Chapitre 15 - Désespérée






— Ibaragi, à toi !

À l'entente de son nom, Kanae se redressa, droite comme I, et observa le ballon fondre sur elle sans être capable de réagir. Il lui sembla même que son buste s'était tourné pour lui permettre de mieux l'éviter, sans qu'elle ne sache si ce mouvement inconscient n'était que le fruit de son imagination, ou bien la réalité.

— Kana, t'es censée renvoyer le ballon, pas l'éviter ! la réprimanda Hina, et sa voix porta sur tout le terrain de sport.

L'intéressée gonfla boudeusement les joues, avant de revenir vers le centre du terrain pour se repositionner. Non seulement elle n'aimait pas l'effort sportif, mais en plus elle était vraiment nulle au volley. Il était bien plus facile, mais surtout moins dangereux, d'esquiver la balle lorsqu'elle fusait sur elle, que d'essayer de la renvoyer. Elle se souvenait encore de l'entorse au doigt qu'elle s'était faite en première année. Malheureusement, avec une Hina aussi compétitrice dans son équipe, elle ne pouvait pas trop se reposer sur la sécurité ou encore tirer au flanc.

Devant le regard assassin que sa meilleure amie lui décocha, la jeune fille baissa la tête pour faire profil bas. Les deux équipes féminines déterminées par leur professeur d'EPS se remirent en place dans le brouhaha général du gymnase. En face, ce fut à Mei de servir – service peu assuré qui finit dans le filet.

— À toi de servir, Ibaragi-san, lui indiqua Morita, qui lui tendait le ballon à bout de bras.

Kanae ne comprenait même pas les règles de cette rotation spécifique au volley, mais elle bougonna à l'idée de devoir servir. Pour autant, lorsque la balle passa par miracle le filet pour arriver jusqu'à Reona Yasuda, elle s'étonna elle-même. Leurs échanges étaient médiocres, de toute évidence dénués de force, de motivation et de talent. Mais lorsque la fin du match fut sifflée par l'une de leur camarade qui les arbitrait, Hina se jeta sur elle avec un large sourire enthousiaste.

Les filles ne purent pour autant pas célébrer leur victoire bien longtemps, car déjà la plupart de leur groupe s'était détournées des terrains de volley pour s'approcher des terrains de basket, sur lesquels les garçons faisaient cours. Coupablement aussi curieuse qu'une pie, Kanae s'avança également pour considérer ce qui accaparait tant l'attention. Elle y découvrit un match serré.

Là où les filles faisaient cours de volley, encadrées par leur professeur de sport, Monsieur Yamada, les garçons avaient, eux, été assignés au basket. Même si elle n'en menait pas large en volley, Kanae devait bien admettre que c'était toujours moins pire que le basket, alors elle s'estimait presque chanceuse que ce n'eut pas été l'inverse. Après tout, au volley elle pouvait flemmarder un peu. Au basket, il lui faudrait au moins faire semblant de courir à travers tout le terrain...

— Nagase-kun est vraiment fort, s'emballa la fille à côté d'elle, alors que ce dernier venait de marquer un panier et courait déjà dans le camp opposé pour essayer de récupérer le ballon.

— C'est pas pour rien qu'il est capitaine du club de basket, en même temps. Morita-san a de la chance...

Le front plissé, les sourcils froncés, Kanae tourna vers ses deux camarades un regard brusque pour être certaine qu'elles la verraient, et les éclairs dans ses yeux durent parler pour elles car les deux lycéennes se figèrent. Sans un mot, dans un claquement de langue, elle s'éloigna pour s'assurer ne plus entendre de commentaires de ce type, qui ne faisaient qu'attiser sa colère.

Lorsqu'elle s'immobilisa quelques mètres plus loin, incertaine quant à savoir si elle voulait observer un match de volley féminin ou de basket masculin pendant ce temps où elle pouvait se reposer un peu, la jeune fille se figea. Elle avait choisi de s'arrêter sur un espace entre les terrains sans faire gaffe à la silhouette indistincte qu'elle percevait dans son champ de vision, et elle le regretta. En la voyant venir se positionner près de lui, Yaku tourna à son intention un visage dubitatif, rempli d'interrogations. Il dut comprendre à la simple expression de son visage qu'elle ne l'avait pas vu, car il se détendit, et reporta sans un mot son regard vers le terrain de basket.

« On peut se dire semaine prochaine » lui avait-il indiqué vendredi dernier. Pourtant, ils étaient déjà mercredi, et ne s'étaient pas encore adressé la parole de la semaine.

Kanae ne sut pas trop pour quelle raison elle se sentit d'humeur à briser la glace :

— C'est à cause de ta taille que t'es remplaçant ?

