Assis en tailleur sur le béton, j'ignore depuis combien de temps j'observe le fleuve Han en contrebas. Sûrement trop longtemps. Je commence à trembler de froid et même à claquer des dents. Une écharpe et un manteau plus épais n'auraient pas été superflus pour mon manque d'activité. Cependant, je voulais être présentable, voire beau pour rencontrer Jay.

Jay... ou plutôt Jeon Jungkook.

Je suis perdu. Et blessé aussi. Un soupir m'échappe avant que mes paupières ne se ferment avec force. Mes mains frottent mon visage et je m'empêche de hurler à m'en briser les cordes vocales. Le cœur en lambeaux suffit pour une seule journée.

— Bon sang ! s'exclame une voix que je connais trop bien.

Je garde mes yeux fermés alors que je le sens s'installer à mes côtés. Je suis incapable de lui faire face pour le moment.

— Je t'ai cherché partout. La prochaine fois, sème des brochettes pour que je te retrouve plus facilement.

Il réussit à m'arracher un léger sourire amusé. Je me penche sur le côté jusqu'à ce que ma tempe atteigne son épaule. Il pose sa main sur ma cuisse et nous restons longtemps ainsi. Sa paume me réconforte, sa présence m'apaise et son silence me permet de digérer ce que je viens d'apprendre.

Je soupire de bien-être. J'aime l'idée que quoi qu'il arrive dans ma vie, où que je sois, il me retrouvera toujours pour me rassurer. Il déplacerait des montagnes pour moi, je le sais. Et c'est réciproque.

Ses doigts quittent ma jambe, me faisant enfin ouvrir les paupières. Mon regard se porte immédiatement sur sa main qu'il fait bouger. Mes yeux s'écarquillent en voyant l'état déplorable de son membre. Je me redresse et cherche d'autres blessures sur son visage ou son corps mais je ne trouve rien.

— Mais qu'est-ce qui t'est arrivé ? l'interrogé-je en m'emparant de sa main.

Il grimace à mon geste et se retire de mon étreinte qui a dû lui faire mal sans que je le veuille. Je souffle un désolé qui me vaut un sourire de sa part.

— J'avais promis quelque chose à Jay, alors j'ai tenu parole...

Je suis surpris par sa déclaration.

— Tu n'as... Me dis pas que tu l'as frappé ?

Son rictus s'agrandit me prouvant qu'il a bien donné un coup de poing à Jay. Ou plutôt Jungkook. Je suis perdu, je baisse la tête et lui dis :

— Tu n'aurais pas dû...

— T'inquiète pas pour lui. Vu comme je sais me battre, je suis celui qui a le plus souffert.

Je lui donne une légère tape sur le genou et marmonne :

— C'est pas pour lui que je m'inquiète, idiot !

Je passe un bras sous le sien, le rapproche de moi et lui demande :

— De quelle promesse tu parles ?

Cette fois, c'est Tae qui soupire, ma question ne lui plait pas. Il a dû faire quelque chose qui va m'énerver.

— J'ai peut-être envoyé un message à Jay, avec ton téléphone, me faisant passer pour toi.

Je m'éloigne de lui et lui redonne une claque, plus forte.

— T'es vraiment un crétin ! Pourquoi t'as fait ça ?

— Je me faisais du souci. Tu parlais à un mec que tu n'avais jamais vu. Mais il a direct compris que je n'étais pas toi...

Je suis abasourdi. Comment il a pu se rendre compte que ce n'était pas moi alors que c'était par messages ?

— Comment...

— Il...

Il grimace et fait bouger son nez.

— Il te connait bien.

— C'est la base pour jouer avec les gens...

Il passe un bras derrière moi et le pose sur mes épaules. Il me frotte le bras et me berce un moment jusqu'à ce qu'il reprenne la parole :

— Ça m'embête de dire ça mais...

Tae prend une minute pour trouver ses mots et j'attends. Je n'ai rien de mieux à faire et j'aime sentir sa chaleur se propager en moi.

— Si je lui ai écrit, c'était parce que je ne voulais pas que tu sois déçu ou pire que tu sois blessé comme avec Joshua... bon à priori, ça n'a servi à rien, chuchote-t-il, en aparté comme si je n'étais pas censé l'entendre. Mais ce qu'il m'a dit, à ce moment-là... Il était sincère.

— Tae ! Il m'a menti !

— Oui, c'est vrai. Il s'appelle pas Jay mais ça, tu le savais. Il t'avait dit que c'était un surnom. Et, oui, il n'est pas réellement saisonnier mais est-ce que son métier le définit vraiment ?

Je renifle. La main de mon meilleur ami remonte jusqu'à mon crâne qu'il caresse doucement.

