Remus Lupin
Le livre L'Histoire de Poudlard qu'avait reçu Remus à son anniversaire fut le tout premier d'une longue série d'ouvrages traitant du monde des sorciers pour lequel le jeune garçon se passionna.
Il avait tout d'abord commencé par les livres les plus abordables qu'il pouvait lire à son niveau, tel que les manuels de botanique illustrés, car les trop grands pavés recelaient des mystères des mots et de leur signification, et se fondaient en secret dans la foule de paragraphes étroitement serrés.
Puis, petit à petit, Remus avait appris à lire ces sujets plus complexes. La bibliothèque complète de son père n'échappa point à sa soif de savoir, tout comme celle de sa mère bien qu'ayant une littérature moldue puis les excursions à Godric's Hollow ou le Chemin de Traverse où l'on trouvait des librairies furent de plus en plus régulières.
Mais avant tout, c'était la magie, le monde de la sorcellerie, qui l'intriguant autant. La perspective d'être un sorcier, ce qui possible étant donné son statut de sang-mêlé, l'excitait encore davantage que n'importe quelle histoire croustillante que l'on pourrait lui raconter. Si ses parents avaient tous les deux des sorciers, Remus auraient au moins été pratiquement fixé. Hélas, Espérance Lupin étant une moldue, cela réduisait les chances de moitié. Remus n'en voulait nullement à sa mère : ce n'était la faute de personne et il la trouvait parfaite comme elle l'était, mais il ne pouvait s'empêcher de songer que sa normalité pouvait l'accablée d'une énorme déception.
- Tu sais, la vie de moldue n'est pas si mal, s'écriait sa maman en emmenant Remus dans la petite école moldue de leur quartier.
Le jeune Lupin étudiait le CE2 dans une école élémentaire ordinaire, en attendant une manifestation de ses aptitudes magiques, ou tout simplement car c'était là qu'il pourrait construir un avenir. Mais bien qu'il trouvât le français et la littérature intéressante, et que d'ailleurs il y exellait, il éprouvait bien plus d'intérêt pour les sortilèges, la métamorphose, les potions, entraperçus dans les livres de Lyall.
- Oui, mais Poudlard c'est tellement... Tellement waouh ! répliqua-t-il.
Espérance éclata de rire, un rire doux et familier qui ravissait son fils. Elle lui caressa les cheveux avec affection, et déclara :
- Oui, mais pour aller à Poudlard il faut être un sorcier, mon grand. Et pour l'instant, il semble que tu sois aussi banal que moi !
- Tu n'es pas "banale", maman, répondit Remus avec sourire.
Certes, mener une vie sans baguette pourrait le rendre tout à fait heureux : un travail stable, une maison sans elfe mais équipée de lave-vaisselles et de sèche-cheveux, peut-être une famille... Oui, il serait parfaitement heureux ainsi. Quoique... Souvent, lorsqu'il se réveillait le matin avec une griffure qui le démangeait encore, où qu'il se couchait le soir pétri de courbatures, il se demandait si les choses seraient aussi simples.
Malgré tout, il espérait en une magie discrète mais existante, qui se réveillerait en lui tôt ou tard. Cette heureuse perspective surpaissait de loin une vie paisible sans magie, il ne pouvait le nier. Il lui semblait impossible, même en comprenant certains sous-entendus de ses parents, de ne jamais voir Poudlard, de ne jamais y étudier, de ne jamais tenir entre ses doigts une baguette au bois doux et chaud qui caresserait sa paume comme une main bienveillante tendue vers lui.
Espérance et son fils finirent, après avoir prudemment évité un motard impatient sur le passage piétons, à l'école. C'était un bâtiment relativement moderne, doté d'un joyeux portail écarlate s'ouvrant sur une cour de récréation ombragée par des arbres. Avisant la marée d'enfants s'engouffrant à travers celui-ci, guidé par des surveillants à l'air exténués Espérance tendit le cartable qu'elle tenait par la main à Remus. Ce dernier jucha le sac sur ses épaules de frêle ossature et chancela sous le poids des connaissances.