Dans un geste si brusque qu'elle se demanda s'il ne s'était pas bloqué la nuque au passage, Yaku tourna la tête pour vriller sur elle des prunelles assassines. Avant même qu'il n'ait le temps de rétorquer quoi que ce soit, un rire éclatant parvint à leurs tympans, et bientôt Kuroo Tetsurou venait se planter devant eux.

— Pendant quelques secondes j'ai vu Lev à la place d'Ibaragi-san dans ton regard, Yakkun, s'amusa-t-il.

Kanae n'avait pas la moindre idée de ce que Lev était, mais à en juger les éclairs qui avaient tailladé ses iris bruns, ce n'était pas quelque chose qui lui évoquait de la sympathie. Elle se renfrogna, les mains dans les poches de son short de sport.

— Ma question était même pas méchante. Enfin pas volontairement en tout cas, ronchonna-t-elle, et sa réponse arracha un nouveau rire à Kuroo.

— Je suis ni remplaçant ni trop petit pour jouer au basket, pour ta sollicitude. Mon match est juste déjà fini donc j'attends le prochain.

Sans cacher ni sa curiosité ni sa susceptibilité, Kanae les observa tous deux à tour, avant de se tourner vers le terrain de basket. Le match de Hayato était fini, elle ne l'avait même pas réalisé, pourtant maintenant qu'elle prenait le temps de s'y pencher, elle capta avoir en effet aperçu Kuroo dans la même équipe que lui. Lorsqu'elle reconsidéra les volleyeurs, elle s'attarda cette fois sur leurs tailles respectives, comme l'impliquait leur discussion.

— Tu me feras pas croire que c'est pas un inconvénient d'être petit, pour jouer au basket.

— Tu t'enfonces, Ibaragi-san, je vais pas réussir à te défendre bien longtemps.

En effet, le regard sombre et voilé du libéro ne disait rien qui vaille. Et à le voir ainsi, à côté de son capitaine, Kanae réalisa pour de vrai qu'il pratiquait pourtant un sport nécessitant d'être grand. Même si elle ne comprenait rien aux règles et aux postes, elle se souvint avoir essayé de sauter au pied du filet quelques minutes plus tôt, et de s'être dit que c'était terriblement compliqué – une horreur.

— Mais pourtant tu joues au volley, ça doit pas...

— Écoute, j'ai rien dit sur tes performances pendant ton match tout à l'heure, donc si tu pouvais laisser ma taille et son soi-disant handicap de côté ça serait mieux pour tout le monde.

Contre toute attente, son ton s'était fait plus acéré encore que lorsqu'ils s'étaient pris la tête pour des haïku, si bien que la situation dépassa un peu la compréhension de la jeune fille. Mais si elle resta un instant silencieuse, devant elle Kuroo lui mimant de se taire, elle sentit une chaleur désagréable lui piquer les joues, secouée par la honte.

Il l'avait vue jouer.

Il l'avait vue esquiver les ballons, rater des services et sauter devant le filet sans réussir à aller plus haut que celui-ci.

Pire, même. Il ne l'avait pas seulement vue, il l'avait regardée, à en juger ses paroles. C'était d'autant plus offensant depuis quelqu'un qui pratiquait ce sport à haut niveau.

L'humiliation ressentie se rapprocha de celle éprouvée ce jour où il avait été témoin de son échange avec Hayato, avec cette fois un public – et ledit public arrêta ses mimes pour arquer un sourcil perplexe face à sa réaction.

— Je posais une vraie question, pas la peine d'être désagréable, se défendit-elle avec acerbité.

L'ironie que cette phrase vienne d'elle aurait pu être risible, pourtant devant les éclairs que leurs regards se lançaient, même Kuroo resta silencieux, ses prunelles sombres rivées avec concentration sur le terrain de volley où l'équipe de Mei et de Reona disputait un nouveau match. Le naturel revint pour autant au galop, lorsqu'il les affubla tous deux d'une tape sur l'épaule.

— Vous vous entendez bien, tous les deux, ça fait plaisir à voir.

Kanae tiqua, ses lèvres se pinçant en une moue contrariée à l'entente de ses mots. Même si le capitaine restait ironique, elle bouillonna de mille et une émotions contradictoires, qui lui rappelaient pourtant que dès leur rencontre, ils ne s'étaient pas entendus.

— J'ai rien contre elle moi, à la base, lâcha Yaku, et il détourna les yeux pour se focaliser sur le nouveau match de basket qui commençait.

La déclaration laissa la lycéenne bouche bée, au point où son irritation s'amenuisa quelque peu, comme ressassée dans le vide pendant tout ce temps. Elle s'était bien attendue à ce que, comme elle venait de le faire intérieurement, il nie et admette qu'il ne s'était jamais entendu avec elle ; certainement pas à ce qu'il dise l'exact opposé.

