondes chronos, ils avaient procédé à la séparation des corps, au rhabillage en vitesse et au rangement précipité des courses, sifflotant simplement lorsque le père passa la tête par l'ouverture de la porte pour voir si tout allait bien.
C'était donc là qu'il avait rangé ses chaussettes ! Heureux de les avoir retrouvées, le blondinet les enfila en sifflotant. Elles étaient glacées, ce qui lui procura un frisson de plaisir. Puis, songeur, il remonta à quatre pattes les marches qui menaient à sa chambre. Cela faisait bien une semaine qu'il n'avait rien fait avec son petit copain, en fait... Entre l'anniversaire de Gabriel, l'escrime, les obligations du jeudi soir, les cours, l'écriture et la fatigue, ni l'un ni l'autre n'avaient ressenti un intense besoin de se rapprocher. Enfin, c'était comme cela que Kilian le vivait. Ce qui le choquait le plus n'était pas tant qu'il n'ait rien demandé, mais plutôt que son homme n'ait rien exigé. Ce manque de désir, cela ne ressemblait pas à Aaron.
Dans son lit, émergeant enfin, le brunet s'était fait exactement la même réflexion. C'était comme s'il s'était passé une infinité de temps sans que son amoureux ne le réclame intimement. Cela le laissait perplexe. Même leurs douches, ils ne les avaient pas prises ensemble depuis une blinde, avec toujours une excellente raison pour créer un décalage. C'était étrange. Il voyait bien que Kilian bavait d'excitation en lisant et relisant les premiers chapitres de son roman, pour certains assez explicites. Et pourtant, le blondinet n'avait plus osé demander que ses fantasmes deviennent réalité depuis déjà la dernière fois qu'ils avaient fait l'amour, ce qui commençait à remonter.
« Bon, on y va ? »
Alors qu'Aaron avait à peine glissé un caleçon sur ses cuisses et était toujours assis, Kilian se tenait déjà devant lui, vêtu et lavé. De ses doigts, il tripatouillait son collier. De ses dents blanches, il serrait la laisse de Patapouf comme s'il la destinait à son propre usage. Avec un sourire, le brunet se leva et lui passa ses phalanges sur la tempe, le front, le haut de la joue et le bout du nez avant de fugacement embrasser ses cheveux aux reflets dorés. Rien n'y faisait, les jours avaient beau passer à toute vitesse, il ne pouvait s'empêcher de trouver ce petit blond candide aussi craquant et attachant que lorsqu'il avait croisé son regard pour la première fois.
« Laisse-moi passer cinq minutes dans la salle de bain et on bouge... »
Sous la douche, Aaron ne pensa qu'à deux choses : à comment il pourrait combler son petit ami pendant ce week-end, et à la discussion qu'il avait eue peu après la rentrée avec son père. Cette dernière lui serrait la gorge et écrasait la poitrine sans jamais vouloir sortir de sa tête.
Pour s'occuper en attendant, Kilian s'était posé dans le salon en tailleur sur le sol. Faisant la causette à Mistral et Patapouf, il leur expliqua à quel point ils allaient passer une bonne journée tous les quatre, l'ado à poils blancs, le bébé à poils dorés, papa Kilian et maman Aaron. La plaisanterie provoqua immédiatement la réaction surprise et agacée du brunet qui venait de descendre. Vêtu à la cool avec des chaussettes grises, un jean et un t-shirt blanc à manches longues, il n'en gardait pas moins ses réflexes machos.
