Chapitre 17
Mes yeux s'ouvrirent lentement. J'ouvris ma mâchoire, avant de la refermer. J'avais des crampes aux joues à force d'avoir autant crisper les dents. La douleur résonnait encore en moi, j'avais dû mal à croire que ce se soit arrêter. Je regardai mes mains si frêles maintenant. J'étais allongé par terre, je n'osais pas bouger. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eus aussi mal.
– Relève-toi ! Railla la voix rauque de Glarian.
– Si seulement c'était aussi simple, lâchai-je froidement.
– Je n'en ai rien à faire ! Lève-toi maintenant !
Je m'obstinais à rester par terre. Cela ne lui plut pas et il me prit violemment par l'épaule et me força à me relever. Je me laissai tomber sur la chaise. J'avais encore dû mal à y croire. Je venais de faire la même expérience que Lowcast de nombreuses minutes auparavant. Ce collier était une véritable arme de guerre. Je portai la main mon cou.
– N'essaie même pas de l'enlever, la puce est maintenant encrée dans ta peau. Si tu l'enlèves, tu perdras tellement du sang que tu en mourras, me dit-il simplement.
Je savais bien qu'il disait la vérité. Il n'était pas du genre à mentir question supplice. Il aimait bien voir les visages des gens terrifiés lorsqu'il annonçait ce genre de choses. La peur des autres nourrissait sa folie et son orgueil. C'était pourquoi je préférais rester de marbre.
– Lowcast, continua-t-il. Va aux cuisines. Il y en a un qui doit manger.
Lowcast obéit sans broncher et se retira. Glarian reprit place sur sa chaise de bureau et me fixa de ses yeux luisants semblables au bronze. Je continuai d'ahaner, tentant au mieux de retrouver mon souffle, ainsi que le contact de mes membres endoloris.
– Quoi ? Crachai-je face à son sourire moqueur.
Il émit un petit rire.
– Rien, rien...
C'en était suspect. Je commençais à le connaître à force. Il allait se passer quelque chose. Quelque chose avec Kiro et avec moi. Voyons, qu'est-ce qu'il pouvait bien me trouver d'intéressant ? Je soupirai, de toute façon, plus rien ne m'importait. Ça l'avait bien amusé la mort d'Adrianne, ça l'avait fait rire. Je m'en souvenais encore très bien. Ce rire, ce sourire, ce rictus moqueur, amusé. Je me souvenais bien de ce jour. C'était il y a combien de temps, déjà ? Une semaine ? Deux ? Ça ne m'importait que trop peu, pour moi, c'était comme si le temps s'était arrêté, figé, mais non. La mort d'Adrianne n'y changeait rien. Le temps continuait de s'écouler, les gens continuaient de vivre leurs quotidiens tranquilles, comme s'il ne s'était rien passé, comme si elle n'avait jamais existé... et ça me rendait malade. Comment autant de personnes pouvaient se ficher de sa mort ? Pourquoi ça ne les affectait pas ? Une si bonne personne en plus...
Glarian continuait de me fixer. Mais cette fois, il ne souriait plus. Son regard était grave. Ce subit changement de comportement me fit sursauter. Que se passait-il
encore ? À quoi pensait-il ?
– Je me disais, répondit-il. Adrianne, tu l'aimais vraiment ?
J'eus l'impression de recevoir une gifle, avant de froncer les sourcils. Non mais il se fichait de moi ?
– Donc tu l'aimais réellement, conclut-il.
Je compris enfin : il lisait en moi depuis le début.
– Qu'est-ce que ça peut te faire ? Grognai-je avec amertume.
Il haussa les épaules avec condescendance.
– Rien. Seulement... elle ne t'aimait pas, elle. Elle s'est servie de toi, non ? Tu ne lui en veux donc pas ?
– Jamais, soufflai-je, les yeux rivés au sol.
– Moi aussi à ton âge je pensais que les femmes étaient toutes gentilles, toutes mignonnes. Mais... il ne faut pas se fier aux apparences, les femmes sont toutes les mêmes, des vipères, elles te trompent dès que tu tournes le dos et...
– Tais-toi, soupirai-je. Tu me donnes la migraine. Je n'en ai rien à faire que maman se soit servie de toi, moi j'aime Adrianne, et j'avais foi en elle. Seulement... maintenant c'est trop tard, et tout ça c'est de ta faute, tu l'as tuée !
Je n'avais pas élevé la voix, je n'y arrivais plus. Certes, mon ton était agressif, mais c'était tout ce dont j'étais capable pour l'instant. Il me dévisagea de nouveau, de manière impassible. Que pensait-il derrière cette carapace ? Je n'en avais rien à faire.
Enfin, Lowcast revint, accompagné de deux autres mastodontes, des plats dans les mains. Mon estomac se tordit quand je sentis l'odeur qui émanait des assiettes. Ils posèrent le tout sur le bureau qui était en vérité immense. Je me pinçai les lèvres quand je vis le contenu. Du... lapin, des perdrix, des châtaignes baignant dans de la sauce, des quiches, des tartes, du poisson, et multiples accompagnements, du fromage, et des fruits exotiques... Je ne savais plus où donner la tête. Mais où trouvait-il tout cet argent ? Comment pouvait-il se permettre autant de luxe ? Je... mon ventre émit un grondement malgré moi.
– Je t'en pris, mange, m'invita Glarian, sourire aux lèvres.
Non, jamais. Je ne lui offrirai pas ce luxe. Je déglutis. Toute cette nourriture, aussi bien qu'elle me faisait fondre, me donnait la nausée. J'avais le haut-le-cœur rien qu'à la vue de la sauce. Mais j'avais si faim... Mon estomac criait famine, se tordait sous l'envie. C'était un rêve. Toute cette nourriture n'était pas réelle. Et puis, se rappelant les habitudes de mon père, je fronçai les sourcils. Ce devait être un moyen pour m'amadouer. Les aliments devaient être empoisonnés, ou il devait y avoir quelque chose dedans, un somnifère, anesthésiant, quelque chose de pas très sain... Je secouai vivement la tête.
