N Chapitre 26.
- Réveille-toi, Pinetree.
Cette voix sortit l'humain de son sommeil qui n'avait pas quitté le lit depuis qu'il s'était blessé dans la salle de bains. Et encore une fois, il ne savait pas s'il avait passé quatre ou dix heures à dormir. Il se sentait très faible après toutes ses péripéties. Il se redressa doucement, les yeux à demi-clos, cherchant à s'habituer à l'obscurité pour regarder Bill qui était posté juste à côté de lui, debout, penché au-dessus de lui. Dipper resta un moment à l'observer, attendant une explication de la part du démon qui le retenait en captivité.
- Je me suis dit qu'il serait peut-être temps que tu retournes dans le monde des humains.
Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour comprendre cette phrase et il ouvrit de grands yeux plein d'espoir.
- C'est vrai ?
- Oui. Après tout, tu es devenu ma chose pour pouvoir ressusciter tes proches. Ce serait trop cruel que tu m'aies offert ton âme pour rien !
Il éclata de rire comme s'il avait raconté la meilleure blague du siècle. Mais Dipper ne s'en formalisa pas. Il était bien trop heureux d'entendre cette nouvelle. Il allait enfin pouvoir retrouver ses oncles, sa sœur et ses amis de Mystery Shack ! Il ne pouvait pas rêver de mieux !
- Prépare-toi vite. Je te laisse dans le monde des humains le temps d'une journée et d'une nuit. Après, tu reviendras ici.
Tout à coup, il se sentit trahi.
- Seulement ?
- Quoi ? Tu préférerais y rester que quelques petites heures ? N'oublie pas que tu es à moi ! Alors je ne voudrais pas prêter mon jouet durant une plus longue période. Sois satisfait de ce que tu as.
Plus facile à dire qu'à faire. Pendant une journée, il pourrait passer du bon temps avec les personnes qui lui étaient chères, et non avec ce démon qui le malmenait chaque fois qu'ils se voyaient. Mais il aurait tellement préféré un peu plus. Trois jours, par exemple. Cela aurait pu être bien, trois jours. Il aurait pu avoir le temps de s'amuser et de digérer toutes les horreurs qu'il avait subies depuis qu'il était arrivé dans le monde des démons. Mais il n'allait pas chercher la petite bête avec Bill. Celui-ci aurait pu être capable de le garder avec lui au lieu de lui laisser sa journée. Alors Dipper se réfugia dans la salle de bains pour prendre une rapide douche dans la baignoire et se changer. En dix minutes, il était prêt.
- Bien bien bien, allons-y.
Bill lui tendit la main avec toute la grâce d'un majordome servant loyalement son maître (bien que ce fût plutôt le rôle de Dipper). L'humain hésita quelques instants, fixant longuement cette main qui l'avait anéanti plusieurs fois. Quand ils avaient échangé de corps par deux fois dans le passé et quand il avait accepté le pacte de résurrection de ses proches de Mystery Shack en échange de sa propre liberté. Mais il allait enfin les retrouver, alors il saisit sa main gantée.
- Bon voyage, Pinetree.
Quand Dipper ouvrit les yeux, il n'était plus dans cette vaste chambre qui ne faisait que lui rappeler les moments qu'il avait passés sous la couette avec son persécuteur. Il observa les lieux. Derrière lui, une grande forêt qu'il connaissait si bien, tandis que face à lui, le Mystery Shack était posté avec fierté. Un petit sourire vint étirer ses lèvres et il s'approcha de la porte d'entrée. Il frappa contre celle-ci, attendant qu'on vînt lui ouvrir. Il trépignait d'impatience. Il était tellement heureux qu'il ne savait pas comment la gérer.
La porte s'ouvrit sur Stanley qui semblait très fatigué, jusqu'à ce que ses yeux se posassent sur le garçon. Il resta un moment dubitatif, ne croyant pas ce qui se déroulait sous ses yeux.
