Chapitre 11 : L'essence du lien
Je me dirigeais vers la bibliothèque avec un enthousiasme qui surpassait sans mal le malaise instauré en salle de cours. L'inconnu me tendait les bras et la perceptive de découvrir de nouvelles choses sur ce monde me réjouissait. Me laissant guider à travers les couloirs par le bracelet de cuire empreint de télépathie, j'en profitai pour explorer un peu la guilde. Après avoir traversé une coursive donnant sur un petit jardin vert, le couloir se divisait en deux, la bibliothèque se trouvait devant moi, une double porte en cachant l'intérieur. Un foulard en tissu bleu était noué grossièrement à une des portes. Voulant vérifier une impression je pris le couloir à gauche pour m'engager dans un chemin circulaire comme une tour sans escalier. Des portes ornaient le bord externe du bâtiment, en les comptant, je supposais qu'elles cachent derrière elles les appartements des membres du conseil. Je fis le tour entier du couloir de gauche pour revenir devant la bibliothèque, c'était bien un cercle complet.
Au moment où j'allais entrer, la porte s'ouvrit, laissant apparaitre dans l'ouverture un homme gigantesque, me dominant de toute sa hauteur. Je dus lever la tête pour voir son visage. Ses larges épaules supportaient un visage anguleux, une mâchoire carrée, des cheveux roux coupés courts et des yeux bleus. Il me dévisagea un instant avant de froncer les sourcils.
- Que fais-tu ici ? Tu n'es pas censé être en cours ?
Je lui tendis le papier sans un mot. Il le prit, tout en ne me lâchant pas du regard. Derrière lui des apprentis en chemise bleu se regroupait vers la sortie dont il bloquait l'issu par sa stature. Il posa sa main sur mon épaule et me regarda en exerçant une pression.
- Veux-tu vraiment passer le reste de la journée à l'intérieur à lire ?
- Je... Oui c'était mon intention.
Il resserra légèrement la pression de sa main sur mon épaule et même s'il ne semblait pas malveillant, je déglutis peu en confiance.
- Oui, c'est bien le style de la petite Anila de te dire d'aller t'enfermer dans une bibliothèque. Non c'est faux, ce n'est pas du tout son style, elle t'aurait surement dit d'aller t'entrainer, de renforcer ce corps maigrelet. Qu'elle te dise d'aller à la bibliothèque à la place m'interpelle. Viens avec nous.
Gardant sa main sur mon épaule pour me forcer à avancer, il libéra le passage et une vingtaine d'apprenti sortirent de la bibliothèque à notre suite.
- Où allez-vous ? demandais-je, obligé d'avancer.
- Cours en extérieur cet après-midi, c'est déprimant de rester en intérieur.
Il se retourna vers les autres apprentis et avec un grand sourire décréta :
- On va chercher vos vestes de vol et vous allez monter en selle mes poussins !
« Nous allons voler mon grand. »
Des murmures accompagnèrent cette déclaration et on prit le chemin du dortoir. J'entrais dans ma chambre pour enfiler ma veste de vol et en prévision du vent passa mon foulard autour de mon cou. Lorsque je fermai la porte de ma chambre, ceux qui avait les cheveux longs étaient en train de les attachés où les rassembler en tresses. Je m'approchai du groupe bien conscient que me défiler ne serait pas permis sans manquer de respect à un maitre et donner une mauvaise image du groupe jaune. Juste devant moi, je reconnu la chevelure brune du garçon croisé pendant le temps de midi. Il se retourna et ponctua notre rencontre d'un ricanement.
- Décidément on n'arrête pas de se croiser aujourd'hui, avorton.
Je n'ajoutai aucun mot. Le groupe bleu prenait donc le chemin des écuries avec une chemise jaune au milieu d'eux. Nous nous dispersions dans les écuries vers les stalles de nos dragons réceptives. Une vision perturbante m'attendait à l'intérieur. J'éclatai d'un rire franc. Soliane était emmêlé dans les sangles de la selle qu'il avait essayé d'enfiler seul.
