Chapitre 8 - Crush
Les pétales de cerisiers virevoltaient dans l'air, venaient parsemer çà et là le sol du parc Jikodai. L'allée principale se noyait sous une marée de passants venus admirer la majestuosité des arbres aux mille nuances de rose. Les plus enthousiastes allaient même jusqu'à s'installer sur des serviettes pour profiter du paysage et de l'ambiance, comme le voulait la coutume du Hanami. Son aquarelle posée à côté d'elle, son fidèle carnet sur les cuisses, Kanae restait pour autant davantage concentrée sur les détails minutieux de sa peinture que sur les gens qui passaient à proximité.
— Tu vas bientôt pouvoir le dessiner les yeux fermés, ce parc, releva Hina, assise à côté d'elle.
— Si c'est pas déjà le cas. Je serais pas surprise que ce le soit, honnêtement.
— T'es censée le savoir, normalement, c'est pas vraiment à toi d'émettre ce genre de supposition étonnée.
Kanae laissa échapper un petit rire, qui en arracha au passage un à sa meilleure amie. C'était vrai, elle avait passé tellement de soirées et d'après-midis à peindre ce parc qu'elle ne serait pas surprise de le connaître par cœur jusque dans son subconscient. Cet endroit restait leur petit rituel, surtout pour des beaux samedis ensoleillés comme aujourd'hui, et elle commençait à l'avoir représenté sous toutes ses coutures.
— J'aimerais bien m'éloigner un peu de Tokyo, avoua Kanae à brûle-pourpoint.
— Hein ? Comment ça ? Tu veux dire pour tes études ?
— Ah non, non. Je voulais dire histoire d'une journée, pour aller peindre un peu autre chose que des paysages urbains.
À l'exception de Narai-juku, elle n'avait que très peu eu l'occasion de pouvoir reproduire sur papier ces paysages montagneux qu'elle affectionnait tant. C'était toujours son jardin, le parc, et quelques quartiers tokyoïtes plus ou moins hauts en buildings.
— On sait pas encore où on part, pour les voyages scolaires. Mais dans tous les cas on devrait s'éloigner de Tokyo, donc t'y trouveras sûrement ton bonheur, même si on part pas ensemble.
Une grimace étira le visage de la jeune fille pour toute réponse à ces mots. Ces derniers jours, elle avait réussi à oublier la perspective de ce voyage dont on leur avait parlé au début de l'année, et sur lequel elles ne disposaient pas d'informations – si ce n'était le fait que les classes partiraient par deux. Pour l'instant, ils ne savaient même pas sur la base de quel critère serait faite cette répartition de classes. Mieux valait ne pas y penser inutilement, car plus elle y réfléchissait et moins elle relativisait quant à la perspective de partir avec celle de Hayato.
Sur le papier, cela aurait aussi voulu dire partir avec Hina. Mais au vu des événements au gymnase trois jours plus tôt, l'ordre de ses priorités avait été revu. Heureusement, le sujet se tassait petit à petit. À force qu'elle fasse de son mieux pour s'en montrer détachée, ses camarades commençaient à passer à autre chose.
Malgré cela, la situation restait pesante, voire détestable.
— On verra, y'a le temps. C'est en juillet, on est que le... vingt-et-un avril, finit-elle par lâcher après avoir consulté la date sur son téléphone.
— J'espère qu'on ira à Okinawa, confia Hina sur un ton rêveur.
Kanae arqua un sourcil perplexe.
— Y'a absolument aucune chance qu'une seule classe aille à Okinawa, Hina. C'est beaucoup trop loin et trop cher.
— Écoute, je sais que t'adores briser mes espoirs, mais là c'est un peu brutal. Finis ta peinture, plutôt !
— Et en parlant de briser tes espoirs, t'en es où avec tes crushs ?
Sa fidèle console portable dans les mains, toujours capable de tenir une discussion en même temps qu'elle jouait à Pokémon, Hina tourna vers elle un visage gêné. Les pommettes colorées de rouge, ce fut comme à chaque fois : elle oubliait complètement le côté extraverti et sans gêne de sa personnalité, dès qu'il était question d'évoquer l'un des garçons pour lequel elle se prenait d'affection. Kanae la première peinait à suivre la longue liste, un peu désespérée par le cœur d'artichaut de sa meilleure amie.
— Rien de spécial...
— Le gars de ton club d'athlé ?
— Takagi-kun ? Il est un peu cyclique... En ce moment il me parle moins. Je le soupçonne de s'être trouvé une copine...
Kanae voulut laisser un certain étonnement tendre ses traits, mais elle se retint. Le détachement avec lequel son amie racontait ses histoires la laissait chaque fois pantoise. Mais après tout, elle l'aimait comme ça.
— Et Kudou-kun ? Depuis qu'il t'a offert une sucette en chocolat ?