– Plutôt crever, raillai-je avec amertume.
– Ce n'est pourtant pas ce que souhaite ton corps. Tu as faim, non ? Ton ventre crie famine, n'est-ce pas ? Vas-y, ce n'est pas empoisonné, tu sais bien que Kiro s'intéresse à toi et il faut mieux pour moi que je te tienne en vie, au moins jusqu'à ce soir.
– Et que va-t-il se passer ce soir ?
Il remarqua alors qu'il en avait trop dis. Il se mordit la lèvre inférieur, avant de reprendre :
– Tu vas le rencontrer, n'est-ce pas là un honneur ?
Un grand sourire innocent recouvrit son visage. Je frémis. Rencontrer Kiro... quelle horreur !
– Pourquoi veut-il me rencontrer ? Soufflai-je, d'une voix lasse.
– Pour toi, pour ton pouvoir, évidemment.
– Et que compte-t-il faire avec ?
– Qui te dit qu'il compte s'en servir ?
– Je ne suis pas un imbécile, je ne suis pas aveugle. Tu crois que je n'ai toujours pas compris ?
Glarian écarquilla les yeux en grand. Il pensait réellement que je n'avais pas compris, que je continuai de me poser tout pleins de questions sans pouvoir y répondre ? Que mes pensées tournaient en boucle ?
– Pardon ?
– Tu veux que je serve de réceptacle, pas vrai ?
Même s'il gardait un visage de marbre, ça se voyait qu'il était déstabilisé.
– Un réceptacle, continuai-je. Mais pas pour Kiro, pour quelqu'un d'autre. Je ne sais pas encore qui, mais ce n'est pas lui qui va s'en servir. Ce n'est que le porte-parole de quelqu'un d'autre. Une entité encore plus puissante, n'est-ce pas ?
Il fronça les sourcils. De toute évidence, il se demandait comment je pouvais le savoir.
– Je ne suis pas aveugle, répétai-je. Tu pensais que j'allais le comprendre qu'une fois que tu m'aurais expliqué. Je ne sais pas exactement quel est le but de Kiro dans cette histoire. C'est un fin stratagème. Tu penses que je ne suis pas perspicace, mais tu m'as sous-estimé. Kiro cherche à me rencontrer pour mon pouvoir étant donné que je possède trois dons, mais il a déjà un réceptacle, et on ne peut pas le changer, je me trompe ? Son gardien est le descendant de Kiro. Et puis, il y a le fait que Kiro t'ais contacté, je ne sais de quelle façon, pour essayer de t'avoir comme réceptacle, après un certain pacte. Ça a échoué. Et à cause de ça, tu lui es redevable. Il s'intéresse à toi, à tes expériences. Mais pourquoi cherche-t-il quelqu'un avec un certain pouvoir, si ce n'est pas pour lui ? Pourquoi s'intéresse-t-il aux éléments et aux gardiens ? Pourquoi a-t-il rejoint le cercle élémentaire ? Quel est son but ? Tu croyais vraiment que j'étais si idiot ? Maintenant réponds à ma question : qui est-ce ? Qui est cet élément qui n'a pas de réceptacle, qui ne fait pas parti du cercle élémentaire ? Est-ce à cause des autres éléments, qui l'ont justement empêché ? Y avait-il une raison ?
Glarian me dévisageai en silence, son visage de marbre, ses yeux homogènes, je ne savais ce qu'il pensait.
– Je vois que tu as bien caché ton jeu, me dit-il calmement. Je me disais que tu ne pouvais pas être si idiot, connaissant tes parents...
– Maman, c'était quelqu'un, pas vrai ? Le coupai-je.
Mes souvenirs étaient si flous, si brouillés, et par-dessus tout, ils étaient faux. Je me souvenais à peine d'elle, de son odeur, sa silhouette, son visage... je ne savais rien
d'elle, de son caractère, de sa personne... c'était ma mère, j'aurais tant voulu la connaître plus longtemps. Il soupira. Oui, je ramenais tout à elle, mais je voulais savoir, et c'était ici que j'en apprendrais le plus, auprès de cet homme qui la sois-disant chérie.
– Oui, souffla-t-il dans un filet de voix. Oui, c'était quelqu'un...
– Je sais que ce n'est pas vraiment le moment, mais j'aimerais que tu me parles d'elle, s'il te plaît.
Je le regardai dans les yeux. Je savais que je montrai une de mes faiblesses, que je me mettais en danger... Nouveau soupir.
– D'accord, finit-il par céder. Mais faisons cela en mangeant, ne perdons pas de temps.
Il saisit ses couverts et commença à découper ce qui devait être une perdrix. Il se servit : sauce, châtaignes, légumes... et il tendit la main vers moi.
– Allez, donne ton assiette !
Je secouai la tête, malgré mon estomac qui criait le contraire. Son sourire se figea.
– Je te parlerai d'elle si tu acceptes de manger.
Quel chantage ! Je le savais....
– Tu ne peux donc rien obtenir en faisant autre chose que du chantage, tu es donc tombé aussi bas, raillai-je.
D'un mouvement sec, il saisit sa télécommande avec fermeté. Oh non... Une vibration me traversa. Pas agréable, non. C'était... comme si je vivais la mort de quelqu'un électrocuté dans son corps, sans en être victime. Juste en vivant la sensation.
– Je suis clément cette fois, mais si tu ne veux pas que j'active la puce, tu ferais mieux de te tenir à carreaux et d'obéir, dit-il laconiquement.