« Ne reste pas là à glousser comme ça. On dirait une chèvre. Viens donc m'aider, » Ordonna-t-il vexé.
Je m'approchais pour l'aider et passer la selle correctement sur son dos sans m'empêcher de rire.
« Comment veux-tu que je m'arrête ? La vision de toi, emmêlé dans les sangles de la selle comme un saucisson qu'on met à sécher amène au rire. »
Il finit par partager mon amusement et l'image d'un saucisson à écaille jaune qu'il me partageait finit de nous amuser. J'enfilais mon harnais et prenant appui sur sa patte avant, sautai sur le dos de Soliane pour sortir des écuries. À peine sortie des écuries où attendait déjà quelques apprentis sur leur dragon, qu'une chose dure et froide m'heurta l'occiput. En passant ma main dans ma nuque qui pétillait doucement, je récupérai du bout des doigts de la neige collée à mes cheveux. Je jetai un coup d'œil derrière moi où un apprenti à lunettes jonglait avec une autre boule de neige dans sa main gauche.
- Hé ! Pourquoi as-tu fait ça ?
- Il n'est pas monté du bon côté de son dragon pour garder sa main gauche libre et se défendre.
Le colosse nous jeta un regard avant de posa sa main sur l'épaule de son apprenti qui eut l'air à la fois terrorisé et fière. Un sourire malsain sur le visage du colosse me donna des sueurs froides.
- Bien, une première erreur avant même de commencer la leçon. Jolan tu commences mal. Bien observé Noël. Comment allons-nous te corriger ?
- Maitre, l'interrompais-je avant que ça dégénère. Je suis droitier.
Il fit la moue, presque déçu. Lâcha l'épaule de l'apprenti et monta en selle sur un dragon orange après avoir aidé les derniers apprentis avec les derniers réglages. Du haut du dos pas si haut de Soliane, je regardais les autres apprentis finir de s'installer. Un souffle chaud dans mon cou me fit tourner la tête. Une dragonne violette moucheté d'écaille d'un bleu clair venait de se glisser derrière nous, un dragonnier brun sur son dos. Je soupirai et Soliane fit quelques pas sortir de l'ombre de la grande dragonne. Bien que l'aspect de ses écailles montre qu'elle n'était qu'une jeune adulte, elle dominait Soliane de toute sa hauteur, et en allongeant son cou il n'arrivait qu'à la naissance de ses ailes. Mais ce qui attira mon regard était autre chose. D'immenses plumes duveteuses remplaçaient la membrane ignifugée que l'on trouvait sur les autres dragons.
« Soliane, elle a des plumes ! »
« Et toi tu n'as pas d'écaille, juste une petite peau toute molle. Pourquoi cette exclamation petit dragonnier ? »
« Je croyais que tous les dragons avaient des ailes membraneuses. »
« Non, certains ont des ailes à plumes avec une sensibilité accrue aux courants aériens, d'autres des ailes à membranes plus résistante au feu. Nos elelian darwan. Désolé c'est intraduisible en langage humain. »
« Je crois que j'ai compris l'idée. Merci Soliane. En tout cas, elle est vraiment magnifique tu ne trouves pas ? »
« Tu es facilement impressionnable petit dragonnier. »
Je me perdis, dans l'attente d'instructions, dans la contemplation de la grande dragonne. Ce n'est que quand elle surprit mon regard que je me détournai, raidis sur ma selle, comme si j'avais fait quelque chose de mal. Mes joues s'échauffèrent et la dragonne gloussa tandis que son cavalier lui demanda ce qui l'amusait.
- On décolle les moineaux.