« Hein ? Moi, la mère ? Tu t'fous de ma gueule ? Attends, t'as vraiment l'impression que c'est moi la gonzesse du couple ? Tu t'es jamais entendu piailler ! En plus, techniquement, on est deux mecs, donc il a deux papas ton clebs ! Et même, j'ai strictement rien de maternel ! »
Un peu surpris par cette engueulade qui n'avait aucun lieu d'être mais qui était quand même rassurante – et même excitante par certains aspects –, Kilian baragouina sa justification :
« Mais... c'est pour l'équilibre du chien ! Tu vois bien que je suis son papa, il arrête pas de réagir quand je lui dis que papa n'est pas content ou que papa l'adore ! Et pour être bien élevé, un chien, il a besoin d'un environnement structuré, avec un papa et une maman. C'est pour son bien, tous les scientifiques du parti Chrétien-démocrate te le diront ! Bon, okay, argument de merde, c'est toi le papa. Mais dans ce cas, c'est toi qui devras lui dire la vérité sur son adoption quand il sera en âge de comprendre ! »
Se passant la main se le visage, Aaron soupira d'exaspération. Ce blond méritait une monstrueuse punition pour oser être si bête ! D'ailleurs, il l'aurait, et d'ici la fin de la journée. Il fallait juste lui laisser un petit peu de temps pour réfléchir à la sentence qu'il devrait appliquer en cas de crime de blondiniaiserie avancée. Mais le châtiment serait douloureux et sans doute érotique, ça, c'était une certitude.
Ravis – et rassuré – d'apprendre qu'il passerait bientôt à la casserole, Kili'an suggéra à son camarade de s'inspirer de son roman, ou alors de ce film interdit aux mineurs particulièrement choquant qu'ils avaient tous les deux regardé sous les draps cet été. Amusé par cette réaction, Aaron glissa tendrement ses doigts dans la main de son petit ami et ne la lâcha pas de tout le trajet jusqu'à leur premier arrêt.
Avant de s'amuser, le blondinet avait quelque chose d'important à faire : rendre visite à son frère. Même si ces moments n'étaient jamais agréables, ils étaient moins douloureux qu'à l'époque où Cédric était plongé dans le coma. Au moins, là, on pouvait lui parler, même s'il avait encore du mal à se concentrer et souffrait d'atroces trous de mémoire. Sur place, alors qu'Aaron gardait les chiens près de l'entrée de l'hôpital, Kilian croisa Sandra, la petite amie de son aîné, avec qui il discuta un long moment. Tout le monde devait se serrer les coudes jusqu'à ce que ça aille mieux, mais en attendant, il fallait continuer de vivre le plus normalement possible.
Un peu secoué comme toujours quand il sortait de ce genre d'entrevues, le blondin s'agrippa au bras de sa panthère et lui demanda une longue balade sans but dans toute la ville. Les deux lycéens passèrent la matinée aux alentours du parc. Si au début, ils se contentèrent de regarder des enfants s'amuser, ils ne mirent pas longtemps à lancer eux-mêmes des bouts de bois à leurs chiens. À chaque fois que Patapouf arrivait à ramener ce que son propriétaire l'envoyait chercher, cela faisait la fierté de ce dernier. Pour la chaussure d'Aaron, par contre, ce fut bien au blondinet d'aller la récupérer. Entre l'animal qui s'était épris d'un papillon qui passait par là et que le brunet qui le regardait avec des yeux particulièrement mauvais, Kilian avait dû admettre que chiper les affaires des autres et jouer avec était une mauvaise idée et qu'elle méritait d'être notée sur la liste interminable des raisons qu'Aaron avait de le punir. Mais il verrait, son brun. Un jour, il ferait sa propre liste, et là, rirait bien qui rirait le dernier. Un peu surpris par le côté indocile de son lionceau, le lycéen aux cheveux corbeau nota à la suite du reste cette tentative de rébellion. Frustré, le blondinet bouda jusqu'à la terrasse de la crêperie. Les chiens à leurs pieds, les deux amoureux déjeunèrent dans la bonne humeur. Complétement repus après une galette jambon-œuf-fromage-champignon-truc-bizarre-qu'on-sait-pas-c'que-c'est-mais-c'est-bon-donc-c'est-pas-grave et d'une énorme crêpe banane-Nutella-chantilly, Kilian soupira en regardant le ciel bleu parcouru par quelques nuages blancs. Si ça, ce n'était pas le bonheur, alors il ne savait pas ce que c'était.