- DIPPER !!!
Sans plus de formalité, il l'attrapa entre ses deux grands bras musclés et le serra très fort contre lui.
- Tu es de retour ! On n'y croyait plus, mon garçon !
Des pas dans le magasin se rapprochèrent et trois têtes regardèrent par-dessus le sacré muscle trapèze d'Oncle Stan. Celui-ci se sépara de son neveu pour se tourner vers les autres.
- Il est de retour !!!
- Dipper !? s'écrièrent Oncle Ford et Soos, choqués par son apparition si soudaine.
Le revenant n'eut pas le temps de les saluer qu'une furie se jeta dans ses bras, l'étreignant jusqu'à le faire suffoquer. Il ne put remarquer qu'une épaisse tignasse brune car son visage était enfoui dans son cou. Il eut du mal à se stabiliser, tellement elle avait été vive. Mais quand il sentit le corps de sa sœur se mettre à trembler contre lui, son cœur se comprima.
- Tu es revenu... Tu es revenu..., murmura-t-elle, la voix cassée sous le coup de l'émotion.
Il sentit des gouttes tomber sur son épaule, mouillant son t-shirt. Il n'y fit pas attention et l'étreignit à son tour, fermant les yeux pour profiter de son odeur et de sa présence chaleureuse. Il lui caressa doucement l'arrière de la tête, un sourire apaisé ourlant ses lèvres.
- Oui, je suis de retour, Mabel...
À son tour, lui aussi laissa derrière lui la façade solide, et ses épaules se mirent à tressauter. Les larmes coulèrent d'elles-même et il resserra ses bras autour de sa jumelle. Il retint ses sanglots, cependant. Il avait besoin de parler pour extérioriser ce qu'il avait sur le cœur.
- Tu m'as tellement manqué... Vous m'avez tous tellement manqué...
Il enfouit son visage dans son épaule et se laissa aller aux larmes, submergé par la joie et le soulagement. Ces retrouvailles pansèrent ses blessures et il oublia tous ses tourments. Tout ce qu'il voulait, c'était rester avec eux pour toujours et ne plus retourner dans cet univers parallèle, là où régnait Bill, le démon qui l'avait séparé de sa famille.
Les jumeaux s'éloignèrent et se contemplèrent, les yeux gonflés. C'était comme si le monde s'était arrêté. Se retrouver aussi longtemps séparé de sa moitié avait été un réel supplice.
- Comment ça se fait que tu sois de retour ? Ce fumier t'a laissé partir ? questionna Oncle Stan, partagé entre la joie de retrouver son neveu mais à la fois remonté comme une pendule contre le démon qui l'avait arraché de sa famille.
- Oui. Il m'a accordé une journée pour que je puisse rester avec vous.
- Seulement un jour ? s'étrangla sa sœur, ses grands yeux reflétant son affolement.
Il posa ses deux mains sur ses épaules et lui offrit un petit sourire désolé.
- Je n'ai pas pu négocier davantage. Désolé...
- Ne dis pas ça, le coupa Stanford. Tu es là mais il aurait très bien pu continuer à te séquestrer dans ta prison dorée.
Dipper acquiesça sombrement. Ils finirent par rentrer dans le Mystery Shack pour discuter de façon plus conviviale. Ils s'installèrent dans le salon et commencèrent à discuter.
- Alors ? Ça se passe comment là-bas ? demanda Oncle Stan, redoutant sa réponse à en juger sa perte de poids plus que flagrante en seulement quelques jours.
- Il ne te brutalise pas, rassure-nous ?
Les images des derniers jours lui revinrent en tête avec violence.
Brutaliser ? Est-ce que se faire poursuivre par des démons déchus et se faire violer à de multiples reprises pouvaient correspondre à cette définition ?
Il leur sourit et secoua la tête pour leur signifier que ce n'était pas le cas.