La dragonne violette décolla d'un puissant coup d'ailes, nous balayant d'une rafale de vent. Nous décollons à sa suite, pris dans un couloir de vent. J'aperçus lors d'un clignement de paupière un filament blanc. Les émotions de Soliane affluèrent en moi comme si elles m'appartenaient. Les falaises de l'envol s'étendaient devant nous et le colosse sur son dragon orange nous vrilla le crâne en martelant dans nos têtes :
« On fait la course les moineaux. Vous me suivez. Le dernier arrivé fait trois fois le tour de la guilde. »
Au milieu d'une nuée de dragon il fallait jouer des ailes pour se faire une place. Le grand dragon orange du maitre s'éloigna rapidement de nous.
« Nil ? On fait quoi ? »
« Enlève tes pieds de tes étriers et passe tes mains dedans. Cale tes pieds derrière mes écailles et accroche toi. Si on te refait courir aujourd'hui, tu vas te liquéfier. »
J'appliquais difficilement, entre les coups d'ailes dont Soliane essayait de me protéger, ses instructions. Une fois les mains passées dans les lanières et les pieds bien fixés, j'étais couché sur la selle, à l'abri du vent et des coups. La position était bien plus stable et confortable et semblable à celle qu'avait adopté Ester pendant le défi. L'idée de sangle en plus était plus qu'à creuser.
« Et maintenant Nil ? »
« Le vol c'est mon domaine. La seule chose que tu dois faire c'est me faire confiance. »
« Tu l'as entièrement. »
« Je sais, c'est pour ça qu'on va faire la différence. Laisse-moi faire maintenant. »
Couché sur son encolure, je sentais toutes les micro contractions de ses muscles. Aussi en quelques coups d'ailes, il s'élança au-dessus du groupe de dragon pour rejoindre la grande dragonne violette qui était à quelques mètres devant. Il la dépassa sans s'en préoccuper et rejoignis le maitre dragonnier et le talonna de près. Le vent me fouettait le visage plus fort que jamais.
« Comment tu fais pour voler si vite ? »
« Je maitrise les ailes de vent. C'est une capacité particulière des dragons, celle de ressentir tous les micros courant de l'air pour s'aider en vol et atteindre une vitesse et une maitrise supérieure. »
- Tu ne m'avais pas dit que ton dragon maitrisait les ailes des vents et que tu étais capable de les tenir ! cria le maitre dragonnier en se retournant.
- Je l'ignorai !
Il se retourna et je me rallongeai sur l'encolure de Soliane en fermant les yeux. Le vent violent m'obligeait à les garder clos.
« Tu es le seul à les maitriser ? »
« Bien sûr que non petit dragonnier, dit-il en gloussant. Peut-être un des plus jeune, mais c'est quasiment instinctif chez les dragons à ailes de plumes. La dragonne violette par exemple les maitrise très bien. C'est juste que le petit humain sur son dos ne s'abandonne pas à son vol. Vous les humains, vous grandissez pieds au sol, il vous faut un moment pour accepter l'idée de voler comme une seconde peau, une seconde nature. »
« Et nous ? Tu n'as pourtant pas d'ailes à plumes. »
« Tu t'abandonnes plus facilement au vol que les autres. Ta confiance me touche, tu ne gardes même pas les yeux ouverts. Si ton copain brun ne résistait pas, sa dragonne nous aurait surement dépassé. La taille n'a rien à voir, c'est juste une question d'expérience. »
« Tu as beaucoup volé mon grand ? »
« Oui, dès tout petit, je suivais ma famille sans être porté. »
« Tu devais vraiment être très doué. »
Sa voix s'essouffla dans ma tête et il confia comme un secret à mon esprit :
« J'ai eu le meilleur des professeurs. »
Les yeux clos pendant le vol, je voyais par les images mentales qu'il me transmettait de temps en temps. Ouvrir les yeux ne ferait que nous ralentir parce que j'appréhenderai plus difficilement la vitesse. Mon niveau de vol n'était pas suffisant pour l'instant. Nil semblait plonger dans ses souvenirs et se contentait de voler derrière le dragon orange à toute vitesse. Je le sentais bien qu'il n'était pas à son maximum, il s'amusait. Pourtant, là où nous devrions être plus proche que jamais nous ne l'avions été, je me rendis compte du fossé qui nous séparait encore. Nil ne m'avait jamais rien dit de lui. Son passé était aussi obscur que le mien. Il devait avoir des choses à dire et je ne lui ai jamais donné la possibilité de les partager.