- Je suis sûr que ce serait pas aussi lourd à Poudlard ! plaisanta-t-il à moitié, ne sachant même pas exactement pourquoi il énnonçait cette idée.
Espérance le contempla avec un air étrangement triste avant d'afficher, presque aussitôt, un timide sourire. Il paraissait ridiculement petit pour soutenir le cartable : celui-ci, rempli à ras bord de cahiers, avait une largeur doublement supérieure à l'épaisseur de son hôte.
- Allez, vas-y, murmura-t-elle. Et n'oublie pas : pas un mot sur la baguette de papa, d'accord ?
- Oui oui.
Remus s'en alla, et disparu dans la foule. Espérance resta quelques instants à l' observer, espérant peut-être qu'il n'attraperait pas trop de poux de ses camarades. Les autres parents discutaient entre eux tout en accrochant un regard ému sur leur progéniture jusqu'au dernier moment. Espérance l'aperçu quelques secondes en train de parler avec ses bruyants camarades de classe. Il ne participait pas vraiment aux conversations, riait seulement un peu quand les autres s'esclaffaient avec immaturité.
Elle ne pouvait s'empêcher de trouver qu'il avait quelque chose de différent.
***
Remus avait étudié dans de nombreuses écoles. Il y avait eu les petites, les grandes, celles avec des cantines de restaurant et d'autres un peu plus douteuses. Il avait connu une ribambelle de maîtres et maîtresses : les jeunes, les vieux, les passionnés par leur métier et ceux qui ne parvenaient pas à se faire respecter de leurs élèves, et qui fixaient l'horloge de classe en ayant l'air d'espérer qu'́elle indiquait l'arrivée salvatrice de la retraite. Cependant, malgré la pluralité des méthodes d'enseignement, il trouvait que l'on étudiait toujours les mêmes leçons rébarbatives, et ses évaluations lui paraissaient d'une facilité décourageante.
Régulièrement, il changeait d'établissement suite aux déménagements qu'effectuaient sa famille dans tout le Royaume-Uni, et à chaque fois, c'était le même constat : un même programme, de mêmes évaluations, les mêmes blagues peu amusantes répétées par ses professeurs sur les mathématiques.
L'école de Whiteheaven n'échappait pas à cette règle de monotonie en terme d'étude.
Si ce n'était pas son établissement favorit, le jeune Lupin l'aimait beaucoup. Il possédait, en surcroît de son joyeux portail rouge, des classes colorées et des instituteurs souriants. Il s'était fait également quelques amis, ou du moins il ne se retrouvait pas seul aux récréations quotidiennes.
Lorsqu'il rentrait de classe, Remus effectuait ses devoirs avec une patience à tout épreuve, et filait prendre une douche brûlante avant le dîner afin d'effacer les traces d'encre lorsque les mots qu'il écrivait embrassaient ses doigts.
Mais un soir de mars, son agréable routine vola en éclat. Il avait quitté l'école en silence, n'adressant pas seul mot à Espérance qui, inquiète, ne lui avait pas demandé s'il avait du travail en le voyant jetter son cartable dans l'entrée.
Remus avait filé dans la salle de bain, et seul le bruit perceptible de l'eau retombant sur le tapis de douche résonnait. Pourtant, certaines gouttes étaient salées sur son visage.
Les sons familiers de la salle de bain lui rappelait désagréablement sa journée. En effet, la classe de Remus avait fait un cours de sport à la piscine municipale de la ville. La perspective de nager dans de l'eau chlorée ravissait les élèves, mais lui, il n'avait ressenti qu'une vague appréhension.
Cette crainte était belle et bien fondée : lorsque Remus avait emergé des cabines d'habillage du complexe aquatique et que les regards de ses camarades s'étaient posés sur lui, sur son dos et son torse nu, sur la peau fine et translucide de ses bras et de ses jambes, les conversations s'étaient subitement tues, avant de se muer en vague de murmures.