L'après-midi, les deux compères se mirent en route du petit bois dans lequel ils aimaient tant se promener, avec l'idée ferme de profiter des derniers jours d'ouverture de l'espace repos qui jouxtait le lac. En chemin, le brunet s'arrêta quelques instants faire une course dans une boutique pour la petite enfance, à la plus grande surprise de son petit ami qui l'attendit dehors avec les chiens et qui n'eut même pas le droit de savoir ce qu'il avait acheté. Arrivés à destination, les deux lycéens se jetèrent sans réfléchir à l'eau, même si elle était fraiche. Toute la journée, ils profitèrent ainsi des installations – dont de magnifiques vespasiennes neuves – que leur petite municipalité paumée du département du Rhône avait fait construire.
Sur les coups de dix-sept heures, Aaron indiqua à son camarade qu'il était temps de rentrer et qu'ils avaient une masse de devoirs à faire. Râleur, Kilian accepta de se rhabiller et de le suivre en trainant des pieds, quand bien même le chemin qu'ils prenaient n'était pas celui de la maison. Ce ne fut qu'après plusieurs minutes qu'il comprit en lâchant un grand « ooooh » songeur qu'elle était leur véritable destination, à savoir la petite cabane de pécheur de l'oncle d'Aaron où ils avaient vécu leurs premiers émois. Cela faisait des lustres qu'ils n'étaient pas venus s'y ressourcer. Véritable sanctuaire, Kilian y avait vécu un certain nombre de choses merveilleuses, suffisamment pour que les souvenirs qui lui revenaient en mémoire lui donne immédiatement l'envie d'en créer d'autres, et si possible des sauvages.
Attachant Mistral et Patapouf à l'extérieur, le blondin s'accroupit au niveau de son chiot – qui aurait bien voulu voir de quel bois était fait l'intérieur – et le caressa énergiquement.
« Maintenant, faut être sage, papa et maman reviennent, ils vont juste mettre en route le petit frère... euh, enfin, on se comprend, quoi... Toi, tu restes avec Tonton Mistral, et vous aboyez si des gens viennent nous embêter, d'accord ? »
Une fois bien installé à l'intérieur, Kilian se laissa tomber à la renverse les bras écartés sur le matelas sur lequel il avait souvent dormi. Un sourire s'affichait clairement sur ses lèvres. Il trépignait d'impatience.
« Bon, c'est l'heure de ma punition, Aaronounet ? Je plaide coupable de tous les chefs d'accusation ! J'ai été un méchant blond, un véritable gosse, une vraie terreur ! Je mérite au moins qu'on m'aime très fort ! Je ne sortirais pas de cette cabane avant d'avoir payé ma dette à la société ! Tu m'mords les fesses ? »
Amusé, le brunet éclata de rire avant de sortir de sa sacoche une pochette contenant l'objet qu'il avait acheté plus tôt cette après-midi-là et qu'il enfonça d'un coup sec entre les lèvres d'un Kilian apeuré et rouge de honte. Mais même secouer énergiquement la tête de gauche à droite devant cette horrible chose n'empêcha pas le tortionnaire d'aller au bout de son idée.