« Tu me parlera de toi, Nil ? »
« Que veux-tu savoir ? »
« Tout. »
« On fera le point sur ma vie après le vol. »
Le manque d'émotion dans sa voix était plus qu'étonnant.
« Ouvre les yeux petit dragonnier et redresse-toi. Tu dois apprendre à voler aussi. On a ralenti. Tu peux remettre tes pieds dans tes étriers et reposer tes mains sur la barre. »
J'obéissais rapidement. Nous volions toujours le long de la falaise blanche. J'essayais de me tenir droit et de d'adapter correctement ma position aux mouvements de Soliane.
« Amuse-toi aussi. On apprend à voler de sensations. »
J'enlève une de mes mains de la barre pour me pencher et effleurer la falaise du bout des doigts. Une pierre me coupe la peau en surface et j'empêche une goutte de sang de perlé en le mettant dans ma bouche. Je me penchais de l'autre côté pour voir l'eau filer sous nous. Des inspirations prisent à en faire exploser les poumons, c'était ça se sentir vivant. Alors que je me penchais pour laisser les éclats d'eau m'éclaboussèrent le bout des doigts, Nil fit un mouvement de côté pour se pencher en vol incliné et mes doigts léchèrent la surface de l'eau.
Le maitre dragonnier s'élevait pour aller se poser sur une corniche, alors que nous passions à hauteur cherchant où se poser, il cria dans mon esprit.
« Je vous libère gamin. Ça ne va pas être très intéressant ce cours. File avec ton dragon. Pars contre ! Je veux que tu rentres avant le coucher du soleil. Quand on rentrera avec le groupe, je veux voir ta selle dans la stalle de ton dragon ! Et tu as plutôt intérêt à le respecter où je te jure que c'est la dernière fois que tu volera sur un dragon avant ton apprentissage ! »
« Oui maitre, merci beaucoup. »
« Ne me fais juste pas regretter ma décision ! Et file vite ! Avant que je ne change d'avis, vas-t-en. »
Soliane s'éloigne en quelques coups d'ailes et nous partons sans plus de tergiversation. Il vole doucement au-dessus de l'océan, aucun de nous ne parlait de peur de troubler ce moment de sérénité. Nous volions sans destination précise. Enlevant mes mains de la barre, je me couchais en arrière et lui tapotai l'encolure. Nous étions juste bien, à nous apprivoiser l'un et l'autre. Je finis par briser le silence après de longue minutes.
« Nil, tu ne veux pas me parler un peu ? »
« De quoi Lassa ? »
« De toi. C'est peut-être trop tôt pour toi, mais j'étais sérieux dans ma demande tout à l'heure. Tu sais tout de moi, je me suis confié à toi sans retenu. N'y a-t-il rien dont tu veuille me parler ? Tu n'es qu'un dragonneau encore. Cela ne te gêne pas de ne plus être avec des parents ? »
« Pour n'importe quel dragon, il serait idiot de comparer un lien familial avec le lien entre un dragon et un dragonnier. Quand on a la chance d'avoir un dragonnier, le cœur gonfle tu sais, le lien à la famille est différent après. »
« Tu veux bien me parler d'eux ? » demandais-je
« Et si je te montrai un peu ? »
« Avec plaisir. »
« Alors ferme les yeux petit dragonnier. Je vais te présenter ma famille. »
****
Le premier souvenir dans lequel il me projeta fut celui de sa naissance. Enfermé dans une membrane dure, j'assistai à l'éclosion de mon dragon depuis son point de vue. À force de coups, il avait fini par briser la coquille blanche dans laquelle il se trouvait. Déséquilibré, il avait roulé sur le sol et poussait un petit cri. Une dragonne bleu immense le prit entier dans sa gueule pour le poser entre ses pattes et lui faire une toilette. Tout en levant le petit dragon encore confus, elle laissa sa voix résonnée dans la tête de mon dragon, déjà tout d'Or vêtu.