— Pas de nouvelles. Je le croise assez peu, d'ailleurs, depuis la rentrée. Et puis, toute façon il en avait offert à plusieurs filles, ça voulait rien dire.
Sa moue boudeuse et embarrassée attendrit autant Kanae qu'elle la désespéra. Toutes les précédentes relations de la jeune fille s'étaient chaque fois mal terminées, pour les rares qui avaient eu la chance de voir le jour. Quand elle y pensait, à la regarder ainsi avec attention, elle devait bien admettre ne pas vraiment comprendre pourquoi. À ses yeux, Hina faisait partie de ces filles mignonnes, qui retournent des cœurs sur leur passage par leur côté touchant. Objectivement parlant, elle la trouvait sincèrement jolie avec son carré blond, ses yeux sombres et pourtant si expressifs, son visage délicat et ses pommettes relevées. Le problème venait d'ailleurs, c'était certain.
Peut-être plutôt de son comportement dès qu'elle se retrouvait face à son crush du moment, et à toutes les stupidités qu'elle parvenait à débiter sous le stress.
— On va te trouver un autre mec, un mieux. Tu mérites autre chose que ce débile qui donne des sucettes en chocolat à qui en veut, de toute façon.
Elle dut ignorer le rictus qui souleva la lèvre de sa meilleure amie.
— Tiens regarde, on vient ici souvent. On peut te trouver un nouveau crush. Ou l'inverse, il doit bien y avoir un passant habitué qui aurait flashé sur toi... Surtout avec le monde que le Hanami ramène !
Et ce n'était pas peu dire. Le parc grouillait de passants de tout âge. Kanae le parcourut du regard, ses prunelles vertes cherchant avec rapidité des lycéens dans la masse. Elle qui venait de peindre cet endroit, elle n'avait aucun souvenir des personnes qu'elle y avait vu, pour avoir effacé toute trace humaine de sa peinture.
Sa mâchoire se décrocha lorsque ses prunelles accrochèrent le terrain de volleyball. Plusieurs personnes y étaient rassemblées, en petits groupes éparpillés çà et là sans qu'aucun ballon ne passe par-dessus le filet. Et dans un des coins, une silhouette que Kanae commençait à reconnaître pour l'avoir dans son champ de vision en cours depuis trois semaines déjà. Les deux garçons qui l'accompagnaient, plus petits et de toute évidence plus jeunes, ne lui étaient pas vraiment inconnus non plus.
Les voir tous les trois rappela à l'adolescente sa rencontre animée avec le volleyeur, un mois et demi plus tôt. Vêtu de son survêtement rouge du lycée, il apprenait les bases de son sport à ses frères – ou en tout cas ce fut la conclusion à laquelle elle arriva, elle qui ne les connaissait même pas, ces bases. Hina dut capter le regard qu'elle avait arrêté sur le terrain de volley, car elle tourna la tête en direction de celui-ci à son tour.
— Oh, Yaku-kun est encore là, aujourd'hui. Décidément.
— C'est que la deuxième fois, releva Kanae.
— Certes, mais c'est rare de croiser des gens du lycée par ici. Pourtant, on vient souvent.
Au moins deux à trois fois par semaine, en effet. Et à bien y réfléchir, c'était même assez surprenant de ne jamais croiser personne. Après tout l'établissement Nekoma n'était pas bien loin du parc Jikodai.
— Tu lui as reparlé depuis mardi ?
— Pourquoi je lui aurais parlé ?
Hina laissa échapper un long soupir mi-agacé mi-désespéré.
— Pour t'excuser d'être désagréable, et pour le remercier. C'est évident qu'il est intervenu volontairement.
— Si t'es là pour plaider sa cause, laisse tomber Hina. J'ai même pas envie d'en–
— Allez, arrête de faire ta tête de mule et va le voir maintenant !
Le visage tiré par une mine sincèrement confuse, Kanae se tourna vers sa meilleure amie. Les lèvres retroussées en un rictus d'aversion, les sourcils arqués en signe d'interrogation silencieuse, elle attendit quelques secondes avant de réussir à aligner des mots :
— Attends... T'as craqué sur lui et t'as besoin d'une excuse pour qu'on s'approche ou quoi ?
— Pardon ?
— Non Hina, de toutes les personnes de ce lycée, pas Yaku-san.
Elle réfléchit, avant de compléter :
— Ni Hayato, d'ailleurs. Je mets deux vétos.
— J'ai pas craqué sur Yaku-kun, Kana, répondit Hina avec lassitude dans une moue aussi perplexe que la sienne. Il est mignon, c'est vrai, et il a un côté touchant, tellement il est gentil. Mais à ma connaissance, ça s'arrête là, et... Oh mon dieu, tu crois que j'ai craqué sur lui ?