« Déjà, tu vas arrêter de m'appeler Aarounounet ! Les surnoms débiles, ça suffit ! Et puis surtout, tu vas te taire ! Oh putain, t'es trop mignon avec une tétine de bébé dans la bouche... Vas-y, tète pour voir... Oh c'est trop génial ! Bon, j'te condamne à te laisser faire, c'est tout ! »
Plus gêné que jamais, Kilian fixa le plafond des yeux et suçota avec obéissance l'objet qu'il avait dans le gosier. Ses joues écarlates le brulaient de l'intérieur. Sa honte humidifiait ses paupières sans qu'il ne s'en rende compte. Ses doigts recroquevillés à l'intérieur des mains, il laissa son petit ami lui arracher le t-shirt et l'utiliser pour lui lier les poignets, puis tirer son jogging et son caleçon d'un seul coup, affichant de manière piteuse que son désir était à son paroxysme. Jamais le blondinet ne s'était senti aussi humilié, fragile, faible, déshonoré et paradoxalement bien. Et plus il tétait comme un bébé en sentant le regard perçant de son amoureux sur son pauvre corps abandonné, plus ses gémissements nourris s'étouffaient dans sa gorge. Tout ce qui suivit ne fut qu'une longue et intense torture jusqu'à l'extase. Il n'avait pas besoin de s'offrir à son homme, ce dernier le prenait sans demander l'autorisation. Aidé de sa langue, de ses doigts et de sa virilité, et usant de son temps pour embrasser, caresser, mordiller et découvrir chaque recoin, il n'y eut pas un seul endroit du corps de Kilian qu'Aaron ne visita pas. Le visage rendu complètement humide par l'intensité de ses émotions, le blondinet trembla et se cambra à chaque passage des dents de son amoureux sur ses tétons, sur son postérieur et à l'extrémité de son être. Chaque petite intrusion en son sein le fit se trémousser et trembler comme si une décharge parcourait son corps. Combien de temps dura cette douce abomination ? Une heure ? Peut-être deux ? Kilian ne savait pas. Il n'avait plus conscience de rien. Le monde autour de lui n'existait plus. Dans sa réalité, il n'y avait plus que peu de choses : son homme ; lui ; sa peau rouge, brulante et dénudée ; sa tétine qu'il suçait toujours plus énergiquement pour ne pas crier quand la douleur de se faire tirer les cheveux ou de subir la musculature du garçon qui le possédait se faisait trop forte.
Quand enfin la scène prit fin, le brunet s'écroula de fatigue à côté de son amoureux qui resta quant à lui immobile pendant de longues secondes pour reprendre ses esprits.
Kilian avait tout bonnement trouvé cela génial. Violent, osé, abusé même, mais vraiment génial. Pas sa meilleure fois, il ne fallait pas exagérer, mais quand même super bien, dans le haut du panier. D'une certaine manière, cela avait presque valu le coup de se priver pendant une semaine, tient ! Parole de blond !
Et pourtant, toute la soirée, Aaron la passa fatigué et éreinté comme si son esprit était ailleurs, nostalgique d'un monde qu'il n'avait jamais connu. Sur le chemin du retour, il n'avait pas dit un seul mot, jetant à peine un regard où deux à son cher et tendre qui titubait entre Mistral et Patapouf. Un seul terme lui revenait en tête et ne voulait plus en sortir.
Égoïste.
Toute cette journée qui repassa en boucle dans son esprit lui donnait cette impression. C'était en lui depuis l'enfance. Sa sœur en avait même fait un surnom, pour indiquer à tous qu'il ne pensait jamais qu'à lui-même et à son propre plaisir. Elle avait tellement raison...
Dans la cabane, rarement il avait autant désiré Kilian. Pourtant, en plein milieu, en observant une larme couler sur sa joue d'adolescent aux yeux verts, quelque chose s'était bloqué. Il aurait pu tout arrêter et simplement serrer son petit trésor contre lui pour lui demander si ça allait. Au lieu de ça, il avait continué son affaire comme si de rien n'était, comme si Kilian lui appartenait tout autant que le héros de son roman était la possession matérielle de l'Aar'on. Le plaisir s'en était allé pour laisser place au devoir, celui d'un presque homme voulant à tout prix remplir son rôle pour masquer ses propres faiblesses. Une prison dans laquelle ils s'étaient tous deux enfermés en silence. Des chaines qui les entravaient, eux et leur amour.
« Papa Kilian et Maman Aaron... »
Pourquoi avait-il réagit avec tellement de violence à cette plaisanterie ? Pourquoi avait-il ressenti le besoin de corriger et de punir Kilian ? Pourquoi avait-il eu l'envie de l'infantiliser en lui fourrant une tétine dans le bec ? De l'humilier en indiquant aussi clairement et brusquement que c'était bien lui, l'homme, comme il l'avait toujours été, comme si c'était l'état normal des choses ?