« Ainsi tu es né avec les écailles du soleil mon fils. Ainsi soit-il. Ainsi sois-tu Soliane. Je suis Syphir, ta mère, ton père s'appelait Cyd. C'était un grand dragon blanc, et comme tous les dragons blancs, il était appelé à faire de grandes choses. Mais ton destin mon fils, surpasse de loin les nôtres. Je te protégerai autant que je le pourrai. Ainsi puisses-tu vivre une vie aussi belle que celle que tu mérites mon fils. »
Le petit dragon ne disait rien et écoutait sagement la voix de sa mère. Puis il se lova entre ses pattes, un peu effrayé par ses paroles. Comment pouvait-il avoir un destin si grand lui qui venait juste de naitre ? Lui qui ressentait un vide immense dans son cœur. Son cœur sautait-il des battements ? Il lui manquait quelque chose.
Le paysage changea, et c'était en vol que nous nous retrouvions cette fois. Il volait bien malgré sa faible carrure, le long d'une chaine de montagne, suivit d'un dragon vert.
« Réaligne tes ailes avec le vent Soliane. Il porte tes ailes, ne le gêne pas dans son travail, ressens-le. Ressens le dans tes membranes. »
« Oui Ota ! »
La voix de tête de mon petit dragon était bien différente de celle d'aujourd'hui.
« Soliane, je ne suis pas ton père. Seul Cyd... »
Le minuscule dragonneau se posa sur la roche et regarda le dragon vert, dont les ailes étaient couvertes de longue plumes vertes, avec un air renfrogné. La différence de taille entre les deux dragons était hallucinante. Soliane ne devait pas être plus grand que la patte de ce dernier.
« Seul Cyd quoi ? je ne l'ai jamais vu ! C'est toi mon Ota. C'est toi qui m'as appris à voler ! Et c'est les otas qui apprennent à leurs dragonneaux à voler. »
L'immense dragon vert se pose au sol et approcha sa tête triangulaire du minuscule dragonneaux.
« Tu vole déjà comme un adulte, bien qu'il te manque encore la taille mon petit Mona. » affirma le grand dragon.
Un éclair de fierté passe dans le regard du petit dragonneau doré avant de s'éteindre pour être vite remplacé par de la tristesse.
« Mona ? Je suis donc ton protégé et non pas ton fils. »
Il s'allongea dans l'herbe. Le dragon vert s'approcha et l'entoura de son corps avant de le caresser du bout de son museau.
« Tu sais très bien que tu es comme un fils pour moi. Mais je ne peux t'appeler Oji sans blesser ta mère. Je ne suis pas Cyd, pas son compagnon de vol donc... »
Il fut de nouveau coupé par Soliane.
« Pourquoi tu ne lui dis pas que tu l'aimes ? »
« C'est trop tôt Soliane. »
Le dragonneau souffla libérant de la fumée de ses naseaux.
« Ça va faire dix ans ! Dix ans qu'il est parti. J'ai besoin de toi, Oma et Oti aussi. »
Le dragon vert relève la tête attristée.
« Soit une poussière de temps à l'échelle des dragons. Pour l'instant elle n'a besoin que de toi, mon tout petit. »
Ils restaient allongés là un moment avant que le grand dragon ne se redresse.
« Qu'est-ce qu'il y'a Ota ? »
« Rien, il est l'heure de rentrer. »
Les dragons s'envolèrent. Soliane voyait bien son père regarder autour d'eux et être alerte de l'environnement. Une grotte se dessinait sur le flanc de la montagne. Une dragonne bleue les attendait en humant l'air. Les deux dragons se posèrent. Soliane vint se frotter contre le cou du dragon vert. Le dragon vert fixait Syphir dans les yeux et je compris qu'ils échangeaient à l'abris de la tête de Soliane.