- Je passe mes journées avec lui, mais sinon, tout va bien.
- Il te nourrit assez ?
- Oui, mais...je ne mange pas beaucoup, ces derniers temps.
Il laissa sa réponse en suspens en se triturant les doigts.
- Vous me manquiez beaucoup trop, alors je n'avais pas la tête à manger. Et puis, pour être honnête, les plats de cet autre monde ne sont pas des plus ragoûtants...
Soos sourit alors et se redressa de sa chaise en bois, les poings sur les hanches.
- Je vais te préparer un repas de roi ! Ça va te remettre d'aplomb !
Dipper rit alors doucement et le remercia gentiment.
- Merci, Soos. C'est très gentil à toi.
- Est-ce qu'il compte te laisser partir une prochaine fois ? demanda Mabel, changeant de conversation, le regard pesant.
Le sourire de Dipper s'effaça aussitôt.
- Je ne sais pas.
- Tu vas vraiment devoir passer le restant de tes jours avec lui, loin de nous ? interrogea-t-elle, la voix enrouée.
Dipper ne répondit pas. Il n'en savait rien même s'il était fort probable que la réponse fût affirmative.
- Ne dis pas ça, Mabel ! On va trouver une solution et ton frère reviendra parmi nous comme avant, loin de ce tyran ! déclara Oncle Stan, valeureux, cherchant plus à se convaincre lui-même que sa nièce.
Dipper passa alors toute la journée avec ses proches, profitant de leur présence, de leurs conversations, de leurs blagues et de leur sourire pour recharger son cœur de bonheur. Il avait besoin de refaire le plein.
Quand le soir vint (bien trop rapidement au goût de tous), il monta dans la chambre avec sa sœur. Les oncles Pines et Soos avaient bien compris qu'ils avaient besoin de s'isoler. D'eux tous, Mabel avait été la plus marquée par l'absence de son frère. Les jumeaux sont fusionnels, alors ils avaient besoin de se retrouver.
Ils se posèrent tous les deux sur le lit du garçon. Assis en tailleur l'un face à l'autre, ils se dévisagèrent longuement. Ce fut Mabel qui parla la première.
- Ça va ?
Il savait bien qu'elle connaissait la réponse. Il esquissa un sourire vaincu. Elle avait vu clair dans son jeu. Depuis tout petit, ils avaient pu lire en l'autre comme dans un livre ouvert. Il était même rassuré que malgré la séparation, ils en fussent toujours capables.
- Non. Ça ne va pas du tout.
Elle se pencha pour prendre ses mains dans les siennes, le regard bienveillant. Elle n'ajouta rien, le laissant se livrer quand il le sentirait.
- Mabel... J'ai vécu des trucs horribles là-bas... Et...je n'ai aucune envie d'y retourner...
Il baissa la tête. Il avait encore sa part de fierté. Il n'aimait pas lui montrer ses faiblesses mais ses barrières s'étaient effondrées. À cause de toutes les fêlures qu'avaient causées Bill, ses défenses avaient été fragilisées.
- Je ne veux pas revivre toutes ces choses... Je ne le supporterai pas...
Elle s'approcha calmement et lui caressa les cheveux avec la douceur d'une mère.
- Qu'est-ce qui t'est arrivé, Dipper ?
Il se frotta les yeux avec ses manches et renifla bruyamment. Il ne pouvait pas le dire. C'était trop humiliant et beaucoup trop dégradant. Mais il savait qu'elle comprendrait et qu'elle ferait tout pour le rassurer et pour trouver une solution qui l'extirperait de son mal.
Mais elle n'y arriverait pas. Il n'y avait aucun moyen de le sauver.
- Il t'a fait du mal ?
Il ne répondit pas.
- Il t'a frappé ?
Il fit "non" de la tête.
- Il t'a fait des choses que tu ne voulais pas ?
Après un temps d'hésitation, il hocha la tête.
- Quoi donc ?