— Ce n'est pas ça qui m'ennuie, commencé-je, d'une petite voix. C'est le fait que...

Je sens l'agacement monter en moi. Je me lève et commence à faire les cent pas devant mon meilleur ami.

— Merde, Tae ! C'est le Jungkook que j'ai rencontré à la clinique !

— Ah...

— Ouais ! Comme tu dis.

— Celui de l'autre soir ?

Je m'arrête de marcher et les poings sur les hanches, lance sèchement :

— J'ai pas bu un verre avec vingt mille Jungkook, Tae !

Il hoche la tête, prenant le temps de comprendre ce que je lui dis.

— Peut-être qu'il ne savait...

— Il savait très bien que c'était moi, le coupé-je. Un Jimin, kiné, y'en a pas des milliers à Séoul non plus !

— C'est vrai.

— En plus il avait des photos de moi. De mes oreilles, mes joues, mon nez... Ma putain de bouche !

Ma peine et ma colère éclatent brusquement. Je tape dans un caillou imaginaire et tourne le dos à Tae, les mains dans les cheveux. Je m'empêche de hurler à nouveau en me mordillant la lèvre. Les paupières fermées, j'essaie de me calmer. Tae n'y est pour rien, il n'a pas besoin d'être celui qui réceptionne toutes mes ondes négatives.

— Il m'a reconnu, tenté-je de parler. Il ne m'a rien dit, et m'a même invité à prendre un verre l'autre soir. C'est pour ça qu'il était si distant par messages.

Je me tourne vers Tae et assène enfin :

— Il a juste joué avec moi !

Il semble réfléchir à ce que je viens de lui dire et quand je pense que je l'ai convaincu de la manipulation de Jay, il me déclare, sûr de lui :

— Je l'ai vu quand tu lui as dit que tu ne voulais plus lui parler et quand tu es parti...

— Arrête, lui ordonné-je en me détournant.

— Jimin, souffle-t-il doucement pour que je l'écoute attentivement. Ce n'était pas un homme satisfait d'avoir manipuler ou d'avoir blessé quelqu'un. Il était malheureux.

Il se lève et s'approche de moi. Ses bras m'enlacent par derrière et son menton prend place sur mon épaule. Nous regardons tous les deux la ville de l'autre côté du fleuve. Le soleil commence à disparaître à l'horizon et donne une allure plus chaleureuse à cette vue urbaine. Tae me laisse le temps que cette information fasse son chemin dans mon esprit. Savoir que Jay était mal me touche, me rassure un peu aussi et fait naître un espoir en moi.

— Pourquoi l'avoir frappé alors ?

— Parce que même si je ne pense pas qu'il ait voulu jouer avec toi, il reste un crétin qui t'a caché des choses. Je n'autorise personne à te faire du mal.

Je pose mes mains sur celles de Tae qui sont liées au niveau de mon ventre. Il me serre un peu plus fort contre lui. Je lui murmure un merci tendre.

— Tu sais, même les meilleurs peuvent faire des erreurs. Regarde-moi !

Nous ricanons à sa blague.

— Tu penses réellement que je peux lui faire confiance ?

— Je pense que tu devrais écouter ses explications pour te faire une vraie idée.

Un grognement m'échappe. Je ne suis pas quelqu'un de rancunier, encore moins avec mes proches mais c'est dur. Juste la pensée de devoir faire face à Jay m'effraie, et encore plus celle d'écouter ses révélations.

— Je ne te forcerai jamais à rien, tu le sais... Mais pour prendre une décision réfléchie sur le fait de le garder ou non dans ta vie, il faut que tu aies connaissance de toute la vérité.

Je fronce le nez, conscient de la véracité de ses mots.

— Tu resteras avec moi ?

— Je ferai tout ce que tu veux. Sauf lui remettre un poing dans la figure.

— Pourquoi ?

Je retiens comme je peux le sourire qui tente de se dessiner sur mes lèvres.

— Parce que j'ai affreusement mal, geint-il en posant son front sur mon épaule. Et parce que je doute qu'il me laisse faire sans bouger une seconde fois.

Cette fois, je ris.

— Te moque pas ! Tu as vu ses bras ?

Pour ça, je les ai bien vus. Aujourd'hui et sur les selfies qu'il m'a envoyés. J'en ai rêvé plus d'une fois, et même pas mal fantasmé dessus.

— Le mec, il vit dans sa salle de muscu, c'est pas possible autrement !

Maintenant que je sais qu'il est joueur de baseball, ça serait logique qu'il y passe pas mal de temps en effet. Je caresse de mon pouce le dos de sa main.

— Alors on fait quoi ? m'interroge Tae. On va pas rester ici indéfiniment, on va attraper la crève sinon.

Je prends une profonde inspiration avant de prendre ma décision...