« À demain Ota. Sunilim. »
« Oji, mon tout petit, Sunilim, ne l'oublie jamais. N'oublie jamais que je t'aime aussi. Comme mon fils. »
Soliane s'éloigna heureux d'avoir décroché le titre d'oji sans voir les regards inquiets que s'échangeait les adultes.
L'ambiance était pesante dans la grotte ce soir-là. Soliane jouait avec un dragonneaux bleu plus gros, son frère sans doute. Syphir l'appelait pour faire sa toilette et le dragonneau protesta quand elle lui fit comme à un nouveau-né. Son frère gloussa et fit sa propre toilette. Soliane protesta et rappela à la mémoire de son frère quand leur mère l'avait obligé à faire une sieste avec son petit frère, bien qu'il eût vingt ans révolus.
« Oma ! Je peux le faire tout seul ! »
« Je sais que tu peux. Mais ça ne veut pas dire que j'ai envie que tu la fasses tout seul. Tu n'es encore qu'un bébé. »
« Oma ! »
Elle gloussa et lui laissa finir sa toilette seul. Quelques gerbes de lumière sortaient de ses écailles pendant sa toilette. Soliane bailla et s'approcha de son frère pour se blottir contre lui. Leur mère s'approcha d'eux et souffla une gerbe de feu sur la paroi de la grotte pour la réchauffer. Puis elle se coucha à côté de ses enfants et les entoura de sa queue comme une barrière de protection. Elle regardait dehors, l'air inquiet.
« Oma ? » appela Soliane.
Elle se mit à chanter et Soliane ferma les yeux.
Jolan mald oil molie
Ji Soliane mald bil ale nuegea abiol
Mi fente sleice aneo
Yu habs ya tome
Fe altung
Fe will yun dre
Ir wer yu
Crealle wor yu wu
Yun drealmi it ni wo yum
Mut nopt fe drea um crealla
Yi lim mi fente sleice im peci
***
Soliane se réveilla en sursaut. Son frère était en train de le remuer. Leur mère n'était plus près d'eux. Des rugissements et des cris résonnaient dans la nuit.
« Braconniers Soliane ! »
Les deux dragonneaux sortirent de la grotte et un javelot siffla dans l'air et manqua de peu le flanc de Soliane, lui arrachant quelques écailles. Un mince filet de sang coulait le long de ses cotes. Un immense jet de flamme bleu illumina la nuit.
- Ils sont très agressifs ! Il y'a forcément des petits ! Trouvez-les !
Le dragonneau bleu réagit plus rapidement et attrapa Soliane dans ses pattes avant de s'envoler. En s'envolant pour prendre de la hauteur, ils virent ce qu'il se passait sous leurs yeux. Des dizaines d'humains avec des armes en os blanc s'attaquaient au flanc de la montagne. Les deux dragonneaux s'envolaient en laissant les deux dragons en plein combat. Leur mère était aux prises avec un filet. Le grand dragon vert battait des ailes et de la queue pour libérer Syphir. Le feu bleu semblait tout consumer aux alentours.
« Oma ! Ota ! »
Le grand dragon vert regarda les deux dragonneaux dans l'air et dévia un javelot qui sifflait vers eux.
« Fuyez me fentes ! »
Syphir regarda le dragon vert avec insistance avant de se débattre de plus belle et souffler son feu bleu. Le dragonneau bleu s'éloignait dans les ténèbres avec Soliane entre ses pattes qui se débattait.