Je relevai la tête. À mon grand soulagement, il ne souriait pas. Il semblait plutôt être indifférent. Mon estomac se serrait, se tordait... Je... j'avais si faim... oh et puis zut ! Instinct de survie, sûrement. J'attrapai ma fourchette avec amertume. Toute cette nourriture, à ma disposition... j'hésitai.
– Je peux vraiment manger ? Demandai-je.
Il hocha la tête.
– Évidemment. Allez, donne ton assiette.
D'une main incertaine je la lui passai. Il la saisit avant de me servir. Voyant le contenu, je manquai de fondre. Je me jetai littéralement dessus. Au diable les bonnes manières ! Je remplis mon ventre de tout ce qui me tombait sous la main. C'était un véritable festin de roi. Viande, accompagnements, fruits, légumes... Tout semblait resplendir de mille et un éclats, comme s'ils attendaient que je les dévore. Glarian m'observa manger. Et puis il saisit une bouteille.
– Donne ton verre ! Dit-il.
Oh... je le lui tendis. Un liquide ambré coula du goulot, remplissant mon verre presque à ras-bord.
– Tiens, fais toi plaisir !
Je saisis le récipient. Je voulus boire, avant d'hésiter un instant.
– Tu es sûr que je peux ? Demandai-je, incertain.
Il opina de la tête.
– Bien sûr.
Je bus alors. Je n'en avais jamais goutté. Et je m'attendais à tout... sauf à ça. Le liquide me brûla la gorge, à tel point que je manquai de tousser. Mes yeux me piquèrent. Ouah... c'était fort ! Je toussotai avant de reposer mon verre. Glarian réprima un ricanement.
– Alors, dis-je. Tu as dit que tu me parlerais de maman.
– Que veux-tu savoir ?
– Tout. Comment elle était, ses passions, ses habitudes, ses goûts...
– Que veux-tu que je te dise... elle était... tout bonnement magnifique, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Je savais depuis le début qu'elle jouait un rôle, qu'elle était déjà fiancée à Jax... mais je l'aimais. C'était mon rayon de soleil, toujours joyeuse, toujours souriante, calme, posée, elle aimait beaucoup le thé aussi, elle sentait toujours le thé... Elle venait de Sevel. Là-bas, elle travaillait sur un bateau, la Jouvence Rouge. Elle a toujours adoré la mer, les bateaux, nager, les ports aussi, tout ce qui était de cette ambiance, les marchés des ports c'étaient ses moments de plaisir. Avec toutes ces odeurs des marchandises diverses venant des lointains, elle s'amusait comme un gosse. C'est là-bas que je l'ai rencontrée d'ailleurs : tu sais avant je travaillai comme bras droit du troisième siège de la ville Bleue. Il m'avait envoyé à Sevel un jour pour effectuer une certaine tâche. Et je l'ai rencontrée. Splendide. Une vraie beauté. Je l'ai croisée au port, elle aidait à décharger la marchandise. Ses cheveux bruns fouettés par le vent, ses yeux verts mélangés à du marron foncé pétillant de vivacité... elle resplendissait parmi toutes les personnes aux alentours. On pouvait dire qu'elle sortait du lot. Je suis allé lui parler, et elle me répondit. Puis, nous sommes allés à un bar, et nous y sommes restés deux bonnes heures. Ah là, là, que de souvenirs...
Il semblait parti loin dans ses souvenirs, ses yeux emplis d'une nostalgique amère.
– Si tu l'aimais tant que ça, pourquoi l'as-tu fais souffrir ? Pourquoi l'as-tu battu ? Pourquoi l'as-tu fais fuir ?
Mon ton était un poil agressif.
– Ce n'est pas moi qui est fait ça, répondit-il simplement.
– Ah oui ? Tu vas me faire croire que j'invente maintenant, je m'en souviens très bien je te signale !
– Ce n'était pas moi, répéta-t-il. C'était Kiro.
– Et ça ne t'a pas dérangé ?
– Non. Elle n'a eut que ce qu'elle méritait.
– C'est faux, m'écriai-je. Elle ne méritait pas de souffrir, elle ne méritait pas de mourir !
– Elle ne méritait pas de souffrir ? Mais moi si par contre ! S'emporta-t-il soudainement. Je te signale qu'elle m'a manipulé, qu'elle m'a trompé, qu'elle a monté tout un stratagème pour me faire sombrer, pour que je meure ! Elle voulait ma mort, tu te rends compte ?
– C'est toi qui dis ça, la bonne blague ! C'est peut-être ce que tu méritais après tout, la mort, tu l'as donné à beaucoup, non ?
– Tu vois, c'est toujours moi qui a tort dans cette histoire ! Siffla-t-il. Et personne ne se met à ma place !
– Parce que tu crois vraiment que ça en vaut la peine, après tout ce que tu as fait ? Regarde autour de toi, regarde ton passé, tout ce que tu as fait jusqu'à présent ! Criai-je en me levant d'un bond. Tu crois vraiment que toutes tes victimes, tous tes cobayes vont avoir pitié de toi ? Qu'ils vont vouloir se mettre à ta place ? Tu les as détruit ! Et après tout ça tu veux qu'ils te plaignent ? Non mais tu te fiches de la gueule du monde !
Il me fixa en silence, sans me répondre. De toute évidence, ça ne lui avait pas plut. Mais je me fichai bien de ce qu'il pouvait bien penser, que ça l'avait blessé ou non, je n'avais que dit la vérité. Au moins c'était sorti.
– Pardon, j'ai perdu mon sang froid, dis-je en me rasseyant.
Il ne me répondit pas, en pleine réflexion. Quelques minutes passèrent, quand enfin, il reprit.
– C'est vrai que je suis un monstre, dit-il en toute objectivité. Je ne m'en veux absolument pas pour tout ça.
– Tu es fou.
– C'est vrai, reconnut-il.
Il me sourit.