Il avait tant bien que mal ignoré cette rumeur qui l'accompagna durant tout le cours de piscine. Il avait nagé dans l'eau chlorée, évitant habilement de toucher les pieds maladroits des primaires s'échinant à faire la brasse, plongeant la tête sous l'eau lorsque le maître nageur et la maîtresse glissaient leur regard avertis sur les files de nageurs inexpérimentés. Remus préférait se noyer dans la mer stérile de la piscine que sous les remarques inintelligibles prononcées sur son passage.
Lorsque qu'enfin, le cours prit fin, Remus avait filé au vestiaire sans prendre la peine d'éviter de s'éclabousser dans la mare trouble du pédiluve. Malheureusement, ce qui avait voulu a tout prix éviter survint : cinq de ses camarades de classe semblaient l'attendre devant les vestiaires, drapés dignement dans leurs serviettes humides.
- Eh, Remus ! lança l'un d'eux.
Le concerné tenta de pénétrer dans sa cabine, mais un gros garçon l'écarta de son objectif d'un coup de bras puissant.
- C'est quoi, toutes ces marques sur ta peau ? poursuivit-il.
- Des tâches de naissance, mentit Remus, en serrant convulsivement le poing.
- T'avais pas dit ça pour celles de ton visage, insista le gros garçon, John, avec un air accusateur. Tu avais raconté que tu étais tombé dans des ronces !
- T'es qu'un gros menteur, en fait ! couina un troisième, nommé Lee. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
- Rien du tout ! se défendit Remus.
Il essaya une nouvelle fois de s'échapper, mais cette fois-ci un quatrième complice se plaça derrière lui pour l'en empêcher.
- Ma maman m'a dit qu'il y avait des maladies de la peau qui faisaient ça, dit-il avec un ton moqueur.
- Beurk, t'es vraiment malade, Rem ?
- Non...
- Si, il est malade ! s'écria Lee avec une moue dégoutée.
- Non ! Laissez-moi !
Remus força le passage mais Jordan le poussa violemment en arrière, il glissa sur le sol humide de la piscine et retomba lourdement sur les fessiers. Le choc remonta le long de sa colonne vertébrale en une onde douloureuse qui lui coupa le souffle. Le chlore lui irritait l'épiderme, mais ce n'était rien à côté du feu qui dévora ses joues alors que les cinq autres éclataient de rire.
- Remus est malade ! cria l'un d'eux.
- Ouais ! C'est un mutant ! Comme dans les films !
- Venez voir ! Il y a un mutant dans la classe !
À son plus grand désespoir, quelques yeux curieux émergèrent des cabines pour voir de quoi il en découlait. Transpercé par ces regards, il se recroquevilla sur lui-même, tremblant de honte et de froid sur le carrelage délabré du complexe aquatique.
Premièrement, peu d'élèves adhérèrent à la plaisanterie, observant plutôt avec un intérêt hésitant ses cicatrices repoussantes, pour certaine tout juste refermées, qu'ils n'avaient pu qu'entraperçevoir dans l'eau du bassin d'apprentissage. Puis, peu à peu, l'instinct méprisant des enfants tombant sur des plus petits, plus faibles et plus malchanceux qu'eux fit surface, et les moqueries hilares s'élèvèrent en écho à travers les vestiaires.
Remus resta paralysé, la tête entre les genoux et les mains plaquées sur les oreilles, l'esprit déchiré entre la peine de ce qu'il entendait et l'horreur d'anciens souvenirs qui ressurgissaient tel des feux mal étouffés, et qui prenaient à présent une ampleur telle qu'ils brûlaient ses rétines.
« Remus est malade ! » « Beurk! »
« Heurk, Vous croyez que c'est contagieux ? »
« Il est affreux... »
« Ne le touchez pas, c'est un mutant ! » « Un mutant ? Ça existe? » « Bah oui, regarde ! »
« Remus le mutant ! »
« Remus... Le...»
« Remus le monstre ! »
***
Lorsque l'eau brûlante de la douche commença à faire rougir sa peau, Remus soupira et coupa l'eau d'un geste presque inconscient. Il sortit et s'enveloppa de sa serviette, se frictionnant pour se sécher.
En face de lui se tenait le grand miroir de la salle de bain. Celui-ci étant couvert d'une épaisse buée, il ne distinguait qu'une silhouette floue, vestige d'un reflet qu'il connaissait par cœur. Il s'approcha lentement et essuya la vitre du revers de la main. Petit à petit, son image apparu.
