CHAPITRE 21


DICEY

Des années plus tôt.

J'ai froid.

Ma tempe collée au carrelage glacial ne m'aide pas. J'aimerais bouger pour me réchauffer mais je suis faible. Alors je reste allongé là, par terre dans cette salle de bain qui ne m'a jamais parue aussi froide qu'aujourd'hui.

Ma gorge semble bloquée. Les mots s'y bousculent. J'aimerais crier « maman » jusqu'à m'en faire saigner les cordes vocales.

Le sang coule. Mais ailleurs.

Mon bras tendu me paraît si court et pourtant interminable. Un liquide chaud et rouge s'échappe de ma peau. L'odeur me rappelle celle de mes mains quand je joue avec les pièces que maman me donne pour acheter des bonbons à l'épicerie.

Mon poignet me rappelle la gouttière qui entoure la maison. Elle irrigue les flots dans une direction puis les écoule à un endroit.

J'ai peur.

Pour me rassurer, je me concentre sur la flaque qui s'élargit à vue d'œil. J'essaie d'imaginer que ce n'est rien de plus qu'un tour de magie. Un Pokémon en train d'évoluer. Je me demande à quoi il ressemblera quand il aura terminé. Un grand dragon bleu ? Un petit renard vert ? Une jolie girafe arc-en-ciel ?

L'odeur des pièces entre mes doigts me brûle les narines. Un haut-le-cœur me saisit et je ferme les paupières une seconde pour prendre sur moi. Je ne veux pas vomir. Quand ça arrive, j'ai l'impression que mon corps entier va sortir par ma bouche.

Je pleure.

Pourquoi personne ne vient me sauver ? Suis-je déjà prêt à aller dans l'autre monde ? Je me demande si j'y verrai des fantômes. Normalement, ça fait peur les fantômes. Mais moi, ça me dérange pas. J'en ai vu toute une bande avec Casper. Depuis, je les aime bien.

La porte s'ouvre.

Papa apparaît. Sa bouche est grande ouverte. Maman arrive juste après lui, suivie d'Adam, mon grand frère. Ils se précipitent tous les deux sur moi pendant que papa sort son téléphone pour appeler quelqu'un.

— Alec ?! Alec ! Tu m'entends ?! Alexander !! Réponds-moi !

Maman a l'air terrifiée. Ma langue bouge dans ma bouche mais je n'arrive à émettre aucun son. J'essaie de bouger des cils pour lui faire comprendre que je l'entends.

Elle pose deux doigts sur mon cou.

— Son cœur bat !

Elle bondit pour récupérer un drap de bain qu'elle applique sur mon poignet. Elle ordonne à Adam d'appuyer pendant qu'elle prend mes joues dans ses mains.

— Mon bébé, parle-moi, je t'en prie ! Que s'est-il passé ?

J'ai sommeil.

Mes cils papillonnent tout seuls à présent. Je ne suis pas dans mon lit, mais j'ai terriblement envie de dormir. Mes forces m'abandonnent progressivement.

— Pourquoi tu te fais du mal ?

Maman éclate en sanglots. Elle tient toujours mon visage. Ses paumes tièdes réchauffent mon corps gelé. Elle m'insuffle un peu d'énergie, mais pas suffisamment pour retrouver la parole. Pourquoi je n'arrive plus à dire un mot ? Il y en a tant que j'aimerais hurler...

— Il s'appelle Alexander, il a six ans.

Papa parle au téléphone.

— Non, il est... il ne parle pas. Il ne parle plus...

Mutique. Maman et la dame en sweatshirt le répètent souvent. Au début, je ne le comprenais pas. Maintenant, je pense avoir saisi : ça veut dire que je ne dis pas un mot.

— Je vous en prie, dépêchez-vous !

Papa raccroche et s'agenouille près de moi avec maman.

— Accroche-toi, Alec ! Les secours arrivent. Tout va bien aller ! D'accord ?

Il me caresse les cheveux. Ses mains sont froides. Ou est-ce moi qui ne sent plus rien ?

Maman continue de me tenir les joues, pourtant ses mains sont devenues si légères que je ne les sens plus. Mes paupières sont lourdes et me brûlent.

Noir.


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