– Et tu ne sais pas ce que ce fou qu'est ton père va te faire faire. Tu vas m'a-d-o-r-e-r, crois-moi, déclara-t-il de sa voix mièvre.
– Ce soir, c'est ça.
– Profite bien de ta journée en attendant.
Il appuya à nouveau sur sa télécommande. Et cette fois, ce fut Péri qui fit interruption dans la pièce.
– Ramène-le dans sa cellule, ordonna-t-il.
Je me levai et suivit Péri à travers tous ces couloirs.
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– Tu vas rencontré Kiro, s'écria Alison, affolée. Mais... comment ?
– Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que ce sera ce soir.
– Mais il te veut quoi ? Qu'est-ce qui l'intéresse chez toi ?
– Mon pouvoir. J'ai trois dons : Siena, Feyr et River. Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais j'en ai trois. Il veut que je serve de réceptacle, pour une autre entité. Une autre entité qui n'a jamais eu de réceptacle, et qui ne fait pas parti du cercle élémentaire.
Je me tournai vers Djalyss.
– Tu as une idée de qui ça pourrait être ?
Elle réfléchit quelques instants.
– Aucune. Il y a Feyr, Siena, River, Gaïde, Cyra, Kiro... mais je ne vois pas qui il
manque.
– Et Garance ? s'enquit Alison.
– Elle a acquis ces compétences avec les expériences de Glarian, elle n'a pas de véritable pouvoir, railla Djalyss.
– Qui alors ? Demandai-je. Il manque qui ? Voyons, le vent, la mer, le ciel, la faune et la flore, le feu, la lune...
– Le soleil, intervint Keren, l'un des enfants avec qui nous étions prisonniers.
– Pas bête, m'écriai-je.
– Ozalée, souffla Djalyss.
– Qui ? Demanda Alison, les sourcils froncés.
– Ozalée, c'est le soleil. Mais elle fait partit du cercle élémentaire et elle a déjà un réceptacle. Anciennement c'était Mayeul une amie d'Holland, mais elle est morte, c'est donc l'un de ses enfants qui a dû lui succédé.
– Tu ne nous en avais pas parlé, remarquai-je.
– Oui bah c'est comme le réceptacle de Kiro, on ne sait pas qui il est ni où il est.
– Donc ce n'est pas le soleil, conclus-je.
Nous réfléchîmes en silence pendant de nombreuses minutes. Voyons, un élément...
– La glace ! S'écria Aodren, une autre enfant.
– C'est la même chose que de l'eau, répliqua Djalyss.
– Tu es bien sûre de ne pas savoir qui c'est ? Insistai-je.
Elle poussa un soupir las.
– Holland aurait pu répondre à cette question, mais pas moi, je n'ai aucun pouvoir je te signale !
– Je sais.
Nouveau moment de réflexion.
– La fumée, annonça soudain Alison. Ah non, ça c'est moi.
– Arrêtez de dire n'importe quoi et réfléchissez un peu plus, s'énerva Djalyss.
Nous arrêtâmes alors de parler pour nous concentrer. Glarian pouvait accéder à mes pensées, il fallait que je fasse profil bas. C'était très simple à faire pour le berner. Il me suffisait de diviser ma conscience en deux. Et ça marchait vu la réaction qu'il avait eut tout à l'heure. Une partie de moi, en surface pensait sans comprendre, ses pensées tournaient en rond, et je ne percutais rien, tandis qu'une autre partie plus profonde m'ouvrait comme une sorte de salle dans le noir complet où je pouvais penser tranquillement sans avoir peur qu'il lise en moi. Je ne savais pas comment j'arrivais à faire ça, mais j'y parvenais.
Alors voyons... une entité très puissante, qui n'avait jamais fait parti du cercle élémentaire, sûrement à cause de son pouvoir et n'avait jamais eu de réceptacle. Kiro l'aidait pour en trouver un. Il me voulait moi car je possédais trois dons. Pourquoi ? Ma mère n'en possédait qu'un, alors pourquoi en avais-je trois ? Est-ce qu'ils avaient compris que cette fameuse entité voulait justement entrer en contact avec les humains ? Était-ce ça que ma mère, Jax et Isolde voulait déjouer ? Dans ce cas là, alors ils avaient échoué, ils n'avaient pas réussi.
– Tu ne sais vraiment pas qui est le réceptacle actuel de Kiro ? Demandai-je à
Djalyss.
– Non, mais... en tant normal les réceptacles se succèdent dans une même famille. En tant normal c'est de parent à enfant. Donc en soit, ce devrait être l'enfant de Jax.
– Mais... Jax avait des enfants ?
– Non, et c'est bien ce qui me préoccupe. Si ce n'est pas les enfants, ce sont les frères et sœurs.
– Mais Glarian a échoué alors qu'il voulait être son réceptacle.
– Et Jax n'avait qu'un seul frère.
– Et personne d'autre de sa famille pouvait le remplacer ?
– Non, c'est parents étaient tout deux enfant unique, et sont morts.
– Mais alors...
– C'est bien ce qui me préoccupe, qui est le réceptacle de Kiro ?
– Et c'est sûr qu'il y a vraiment une autre entité, ou c'est juste Kiro qui cherche un nouveau réceptacle ? Intervint Alison.
– Non, c'est sûr, confirmai-je.
Nouveau silence. Et puis, ça me traversa l'esprit. Et si...
« Hey, dis, tu ne saurais pas la réponse toi ? » demandai-je.
Elle me répondit.
« Oui et non, je ne suis pas sûre... surtout que... je t'ai trahi, je te signale que c'est moi qui ai prévenu Glarian, lorsque vous... »
« Tu l'as fait pour Kiro, n'est-ce pas ? »
Elle soupira lacement.