— Non pas que ça m'amuse pas de vous entendre vous crêper le chignon même depuis le fond de la classe, mais je vous rappelle que vous devez apprendre à communiquer, c'est Yosano-sensei qui l'a dit.

Ce ne fut pas l'envie qui manqua à Kanae pour rétorquer quelque chose, mais le timing. Une voix lointaine s'éleva pour appeler le nom de Kuroo, indiquant à ce dernier qu'il était attendu pour un nouveau match. Un sourire amusé flottait sur ses lèvres alors qu'il s'éloignait, non sans les gratifier d'un clin d'œil taquin.

Le calme qui se posa sur les deux lycéens restants les écrasa de tout son poids, au point où ils ne se considérèrent pas tout de suite. Le silence eut le temps de devenir pesant, alors que Kanae voyait les équipes féminines commencer à se repositionner, le match en cours proche de sa fin.

— En parlant d'apprendre à communiquer, commença Yaku, après si longtemps qu'elle en avait déjà oublié le sujet initial.

— Mh ?

— T'as pas changé d'avis ?

La jeune fille plissa le front, pas certaine de comprendre s'il faisait bien référence à leur entraînement pour la course à trois jambes. Pour autant, elle hésita à poser la question à voix haute : si elle se trompait, elle pourrait passer pour une désespérée, et si elle ne se trompait pas... et bien pareil.

Devant son mutisme, le volleyeur lui octroya un regard insistant, qui impliquait qu'elle devait répondre. Elle se concentra pour ne pas bégayer, un peu prise de court.

— Parce que toi t'as changé d'avis ? éluda-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Un léger rire glissa jusqu'à ses tympans, semblable à un souffle, à la brise qui s'infiltre à travers les bâtiments et qui coule sur toute la ville. Un instant, elle crut même l'avoir rêvé, pourtant quand son regard se risqua à affronter celui qui lui faisait face, elle comprit que c'était réel.

Qu'une nouvelle fois, il se moquait.

Mais cette fois, c'était différent. Tout aussi irritant, notamment au vu de leurs échanges des dernières minutes, mais moins vexant.

— Non, j'ai pas changé d'avis, même si je te trouve toujours désespérée.

— Écoute, j'ai pas besoin de me justifier, on a déjà assez parlé de ça. Je retiens juste que tu m'avais dit, je cite, « semaine prochaine » et plus rien.

Le visage de son interlocuteur se parait toujours d'une moue détendue, presque amusée, qui ne fit qu'amplifier le mélange de sentiments contradictoires que Kanae sentait naître, de la contrariété à la quiétude. Elle plissa le front, le seul moyen trouvé pour garder la face. Quelque chose d'orageux dut s'allumer dans ses iris verts, car le volleyeur reprit, plus sérieusement :

— Je sens que t'as l'air pressée de te débarrasser de cette tâche, donc on peut voir ça demain soir si tu veux. Le festival est dans deux semaines, on est large.

« Pressée » était un bien grand mot, qu'elle n'était pas sûre de pouvoir appliquer sur ce qu'elle ressentait. Le souvenir de la proximité de Hina lui revint en mémoire, et soudain elle ne fut plus aussi motivée à la perspective de s'entraîner avec lui, pas certaine de pouvoir supporter et endurer sa présence. Mais maintenant que le sujet était lancé, initialement par ses soins qui plus est, elle ne pouvait plus revenir en arrière.

— Après le cours de maths. Me fais pas attendre, lâcha-t-elle pour toute réponse.

Sur le deuxième terrain de volley, Hina se positionnait pour le prochain match. Les quatre autres membres de leur équipe tirée au sort en début de séance la rejoignirent, Morita fermant la marche.

Si l'envie n'était ni dans l'idée de retourner faire un match, ni dans la perspective de rester ici avec Yaku, la jeune fille trancha. Sans un regard vers le volleyeur, plus mal à l'aise qu'elle n'accepterait jamais de l'admettre, elle s'éloigna pour rejoindre le terrain.





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Encore une nouvelle étape vers la communication, non ? Bon, encore très maladroite, c'est clair. Mais vu les loustics, faut bien, sinon ce serait trop facile ~
Prochaine épreuve : leur fameux entraînement ? Je sais pas ce que vous en pensez, mais c'est pas gagné...

J'espère que ce chapitre vous a plu !!
N'oubliez pas de laisser un petit commentaire, vous êtes de moins en moins nombreux à commenter, mais sachez que c'est vraiment hyper important pour moi d'avoir vos retours c:

Sur ce, je vous dis à samedi prochain <3

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