Quand il s'aperçut enfin, il éclata en sanglot.
Les autres avaient raison. Il était affreux. Sa peau était régulièrement traversée de longues cicatrices pâles, parfois encore rose et boursouflées. La plus impressionnante d'entre elle, située sur l'épaule, dichirait son épiderme. Son organisme meurtrit avait recousu le tout avec une efficacité partielle, tant et si bien que chaque croc qui avaient transpercé sa chair possédait sa fidèle emprunte.
Remus détourna ses yeux brouillés sur larmes et croisa son propre regard.
Soudainement emporté par une colère et une frustration qui compressaient ses poumons, il frappa du poing le mur de la salle de bain. La douleur qui irradia ses phalanges le calma aussitôt et il resta quelques instants immobile, essoufflé, fixant ses pieds ou quelques perles d'eau gouttaient encore.
- Remus, mon grand, ça va ? cria son père depuis le salon, sans doute alerté par le bruit sourd qui avait résonné dans la maison.
- Ça va !
Et il sanglota de nouveau, incontrôlable. Ses veines étaient parcourues d'une souffrance qu'il avait réussi à taire jusqu'à maintenant, mais qui a présent jaillissaient hors de leur prison sentimentale.
Un étrange picotement envahit son corps, se propageant depuis son cœur battant jusqu'au bout de ses doigts tremblants. Il cessa de pleurer, frappé par l'ampleur de cette sensation.
Le colère disparu peu à peu, laissant place à une malaisante combinaison de vertige et d'angoisse. Remus attendit patiemment que cette réaction désagréable disparaisse, mais il avait toujours cette impression de frisson perpétuel.
Perplexe, il enfila son pyjama avec des gestes lents et prudents. Sa peau était entièrement recouverte de chair de poule. Pourtant, il ne faisait pas froid...
Que se passait-il ? L'image d'une pleine lune immaculée surgit dans son esprit et il eut un haut-le-cœur, avant de se souvenir que l'astre n'en était qu'à son premier quartier. Il ne pouvait pas faire l'une de ses horribles crises aujourd'hui.
Remus sortit de la salle de bain, toujours aussi convulsif. Ses cheveux mouillés trempaient son col, mais ce n'était pas sa préoccupation majeure.
- Maman... appela-t-il.
- Oui ? répondit la voix d'Espérance depuis le salon.
Il s'approcha de l'escalier et commença à descendre celui-ci.
- Je ne me sens pas très bien...
Soudain, son pied encore humide glissa sur le bord d'une marche. Remus se sentit tomber en avant, mais, toujours aussi fébrile, il ne parvint pas à reprendre son équilibre. L'anxiété qu'il ressentait atteint son paroxysme, et il lui sembla que quelque chose, de déjà fissuré, explosait en lui, répandant une énergie dévorante dans ses membres.
- Remus ! eut-il le temps d'entendre.
Il chuta.
Mais, étonnement, au lieu de dégringoler les marches restantes, il ne ressentit rien du tout. Il se demanda un court instant s'il n'était pas mort, que sa tête avait heurté le sol et l'avait achevé, mais il entendit clairement sa mère s'exclamer :
- Lyall ! Mon Dieu !
Remus ouvrit les yeux. Ce qu'il réalisa alors le laissa médusé.
Il flottait.
Son corps ne s'étalait pas sur les marches, mais lévitait à quelques centimètres du sol. Il avait l'impression qu'un coussin géant le soulevait, protecteur et rassurant. Son regard tomba dans celui de son père, qui était emprunt d'un étrange mélange de fierté, de surprise et d'appréhension.
Soudain, le soutient imaginaire disparu. Remus retomba brusquement par terre, mais se releva aussitôt, bouche-bée.
- Décidement, je resterai la seule moldue de la famille, fit Espérance à mi-voix, émue.
Remus ouvrit la bouche, la referma, puis, comprenant ce qu'il se passait, il s'assit sur le sol. Un sorcier.
Je suis un sorcier.
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