« Oui et non, mais... »
« On s'en fiche, réponds à ma question, dans tes souvenirs, quoique faux, qui est le nouveau réceptacle de Kiro ? »
« L'enfant de Jax. »
« Et qui est-ce ? »
« Tu n'as toujours pas compris ? C'est... »
Un bruit sourd me tira de mes réflexions. Je rouvris les yeux aussitôt.
– Que se passe-t-il ? Demandai-je en me redressant.
Glarian venait d'arriver dans le labo. Et comme à chaque fois qu'il arrivait, plus personne ne parlait.
– Alors, dit-il. Ça fait longtemps que je n'ai pas expérimenté sur vous. À qui le tour ? Djalyss ?
Celle-ci le fusilla du regard. Il ouvrit sa cellule et la prit. Elle ne broncha pas. Oh non...
– Pourquoi elle ? Songeai-je à voix haute.
– Oh, juste une envie du moment, me répondit-il avec condescendance. Ne faut-il pas suivre ses envies ?
Il s'éloigna en silence avec elle. Ils partirent à l'autre bout du labo, si bien que nous ne les voyions plus. Pourquoi la prenait-il alors qu'en tant normal, c'était moi qu'il choisissait ? C'était suspect. Il ne voulait peut-être que l'on pense, ou que Djalyss révèle quelque chose qu'il ne voulait que nous sachions ? Oui, ce devait être ça.
« Désolé, tu disais que c'était qui ? »
Elle mit quelques minutes avant de me répondre enfin :
« L'enfant de Jax. »
« Non, après. Tu disais que je n'avais pas compris ou quelque chose du genre et tu t'apprêtais à dire son nom. »
« Oh, ça. Je ne suis vraiment pas sûre... »
« Dis toujours. »
« C'est Jinx. »
« Jinx, l'enfant de Jax. Et qui est sa mère ? »
« Holland. »
Mes yeux s'écarquillèrent en grand.
« Quoi ? Mais... mais... »
« Hi, hi. Tu ne croyais quand même pas que tu étais vraiment le fils de Glarian ? »
Je manquai de m'évanouir.
« Parce que Jax est mon père ? »
« Oui. Et Jinx est ton frère jumeau. Garance est ta demi-sœur, car elle est bel et bien la fille de Glarian, mais pas toi. »
J'étais étrangement soulagé par cette nouvelle.
« Tu es sûre ? »
« Absolument pas, je te l'ai dis. Demande le lui toi-même. »
« D'accord. Mais... du coup... ce Jinx, il est... de notre côté ? »
« Il n'est au courant de rien. Il vit à la ville Blanche. »
« Comment s'est-il retrouvé là-bas ? »
« De la même façon que tu t'es retrouvé à la falaise. »
« Holland ? Mais... »
« Non, pas Holland, Jax. À votre naissance, Holland a confié Jinx à Jax, pour ne pas qu'il tombe entre les mains de Glarian. Tu imagines s'il avait le réceptacle de Kiro à ses côtés ? »
« Mais Glarian est au courant que Jinx est le réceptacle de Kiro ? »
« Glarian ignore l'existence de Jinx. Il sait néanmoins que tu n'es pas son véritable fils. »
« Alors pourquoi je lui ressemble autant ? »
« Ça c'est très faux. Tu ne ressembles aucunement à Glarian, tu ressembles à Jax, ils sont frères jumeaux c'est pour ça. »
« Ah oui, c'est logique, en effet. »
Je marquai une pause avant de revenir à l'essentiel.
« Et l'Entité dont Kiro veut que je sois le réceptacle, qui est-ce ? »
« Ah, je ne sais pas... c'est très flou dans ma tête. Je ne suis désolée, je ne pourrais pas t'aider là-dessus. »
« Une dernière chose, même si tu n'en es pas sûre, donne-moi ton prénom, s'il te plaît. »
« Je n'en ai pas le droit, tu le sais bien. Je n'ai même pas le droit de te parler. »
« Dis toujours. »
« Bloom. »
J'écarquillai les yeux en grand. Quoi ? Non... impossible.
« Tu veux dire... la Bloom de la vallée, qui habitait dans la cabane avec Orest et Carisa, la Bloom qui maîtrisait Gaïde ? »
« Celle-là même, il me semble, alors j'ai vraiment connu ces personnes. Tu en sais beaucoup sur moi ? »
« Non, c'est tout ce que je sais de toi. Mais j'aurais une autre question à te poser. »
« Vas-y, même si je ne suis pas sûre de la réponse. »
« Holland, ma mère, elle est morte, pas vrai ? »
« Oui. Dans mon souvenir, elle a été puni, car soit-disant elle aurait trahi. »
« Trahi quoi ? Qui ? Elle voulait juste arrêter Kiro et l'autre entité, non ? »
« Non, ça n'a jamais été aussi simple. Mais elle est maintenant au fond de la mer. »
« River l'a tuée ? Alors que c'était sa gardienne ! »
« River n'a rien décidé je te signale, ne rejette pas la faute sur elle, elle n'a fait qu'exécuter les ordres ! »
« Alors même les éléments s'inclinent devant Kiro. »
« Pas Kiro, ce n'est pas si simple. »
« L'autre entité, c'est ça ? »
« Non plus. C'est autre chose. »
« Encore un autre élément, c'est ça ? »
« Oui et non. »
« Et... je sais que ça fait beaucoup de questions, mais, une dernière chose, connais-tu le réceptacle d' Ozalée ? »
Silence. Plusieurs instants s'écoulèrent.
« Qui est Ozalée ? » finit-elle par demander.
« Le soleil. Tu connais son réceptacle ? »
« Le soleil ? J'ignorais qu'il y avait cet élément, comment s'appelle-t-il déjà ? Ozalée, c'est ça ? »
« C'est Djalyss qui me l'a dit. Je ne sais pas si c'est vrai... »
« Djalyss ? La sœur d' Holland ? Elle est avec toi ? »
La voix semblait soudainement paniquée. Pourquoi ? Que se passait-il ?