« Il faut aller les aider ! »
« Non ! On ne ferait que les gêner. On doit juste se mettre à l'abri ! arrête de bouger ou on va tomber tous les deux. »
Le dragonneau bleu vola longtemps, son frère entre ses pattes lui rajoutai un poids. La pluie battante avait fini par avoir raison de Soliane qui laissait les éléments le malmener, porté par son frère. Ils parvinrent à une grotte à flanc de falaise, ridiculement petite mais parfaite pour eux. Il y posa Soliane et les deux dragonneaux entrèrent en grelottant, plus de peur que de froid. Soliane se glissa au fond de la grotte et souffla un long jet de flamme sur le sol pour réchauffer les pierres. Il s'y coucha et son grand frère le rejoignit et ils se blottirent l'un contre l'autre.
« On fait quoi maintenant Oti ? »
« On attend Ote. On attend et on dort. »
***
« Soliane ? Soliane réveille toi. »
Couché au côté de sa mère, il émergeait de son sommeil.
« Il est temps que tu cherches ton dragonnier. »
Soliane se secouait pour se réveiller et regardait sa mère qui elle-même le regardaient très sérieusement. Trop peut-être. Il ne leur avait jamais caché qu'il savait, qu'il avait toujours su qu'il était lié avec un humain.
« Maman, nous n'aurions que quatorze ans, c'est trop tôt ! Comment pourrais-je le trouver ? Jamais je ne pourrai le reconnaitre ! »
Sa mère l'entoura de son corps. Son premier fils avait senti un appel la veille, il cherchait lui aussi.
« Parle-moi de ton dragonnier. »
« Il a des yeux de la même couleur que mes écailles, son regard est très doux, ce n'est qu'un enfant. Il m'a vu aussi je crois. »
« Votre lien est déjà établi depuis plusieurs années Soliane. C'est pour ça que tu ne sens pas d'appel. Mais il faut que tu le trouves. Je ne pourrai pas t'accompagner Oji, tu le sais bien. Tu maitrises les ailes de vent comme n'importe quel dragon adulte, tu es prêt. »
Soliane avait compris au fond de lui qu'elle avait raison. Il se blottit entre les pattes de sa mère.
« Ona, tu veux bien chanter pour moi ? »
***
J'ouvre les yeux, toujours allongé sur le dos, Soliane volant lentement sur l'océan. Aucun de nous deux ne voulait briser le silence. Nos émotions s'entremêlaient de plus en plus. Je le comprenais mieux et sans le vouloir je l'embarquais dans mes propres souvenirs avec moi.
***
- Jolan !
- J'arrive !
Je rejoignis ma sœur sur le banc sous l'arbre derrière la maison. La forêt s'étendait devant nous. Elle me jeta un sac que j'attrapai avant de m'assoir. Ses cheveux couleur ambre était relevé en un chignon négligé. Elle me tendait un carnet à la reliure de cuir bleu. Le carnet de maman.
- Il faut qu'on parte, dit-elle.
- Qu'on aille où ?
- Aucune idée. C'est toi qui vas nous guider. Regarde dans le carnet.
J'ouvris le carnet et feuilletai les pages. Des dizaines de pages noircies par ma mère d'une écriture maladroite et hésitante où elle rassemblait ses souvenirs depuis son arrivée ici.
Laehle retira une mèche de devant ses yeux avant de désigner le carnet.
- Prends le dans l'autre sens. Maman y consignait plein d'information sur l'endroit d'où elle venait et sur ses essais pour y aller. À mon avis c'est là qu'on doit aller, continua-t-elle.
Retournant le carnet, le changement d'écriture me surpris. Maman était bien plus assurée quand il ne s'agissait pas d'elle directement.
- Tu ne veux pas rester ici ? demandais-je.
- Même pas en rêve. Moi aussi j'ai des pouvoirs. Et même si je n'ai pas quelqu'un à trouver, je veux remonter les origines de maman. Tu ne pensais tout de même pas que j'allais te laisser partir seul.
- Et papa ? demandais-je.
- Il faudra qu'on parte quand il est au travail. Affirma Laehle.
- Ou je pose ma démission et qu'on part.
Nous sursautons tous les deux en nous retournant. Notre père se tenait dans le cadre de la porte et nous observait en souriant.