- Il m'a...
Le mot ne voulait pas sortir. Rien que d'y penser, tout lui revint en tête. Les attouchements, les baisers, les morsures, son impuissance, son sexe entre ses fesses.
Un haut-le-cœur le saisit et les larmes doublèrent de volume. Il ne pouvait rien dire. Il n'y arrivait pas.
Le cerveau de Mabel tournait à plein régime afin de comprendre l'origine du mal de son frère. Elle ne supportait pas de le voir ainsi. Elle ne l'avait jamais vu dans un état aussi pitoyable. Le garçon intelligent, posé, courageux avait laissé place à une pale copie plus fade, malheureuse, détruite. Puis, soudain, elle comprit. Elle remarqua les suçons à la base de son cou, à moitié cachés par son t-shirt. Une angoisse grandissante s'empara d'elle. Elle avait tellement peur d'avoir compris.
- Il... Est-ce qu'il...aurait abusé de toi... ?
Elle non plus n'osait pas utiliser le terme adéquat. Il acquiesça sombrement, sans oser la regarder dans les yeux. Il continuait de fixer ses draps froids qui attendaient son retour.
Ce fut le choc pour sa jumelle qui n'avait pas imaginé que la situation était aussi catastrophique. Ses prunelles s'écarquillèrent et elle fut prise d'un intense sentiment de pitié.
- Ne me dis pas que...qu'il... (Elle reprit sa respiration pour tenter de se calmer.) Il n'a quand même pas fait ça ?
- Si... Il m'a violé. Et pas qu'une fois.
Le mot avait été dit. On était sûr de parler de la même chose. Et cette chose était particulièrement insoutenable à entendre.
- Mais c'est très grave ! Pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt !? On aurait pu chercher une solution pour t'aid-
- Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien, la coupa-t-il. Je voulais passer une bonne journée à vos côtés. Alors vous avouer qu'il m'a fait ça aurait tout gâché...
- Mais si ! On trouvera forcément une solution ! Il y a toujours des solutions ! Ce n'est pas toi qui me diras le contraire ! Hein... ?
Sa voix se voulait volontaire mais elle n'était qu'hésitante. Dipper ne parvenait pas à approuver sa détermination.
Il n'y avait aucun moyen de le sauver.
À moins que...
- Pour te dire la vérité, j'ai trouvé la solution.
Mabel leva des yeux emplis d'espoir sur son frère. Tout n'était pas perdu, finalement !
- C'est vrai !? Et comment comptes-tu t'y prendre ?
Elle s'enthousiasma rien qu'à l'idée de pouvoir retrouver son frère et de le délivrer de son malheur. Dipper s'extirpa du matelas, s'accroupit au sol pour tendre le bras sous le lit. Qu'est-ce qu'il y avait donc de caché là-dessous ? Il en sortit une petite boîte métallique scellée d'un cadenas à chiffre. Depuis quand se trouvait-elle là ?
- Il y a quoi dedans ? demanda-t-elle, intriguée.
Il déverrouilla le cadenas et ouvrit la boîte. Il en sortit un objet en métal qu'elle reconnut aussitôt.
- Où tu l'as eu ? l'interrogea-t-elle d'un ton froid.
- C'est Papa qui me l'a donné. Il m'a dit de le garder avec moi quand on partirait à Gravity Falls.
Il s'agissait d'un revolver. Ils n'en avaient jamais touché car leurs parents ne faisaient que leur répéter qu'ils n'avaient pas l'âge et que c'était trop dangereux, une idée que peu d'Américains partageait. Il attrapa six balles qui se trouvaient dans la boîte et les glissa dans le barillet. Ensuite, avec un naturel glaçant, il attrapa le canon et tendit son arme à sa sœur, les yeux rouges mais emplis de témérité.
- Je n'ai pas le courage de le faire moi-même, alors laisse-moi de demander cette faveur... Tue-moi, Mabel.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top