« Oui, pourquoi ? Il y a un problème ? »
« Djalyss... Tu es sûr que c'est elle ? »
« Bien sûr, pourquoi ? Que se passe-t-il ? »
« Non, rien. Rien d'important. »
« J'ai bien compris qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. »
« Rien d'important je t'ai dis ! »
« Je ne suis pas bête, qu'est-ce qui se passe ? »
« Rien ! »
« Explique-moi ! »
Mais elle était déjà partie, elle ne me parlait plus.
« Réponds ! » m'énervai-je.
Silence complet. Je jurai. Un cri strident retentit soudain, me glaçant le sang. Djalyss. La pauvre... elle ne méritait pas ça. Ce fut une interminable demi-heure de souffrance. Après quoi, ce fut mon tour de subir. À mon grand soulagement, il ne fit
rien aux autres. Mes veines de nouveau gonflées à bloc, je me laissais retomber sur le sol de ma cellule, avant de m'endormir enfin.
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À mon réveil, il était dans les environs de dix-neufs heures. Tout était silencieux, et j'étais envahi de pensées sombres. Noires. Ténébreuses. Je restai allongé, les yeux rivés sur le plafond de cette cellule. Quel beau silence, quand même. Qu'est-ce que j'aimais quand c'était calme, comme ça, sans nulle trace de bruit, de dérangement... s'il n'y avait pas eu ces envies qui m'habitaient. Je fixai les imperfections du plafond. Cette cage avait l'air si vieille, d'une bonne dizaine d'années au moins. Elle semblait avoir beaucoup servi. Combien étaient ceux qui y avaient été emprisonnés ? Je ne cherchai même pas à savoir. J'étais envahi par une sérénité d'esprit. C'était comme si je n'avais pas de sentiments, comme si plus aucune crainte ne m'habitait. C'était... étrange. Je n'avais pas envie de bouger, de parler aux autres, de réfléchir. Je n'arrivais plus à réfléchir, à retenir, à penser... j'étais comme vide, sans âme, sans conscience. C'était comme si mon esprit n'était qu'une mer d'huile, douce, calme, posée... sans perturbation, sans doute, sans crainte. C'était délicieux... Quelle douce sérénité... je pensai alors à Glarian et lâchai un soupir. Je ne voulais pas y aller, je n'avais pas la force d'affronter Kiro en face, tout simplement plus la force. Je ne voulais pas. Pas ça. Je voulais juste mourir. Rejoindre Adrianne. Partir au-delà de cet enfer, bien loin d'ici, de cette souffrance. Mourir... quelle enivrante douceur amère... Kiro ne pourrait se servir de moi si j'étais mort, il ne pourrait pas se servir de mon pouvoir. Quelle merveilleuse idée... il me suffisait juste... de trouver quelque chose pour. Je tournai la tête pour regarder autour de moi. Les enfants dormaient, idem pour Djalyss. Alison était assise, dos contre barreaux, le regard dans le lointain. Parvenait-elle à la même réflexion que moi ? Je ne cherchai même pas à savoir. Je ne cherchai plus rien. Je n'en avais plus la force. Mon regard passa en revu le labo. Les scalpels ? Toutes ces mixtures douteuses ? Oui, pourquoi pas...
J'esquissai un faible sourire. Il me fallait juste les atteindre. Comment, étant donné que j'étais enfermé dans cette cellule ? Je ne savais plus. Peut-être... non, pas de peut-être, je n'y arrivais plus.
– Célian, tu es réveillé ? Murmura la voix frêle d'Alison.
– Oui, soufflai-je.
Silence. Elle n'avait pas l'air de vouloir discuter beaucoup, pour une fois. Peut-être qu'elle aussi voulait arrêter de réfléchir ?
– Dis, repris-je. Tu ne voudrais pas... me parler de ton passé ?
– Mon passé ? S'étonna-t-elle. Pourquoi tu voudrais savoir ça ?
– Comme ça, je ne sais rien de toi.
Elle ne me répondit pas tout de suite. Les épaules affaissées, elle gardait les yeux rivés sur le sol. Une larme coula le long de sa joue. Elle l'écrasa d'un mouvement
sec, du revers de la main.
– Je...
Elle marqua une pause, avant de déglutir, comme si une boule venait de s'encrer dans
sa gorge. Elle soupira bruyamment.
– Tu n'es pas obligé de me répondre, tu sais. Après tout, ça ne me regarde absolument pas, tu as le droit de me remettre à ma place.
Elle secoua la tête.
– Non, je... ça ne me dérange pas, peut-être même que ça m'aiderait d'en parler.
– Je ne te force pas, tu sais.
Nouveau silence.
– Tu sais, souffla-t-elle douloureusement. Originellement, je ne viens pas d'ici. Comme je te l'avais dit lorsqu'on s'est rencontré, je viens du monde extérieur. D'un pays frontalier, précisément, où je vivais avec mon père. Mon nom là-bas était Alison White et j'allais à l'école. Mon père m'a racontée que ma mère était morte en me donnant naissance, maintenant je ne sais pas si c'est vrai. Très vite, il a compris que j'étais différente. Je n'avais jamais froid, je n'avais jamais chaud, j'adorais qu'on fasse des feux de jardin... je sais que c'était anodin, mais ça a commencé comme ça. Et puis un jour, j'ai entendu une voix. Elle hurlait de souffrance. Elle ne faisait que de me supplier d'agir, de crier... c'était horrible. Et puis au fur et à mesure du temps, j'en entendais de plus en plus. Tout le temps. Elles ne me lâchaient plus. Elles criaient, me suppliaient... je ne savais pas qui elles étaient, mais je m'en fichais... je voulais juste que tout s'arrête. Je faisais des crises des fois, quand elles devenaient trop virulentes et trop nombreuses, je me bouchais les oreilles, je pleurais... Et puis, suite à ça, on m'a emmené dans un endroit bizarre, blanc, où... il y avait pleins d'enfants comme moi. On nous enfermait dans des pièces où nous n'avions pas le droit de sortir, où on nous faisait faire des analyses, tout pleins d'analyses... et puis on nous donnait des médicaments pour qu'on redevienne normal. Nous mangions à peine, nous ne pouvions pas sortir, et il fallait obéir et prendre les médicaments, toujours prendre les médicaments... mais ça ne marchait pas. Je les entendais toujours, elles me faisaient culpabiliser, elles disaient que la seule façon pour moi que tout s'arrête c'était de... de...