- S'il y'a bien un défaut que vous avez pris de votre mère c'est de ne pas savoir mentir. Laehle la prochaine fois que tu caches des plans, évite de les mettre dans ta table de nuit.
Il s'assied sur le banc à côté de Laehle et je m'asseyais dans l'herbe avec le carnet. Notre père nous observait l'un puis l'autre.
- Bien, on part demain. Jolan est ce que tu sais où on doit aller ?
- Pas du tout. Ça me tire la nuit mais c'est tout.
- Alors on va couper la poire en deux entre les notes de Marie et tes impressions et on va suivre le soleil vers l'Ouest. Laehle reprends la fac dans quatre mois. Donc on a quatre mois. Allons préparez nos affaires. Un sac de voyage chacun.
Laehle me jeta un regard. Elle voulait qu'on essaye de partir sans notre père.
- Ne décidez pas à ma place où je dois être. Vous cherchez les origines de votre mère et les vôtres par extension. J'ai le droit de savoir d'où venait la femme que j'aime. Aller ! On est sur le départ.
Il se levai et embrassa ma sœur sur le front avant de m'ébouriffer les cheveux.
- Si on trouve l'endroit d'où vient maman, il faudra le protéger. Et pour te protéger toi, si tu dois utiliser tes pouvoirs, s'il te plait privilégie l'air.
J'hochai la tête.
- C'est toi la cheffe Laehle. Dis, tu crois que la personne que je cherche dans le monde de maman puisse être un dragon ou un mage ?
- Maman parle de duo dans son carnet, dit-elle en se relevant. Donc l'idée que tu sois lié avec un dragon ou un mage me parait même probable.
Elle me tendit la main pour me relever et passa son bras autour de mes épaules.
- Qu'est-ce que tu vas dire à Ambre ?
- Qu'on part en voyage.
***
« Tu es parti avec ta famille. »
« J'ai eu de la chance. »
« Je suis content pour toi. C'était un beau voyage ? »
« Aucune idée, avouais-je. Je ne m'en rappelle pas. Mais ce n'est pas grave. »
« Ta famille te manque parfois ? » me demanda Soliane.
« Ma sœur surtout je crois. On était très proche. En tout cas c'est le sentiment que j'ai. Et toi mon grand ? »
« Ma mère oui. J'ai peu de souvenir de mon grand frère. Je ne connais même pas son prénom. »
« Tu ne connais pas son prénom ? »
« Non mais c'est commun chez les dragons de ne pas connaitre les noms de sa famille. On a des noms particuliers à attribuer. Les prénoms c'est moins personnel. Nous devrions rentrer. »
Le soleil déclinait. Je me redressai pour attraper la barre de la selle.
« Soliane ? Est-ce que tu regrettes d'avoir quitté ta famille pour former notre duo ? Je veux dire, ça pourrait se comprendre. Si tu veux les retrouver je comprendrais. Rien ne t'oblige à rester. »
« C'est le soleil qui te fait dire des bêtises ? Je ne regrette rien. Ils me manquent et c'est normal. Ta famille te manque aussi. Toi tu ne sais même pas où est ton monde. Tu as des regrets ? »
« Non aucun, avouais-je après quelques secondes de réflexion. »
« Alors ne raconte pas de bêtises, petit dragonnier. »
Soliane vira et nous reprenons le chemin de la guilde. Au bout de quelques instants j'avais l'impression que deux points s'actionnaient entre mes omoplates.
« Nil, je sens tes ailes. »
« Notre lien s'est renforcé. »
Lors d'un clignement de paupière j'aperçus une sorte de lumière. Je fermai les yeux au bon moment pour voir deux filaments s'enrouler l'un autour de l'autre, pour fusionner un instant en un filament blanc, émettant un fort halo de lumière blanche. Je rouvris les yeux étonnés.
« Tu as vu ? »
« Je te présente les filaments. L'essence des êtres vivants et de notre lien Lassa. »
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