Non, ça aussi c'était faux. Au tout début, il n'y avait pas de rôles, simplement de l'amour. Jamais le garçon qu'il était alors n'aurait osé penser à cela. Tout se faisait naturellement. Il offrait bien plus qu'il ne recevait, ce qui suffisait à son bonheur. Et maintenant qu'il se servait, quand bien même Kilian passait son temps à le rassurer en lui disant que c'était ce qu'il désirait, comment ne pouvait-il ne pas en douter ? Il se sentait sale, et diablement égoïste. Et si c'était pour cela que le trésor de sa vie le désirait moins et lui en demandait moins, comme durant cette trop longue semaine ? Et si jamais Kilian venait à lui reprocher son comportement, son nombrilisme, sa soif de domination qui avait toujours été en lui et qui rejaillissait après avoir été enfouie pendant près de deux ans, et l'accident de Cédric dont il restait et resterait toujours la cause ?
Tant de choses s'étaient passées depuis qu'ils se connaissaient. Tant de mots, de paroles, de promesses, de mensonge, de drames et de non-dits qui les avaient bouffés et qui les bouffaient encore. Comment ne pas avoir peur ? Dans cette cabane, Kilian lui avait montré sa toute fragilité, il la lui avait crachée à la figure en se laissant faire sans oser le moindre mot ni le moindre reproche.
Alors que le blondinet s'endormit le sourire aux lèvres en repensant à la merveilleuse journée qu'il avait vécue et à son apothéose, le brunet ne ferma pas l'œil de la nuit, songeant à tout le mal qu'il avait causé à son amoureux depuis qu'il le connaissait, ainsi qu'à sa promesse de toujours le protéger à laquelle il avait passé son temps à faillir. Jouer les mecs machos, virils et dominateurs n'était en réalité qu'une manière narcissique de se protéger lui-même, de se rassurer et de masquer ses erreurs. Il se dégoutait, comme à chaque fois qu'il jetait un regard éclairé sur sa personnalité.
Enfin, peut-être que s'il changeait, que s'il était plus à l'écoute, plus tendre et moins lui-même, alors rallumerait-il enfin cette étincelle qui semblait s'éteindre sous ses yeux. Le lendemain matin, renonçant une nouvelle fois à aborder le sujet de l'appel de son père pour ne pas provoquer inutilement la peine de son petit ami, Aaron lui fit la proposition de remettre certaines choses à plat, comme au tout début, faisant fi de deux ans de relations et de construction mutuelle.
Le blondinet, lui, ne l'entendit pas de cette oreille. Choqué par une proposition à laquelle il ne s'attendait pas et qu'il trouva parfaitement déplacée, il explosa :
« Nan mais tu m'imagines, moi, sauter un mec ? MON mec ? Enfin, ça n'a pas de sens ! C'est pas comme ça que ça marche, tu m'as pris pour une gonzesse avec un gode ceinture ? »
« Non », soupira simplement le brunet en avalant son chocolat chaud. « Simplement pour un mec avec une bite... »
Furieux, Kilian attrapa la vielle trottinette de Cédric et fonça s'enfermer toute la journée chez Martin, pour une longue séance glande-jeux vidéo-psy à pas cher. Entre chaque partie, l'adolescent beugla face à la stupidité de celui qui partageait sa vie et qui, avec ses idées à la con, venait de gâcher un merveilleux week-end. À plusieurs reprises, le rouquin – qui n'ignorait rien de la vie sexuelle des deux amants – s'étonna de ce qui semblait être un blocage.
« Enfin, c'est normal que vous inversiez les rôles, non ? Des fois, ça doit le fatiguer de toujours aller à ton cul comme on va à la mine, tu crois pas ? »
Au bord des larmes, Kilian exprima pour la première fois ce qui le retenait vraiment.
« C'est pas que j'ai pas envie, même si ça me dit rien. Non, c'est que...j'ai... j'ai peur d'être nul... de pas savoir comment faire et que ça soit pourri. C'est tellement génial d'habitude avec lui qui prend les commandes, ça me comble tellement... J'vois pas pourquoi j'voudrais autre chose, j'vois même pas pourquoi il me demande, il est chiant putain... »
Là ou Aaron se trompait sur les désirs de Kilian, ce dernier ne faisait pas mieux. Ce soir-là, incapables de se comprendre l'un l'autre, les deux amoureux s'adressèrent à peine la parole et se couchèrent en se tournant chacun de leur côté du lit.
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