Sa voix s'éteignit.
– Tu as compris, reprit-elle. Je faisais toujours des crises, de plus en plus nombreuses. Les voix étaient elles-même de plus en plus nombreuses... je n'arrivais plus à dormir, à réfléchir, à penser... j'en étais malade. Et puis il y a eut des fois, où je... je ne me contrôlais plus et je m'en prenais aux autres enfants. Ces voix me poussaient à leur faire du mal, elles disaient que ce n'était que ce qu'ils méritaient. Et puis il y a eut ce jour où elles sont devenues si agressives... elles m'ont noyée dans les ténèbres. Je ne savais plus ce qu'il se passait, ma vision était brouillée, ces pensées tournaient en rond... et mon corps était comme... possédé. Pas comme Glarian le fait, c'était bizarre... je ne voyais pas ce que je faisais, c'était comme si un écran de fumée noire me cachait la vue. Et j'ai perdu connaissance.
Elle marqua une nouvelle pause. J'étais toujours allongé, j'écoutais attentivement son récit.
– Quand je me suis réveillée, c'était trop tard, souffla-t-elle dans un filet de voix étouffé. Il y avait... ces lumières, bleues et rouges... ces personnes qui hurlaient dans
tout les sens... ces hommes qui transportaient de l'eau... et toute cette fumée...
Ses yeux se voilèrent de larmes.
– Le bâtiment était en feu. Et il y avait ces enfants, prisonniers des flammes. C'était moi, c'était ma faute... j'ai tué six personnes ce jour-là. Six enfants qui n'avaient rien demandé. Je... je voulais pas ça, moi ! Je voulais pas les tuer, je voulais pas, je voulais pas...
Sa voix s'étrangla dans sa gorge, et elle éclata en sanglots. Ses épaules tressautant, elle enfouit son visage dans ses mains. La pauvre... J'aurais voulu la rassurer, la réconforter. Mais qu'aurais-je pu dire ? Je ne trouvais jamais les mots justes dans ce genre de moment.
– Ce n'était pas ta faute, dis-je doucement.
J'étais sincère.
– Bien sûr que si ! C'est moi qui ai provoqué cet incendie, c'est moi qui leur ai fait du mal ! C'est moi, c'est ma faute...
Sa voix se perdit dans ses pleurs. Je la laissai évacuer sa peine pendant plusieurs minutes. Après quoi, elle reprit peu à peu sa respiration d'origine.
– Après ça, reprit-elle. Ces types m'ont emmenés dans une sorte « camp » comme l'avait dit Adrianne. J'y ai passé trois ans, et puis Glarian est venu. Je ne sais pas ce qu'il leur a dit, mais suite à ça, il m'emmena avec lui. Et puis, j'ai subi ses expériences, rencontrée Adrianne... et tu connais la suite.
Elle soupira à nouveau bruyamment. Se rappeler de ces souvenirs devait évoquer en elle pas mal de remue-ménage.
– Et ces voix ? Demandai-je. Tu les entends toujours ?
– Quelques fois.
– Et que disent-elles ?
– Oh, ça dépend. Des fois, elles n'ont que des discussions anodines, sans intérêt mais des fois elles m'agressent, elles me font culpabiliser pour un rien, elles me reprochent tant de choses...
– Et dans ces moments-là, que fais-tu ?
– J'essaie au mieux de les ignorer, ou je me prends la tête avec elles ça dépend.
– Je vois...
Silence. Alison s'allongea elle aussi et ses paupières se fermèrent lentement. Ses yeux étaient bouffis et son visage encore rougi.
Je retournai à ma contemplation du plafond. Alison avait beaucoup souffert par le passé, idem pour Djalyss, Adrianne, les trois enfants... moi au départ je voulais juste aider Adrianne... mais à cause de moi, elle était morte et Alison était dans le pétrin. J'imagine que je n'avais pas le droit de l'abandonner. Je poussai un long soupir, avant de fermer à mon tour les yeux, épuisé.
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Je fus réveillé par le bruit sec de la porte envoyée claquer contre la toison. Je me redressai. C'était Lowcast, venu me chercher. Nous repassâmes de nouveau par mille couloirs, jusqu'à ce que le sol devienne tapis de sois rouge. Nous repassâmes devant
le couloir aux trois tableaux que j'analysai. Un en particulier.
Puis nous arrivâmes enfin. Lowcast frappa trois coups avec le heurtoir, et nous entrâmes. Glarian était en train de feuilleter un livre.
– Assis-toi donc, me dit-il de sa voix mièvre.
J'obtempérai et attendis en silence qu'il finisse sa lecture. Après quelques minutes, il secoua la tête, insatisfait et referma son livre, avant de le reposer sur l'étagère. Mais ce fut pour en prendre un autre. Il semblait ne pas trouver ce qu'il cherchait. Il changea trois fois de livre, quand enfin, un sourire éclaira son visage.
– C'était ça, murmura-t-il à lui-même.
De quoi parlait-il ? Il referma son livre d'un mouvement sec avant de le reposer. Il se tourna ensuite vers l'horloge qui indiquait vingt-trois heures, puis vers moi.
– C'est l'heure, roucoula-t-il.