Kanae passa sous ellipse mentale le moment où elle demandait à quel côté touchant et tellement gentil elle pouvait bien faire référence, pour se concentrer sur les étoiles qui naissaient dans les prunelles sombres de son interlocutrice.
— Non, t'oublies tout de suite.
— Mais c'est juste que quand tu prends le temps de le regarder... Il a quelque chose, tu vois ?
— Pas vraiment.
— Regarde-le mieux, alors.
Le front plissé, la jeune fille hésita, mais finit en effet par reporter son attention sur le volleyeur. Seulement, avec la distance elle ne voyait ni les détails de son visage supposé « mignon » d'après les dires de Hina, ni un côté touchant et tellement gentil – elle était presque certaine qu'elle ne les verrait pas non plus en se rapprochant.
Un million de questions et de situation se bousculèrent dans son esprit à cet instant précis. Les crushs de Hina ne duraient jamais bien longtemps, et leur superficialité faisait qu'ils ne donnaient jamais rien non plus. Mais jusqu'à présent, même lorsqu'il s'agissait de garçons auxquels elle n'avait pas spécialement envie de faire confiance, Kanae s'était toujours promis de la soutenir de son mieux. Au moins au tout début, c'est-à-dire avant qu'ils offrent des sucettes en chocolat.
Là, si on parlait de Yaku, ce ne serait pas la même. Pour la soutenir, elle pourrait presque aller jusqu'à se sentir obligée de lui parler, de lui demander son numéro de téléphone, d'essayer de faire quelque chose... Une catastrophe. Elle n'en avait nullement envie. D'autant plus que de toute évidence, elle était venue à bout du capital patience du volleyeur mardi dernier après leur cours de sport, en l'envoyant bouler malgré l'aide qu'il lui avait apportée.
Kanae resta figée à cette pensée. Avait-elle réduit à zéro les chances de sa meilleure amie, juste par fierté ?
Difficile de savoir si elle s'en sentait soulagée ou désolée.
Elle n'eut pas le temps de se torturer l'esprit plus longtemps sur le sujet, car un rire éclatant perça ses tympans. Son éclat cristallin donnait l'impression d'être partout et nulle part, si brut et pur qu'elle s'en serait presque sentie intimidée... jusqu'à ce que l'embarras surpasse cela et l'aide à prendre du recul sur la situation : là, dans l'espace bondé de monde du parc Jikodai, Hina riait à gorge déployée et attirait au passage l'attention de passants plus ou moins proches.
— Tu verrais ta tête, continua-t-elle de rire. T'étais tellement concentrée, tellement sérieuse, et en même temps je vois tout ton mépris !
— J'te suis pas, là.
— J'ai pas du tout de crush sur Yaku-kun, Kana. J'me suis juste dit que la blague pouvait être vachement sympa, et elle l'était. Désolée.
Vexée, piquée à vif dans son égo, Kanae fronça les sourcils pour toute réponse.
— Enfin après j'étais sérieuse, il est mignon et vraiment gentil, l'année dernière je me souviens que c'était sûrement la personne sur qui on pouvait le plus compter dans la classe. Mais ça s'arrête là.
Elle balaya du revers de la main une larme qui menaçait de couler depuis ses canaux lacrymaux, signe que son hilarité s'atténuait difficilement, et Kanae détourna les yeux, un peu boudeuse. Ses prunelles captèrent une nouvelle fois le terrain de volley, sur lequel Yaku n'était visiblement plus seul avec ses frères, mais rejoint par des camarades et coéquipiers. Dans le lot, elle reconnut Kuroo, ainsi qu'un garçon de deuxième année.
Malgré la distance qui les séparait, le libéro vrillait dans leur direction un regard droit, presque curieux. D'abord surprise qu'il ait capté leur présence, la lycéenne se remémora l'écho du rire de sa meilleure amie qui venait de fendre le parc. Il les avait entendues.
Devant l'insistance de son regard, elle se contenta de la seule réaction qu'elle se sentait en maturité d'avoir : elle lui tira la langue.
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Je ne peux pas commencer cette NDA en parlant d'autre chose que de la nouvelle couverture de cette histoire. PITIÉ ADMIREZ-MOI LA BEAUTÉ DE MES BÉBÉS !!
Il s'agit d'une commission réalisée par la talentueuse et adorable Yuminetta (sur insta), vraiment j'en suis amoureuse !
J'espère que ce chapitre vous a plu ! J'adore écrire ces chapitres doux où Kanae et Hina sont juste au parc ensemble, j'aime vraiment leur relation ~
Et évidemment, on y retrouve Kanae dans toute sa maturité hihi
N'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile, et de laisser un petit commentaire, j'aime tellement vous lire !
Sur ce, je vous dis à samedi prochain <3
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