Je baissai les yeux vers le sol. J'étais si las dès à présent.
Glarian se dirigea vers une étagère dans un coin de la pièce. Non, le tapis. Il se baissa, avant de le soulever. Une trappe. Il l'ouvrit et un nuage de poussière s'éleva dans l'air.
– Descends ! Ordonna-t-il.
J'obéis sans broncher. J'avais trop peu de force physique pour cela. Je descendis donc par une étroite échelle de fer. Je glissai mes pieds et mes mains sur chaque barreau avec précaution. Il faisait tellement noir que je ne voyais rien. Enfin, mon pied atteignit le sol. Il régnait dans l'atmosphère une odeur prononcée d'égouts et d'eaux usées. Je me pinçai le nez en attendant de recevoir un nouvel ordre. J'entendis Glarian arriver derrière moi. Il me prit par l'épaule et m'entraîna avec lui. Au loin, j'entendais un écoulement d'eau. Glarian marchait vite et je devais suivre son rythme bien qu'à contre-cœur. Je n'étais pas sûr de marcher très droit.
– Avance ! Grogna Glarian et me poussant en avant.
J'accélérai donc l'allure. Il me tira soudain vers la gauche d'un coup sec.
– Tourne !
Les ordres s'enchaînaient au fur et à mesure que les minutes passaient et je me demandais si nous arriverions un jour à destination. Mais enfin, il s'arrêta. Il sortit un trousseau de clés de sa poche et chercha à tâtons la serrure. J'entendis un cliquetis, suivi d'un grincement sourd, signifiant sa réussite. Il me poussa à nouveau en avant.
– Avance !
J'obéis bien qu'à contre-cœur. Je ne voyais toujours rien, la pièce ou le couloir totalement plongé dans l'obscurité. Nos pas résonnaient dans le silence environnant. Un silence pesant et oppressant. J'avançai dans le calme. Certes, je redoutais ce qu'il allait me faire, mais j'étais si épuisé que je n'arrivais même plus à m'inquiéter. Au pire, je mourrais. Si c'était le cas, j'irais sûrement aux enfers.
– Arrête de traîner, avance !
Mais quand est-ce que arriverions-nous ? En tout cas, j'étais bien content que nous n'avions pas de lumière. Je ne voulais pas dépenser le restant d'énergie que j'avais en faisant une crise, face aux couloirs si étroits.
Il me mena à une nouvelle pièce. Il me poussa en avant. Il alluma enfin une lumière.
C'était une pièce spacieuse, très grande. Vide. Avec une petite estrade en son centre, entourée d'ustensiles étranges. Des fils, des machines...
– Monte !
Il me plaça au centre de l'estrade. Je grimpai sans difficulté. Il n'y avait rien, hormis cette fenêtre là-haut, d'un vitrail rouge sang. Il n'y avait que quelques motifs sans grande conviction. Ce devait être des fleurs, sans doute, mais rien d'extraordinaire. Glarian me fixait, tout en tournant autour de l'estrade. Il avait quelque chose en tête, ça se voyait. Qu'allait-il me faire ? Je tentai de garder un visage de marbre, ne reflétant aucun de mes sentiments actuels. Je ne sus pas si j'y parvenais, mais il sembla ne pas le prendre en compte. Il continuait de me fixer toujours avec ce sourire sournois. Je frémis malgré moi. Mais qu'attendait-il à la fin ?
– C'est vrai que tu me ressembles, déclara-t-il soudain en toute objectivité.
Mon sang se glaça dans mes veines. Où voulait-il en venir ? Pourquoi me disait-il ça ?
– Il paraît que c'est à Jax que je ressemble, répondis-je froidement.
Il écarquilla les yeux, surpris, avant de détourner le regard.
– Djalyss, c'est ça ? J'ignorais qu'elle était au courant...
– Faut croire que si.
Il fit la moue.
– Voilà qui est bien sympathique de sa part de te l'avoir dit. Tu devrais éviter de poser trop de questions. Et puis, de toute façon, mon frère est mort.
– Et alors ? Je préfère avoir un père mort plutôt qu'un père fou et cinglé qui se croit
le plus intelligent au monde.
Il leva les yeux au ciel.
– Tu as du répondant, tu es bien comme ta mère. Mais malheureusement pour elle, elle a mal fini.
– Que lui est-il arrivé à la fin ? Pourquoi personne ne veut me le dire ?
Il réfléchit un instant avant de déclarer :
– Tu comprendras bien assez tôt, et puis, de toute façon, tout sera fini la nuit de la lune de sang.
– Que va-t-il se passer ?
Il émit un petit rire discret.
– Tu verras bien, fit-il en me faisant un clin d'œil.
Il continua de marcher, me fixant de ses yeux de fouine. Qu'allait-il se passer ? Le connaissant, je m'attendais au pire, surtout s'il était de mèche avec Kiro. Qu'entendait-il par « tout sera fini » ? Je m'attendais vraiment au pire.
– Que vas-tu me faire ? Lâchai-je enfin.
– Tu verras bien. Par contre, juste une chose : ne bouge sous aucun prétexte, ne lui
tient pas tête, obéis-lui et tais-toi, d'accord ? Il va arrivé...
Nous attendîmes plusieurs minutes. J'essayai de faire en sorte que la tension qui m'habitait ne transparaisse pas. Oui, j'étais tendu et j'avais peur. Glarian semblait impatient, terriblement impatient. Il voulait sûrement me voir m'écraser devant Kiro. Mais ça ne se passera pas comme ça. Je ne me laisserais pas faire aussi facilement. Comme ma mère avant moi, je lui tiendrai tête, quitte à endurer la pire des blessures.
– Le voilà qui arrive, souffla Glarian à cœur joie.
Je me tins droit, menton relevé, avant de me tourner vers le vitrail sanglant.
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